Pour qu'on ne puisse m'accuser de céder à la vacuité égotiste de la dérision quand la République est en danger, ou d'écouter la reprise du Bicot de Peter Gabriel par Supertrump pendant sa campagne, je rediffuse cette interview de Fethi Benslama lue dans Télérama.
Cyberdépendance virtuelle, auto-addiction, rédemption de l’objet fascinatoire, progrès dans l’intention de pratiquer le bouddhisme.
lundi 2 novembre 2020
Après l’attentat de Conflans, comment lutter contre le poison de l’islamisme ?
Chaque numéro de l'hebdomadaire s'ouvre par une entrevue avec une personnalité en prise avec l'actualité, et c'est souvent des gens qu'on aurait envie de voir dans le 28 minutes d'Arte.
Fethi Benslama est psychanalyste, membre de l’Académie tunisienne et spécialiste du fait religieux.
dimanche 1 novembre 2020
Picsou-Magazine : 2000 blagues sur Mahomet
Demandez à votre libraire (s'il n'est pas fermé) l'édition spéciale : "2000 blagues laïques et républicaines" |
Macron a demandé un petit coup de main à Blasphémator® pour aider les enseignants à évoquer, sobrement mais dès demain lundi (jour de rentrée des classes) l’assassinat de Samuel Paty, la laïcité et la liberté d’expression aux enfants de 6 ans et plus.
Parmi les téraoctets de matériel pédagogique à ma disposition, pieusement engrangés chaque nuit que je choisis de consacrer à la veille technologique, j'ai finalement décidé de soulager Manu de ses petites angoisses au bureau en diffusant plus largement auprès des écoles le petit recueil de saynètes humoristiques qu'on trouvait jusqu'ici sous le manteau, encarté dans le supplément illustré de Picsou-Magazine : "2000 blagues contre l'islamo-gauchisme, l'islamo-fascisme, l'islamophobie et l'islamo-islamisme", dont j'extrais l'histoire qui suit. Allez en paix.
La discrimination scandaleuse
Un instituteur à l’école, classe de CM2 :
– Dis-moi Benoît, qu’est-ce que tu as fait pendant la récréation ?
– J’ai joué dans le bac à sable, monsieur.
– Très bien, Benoît. Viens au tableau. Si tu arrives à écrire « sable » correctement, tu pourras rentrer une heure plus tôt à la maison… voilà, c’est très bien, Benoît.
– À ton tour Bastien, qu’est-ce que as fait pendant la récréation ?
– J’ai joué au bac à sable avec Benoît, monsieur.
– Eh bien, Bastien, si tu arrives à écrire « bac » correctement au tableau, tu pourras rentrer en même temps que Benoît… c’est parfait.
– Et maintenant Mouloud, qu’est-ce que tu as fait à la récré ?
– Euuuuh, mooi, mossu, ji l’a volu jooéé a bac à sable, ma Benoît i Bastien zon pa voolu, tu compris ?
– Mais, quelle horreur, c’est une discrimination scandaleuse d’un groupe ethnique minoritaire dont l’intégration sociale pourrait être mise à mal, et en plus, dans ma classe ! Écoute, Mouloud, si tu écris correctement « discrimination scandaleuse d’un groupe ethnique minoritaire dont l’intégration sociale pourrait être mise à mal » au tableau, tu pourras rentrer chez toi aussi !
samedi 31 octobre 2020
La lecture, c'est l'aventure (4)
consultations sur rendez-vous et sur devis uniquement.
Les historiens de l'an 3000, dont l'existence est de plus en plus hypothétique, prétendront avoir exhumé des indices attestant l'existence des épisodes 1 à 3 de La lecture, c'est l'aventure dans la colonne des archives, sur la droite de votre écran.
Je doute avoir rédigé tout ça tout seul.
Dieu a dû me filer un sacré coup de main, en catimini, fidèle à sa traîtrise habituelle. Ca ne peut être que lui qui me réveille tous les matins à 5 heures et m'enchaine au clavier.
Priez pour n'être pas parmi mes correspondants. Le cas échéant, bon courage à touffes et à troutes.
