mercredi 23 août 2006

La vie met longtemps à devenir courte (2)

Soldes avant inventaire.
Il y a 20 ans, juste avant d’avoir tenté de franchir un canyon espagnol avec la saxophoniste à bord de la Mercedes de son amant maudit, je m’étais épris de la flûtiste du groupe de variété-rock que nous avions formé sous l’égide d’un auteur-compositeur interprète de la rive gauche de la Garonne. 
A un point tel que à peine sorti de l’hôpital, la passion amoureuse me fit oublier ma timidité afin de la séduire. Faut croire que mon bras paralysé et ma mâchoire brisée rehaussaient d’un charme indéfinissable l'hésitation habituelle de ma démarche. Mais elle sortait avec le batteur, qui était un de mes meilleurs amis. Le dilemne moral se révéla soluble dans la promesse de bonheur, et elle finit par céder à mes avances. Ca dura quelques mois, puis j’eus l’idée de la présenter à mon meilleur ami, avatar très présentable de Corto Maltese.  Je ne faisais pas le poids. Le dilemme moral se présenta aussi à eux, qu’ils résolurent de façon inédite en m’invitant à partager leur relation; je tins huit jours, puis ravagé par l’intensité des forces contradictoires qui m’agitaient et surtout me dépassaient, je m’enfuis épouvanté. 
Corto resta 3 ans avec elle, ils connurent tout un tas d’aventures extraordinaires en Inde avant d’aller vivre aux Antilles, où elle le quitta pour un Américain de passage. 
Sur les cinq petits amis successifs que je lui connus, j’observe qu’il y eut : 
-un héroïnomane (je crois qu’il l’était avant de la rencontrer, mais à mon avis ça s’est pas arrangé après) 
-peu après leur rupture, mon ami batteur est rentré dans une secte. Aux dernières nouvelles il y est encore. 
-Je devins alcoolique et fis une brève incursion dans l’homosexualité, pour me punir de ma bêtise et de mon malheur, mais ça ne marcha pas aussi bien que je l'aurais souhaité... 
-Corto s’engagea à Médecins sans Frontières comme on entre en religion. Vingt ans plus tard, ayant plus que renoué le contact avec lui, je me vis un jour proposer de retenter l’expérience à trois en compagnie d’une autre égérie sublimissime que je lui avais présentée entretemps. Je songeai au proverbe chinois "si ton meilleur ami te baise, ne bouge pas : il pourrait jouir", mais j’appréciai secrètement sa constance et sa détermination (et obtins une évaluation gratuite de la mienne.) Désormais rien ne presse, et je vais sans doute attendre une prochaine vie pour le recontacter. 
Il y a des rencontres déterminantes, qui vous révèlent votre capacité à vous dépasser ou au contraire à vous enfoncer dans vos propres sables mouvants, qui ressemblent finalement beaucoup à ceux du voisin. Mais tant qu’il s’agit d’émotionnel, des orages sont prévisibles en fin de journée, et les destinées ne semblent jamais pouvoir s’inscrire hors des mêmes cercles du plaisir, déplaisir, frustration, plénitude, pertes et gains, charbon, spiritueux, ramonage et fumisterie. Les mêmes briques font les mêmes murs, modulables à l’infini et il faut tout le talent et la roublardise d’un Jim Harrison pour en faire des contes pour vieux enfants qu’on sirote le soir à la veillée comme un bourbon hors d’âge. (Russell Banks est moins porté sur l’enluminure et d’une autre âpreté quand il s’agit de mettre en relief les inconvénients d’être pauvre dans un pays riche, voire pauvre dans un pays pauvre.) 
De cette histoire, j’aurais pu déduire un certain nombre de règles quant à la conduite de ma vie affective, ou me mettre à ruminer sur le nombre de salamalecs qu’il faut déployer pour se mettre un jour une princesse au bout du gland. Pas du tout, je suis reparti comme en 14, et je n’ai dû qu’à la Providence® de faire par la suite des rencontres moins violentes et plus constructives. 
Il était commun de partager les filles, les musiques, les pétards et les emmerdes chez les post-ados du début des 80’s, qui se prenaient dans la tronche les échos de la culture hippie comme la lumière d’une étoile morte sans bien savoir de quoi il retournait à la base. 
Et la promiscuité sexuelle était vécue comme une promesse d'abondance. 
Alors, certes, aujourd’hui encore une photo de facture donne le mal du pays, surtout quand il n’existe pas ou plus, mais les polytraumatisés postmodernes de la beauté féminine n’ont même plus avant d’entrer à l’abattoir ce quart d’heure magnifique "où les épiciers se prennent pour Montherlant" comme chantait Brel, leur propre corps déserté, profané et souillé comme un temple abandonné dans lequel les touristes pressés viendraient faire leur besoins juste avant de remonter dans le bus. 
-et l’Américain ? on reste sans nouvelles. 
Comme on dit à France 3, "négligence ou malveillance ? c’est ce que l’enquête devra déterminer."

mardi 22 août 2006

Reconnaissons notre besoin de reconnaissance (3)



