Ce matin vers 11 heures, tous les petits vieux qui avaient écouté hier soir Président_Macron® parler de mobilisation nationale, de solidarité intergénérationnelle et surtout de protéger nos ainés dans le poste, se sont sans doute dits c'est bon y nous couvre, on peut y aller, et étaient très occupés à piller méthodiquement le Super U.
C'est l'effet "mes chers compatriotes", à tous les coups, ça marche.
Au rayon charcuterie, où j'ai pris double ration de museau avec langue puisque la semaine prochaine nous serons tous morts, d'abord j'ai bien fait rire la vendeuse avec ma blague, du coup elle m'a fait cadeau de l'entame du museau, ensuite elle m'a dit que depuis 8h30 ce matin c'était l'émeute dans les rayons, et les prémisses de la guerre civile aux caisses.
Au train où vont les choses et à l' avion où elles ne vont plus, on ne peut pas dire que le gouvernement n'a pas tout fait pour établir les bases d'une saine confiance collective dans la psychose de masse, le chaos à nos portes et l'auto-réalisation des pires prédictions en germe dans les bouquins les plus mal écrits de Stephen King, et on peut s'attendre d'un instant à l'autre que les rassemblements de plus d'une personne soient interdits sur tout le territoire.
Même les effondrologues trouvent que c'est un peu abusé.
En slalomant entre ces cohortes de petits vieux agrippés à leur caddie et angoissés de trouver le rayon sucre déjà bien dégarni, j’essaye de ne pas me sentir supérieur à eux, parce que j’ai bien observé le travail d’épouvante distillé par les média nationaux depuis une quinzaine, et puis aussi parce que ce n’est qu’une question de temps pour que je devienne leur semblable, et je songe à ce passage du «Limonov» d’Emmanuel Carrère lu récemment suite à une suggestion d’un lecteur du Monde pour comprendre l’exalté russe qui avait fait chuter Benjamin Griveaux, le candidat visionnaire qui rétrospectivement avait compris avant tout le monde que les Municipales 2020, tout le monde allait s’en branler :
« Je veux parler (…) de la façon dont chacun de nous s’accommode du fait évident que la vie est injuste et les hommes inégaux : plus ou moins beaux, plus ou moins doués, plus ou moins armés pour la lutte. Nietzsche, Limonov et cette instance en nous que j’appelle le fasciste disent d’une même voix : « C’est la réalité, c’est le monde tel qu’il est. » Que dire d’autre ? Ce serait quoi, le contre-pied de cette évidence ? »
« On sait très bien ce que c’est, répond le fasciste. Ça s’appelle le pieux mensonge, l’angélisme de gauche, le politiquement correct, et c’est plus répandu que la lucidité. »
Moi, je dirais : le christianisme. L’idée que, dans le Royaume, qui n’est certainement pas l’au-delà mais la réalité de la réalité, le plus petit est le plus grand. Ou bien l’idée, formulée dans un sutra bouddhiste que m’a fait connaître mon ami Hervé Clerc, selon laquelle « l’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité ».
Cette idée-là n’a peut-être de sens que dans le cadre d’une doctrine qui considère le « moi » comme une illusion et, à moins d’y adhérer, mille contre-exemples se pressent, tout notre système de pensée repose sur une hiérarchie des mérites selon laquelle, disons, le Mahatma Gandhi est une figure humaine plus haute que le tueur pédophile Marc Dutroux. Je prends à dessein un exemple peu contestable, beaucoup de cas se discutent, les critères varient, par ailleurs les bouddhistes eux-mêmes insistent sur la nécessité de distinguer, dans la conduite de la vie, l’homme intègre du dépravé. Pourtant, et bien que je passe mon temps à établir de telles hiérarchies, bien que comme Limonov je ne puisse pas rencontrer un de mes semblables sans me demander plus ou moins consciemment si je suis au-dessus ou au-dessous de lui et en tirer soulagement ou mortification, je pense que cette idée – je répète : « L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou égal à un autre ne comprend pas la réalité » – est le sommet de la sagesse et qu’une vie ne suffit pas à s’en imprégner, à la digérer, à se l’incorporer, en sorte qu’elle cesse d’être une idée pour informer le regard et l’action en toutes circonstances. Faire ce livre, pour moi, est une façon bizarre d’y travailler. »
Ouais, bien dit, vas-y Manu, dommage que parler ne fasse pas cuire le riz, et qu'écrire ne regarnisse pas le rayon nouilles. Tous ces seniors emplis d'une terreur profane à l'idée de pénurie, c'est un peu comme dans la blague du chef indien et de l'hiver qui sera rude, sauf que le printemps arrive, les marchés flambent avant de s'effondrer, et je suis toujours confiné chez moi comme un con de CDD pas historique de FTV.
C'est assurément une occasion en or pour faire un pas de plus vers l'acceptation des Mystères de la vie, cette vie qui nous est donnée, dont il faut bien essayer d'être digne, et devenir un être humain épanoui avant la mort, putain ça serait pas du luxe non plus.
Et là, à juger les autres on sort sans doute des clous.
Et d'abord, qui serais-je pour me juger moi ?
Il est évidemment bien plus aisé de philosopher bien au chaud dans son confort bourgeois sur notre compassion pour la bêtise et les incivilités des gens mal nés que de se coltiner des connards en vrai.
Il y a quand même des mesures qu'on pourrait prendre assez rapidement si on voulait mettre un frein à l'immobilisme :
comme l'a révélé Président_Macron® hier soir, si les plus jeunes sont les vecteurs sains du virus et que les vieux sont prédisposés à en mourir s'ils l'attrapent, ça serait peut-être pas mal d'euthanasier préventivement ces deux catégories de la population, et déjà on y verra plus clair.
comme l'a révélé Président_Macron® hier soir, si les plus jeunes sont les vecteurs sains du virus et que les vieux sont prédisposés à en mourir s'ils l'attrapent, ça serait peut-être pas mal d'euthanasier préventivement ces deux catégories de la population, et déjà on y verra plus clair.