Sourire du matin (plutôt rare sur internet en ce moment) en découvrant grâce au blog d'Anniceris (auquel je n'entrave usuellement guère plus que ce qu'un passant lambda décoderait en débarquant nuitamment sur le mien) et à son article "Nul n'est prophète dans sa propre tête" qui fait référence à un blog encore plus criptyque au frontispice duquel je lis une profession de foi dûe au "Pater Taciturnus (??) que j'aimerais faire mienne, mais c'est pourtant la sienne :
(si vous avez décodé cette phrase du premier coup vous devriez aller vous faire dépister. Si vous ne l'avez toujours pas encore comprite au bout de trois jours, aussi)
"Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"Pourquoi ce blog ? Je pourrais invoquer pour seule justification la lâche excuse d’Adam :« c’est ma femme qui m’a dit de le faire ». Pour ce qui est du contenu, il s’agira avant-tout d’un exutoire à mon impuissance à faire partager mes enthousiasmes. J’y ferai également part de certaines de mes perplexités, dans l’espoir qu’un visiteur de passage me fasse bénéficier de ses lumières. Pourquoi Pater Taciturnus ? C’est évidemment un hommage au pseudonyme « Frater Taciturnus » utilisé par Kierkegaard. Mais le pseudo original était déjà pris, et j’ai maintenant plus l’âge d’être appelé pater que frater(...)"Taciturne, fatigué … ça fait envie!- J’espère!- On pressent une accumulation de références culturelles destinée à masquer une personnalité assez profondément dénuée d’intérêt …- C’est exactement cela … vous voulez que je vous cite un passage de Platon à l’appui de cette idée ?"
C'est quand même plus élégant comme déclaration d'intention auto-dévalorisante (si j'ai bien compris, à chaque fois que le mec va faire un article, pour complaire compulsivement à Kirkegaard, il postule qu'il va perdre une bonne occasion de se taire) que moi qui avais démarré ce blog pour soi-disant témoigner de mes progrès dans la lutte contre la cyberdépendance pornographique.
Pour Pater Taciturnus comme pour moi, le succès de l'entreprise était tout entier contenu dans les prémisses, comme les métastases sont en germe de soja dans le mélanome, comme on s'entend parfois répondre dans les restaurants asiatiques où l'on avait ses aises, par la patronne soudain dévêtue au fond du verre de saké une fois vidé, quand on l'interroge sur la recette de l'ingrédient secret.
Pour en revenir à la consommation de la chose littéraire, de loin préférable au radotage interné sur internet, le temps que je parvienne à affirmer que les libraires sortaient renforcés du Covid, ils avaient déjà tous refermé leur échoppe. En se félicitant d'avoir fait plier la Fnac, les espaces Cthulhurels Leclerc, et même le rayon livres de mon Super U, qui est depuis tout à l'heure sous une bâche.
Je le sais parce que Tyler Durden a monté une brève là-dessus au journal régional ce midi.
Du point de vue subjectif des livres eux-mêmes, qui dépérissent puis succombent assez vite de n'avoir pas été lus, c'est loin d'être une victoire, bien qu'ils aient refusé de répondre aux questions de notre reporter dépêché sur place.
Il ne faudrait quand même pas accabler Emmanuel Macron, cet homme actuellement obligé de :
- défendre Charlie Hebdo et le droit au Blasphème jusqu'au Liban, s'élevant courageusement contre l'Arabie entière après leur avoir vendu des armes très performantes.
- de réinjecter des milliards qu'il n'a pas pour perfuser l'économie réelle et éviter qu'elle clabote tout de suite.
- de filer d'autres milliards aux pauvres pour éviter le chaos autocide (je suis d'accord, ça ne sonne pas aussi bien que ça devrait) dans les rues, bien que les djihadistes soient maintenant eux aussi confinés et réduits à égorger des sacristains virtuels dans des basiliques en 3D
- de faire des concours de testostérone avec Erdogan
- et de replonger le capitalisme marchand et financier sous coma artificiel, sans savoir si on pourra le réveiller une seconde fois, même avec un défibrillateur nucléaire, réanimation qui sera sans doute loin d'être la dernière.
Toutes choses qu'il n'avait pas du tout prévues de faire au cours de son premier mandat.
Le soir, quand il rentre du bureau, il a du mal à s'acquitter des trois minutes de méditation de pleine conscience que lui a suggérées son ami et confident Christophe André pour retrouver un peu d'oxygène et lâcher-prise sur ses dossiers dans sa tête.