…poursuivons le fructueux dialogue engagé avec le maileur d’hier.
-Hello John ! Merci pour ta réponse engagée, et amicale. Je dois avouer que ça fait toujours chaud au cœur. Aussi, je reviens ! Pour être clair, c’est le bordel. En fait, le vrai bordel. Cela fait trois mois que je déconne au boulot, au point de ne plus bosser parfois plusieurs jours de suite. Dans tes propos, effectivement, tu fais référence à des idées très justes, qui ont déjà presque l’ancienneté de la sagesse. Je te signale tout de même que tu as esquivé une partie du thème central pour moi, à savoir : une idée persistante chez moi est que, bien concrètement, partout où les conditions rendent cela possible, les hommes « profitent au maximum » du sexe, avec ce que cela comprend de grivois : historiquement dans les bordels des villes, dans les sérails des puissants, dans les maisons bourgeoises avec les servantes, dans les arrières-bureaux des sous-chefs, dans les zones rurales avec les filles sous-éduquées ou esclaves, voire simplement en rêve pour les plus pauvres. Beaucoup d’écrivains se sont essayés aux récits pornographiques, dans l’ombre, y compris victor hugo par exemple, qui incarne pourtant une forme de romantisme respecté. L’histoire des femmes dans toutes les sociétés est marquée par leur statut plus ou moins explicite d’objet du désir, à commencer par ce que nous révèle l’histoire des religions et les modèles qu’elles proposent. » En corollaire cela signifie qu’il me paraît (vraiment) IMPOSSIBLE de résister, que c’est gravé dans la nature avec du sang gorgé d’hormone. Une solution serait la fuite au fin fond de la Mongolie…
-même en Mongolie, la moindre petite asiatique faisant sa toilette matinale dans un lac de montagne pourrait compromettre ta sérénité.
-Le projet de se protéger du contact me paraît un peu fou, ce serait comme vivre avec un cache nez permanent.
-Juste le temps du sevrage. Après, on devient indifférent au stimulus, ou plutôt on y réagit "normalement" (en se rappelant quand même d’où l’on vient et le temps qu’on y a perdu, donc on n’insiste pas, comme l’ex-buveur qui traverse le rayon vins du Super U). Y’a plus rien pour nous là-dedans. On a fait le tour. Mais là t’es obligé de me croire sur parole puisque tu n’en es pas là.
-Nos ancêtres auraient-ils résistés à nos moyens techniques ?
-non.
-Qu’en déduire ?
-Que c’est pas parce qu’on est plus nombreux qu’on a plus raison. Mais que surtout tu cherches à justifier ton immobilisme par des moyens douteux. Ne conviens-tu pas qu’il est urgent de mettre un frein à cet immobilisme ?
-Soljenitsyne aurait écrit « On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie que avec les miradors». Je voudrais bien savoir à quel propos.
-ça t’avancerait à quoi ? cette phrase ne se suffit-elle pas à elle-même ? tu crois qu’il rêvait d’avoir l’adsl au goulag ? tu crois pas que c’est pareil ? que ta prison n’a qu’un seul barreau et que tu tournes autour ?
-Je trouve que l’accès à la pornographie résonne comme quelque chose de fondamental. Elle sent le souffre et la décadence, la déchéance d’une civilisation.
-flûte alors, nous voilà mal barrés. La chair est triste hélas et t’as lu tous les blogs.
Mais qu’est-ce qui t’empèche de sauver tes fesses, de te désolidariser de cette "déchéance" si elle te fait vraiment gerber ?
-Boutade ? : qu’est ce qui a motivé l’intérêt pro-turc au XVIII et XIX siècles, hein ? la fascination pour les sérails, point ! qu’est ce qui a provoqué la déchéance de l’empire romain ? l’excès d’orgies ! qu’est ce qui a été le déclencheur de la 1ere guerre mondiale ? l’opulence des puissants ! Au milieu des excès de l’humanité, toutes ces femmes gratuites qui écartent à volonté, apparaissent comme un Eldorado pour pessimiste malade amoureux de la vie qui s’essayent sûrement maladroitement à l’idée du plaisir sans fin. L’orgie du pauvre, interplanétaire. Le virtuel n’est-il pas déjà quelque chose ? face au désir supposé universel de tout mec d’imaginer la ou les nana(s) de ses rêves ? Le virtuel est-il comparable à rien ? ou à moins que rien ? renoncer au virtuel contre la garantie du rien de ce point de vue ?! Cela étant, j’ai connu des satisfactions profondes et multiples, comme tous le monde : amours, sexualité « réelle », amitiés, artistiques, professionnelles, voyages, ballades, musique, cuisine, bricolage, plongée, richesses culturelles ou historiques, lectures, curiosités, etc., etc., etc. parfois même des moments où je me plaisais à me dire : « tu vois, tu pourrais mourir maintenant, tu auras connu ça, le contrat était honnête ».
-t’as pas envie de mourir sans garder ce caillou dans ta chaussure ? tu sais, le sevrage on n’en meurt pas, comme disait Spirit juste avant de renoncer à Internet.
-La vie est une source inépuisable, c’est sûr. Tu ne peux pas savoir (si ?) combien j’ai pu considérer, à x reprises, que cette énergie utilisée pour une duperie photographique était gâchée compte tenu de tout ce que il y a à faire d’autres, de plus intéressant. Combien j’ai pu souhaiter utiliser cette énergie autrement, pour le « bénéfique», le créatif, dans la peinture par exemple. Tu sais je comprends fort bien ta motivation pour le bouddhisme. J’ai beaucoup aimé le film minimaliste « printemps, été, automne, hiver, printemps … ». Je cherche dans cette direction aussi, grappille des infos, m’intéresse à l’énergétique du vivant, aux pratiques de puristes incluant une dimension philosophique, spirituelle.
Néanmoins, je bute sur le comment se dire « plus jamais ». Si le fantasme est dans la nature de l’homme, l’endiguer est contre nature. Je voudrais pouvoir dire « autrement ». Mais « autrement » comment ?
-comme dit ma cyber-copine flo, " il ne s’agit pas de renoncer à la passion mais de renoncer à saisir son objet, ce qui n’est d’ailleurs pas un renoncement puisqu’on a l’occasion de s’apercevoir que l’objet en question est toujours une projection de son propre esprit, et qu’en réalité, c’est rigpa qui s’aime lui-même, ou, comme diraient les chrétiens, Dieu qui s’aime lui-même, à travers sa propre création. Il s’agit donc de ne pas de confondre la mariée avec la robe dont elle est vêtue."
J’ajouterais que la défaite étant prévisible face à des forces qui nous dépassent, on peut renoncer momentanément à la confrontation - ce que tu appelles sauter un tour - et prolonger indéfiniment ce moment. Le train du changement passe tous les jours devant ta maison. Encore faut-il te donner la peine de monter dedans.