Tant qu'il est chaud, il devrait peut-être en profiter pour annuler Noël, ou au moins le reporter jusqu'au 14 juillet prochain, avant que la grogne des libraires l'accule à la réouverture, provoquant des contaminations géantes au Musso d'automne (qui n'est pas un champignon) ou pire, au Werber d'hiver (une vraie truffe, mais moins chère au kilo) pour complaire à la frange de son électorat pour qui le shopping en librairie reste d'une urgence vitale, même si le pronostic n'est pas engagé, car après quelques milliers d'heures de vol sur des simulateurs de fauche à l'étalage, on peut se bâfrer comme un porc de chien d'infidèle en tchourant tous les livres qu'on veut sur internet.
Douce Frange, dont je suis fier de faire partie, bien que j'aie peu le temps de lire en ce moment avec tous les trucs qui me passent par la tête quand je lis tous les articles sur le Cioran-19 dans Le Monde sans chapeau.
Macron m'impressionne donc favorablement, pour une fois.
Et je préfère que ça soit tombé sur lui que sur un de ses prédécesseurs.
Il a un peu plus de plasticité neuronale, à mon avis.
c'était la rubrique "on connait pas son bonheur jusqu'à ce qu'on le perde", et ça ne va plus tarder.
Mais alors, quand même, c'est curieux, d'un côté Macron défend Charlie Hebdo, de l'autre le gouvernement interdit la vente des livres. Du coup, acheter Charlie devient un acte politique pro-LRM, mais on peut encore trouver le dernier Emmanuel Carrère en ligne pour faire du Yoga sur Internet, comme disait ma fille à 6 ans quand elle me surprenait sur des sites de pranayama clandestin, ce que ma religion m'interdit de faire.
Avec tout ça, mes repères sont chamboulés, Blasphémator® ne sait plus à quel saint se vouer, car si on conditionne un chien d'infidèle comme moi à distinguer un cercle d'une ellipse et si on lui montre ensuite des ellipses de moins en moins allongées, à un certain moment, il devient incapable de les distinguer d'un cercle. Il a alors un comportement de névrose expérimentale, et manifeste soit de la stupeur, soit de la rage.
Je n'ai pas de colère en moi, ça ne ferait pas bon ménage avec mes défenses immunitaires, mais je crois que je vais me réinscrire à la bibliothèque, en attendant que ça se tasse.
Comme la Réalité Réelle Ratée dépasse cette semaine mes rêves de déception les plus fous, dans le peu de temps qu'il me reste à consacrer chaque soir à la lecture, je choisis de confier le ravalement de mon cerveau à de la non-fiction : Malaurie (ma femme m'a retrouvé l'édition de poche des Derniers rois de Thulé, qu'Elle Soit trois fois Bénie, et surtout que Je Vienne à table quand Elle m'Appelle) et Morizot
J'ai acheté son bouquin quand c'était encore autorisé, bien que ça eut été sans doute plus excitant de l'acheter lors du Black Friday des libraires interdit par la Préfecture, mais avec toutes ces histoires je n'ai pas encore trouvé le temps de l'ouvrir.
Vous conviendrez que j'ai bien fait de proclamer par anticipation, et ce à plusieurs reprises, mon futur silence bloggesque.
Surtout que même si je ne me sens pas plus malade que d'habitude, mes aller-retours fréquents avec l'hôpital sont presque aussi chronophages que ma correspondance privée et publique. J'ai d'ailleurs trouvé dans l' enquête nationale de mesure de la satisfaction et de l'expérience des patients hospitalisés une question portant sur mon niveau de satisfaction de la vie, à laquelle je n'ai pas encore répondu. J'attends d'avoir un jugement plus nuancé, surtout si je trouve une petite infirmière black à l'hosto, qui serait d'accord pour me faire mes injections non léthales.
mercredi 28 octobre 2020
Le publicitaire, l'empathie et l'essuie-tout
J'aime bien (mais je me méfie un peu) des films qui associent trois mots hétérogènes dans leur titre. Ma femme a vu celui-ci, il faudra que je lui envoie un mail pour savoir s'il est bien. |
Quand tout semble irrémédiablement compromis, il m'est arrivé de chercher une consolation spirituelle auprès de professionnels du désespoir, comme Emil Cioran, dont Louis-Julien Poignard, le président à vie autoproclamé du GRRR (le Groupe de Réalité Réelle Ratée, rappelez-vous) me rapporte nuitamment, et ce malgré le couvre-feu, une citation dans laquelle il croit reconnaitre le texte programmatique qui marque la naissance de son mouvement et lui confère sa légitimité :
"Les esprits lucides, pour donner un caractère officiel à leur lassitude et l'imposer aux autres, devraient se constituer en une ligue de la déception. Ainsi réussiraient-ils peut être à atténuer la pression de l'histoire, à rendre l'avenir facultatif."
L'avenir facultatif ? Quand j'étais jeune et sensible à ses Syllogismes de l'amertume, qui rentraient alors en moi comme dans du beurre de missel, je ne pouvais percevoir les présupposés franchement suspects de la petite cuisine décliniste du philosophe roumain, dépressif au long cours et auto-canonisé "lucide" parce que niant dès son plus jeune âge la possibilité même du bonheur dans les marges de ses cahiers.
Je suis moins Mallarmé pour les dépister (1) et les tenir à distance aujourd'hui. Peut-être que sur le long terme, Cioran n'a pas tort de professer la fin des haricots, et que le Big Crunch succèdera au Big Bang qui donna naissance à notre univers. Ca peut même sembler logique, dans une perspective ultime. Et puis c'est confortable pour lui : plus on fait des prévisions à long terme, moins on a de chances d'être détrompé de son vivant. Mais bon, je vois bien que la plupart des noeuds & callosités relevés à la surface de mon psychisme sont nés de raidissements & crispations conséquentes au refus de n’avoir pas voulu laisser partir ce qui n’était déjà plus là, et ce n'est pas en couinant que j'y ai jamais changé quoi que ce soit, d’où cette appétence pour Cioran, qui a chanté toute sa vie « No future » avec constance, une certaine créativité et à cappella parce qu’il n’était même pas fichu d'inventer le punk en Roumanie.
Un matin où je tombe très tôt du lit pour me rendre à ma chimiothérapie sans avoir à passer 90 minutes dans les bouchons à l'heure où tout le monde se rend en voiture à son téléchômage, je découvre grâce à Youtube que Cioran l’a dans le cul, que son manque d’empathie le condamne à rester à jamais un minus habens de la Vie, (surtout s'il est déjà mort) alors que les publicitaires, que j'exècre en temps normal, en ont à revendre, de l'empathie, en même temps que du Sopalin.
*Unapologetically human = humain "sans aucune excuse", comme ça au moins vous aurez l'impression d'avoir appris quelque chose, et pendant ce temps, je vais moi aussi apprendre à vivre "sans aucune excuse", ce que Cioran n'a jamais cru possible ou acceptable.
A mon avis il était et resta fâché jusqu'au bout avec le Réel, ce qui relève quand même d'un manque de savoir-vivre.
(Aux multiples usages imaginés ici à l'essuie-tout, il manque néanmoins un plan furtif d’un mec qui s’essuie le zguègue après s'être branlé devant son ordi, mais je vais le rajouter en post-prod)
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(1) surtout quand Mallarmé griffonne ce vers près du tombeau de Verlaine : « Un peu profond ruisseau calomnié la mort. » Ce que me confirmait un ami récemment disparu, quelques jours avant de passer l'arme à gauche : "Je vois la Vie s'ouvrir devant moi", me confia-t'il. Je l'ai cru sur parole. Et ça ouvre des perspective à bien des Tièdes, que Dieu vomit sans Sopalin, et que la Vie semble effrayer encore plus que la Mort, auquel cas il ne faut pas craindre de demander une petite piqûre à l'infirmière de service afin de trépasser sous anesthésie générale, il parait que ça fait moins mal, mais on doit sans doute passer à côté de quelque chose.
vendredi 23 octobre 2020
La lecture, c'est l'aventure (3)
La lecture, c'est l'aventure, c'est une saga rédactionnelle qui s'étend à ce jour sur trois épisodes :
Le seul livre que je parvienne à lire sans confusion perceptive aliénante sur tablette, c'est le Yoga d'Emmanuel Carrère, mais cette lecture me navre, pour lui comme pour moi. Sans parler de Fanny Ardant, posée en VHS sur l'étagère. Je ne vais pas en dire du mal, ça me nuirait, je me rappelle avec une acuité douloureuse d'un commentaire tranchant sur le forum café éveil qui disait "mais son karma n'est pas le mien, et ne peut pas le devenir, tant que je ne le condamnerai pas. Et je ne le condamne pas, car pour sûr je ne le souhaite pas", mais Carrère et ses défaillances narratives, Manu et ses embarrassantes révélations sur lui-même, toute cette intimité suffocante avec ses dysfonctionnements qu'il nous partage de livre en livre, lui et sa dépression de pleine conscience, lui dont j'apprécie tant le verbe quand il parle des autres, devient mon modèle répulsif absolu de névrose expérimentale attrapée en se regardant écrire sur soi, incarnant tout à fait ce qu’il ne faut pas faire et qu’il est éprouvant de voir faire aux autres.