-Tu vois, je crois que je résiste beaucoup plus que je ne l’imaginais à l’étape 1, déjà, à savoir que au fond de moi, je dois refuser l’idée d’être malade, et démuni. Comme pour une tuberculose.
-Sauf que c’est vachement difficile pour toi de refuser l’idée de maladie vu que tu en constates les symptômes, que tu les connais et les re-connais !
-Je comprends parfaitement tout ce que tu dis, tous les arguments d’orroz et des autres, je les fais miens d’ailleurs en bonne partie ; mais il est possible que je ne les sente pas assez au fond de moi, pas assez pour me persuader une nouvelle fois que la vie est possible SANS l’ombre du porno. Je ne peux me résigner à ces idées : 1/ plus jamais ;
-le futur n’est qu’une vue de l’esprit (cf Eckardt Tolle, bouquin référencé sur le site d’orroz) : tu es toujours dans l’ici et le maintenant. Mais si ton passé était moins présent, ton futur te paraitrait moins lointain (synonyme "d’improbable")
-2/ je suis malade.
-bienvenue au club. Le sentiment d’appartenance à une communauté te délivre-t-il de cette tragédie ou pas ?
-Lorsque j’étais à fond dans l’idée d’abstinence en juillet 2005, je m’imaginais gravir une montagne. Le problème est que je n’ai jamais su imaginer ou sentir ce qu’il pouvait y avoir derrière.
-mauvaise nouvelle : une autre montagne. L’évolution est ainsi fête : il n’y a pas de limite au progrès accessible à l’humain. Par contre, il est vrai que nous avons le "choix" de creuser vers le haut ou vers le bas.
-Or, tout ce que je te dis en est en partie la cause. Je ne peux rien imaginer que je conçoive contre nature. Et me concevoir convalescent à vie, avec mon cache nez, en fuite, comme seul échappatoire me paraît être contre nature.
-bon sang mais c’est bien dur ;-)
Flo dit "Les cyberdépendants combattent leur désir. Pas de chance, le désir de la pétasse sur un écran n’est que la dégradation de quelque chose de plus haut, car la jouissance sexuelle n’est, de nouveau, qu’une version dégradée de la béatitude produite par l’union de la clarté et de la vacuité. Autrement dit, rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature. Et ça ne peut pas marcher." (commentaire d’orroz : "C’est pourquoi je propose aux dépendants de transformer leurs désirs de pétasses en désir vrai d’amour pour leur partenaire car en réalité c’est cette omnipotence du désir qui permet d’atteindre la vraie jouissance.")
Si t’as oublié d’où tu viens, rappelle-toi que t’as les bases et que rien t’empêche de les reprendre, à part ces "nouveaux commencements devant lesquels tu te dérobes", comme disait Michaux. Ou que tu te plais à recommencer encore et encore sans jamais en voir le bout. Si j’ai pu le faire, rassure toi, c’est à ta portée.
la preuve : extrait de mon ancien blog : "7 Octobre 2005. Jour 0. Rechute. Il va falloir copier-coller le paragraphe d’hier, ça ira plus vite. Ou alors un petit Flo, pour la route :
"On voit bien ce que Castaneda appelle l’auto-contemplation. C’est le fait de jouir de ses émotions/sensations/pensées… jusqu’à en être dégoûté, énervé, et ensuite, jouir de ce dégoût, de cette colère, après quoi on est fatigué donc on dort un petit coup, et dès qu’on se réveille, on recommence ! Là où le processus est le plus visiblement à l’œuvre, c’est dans les émotions. A ce niveau là, ça devient du grand art. Comme le dit Casta, les gens sont tous assis en rond à se retourner le couteau dans la plaie et ils appellent ça du partage. En fait, ils ne partagent rien d’autre que leur auto-contemplation.
N’étant moi-même pas très douée pour les émotions, on comprend que j’aie toujours bien aimé ceux qui ont tendance à s’y complaire, je leur trouvais du charme, en quelque sorte. Pour sûr, ils ont une capacité d’exister supérieure à la moyenne, car c’est bien de cela dont il s’agit : s’auto-contempler pour exister. Malheureusement, personne n’existe, et ne pas l’admettre est la cause de toutes nos souffrances. Plus on s’auto-contemple, plus on existe, et plus on souffre, bien sûr. Le prix à payer pour ne plus souffrir est la cessation de cette auto-contemplation, et c’est un prix que personne ne veut payer."
Evidemment, on se fout que Flo, que Casta et à postériori vous ou moi ayez une quelconque prétention à "mettre en actes" cette histoire, qui éveille dans mental confus du dépendant bien des échos. Castaneda est mort en emportant ses secrets, Flo est à donf dans le dzogchen et moi je refuse d’accepter mon impuissance devant le porno après 6453 essais infructueux. Non, inaboutis. Ce qui prouve que la théorie de Casta rapportée par Flo n’est pas faite que pour les cochons, et que si je cessais de me plaindre ici-même d’être rien qu’un branleur, y’aurait déjà un peu moins d’autocontemplation."
a+ kamarade !

J’ai un copain qui, pour éviter les risques inhérents à sa profession de devenir alcoolique, dépressif, obsédé sexuel ou les trois à la fois, s’entoure de gens qui manifestent fortement au moins une de ces tendances. Je me demande si je ne suis pas en train de tester sa ruse. Bien que j’aie déjà le tiercé dans l’ordre, mais retourné à l’état latent.
Après cette orgie de dialectique, méfions-nous quand même. Il arrive que latent t’accule, surtout quand l’attentat cule.


Commentaires

  1. Un petit commentaire : le gars n’est pas près d’arrêter puisqu’il se justifie. Regarde son insistance sur le fait que tout de même, c’est normal, puisque depuis l’aube del’humanité etc… C’est sûr que depuis l’aube de l’humanité il y a des obsédés qui sont fiers de l’être. En fait, quelque part, il en est fier. Tant qu’il ne le verra pas, il ne risque pas de changer.
  2. je crois qu’il se justifie pour pouvoir en être fier, et non l’inverse, parce que d’une certaine façon il a marre d’en avoir honte et que personne ne tient à vivre dans une incohérence dont il serait l’auteur.
    D’une certaine façon je me justifie aussi, mais à un moment donné la souffrance a dû passer par dessus l’égo. Merci qui ?
  3. Je reconnais en toi l’homme pur qui ne pense jamais à mal…
    Je t’assure qu’on peut être fier de son caca, par principe. Il faut être un peu pervers pour ça, mais c’est assez répandu. Il y a beaucoup de complaisance chez ce gars, et la complaisance est à elle-même sa propre récompense. Et il le sait, bien sûr. Mais il ne le reconnaîtra pas forcément, puisqu’avec toi, il essaie de faire bonne figure, sachant que tu n’es pas pervers toi-même et qu’il ne saurait donc t’embarquer dans sa façon d’être. C’est un malin.
  4. j’espère pour lui qu’à un moment donné, il se rendra compte qu’il perd son temps, et que son caca ne possède pas intrinsèquement les valeurs qu’il lui attribue.
    Le caca, c’est chiant, mais il faut sortir de la cuvette pour s’en apercevoir. Ou au moins postuler qu’elle existe, et possède donc un au-delà du couvercle.
    J’ai mariné dans la même bouillasse que lui, et j’ai mis longtemps à piger que “la complaisance est à elle-même sa propre récompense” (je te remercie pour cette formulation)
    après, c’est lui qui voit…
    il serait vain de persister à lui désigner la lune s’il regarde mon doigt, et réciproquement.

lundi 21 août 2006

de penser mon cerveau s’est arrété


Me voici donc auto-promu borgne au pays des aveugles. Super. Un étrange sentiment de triomphe s’empare de moi, quoiqu’il me rappelle étrangement le doux frisson de l’ivresse de la défaite. Question d’intensité. Et de nature. Agacé de voir Flo faire l’apologie de films que j’estime ne pas valoir un coup de cidre sans même les avoir vus, je nous colle hier soir devant "de battre mon coeur s’est arrété", film français récemment encensé par la critique et le public. A nous le réalisme poétique, les quêtes riches de sens, loin de l’imaginaire stéréotypé de lavettes inconsistantes sur le plan psychologique et affublées de collants bicolores moule-boules.
Or, au final, de quoi s’agit-il ? Une petite gouape qui fricote dans l’immobilier bas de gamme - rachat et revente avec plus-value de logements insalubres, quitte à en déloger les squatteurs à coups de batte de base ball ou en introduisant des rats dans l’immeuble - se rappelle soudain qu’il a d’autres modèles paternels disponibles que celui de son géniteur, qui grenouille dans le même milieu et lui a tout appris sauf les valeurs morales, et dont il doit pallier à la décrépitude et aux conséquences funestes de ses mauvais coups de dents de loup vieillissant, qui vont empirant au fur et à mesure du film. Le jeune voyou incarné par Romain Duris recroise accidentellement son ancien professeur de piano, chenu mais digne, qui lui suggère de reprendre l’instrument car il le trouvait "doué" lorsqu’il cessa de pratiquer dix ans plus tôt. Contre toute attente, Romain s’y remet, et doit se battre avec lui-même pour triompher de son émotionnel plein de noeuds, de son psychisme délabré par une vie sociale peu nourrissante et de son karma électrique. A la fin, il restaure l’honneur paternel bafoué en laissant pour mort l’assassin de son père (père qu’il a un peu contribué à faire zigouiller) et en épousant un substitut maternel (car sa mère était concertiste et les a laissés tomber, son père et lui bien des années plus tôt) en la personne de la jeune prodige chinoise qui a accepté de lui donner des cours pour le remettre à flot pianistiquement parlant et qui est un peu dans le besoin, du fait qu’en quittant Pékin pour un apparte pourri dans le 13ème elle a attrapé la pauvreté et l’anonymat, cours qui ont permis à Romain d’oser se présenter à l’audition que le vieux professeur lui a consenti, même si au moment de l’exécution de la Toccata en mi mineur de Bach il merde gravement du fait de sa saisie émotionnelle en présence de son White Vador.
Damned ! ça vous rappelle rien ? ma femme a râlé de l’indigence de l’intrigue (mais n’oublions pas qu’elle a La Vue ) et de la complaisance au pathos qu’elle croise en vrai dans sa vie professionnelle et dont elle n’a point le besoin de se repaître en seconde partie de soirée, et j’ai dû reconnaitre qu’à part la performance de Duris et le souci d’Audiard de filmer au plus près ses acteurs, ainsi que quelques audaces stylistiques qui consistent essentiellement à ne s’autoriser aucun plan extérieur lors des inévitables scènes de transport automobile, on est bien dans un remix de tragédie grecque en moins bien.