En plus ça fait 15 ans que je fais pareil sur mon blog, c'est de plus en plus compliqué à démouler, et ça ne m'a jamais rapporté un radis; et à force d'arroser mon jardin avec du ciment, Dieu a fini par me couper l'eau, donc en principe Yoga me dispense pour aujourd’hui du besoin compulsif de coucher mes états d'âme (si tant est que j'en aie une) sur le papier des grossiers de l'écran.
Comme l'a dit Beigbeder lors de l'émission Le flasque et l'enclume, « On a affaire à une autobiographie qui se ment à elle-même. C'est comme les bloggueurs patients qui mentent à leur psychanalyste : ça ne peut pas marcher. » Comme chez Warsen, quoi, sauf que Warsen n’est pas édité chez P.O.L, d'ailleurs il ne m’édite pas autant qu'il le prétend, mais s’auto-édite à un seul exemplaire et surtout radote tout seul devant son écran; et il prend du lithium, comme Carrère, et comme beaucoup de bipolaires. Y'a pas de quoi être fier, tralalère. Sans parler du fait qu'à la suite d'une lombalgie carabinée, pas plus tard que la semaine dernière, j'avais retrouvé une réserve secrète de di-antalvic, un anti-inflammatoire à la fois interdit et périmé, je m'enfilais ça avec des cachets de lamaline (le comprimé fourré à l'opium qui ne rend pas malin, selon ma femme qui en a trop pris) pour faire descendre, comme on disait dans les troquets avant-guerre, et puis il a suffi que ma généraliste brandisse la menace pangoline, prétexte bon à tout faire passer par décret, disant que ceux qui vivaient par l'anti-inflammatoire offraient une voie d'accès en open bar à la vermine covidienne, encore pire que s'ils avaient investi dans un paillasson marqué "bienvenue" en lettre fluo à l'entrée de leur organisme, et ça m'a tout coupé. Finalement, je me suis remis droit tout seul, en faisant des travaux sur un escabeau. Mon ordinateur a passé huit jours sous une bâche au milieu des gravats, ça l'a rendu plus humble, et la peur a changé de camp, comme dit notre bon président.
Délivrez-nous des bandeaux qui masquent les illustrations de Manchu. |
"Nous explorons des domaines au-delà de la simple compréhension humaine. Parfois ses contours sont tout simplement trop complexes pour nos cerveaux, à d'autres moments ses axes même s'étendent dans des dimensions que sont incapables de concevoir des esprits construits pour baiser et se battre sur des prairies préhistoriques. Tant de choses nous contraignent, dans tant de directions. Les philosophies les plus altruistes et les plus viables échouent face à l'intérêt personnel, cet impératif brutal du tronc cérébral." pouvait-on lire dans Vision aveugle, que j'avais eu un mal de chien à décrypter : une intrigue mêlant space opéra, hard-science, vampirisme, entrelardée de philosophie et de questionnements sur la nature de la conscience.
Ses thèmes récurrents sont l'illusion du libre-arbitre, la pensée consciente (prétendument) rationnelle qui n'est en fait qu'une justification a posteriori de processus inconscients issus des parties les plus anciennes et les plus primitives du cerveau humain, eux-mêmes n'étant que le fruit de phénomènes chimiques et électriques précisément déterminés par les lois de la physique, vous voyez le genre, on ne se poile pas tous les jours dans ses astronefs, c'est assez dense.
"Haka", de Caril Férey, qu'on m'a suggéré puis prêté, c'est encore pire, on dirait du Ellroy français. J'aurais jamais cru dire ça un jour, mais c'est trup punk pour moi. C'est comme d'autres avec les chanterelles, je ne peux plus manger de ça, je ne le digère plus. A ce stade, mon cancer virtuel est en nette régression, mais la récidive est à la portée d'un simple clic. Donc pas de déclaration d'intention propre à faire ricaner Dieu, comme le radotait Carrère avant moi.