De télécharger mon ordinateur s’est (presque) arrêté.

Ca me fait penser que je suis censé partir en retraite bouddhiste à la fin de la semaine alors que je n’ai même pas rempli le formulaire d’inscription (mais je viens de refuser du boulot pour cette période, ce qui chez moi est signe d’engagement ferme), que je fume toujours 25 clopes par jour et que ma vie sociale réelle - hors internet, quoi - s’est réduite comme peau de chagrin depuis mon retour de vacances, qui furent heureusement placées sous le signe de la rencontre et de l’initiative.

C’est pourquoi je ne te jette pas la pierre, Pierre.
Mais bon, l’égo ne va pas se barrer comme ça, alors autant en faire quelque chose, hein ?
Orroz dit quelque part qu’il ne faut pas oublier de le mettre au service de plus grand que lui, si on veut pas se casser la gueule.

Commentaires

  1. tu te lance dans une retraite bouddhiste,,
    c’est pas bon si tu veux t’auto-proclamé autocrate du “culte des branlos” (un putsch en somme?)…

    bo a l’occaz tu pourra filer les coordonées de ton centre (sauf dans l’yonne hein)..

    bon si tu parle de syrius a ton retour…

    restera l’eutanasie.

  2. sans compter que quand les aveugles fonderont une république, je l’aurai dans le schtroumpf.

Reconnaissons notre besoin de reconnaissance (2)











Flo dit : "se nourrir du regard de l’autre passe par l’émotionnel. L’émotionnel est un moteur très 
puissant au niveau énergétique. Le seul problème c’est que ça crée des cycles d’exaltation dépression car il y a une très forte saisie. (…) Moins tu attends de reconnaissance et plus tu aimes l’autre, moins tu perds d’énergie." Il n’y a pas que dans les rêves que le besoin de reconnaissance se manifeste : la semaine dernière, je me suis porté à la rencontre physique (c’est la première fois) d’un ancien membre non encore "guéri" du premier forum consacré à la dépendance sexuelle, membre que je qualifierais donc de sympathisant non pratiquant si cette formulation n’augurait l’inverse de ce qu’elle désigne : un état où l’on admet son impuissance sans en tirer les leçons. Suite à cette rencontre, nous avons échangé quelques mails :
-Salut John. Je te parlais il y a quelques semaines d’un projet de mail. Il faisait suite à une nième tentative de « demain, j’arrête ». Cette tentative a été une belle réussite … durant quelques jours.
-C’est pas "demain, j’arrête", c’est "aujourd’hui, je me tiens éloigné du porno, parce que quand je mets le doigt dedans, ça s’enfonce jusqu’au couillde, voire plus si affinités."
-J’ai repris la position basique du mateur à clics, et cela a pris une nième forme. La demande viscérale s’adapte à toute nouvelle situation, avec ou sans danger. Enfin, tu connais(sais).
-Pourquoi ne fais tu pas ton énième come-back sur le forum ? orgueil, inconscience ? ça te coûterait quoi de prendre un énième +1 engagement, sachant que tu peux le rompre d’un simple clic ? si tu te vois ridicule et misérable, n’aie pas peur, tu l’es ! mais tu peux cesser de l’être, un jour à la fois. Tu sais très bien comment. Tu l’as déjà fait. Orroz était d’une infinie patience. Mais aucun coup de pied au cul ne t’atteindra que tu ne te le mettes. D’ailleurs il ne s’agit pas tant de ça que de regarder le démon en face comme le dit Hubert Selby : "J’ai fini par comprendre qu’il fallait arrêter de résister au démon, juste le regarder en face. C’est la résistance qui m’a tué. Ça m’a amusé, après avoir vu mon existence dévorée par la violence, d’apprendre que le premier sens latin de ce mot est "force de vie"
-Depuis que je n’ai plus –volontairement - internet chez moi, il reste le boulot ! C’est carrément dangereux, à deux points de vue : du point de vue flicage informatique (accès réglementé avec une jolie mire « site interdit »), et du point de vue rentabilité minimum, pour un temps passé au bureau passablement louche, avec parfois des attitudes de sauvage aux limites de la désocialisation (moi qui aime plutôt les gens en plus…)
-ben voui, c’est dommage, hein ? on peut même pus cliquer tranquille.
La vie nous appelle, mais on préfère le tombeau.
Ca pue un peu, mais on y est en sé-cu-ri-té.
-Bref, encore une situation où on est en droit de se demander ce qui justifie ce risque et accessoirement, ce mal être qui découle de ces mises en situations grotesques, dangereuses, stériles, de ces mensonges.
Tu te rends compte ? Non mais, tu te rends compte ?!
Cela fait des années que j’ai mis le doigt sur la réalité d’un « problème », que j’ai réfléchi, et surtout que je tente sur moi des solutions par l’action ou la non action, et … j’en suis là, toujours, un peu comme le gluon du trou qui trouve que rien n’avance vraiment. Orroz parlerait du nombril, mais bon …
-"Pour jouir de la fatalité il faut s’y rouler" et c’est sûr que t’es pas tout seul dans ton cas-cas.
Pierre est obligé de se complaire lui aussi dans sa morfondaison pour continuer d’y tourner en rond. Pas très rond, en fait, mais tu dois pouvoir t’inspirer de cet effet-miroir et des commentaires qu’ils m’inspirent pour reprendre le boulot. Toi, je ferais mieux de t’écrire un formulaire prérempli et de te l’envoyer à chaque fois que tu replonges, vu qu’on s’est déjà tout dit sur l’ancien forum. Et ça servirait à quoi ?
Ce qui m’agace d’autant plus de me prendre alors pour un ayatollah de l’abstinence :
ce n’est pas le but, mais le moyen d’entrer dans cette nouvelle vie.
Mais c’est comme dans la chanson de Jonasz : "on fume juste une cigarette… et on y va pour la nouvelle vie. " Ca marche pas comme ça, la preuve, c’est que tu piétines toujours dans l’antichambre. Change ton regard de plaignos rationalisant, et tu sauteras sur l’opportunité au lieu de te faire péter les plombs en te disant "qu’est ce que chuis con, quand même…"
-Mais ce besoin couve partout : sous un stress, une réussite, un « manque » …sous le blanc, le noir, le chaud ou le froid, la vie.
-t’as oublié : sous le sel, le poivre. Sous la vie, la mort. Sous le yin, le yang. Noël en cabane, Pâques aux rabannes, tout ça tout ça….
-Bon, cela étant pour le contexte des états d’âme, je vais aller au sujet initial du projet de mail. Il s’agit d’un sujet bateau, mais sans solution au fond de ma tête, et qui revient de manière cyclique : comment est construit l’homme, et quelle place occupe cette envie pornographique dans l’histoire de l’humanité. Pour ce qui est du cadre général, je me suis bien essayé à un modèle des motivations fondamentales des Hommes (hommes et femmes), je tombe sur une fleur à 5 pétales que j’aime bien, mais c’est sans retombées concrètes pour mon problème, mon problème d’homme.
Ainsi, dans quelles dispositions étaient nos grands-pères, sans nos exhibitions à grandes échelles, nos accès lubriques faciles, avant internet, avant la photo, avant la société de consommation ? Ne rêvaient-ils pas en secret de bonnes vieilles mises en scène de cul avec leurs fantasmes ?! Y compris à l’église, où le curé avait pris les devants en leur disant : « ce n’est pas bien… »
-Je pense qu’après 12 heures aux champs ils avaient surtout envie de pioncer. J’ai beaucoup de reconnaissance pour eux : c’est grâce à eux et aux fruits de leur labeur que j’ai pu accéder à cette existence de cyber-feignant redresseur de torts des autres ;-) tu pourrais essayer de te dire que tu leur dois bien d’essayer de vivre à la hauteur du confort moderne qu’ils n’ont pas peu contribué à te procurer.
-Déjà, certes, il y avait les guerres, tous les 30 ans en moyenne, ce qui occupe : on se fout sur la gueule, on reconstruit, ou l’inverse. Et puis les périodes avec les grandes idées passionnées : le nouveau monde, la révolution, l’aventure scientifique, les théories sur la société idéale et le marxisme, …
-… hé oui toutes ces grandes idées qui finissent dans le sperme et le téléchargement… c’est triste, hein ? et puis on est peu d’choses entre les mains du grand capital.
-Mais pour le reste ? Un idée persistante chez moi est que, bien concrètement, partout où les conditions rendent cela possible, les hommes « profitent au maximum » du sexe, avec ce que cela comprend de grivois : historiquement dans les bordels des villes, dans les sérails des puissants, dans les maisons bourgeoises avec les servantes, dans les arrières-bureaux des sous-chefs, dans les zones rurales avec les filles sous-éduquées ou esclaves, voire simplement en rêve pour les plus pauvres. Beaucoup d’écrivains se sont essayés aux récits pornographiques, dans l’ombre, y compris victor hugo par expl. qui incarne pourtant une forme de romantisme respecté. L’histoire des femmes dans toutes
les sociétés est marquée par leur statut plus ou moins explicite d’objet du désir, à commencer par ce que nous révèle l’histoire des religions et les modèles qu’elles proposent.
-Ben heureusement que nous sommes des êtres de désir ! Et que les femmes en sont l’objet !
C’est pas ça le problème, le problème comme tu as pu le constater réside dans les modalités de satisfaction de ce désir. Toi tu as peur d’avoir à renoncer à l’érotisme, mais comme tu as déjà lâché la proie pour l’ombre, tu as peur que si tu lâches l’ombres il ne te reste plus qu’à méditer dans le noir, ce qui est peu engageant. Vas-tu continuer de t’accrocher à ce "rien" que tu crois "tien" alors que Paulo & moi & Bruno & un certain nombre d’autres en avons été délivrés par la reconnaissance que cette faille comportementale, cette déficience, ce dysfonctionnement, appelle-le comme tu veux, ne se laisse pas circonvenir par l’analyse, de même que le cancer ne se traite pas par la lecture d’ouvrages médicaux ?
Demain n’arrive jamais. Le seul moment pour en finir c’est tout de suite.
j’emprunte les mots de Dartan, qui disait dans le premier cycle du cours d’orthologique :
"Tous, tant que nous sommes, avons en nous "quelque chose" qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c’est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s’éternisent chez les humains. Mais ce n’est grave et dangereux qu’autant que nous en sommes inconscients. C’est alors seulement que nous agissons en gorilles. C’est alors seulement qu’avec l’habileté infaillible qui marque du sceau de l’inconscient nos comportements ataviques, nous découvrons les moyens de parvenir à nos fins souterraines. "
La suite demain.