J'ai pris une bonne claque dans la salle d'attente de l'oncologue |
Entretemps, un copain disruptif, je veux dire par là que je le vois par intermittence depuis 35 ans, a fait de sa maladie passée un roman très vigoureux qu'il m'envoie gracieusement et par la poste, c'est un récit de fureur et de haine envers la science médicale, avec une puissance poétique dont je ne le soupçonnais pas. Et dont je serais bien incapable, bien que personne ne m'ait questionné à ce sujet.
Et pendant que livres lus, non lus et à moitié lus s'empilent et s'enlacent au pied du lit et dans l'iPad, ça fait bien un mois déjà que je tente de conclure cet article faussement enjoué par le biais de l'autofiction du langage parlé pour vanter les vertus de la lecture, ce qui est bien la preuve que blogage et déblogage ne sont plus adaptés à mes besoins, si jamais ils le furent.
Les raisons qui m'ont conduit à ouvrir ce blog, elles, perdurent, c'est juste que l'outil n'était pas le bon.
Vive le silence et la méditation, mais attention aux velléités autobiographiques, surtout celles qui traitent de cyberdépendance virtuelle, d'auto-addiction, et de rédemption de l’objet fascinatoire.
quand elle n'est pas en service, ma libraire potasse des manuels traitant des cosplays Scooby Doo |
Je retourne en librairie, au moins ça c'est une des bonnes nouvelles, avec le fait que les libraires sortent renforcés du Covid; quand un ouvrage que j'ai mis dans l'iPad comme s'il m'avait été prêté par un ami m'a tapé dans l'oeil, je vais dans la librairie de la ville, tenue par des meufs pas trop bonnasses vu que sinon elles passeraient pas leur temps à lire des livres et à essayer d'en vendre, mais elles sont sympas quand même, et on peut tout commander par internet. Internet qui, rappelons-le, n'est pas mon ami, ou alors comme le serait un vieux pote un peu relou qui me proposerait toujours de me consoler avec des techniques de gavage qui ne pourront jamais niveler mon trou béant, qui était déjà à l'origine de la création de ce blog, même si je le remplissais avec autre chose, sans parler des impératifs de mon tronc cérébral, et surtout dans une phrase où l'on place l'adverbe de temps toujours il faut tout de suite après coller son antidote jamais car ces deux redoutables éternités ne sont que faussement accessibles à l'esprit humain.
Voilà pour aujourd'hui, je vais persister à soigner ma lombalgie par des travaux intérieurs sur un escabeau, jusqu'à ce que je ne puisse plus bouger l'autre épaule; je remets mon ordi sous une bâche, et la bâche sous les gravats, ça le rendra plus humble. Et moi donc. Parce que n'empêche même que quand même, si le langage reste l'ultime frontière de notre dernière liberté, et n'empêche melba que même si que la lecture, c'est l'aventure, au départ c'est la peinture, que c'est l'aventure.
(à suivre)
mardi 20 octobre 2020
La lecture, c'est l'aventure (2)
2 géants au pied de mon lit, dont un sur la couverture. |
Malgré la frugalité spirituelle des programmes Netflix, en plus c'est comme sur arte.tv, y disent jamais à quelle heure ça passe, y'a quand même de quoi faire des fictions stimulantes en Amérique, j'veux dire, Trump est une dystopie à lui tout seul pendant encore au moins 16 jours, mais quand Barack Obama adoube le nouveau recueil de nouvelles de Ted Chiang, l'espoir peut renaître, même pour ceux tombés du côté obscur de la lecture, i.e. ceux qui ne lisent plus beaucoup parce qu'ils regardent trop de films et de séries... rien ne contraint les producteurs à se cantonner à des calvaires doloristes à servantes écarlates ou des extinctions civilisationnelles feutrées, bien que légèrement anxiogènes car filmées en très basse lumière grâce à notre nouvelle génération de caméras hypersensibles, comme Tales from the Loop.
Au temps jadis, les productions de l'imaginaire risquant d'engendrer des lésions cérébrales, les films et les séries pénibles, c'était ma nourriture, ma came et mon pied, maintenant ça m'ennuie vite, et je trouve ça toxique.
Et les films coréens violemment nihilistes et désespérés ont plus de vitalité que les feuilletons à la mode. Même quand il y a trop de sauce piquante, comme chez Na Hong Jin. Par exemple dans 황해 et aussi dans 곡성, encore plus tordu et malaisant dans sa méditation sur Le Mal, sa permanence, ses horaires d'ouverture. Alors, constatant les impasses de l’imaginaire industriel d'aujourd’hui, incapable de me féconder utilement, alors que le mélanome y parvient sans peine, je me suis re-tourné vers la littérature spéculative, comme quand j'étais petit et qu'il n'y avait que les livres pour geeker. Je me rappelle tout d'abord d'une histoire de temps figé un peu plus affûtée que celle de Tales from the loop, ce qui est une référence à peine voilée à la première partie de cet article dont le résumé prendrait plus de temps que la relecture.
Le secret de la hideur de ces couvertures s'est perdu dans l'abîme du Temps. |
J'exhume alors mon exemplaire fossile de L'invention de Morel, écrit dans les années 40, l'auteur est adoubé par Borges dans la préface, excusez du pneu, mon édition papier est jaunie et cassante, mais la texture du récit reste sans équivalent sur terre. Ca ferait sans doute un bon épisode de Black Mirror, mais le livre se suffit à lui-même, la narration à la première personne exsude suavement des trésors de malignité et de torvitude, mot qui ferait mieux d'exister dans les meilleurs délais. On tutoie un pur bloc idéal d'imaginaire. Ensuite, toujours taraudé par l'obscur besoin d'histoires cherchant des noises à la temporalité, j'ai envie d'approfondir ma connaissance de Christopher Priest, un auteur anglais que je ne connais pas très bien, mais j'ai oui-dire qu'il n'a pas son pareil pour semer la ribouldingue dans les flux causaux et/ou spatio-temporels; je lis d'abord Futur Intérieur : on dirait un Philip K. Dick inédit des années 60, un peu raté, comme certains des meilleurs Philip K. Dick des années 60, mais c'est très frais de le découvrir maintenant. Je me rappelle alors d'un blog spécialiste de Priest qui s'appelait « l’armurerie de Tchekhov », dont l'absorption me permettrait sans doute de me la péter au-delà du mal que ça me fait déjà, en mémorisant ce qu'on peut penser de Priest sans en avoir lu un traître mot, mais pour l’instant le site est down.
C'est son livre le plus connu, grâce au film qu'en a tiré Nolan. Mais beaucoup d'autres sont troublants, du point de vue de la "défaillance narrative", comme il le dit lui-même. |
Peut-être que Tchekhov nettoyait son arme, et que le coup est parti. Si Tchekhov est mort, casse la noeud tienne, j'ai les moyens de le ramener à la vie, puisque le futur c'était mieux avant, moi aussi j'ai une grosse machine à remonter le temps, puis le laisser suspendu à sécher sur le fil à linge, non mais sans blague. Je passe d'abord quelques minutes au bord de sa tombe, assis les jambes ballantes dans le trou fumant, puis me revient en mémoire la fameuse Internet Wayback Machine, qui restituait jadis en trois clics l'état du Web à la date de votre choix. (pour les états du Web antérieurs à 1930, prévoir un devis + un délai de livraison, quand même.)
Allez, un petit tour dans la machine :
Allez, un petit tour dans la machine :
Le problème de ce Tchekhov, c'est qu'il semble assez affûté sur son sujet, mais qu'il divulgâche sans vergogne tous les romans qu'il chronique. Désireux de conserver une certaine fraicheur aux défaillances narratives de Priest, je me tourne alors vers un site semi-pro dont j'ai un bon souvenir, le cafard cosmique, lui aussi disparu en mer virtuelle :
Je fais semblant de me rappeler plein de trucs depuis tout à l'heure, mais le retour à la lecture, surtout sur papier, me fait prendre conscience de mes troubles de l'attention et de la mémoire, et entreprendre par là même un début de rééducation. Cela fait une bonne quinzaine d'années que j'ai perdu mon appétit de lecteur, j'achète encore des livres, mais ils s'entassent le plus souvent au pied du lit. Faut dire qu'avec toutes les séries que je me tape à la télé quand ma femme est éteinte, sans parler du temps passé à trackquer les pépites dans les cyberbosquets, je n'ai plus guère le temps de lire.
c'est pas de la SF de tapette |
Bon, j'ai quand même lu trois ou quatre Priest empruntés à une bibliothèque virtuelle dans mon iPad l'an dernier, ou peut-être était-ce l'année d'avant. Tout va si vite, maintenant. Il me reste quelques images dérangeantes du Prestige, de la Fontaine Pétrifiante et des Extrêmes, mais j'ai tout oublié de la Séparation, et du recueil de nouvelles composant l'Archipel du Rêve. A tel point que je relis la même nouvelle qu'il y a six mois, quand j'ai lâché l'affaire, avec le même ravissement épouvanté.