Commentaires

Depuis que je me suis retrouvée plongée dans le porno sans l’avoir voulu (ou sans l’avoir vraiment voulu? J’aime pas l’idée de “on n’a que ce qu’on mérite” mais en tout cas on le cherche) je me suis souvent amusée de cet argument des pornophiles ou addicts qui se cherchent des excuses: Après tout c’est dans notre nature d’Hommes, pour pas dire dans la nature tout court.
Cette obsession/agressivité qu’ont les gens à vouloir à tout prix se différencier des animaux tout en se raccrochant à leur côté animal comme alibi à chaque fois que ça les arrange c’est tripant!
Et on en revient toujours à la même chose: on est victime tant qu’on a pas compris qu’on peut ne pas l’être, on est un primate tant qu’on a pas compris qu’on peut ne pas l’être.
En tout cas mon homme, qui est en train de descendre de son arbre, est vraiment fascinant et beau dis donc, pourvu qu’il se casse pas la gueule !

dimanche 20 août 2006

Dans ton culte


Tout n’est pas si moche.
Gene Ha, somptueux enlumineur de la série Top Ten, s’apprète à travailler sur The Authority en compagnie de Grant Morrisson, un auteur de l’envergure de Neil Gaiman ou Alan Moore, dont on risque d’attendre longtemps en France une traduction décente des Invisibles, qui est pourtant "a mind-blowing mix of drugs, occultism, UFOs, voodoo, sexual excess, Witchcraft, sadomasochism, body modification, movies, government conspiracies, Lovecraftian horror, numerology, Gnostic cosmologies, anarchy, Mad Science, time travel, superheroes, Freemasonry, the Apocalypse, plus some stuff that’s just plain weird".
Top Ten et The Authority sont publiés en français chez Semic, et il faut se dépécher de les acheter, parce que la maison d’édition a été dissoute sans liquidation, (je vois mal comment on peut dissoudre quelque chose sans liquide, mais bon…) ce qui veut sans doute dire qu’on va avoir encore plus de mal à les trouver que d’habitude, alors que ça emmerdait déjà les libraires d’avoir à stocker un format bâtard entre le manga et l’album classique, et que ce renouveau du comics est ce qui pouvait arriver de mieux à la bédé et à ses lecteurs fatigués pour évoquer les grands problèmes du monde mondial avec un regard neuf et ludique.
Et tant que j’y pense, merci à Jérôme V. de m’avoir redonné la foi.

Culpabilité, poisson mort, deux cafés et l’addiction

Saperlipopette ! Flo vient de remettre les pendules à l’heure sur culpabilité & responsabilité, et me renvoie à mes anciennes façons de noyer le poisson, tout en suggérant de nouvelles recettes pour l’accomoder.
Il y a 15 ans, j’ai écrit un texte intitulé "poisson mort" :

“La plupart des choses qui font bander mes contemporains me laissent d’une indifférence de poisson mort, ce qui ne manque pas de m’intriguer ; toutes les déviances, les perversions par lesquelles les gens réussissent à accepter les merdeux compromis avec la réalité sont impuissants à me faire courir après ma queue. Autrefois, j’ai moi aussi couru deci, delà, quémandant compliments et me satisfaisant des rêves des autres, mais depuis un temps que je me refuse à mesurer tout cela s’en est allé. Je suis allé en parler à un psychiatre, qui au bout de quelques séances a diagnostiqué une réaction naturelle de mon Surmoi : pour compenser mon sentiment d’infériorité par rapport aux autres, je dévalorisais les attraits du monde extérieur. Je n’ai pas osé lui demander si c’était le même genre de complexe qui l’avait poussé à choisir cette profession plutôt qu’une autre ; les intuitions les plus justes et les plus généreuses de ma jeunesse ont engendré une jolie guirlande de désastres personnels dont je continue de payer les conséquences : dans ce monde - ci, il n’y a pas de justice immanente mais tout se paye, et au prix fort. Je ruminais ce genre de pensées délétères en me rendant à l’enterrement de mon grand-père, décédé dans sa quatre-vingt deuxième année après avoir eu à subir tous les outrages de la vieillesse plus quelques inédits que Dieu, dans son Infinie Turpitude, avait décidé de lui envoyer sur la fin pour lui donner de quoi méditer pendant une interminable agonie. Parfois, je m’éveille au milieu de la nuit pour m’apercevoir que je ne suis plus qu’un magma de personnalités disparates retourné au chaos primaire, un brouillard de sensations amalgamées autour d’un effet de conscience induit, celui d’avant les crispations identitaires.
Potentiellement n’importe qui, virtuellement tout le monde. Je me prends alors de sympathie pour les morts, dont je me dis qu’ils doivent ressentir à peu près la même chose: le rébus de leur vie s’étant déroulé jusqu’à son achèvement, ils ont fusionné leurs consciences individuelles avec le Cosmos, ne laissant derrière eux qu’étrangers affligés. Mon psy m’a recommandé de laisser tomber ce genre de conneries de fusion avec l’univers si je voulais progresser dans la thérapie. Je progresse indéniablement : la dernière expérience métaphysique que j’ai eue, c’est en essayant d’attraper à pleines mains du linge mouillé dans ma machine à laver, pieds nus dans ma cuisine. J’ai enfin compris à quoi servent les prises de terre, et aussi pourquoi mon âme en manque ressent aussi fortement la nostalgie de l’électricité. La morsure de la cigarette, aussi prometteuse d’énergie que décevante après-coup, a le don de me séduire. Je ne me lasse pas de m’en lasser vingt fois par jour.
Je me rappelle chaque matin que si je me suis réincarné en ***, c’est pour des raisons bien précises : je suis venu sur Terre pour manifester plus de compassion que mon père n’en a eu pour moi en m’engendrant. L’ironie est une arme précieuse dans ce genre de grand moment de désarroi moral , à condition de ne pas la braquer sur sa propre tempe. J’exerce le douteux métier de monteur vidéo, qui consiste à se faire croire (et à faire croire aux autres) qu’on est créatif alors que notre rôle se limite à celui d’un presse-boutons. J’en retire un bon salaire chaque mois, bien que je sois indépendant et que je ne travaille qu’environ quinze jours par mois. Je suis accro des jeux vidéo. Avant, j’étais alcoolique, ça fait quand même moins mal à la tête. Je fais des conneries sans nom, après quoi je manque de couilles pour dénigrer les travers de mes contemporains. J’envisage le maniement des concepts philosophiques comme un art à part entière, mais personne ne s’est jusqu’à présent porté acquéreur de mes interminables ruminations.”