Le Monde Inverti, dans mon souvenir, est stupéfiant, mais semble scénarisé par Peeters et dessiné par Schuiten. C'est une vraie honte mémorielle.
Avec son concept de défaillance narrative, bien pratique aussi pour finir ses histoires de façon décevante, Priest me fait penser à la névrose expérimentale, ce phénomène découvert par l'école pavlovienne qui se produit lorsqu'un animal est amené au-delà de ses capacités de discrimination, c'est-à-dire lorsqu'il est confronté à deux stimuli différents, mais tellement similaires qu'il ne lui est pas possible de les distinguer.
Quand le chien n'est plus capable de discriminer l'ellipse du cercle, il présente une névrose expérimentale. Soit il est très abattu, soit il aboie très fort tellement ça craint dans son esprit de chien, soit il mord l'expérimentateur. C’est souvent ce qui arrive aussi au lecteur de Priest, confronté à des versions contradictoires et non-miscibles des événements.
Qui croire ? l'un des narrateurs décrit un cercle, l'autre une ellipse. Et le récit s'acharne à ne pas trancher. C'est pourquoi il vaut mieux emprunter ses livres sur internet, plutôt que de risquer de mordre un libraire. Lire des romans brindezingues sur écran tactile sans mettre mes doigts partout pour tester la validité de l'énoncé, c'est un challenge Lunes d’Encre inédit.
(à suivre)
lundi 19 octobre 2020
Le journal "Le Monde" se radicalise sur Internet
Reçu dans ma boite aux lettres d'abonné ce matin, ce dessin offre plusieurs niveaux de lecture.
"Après histoire-géo, on a sciences nat."
1/ l'assassinat d'un enseignant dans l'exercice de ses fonctions de professeur d'explications sur la laïcité ré-hausse provisoirement le Blasphème au rang d'une figure imposée pour les dessinateurs de presse. Comme ceux de Charlie Hebdo persistent à rester morts, c'est Le Monde qui s'y colle.
2/ Ce dessin pourrait toutefois être mal interprété par des musulmans, mêmes modérés, qui n'auraient pas encore franchi le pas vers la relativisation historico-culturelle du sacrilège. Ce pas que nos sociétés ont franchi du temps du siècle des Lumières, vous vous souvenez sans doute, c'était un peu avant la pandémie, ce pas que nous ne pouvons faire à leur place, malgré l'accompagnement républicain que nous leur proposons grâce à notre armada de travailleurs sociaux.
L'humour peut-il servir à se moquer des gens qui n'en ont pas ?
Et si ça les incommode au point de nous zigouiller pour ça, qu'est-ce que ça a de drôle ?
Le Monde doit-il fournir une protection rapprochée à Xavier Gorce pour éviter qu'il soit à son tour égorgé comme un chien d'infidèle ?
3/ Peut-être que le dessin évoque en fait les difficultés "d'assimilation culturelle", et nous montre comment les musulmans voient le côté obscur de la laïcité. Quand elle n'est plus islamo-compatible. Si elle le fut jamais. Eric Zemmour se frotte les mains : ces gens-là ne sont pas assimilables, ce sont des violeurs et des asssassins, la preuve.
Et Marine 2022 compte les points.
4/ du coup, il n'y a pas de débat possible, puisque rien n'est négociable, ni le droit au Blasphème d'un côté, ni le fait qu'on ne peut pas outrager l'Islam de l'autre, et que toute évocation du Prophète et/ou de son trou de balle est proscrite. Du coup, le pacte républicain c'est bien joli, mais c'est un peu comme dans ces repas de famille où l'on est obligé d'inviter le vieil oncle Gaston, un peu paillard et bouffe-curés notoire, et la tante Berthe, cul béni confite dans son adoration du curé du village voisin. On prie pour qu'ils ne commencent pas à s'allumer dès le début du repas, et comme par hasard l'apéro n'est pas encore fini que c'est déjà dérapage sur dérapage, provocation contre anathème. Ca ne finit pas en cadavre au dessert, mais le repas est gâché.
Et pourtant, l'oncle Gaston et la tante Berthe ont rigoureusement le même trou du cul.
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