Bien sûr je lisais trop Philip Dick période "trilogie divine" : ce n’est pas de la métaphysique, mais du désarroi émotionnel qui instrumentalise une certaine idée du fatum (mot emprunté du Latin, pour signifier le destin dans la doctrine des Fatalistes) et je ne me mouchais pas du pied. Inspiré par mes maîtres de l’époque, j’aspirais au désastre, tentative pataude de le conjurer tel l’anhédoniste moyen.
Arriva ce qui devait arriver.
Si l’on revient à ma petite histoire de saxophoniste, et en suivant la ligne tracée par vos commentaires, si je ne puis obtenir le pardon de N., et faire la bonne affaire psychique qui motivait sans doute la reprise de contact, il est évident que j’ai intérèt à m’offrir le mien, parce que c’est tout ce que je peux faire de cette histoire qui malgré mes tentatives de réactivation est aussi achevée aujourd’hui qu’à l’instant même où la voiture a quitté la route. Je ne crois pas trop aux éventuels remords : c’est parce qu’on croit qu’on aurait pu agir différemment; on vaut bien mieux que ça, évidemment, on n’a pas eu de bol, on n’a pas fait gaffe, etc. Aucune des causes contributives de cet accident ne va me délivrer de sa responsabilité, avec laquelle je cohabite (le cri d’amour du crapaud) malaisément depuis ce temps. Tenter de réactiver des liens morts de par mon silence persistant de deux décennies n’était sans doute pas une bonne idée. On risque de constater que morts, ils le sont, et qu’ils persistent à l’être. Mon frère, qui avait pressenti le truc, a tenté de m’avertir. La démarche du pardon aurait peut-être gagné en efficience si je m’étais au préalable, un nombre raisonnables d’années après la catastrophe, fendu d’un chèque de 2000 euros envers l’ami allemand dont j’ai détruit le véhicule qu’il n’avait pas assuré, et d’un autre d’un montant inquantifiable envers N. dont les souffrances furent indicibles. C’est trivial, ça n’aurait pas fait taire cette "mauvaise conscience" que je vois comme le rappel désagréable que mes actes ne sont pas toujours à la hauteur de mes prétentions, mais ça aurait mis un peu de beurre dans leurs épinards. Comme je n’ai rien fait de tout cela, inutile d’épiloguer, dit-il en épiloguant, mais comme dit Flo, "j’essaie de ne pas le faire, mais parfois je le fais. Il n’y a rien à justifier, je suis égoïste et pas spécialement fière de l’être."


samedi 19 août 2006

Reconnaissons notre besoin de reconnaissance (1)


J’ai révé que mon voisin d'en face, aimable septuagénaire, nous hébergeait quelques temps et m’apprenait qu’il avait été lui aussi porno-addict, d’ailleurs il postait régulièrement sur l’ancien forum d’Orroz. En fait il se dévoilait d'entrée, en m’appelant sans préambule par mon pseudo, en se marrant doucement de cette rupture pacifique d’anonymat : "alors, john warsen, comment ça se passe, cette première année d’abstinence ? -Sans déconner, jean-pierre, t’en étais aussi ? (comme si on avait fait la guerre ensemble… et qu’on en était revenus entiers tous les deux.) Alors, t’étais qui, toi ? c’était quoi ton pseudo ? (comme si c’était important.)

Le besoin de reconnaissance s’exprime ici sous une forme contradictoire : il s’agit à la fois
- d’appartenir à une communauté humaine fondée sur un objectif désirable (la cyber-sobriété sexuelle)
- et de s’en distinguer par la manifestation de qualités individuelles spécifiques, si possible en étant à ce titre adoubé par ses pairs.
Le sentiment de fraternité est-il alors au service de l’égo, ou l’inverse ? A la limite, on s’en moque, du fait que le but est atteint : l’issue de la lutte pour l’obtention de l’abstinence cyber-sexuelle est certaine, le désir fusionnel et le besoin d’individualité font alors bon ménage puisqu’ils se renforcent mutuellement.