dimanche 4 décembre 2005

Le bonheur dans l’abstinence 2



"Johnny, mon Dieu, qu’est-ce qui nous est arrivé ?" Sa voix n’était qu’un souffle, comme une brise désolée après une tempête qui aurait mis fin à tout espoir et à toute illusion.
Il connaissait la réponse : ce qui nous est arrivé, c’est moi. Mais il dit plutôt : "Ca va s’arranger."
Ses larmes l’avaient épuisée et il ne restait rien dans sa voix ou dans ses yeux qu’une mélancolie douce et désarmante.
"Qu’est-ce que tu veux, Johnny ? Qu’est-ce que tu veux ?
-Je te veux, toi. Je veux ce que nous avions. Je veux que nous soyons heureux."
C’était vrai. Il la voulait. Il voulait se perdre encore dans les vagues croissantes de son amour. Il voulait tout; le monde. Il la voulait elle toute - et la chair aussi de toutes les salopes qui attisaient son regard - sans offrir un brin de lui-même, de même qu’il avait soif de richesse sans daigner travailler, de même qu’il souhaitait attirer tout le bonheur et toute la joie du monde dans le vortex mort de son être sans donner rien en retour. Il voulait que Diane - et il voulait que le monde tout entier - soit l’objet et le vaisseau de son bien-être et de son salut. Il voulait ce qu’en elle ni en quiconque il n’aurait pu admettre, tolérer ou pardonner : la confiance en échange de la supercherie, la loyauté en échange de l’infidélité, l’amour en échange de la froideur, dévotion contre indifférence, honneur contre mépris, prospérité contre paresse, la bonté en retour de la cruauté proférée. Il voyait l’injustice et l’iniquité inhérentes en cela, et il persévérait pourtant, comme s’il croyait en l’existence intangible d’une dispense démoniaque et d’un droit acquis, un certain "droit du mal", qui lui revenait, à lui seul.
(…) Les médecins l’avaient convaincu d’aller aux Alcooliques Anonymes après sa sortie. Et il y était allé. Mais au bout d’un moment il avait commencé à voir que c’était une arnaque. La plupart de ceux qu’il y voyait, par comparaison, n’avaient jamais vraiment bu tant que ça. Ils allaient aux réunions, s’était-il dit, comme d’autres vont au bar ou font du bénévolat à l’église : c’était une façon d’avoir une vie sociale. Pour certains, les A.A. semblaient être un substitut à la vie, un microcosme qui avait sa propre mythologie, sa hiérarchie et son langage, un refuge où ceux qui n’étaient pas capables de trouver ailleurs l’attention, l’amour, le sentiment d’importance qu’ils recherchaient, pouvaient venir ici se faire bichonner. Pour d’autres, cela semblait être une contre-addiction qui créait un climat de faiblesse plutôt que de force. Elevés du statut d’ivrognes à celui d’alcooliques, de celui de paumés à celui d’âmes affligées, les serviteurs pas si anonymes des A.A. semblaient jouir de l’importance et de la compassion que leur accordait la prétention qu’ils étaient aux prises avec la maladie. C’étaient des snobs, à leur façon, des clodos élitistes qui octroyaient à l’ivresse une dignité illusoire en lui donnant le nom d’alcoolisme. Johnny avait regardé sa mère pourrir doucement et douloureusement d’un cancer. Pour lui, ça c’était une maladie. Quelle maladie pouvait être contrôlée par la volition ? c’est ce qu’il voulait savoir. Mais d’un autre côté, A.A. ne laissait pas trop de place au libre arbitre. Son credo d’impuissance et de soumission aveugle à une déité terne d’ivrognes garantissait l’étranglement de l’âme, l’étouffement de la volonté, une douche froide à ce que la sagesse antique nommait l’étincelle héroïque. (…) Avec son insistance dictatoriale à la participation de réunions sans fin, à l’endoctrinement et à la conversion, l’organisation niait qu’il y eut des hommes et des femmes dont le pouvoir soit limité, et non rehaussé, par les restrictions et l’influence de la conformité, qui ne trouvent pas de confort dans le groupe, qui sont diminués plutôt qu’augmentés par le fait de remettre leur destinée aux mains d’un autre. Comme toute religion ou tout culte, le message ultime est ceci : qu’il n’y a pas d’autre chemin. Et ce message était pour Johnny, comme toujours, anathème. C’était déjà une chose, provenant de l’Eglise dont le glaive d’autorité avait fait couler le sang depuis deux millénaires, mais venant d’un culte dont l’histoire remontait à soixante ans et à un connard du nom de Bill, c’était franchement grotesque."

Ce passage de Trinités, roman de Nick Tosches sur le mal absolu et ceux qui choisissent de l’incarner, m’avait terrifié quand j’étais jeune abstinent. Niveau un, c’est à ça qu’on reconnait le mal : il fait peur. Fastoche. Cette description très documentée du mouvement des A.A. vu par l’oeil d’un mafieux que les défections de son organisme contraignent au sevrage est réaliste, et en même temps erronée : elle relève du Niveau deux, la Provoc, qui tente de démontrer que le Bien n’est qu’un malentendu entre chochottes consentantes, un compromis bâtard qui consiste à préférer la cessation de la souffrance à tout autre objectif. Quand on lit le "Big Book", la Bible historique du mouvement, il est patent que Bill a vécu une théophanie, après quoi il a créé un égrégore qui a sauvé des millions de gens de par le monde d’une mort imbécile précédée de souffrances atroces. On y croise plutôt moins de lopettes et de désaxés qu’ailleurs, parce que nous arrivons tous de notre petit enfer liquide et portatif, et que nous sommes très motivés pour n’y point retourner. L’authenticité, l’honnèteté et la sincérité y sont activement cultivées, non par vertu mais par confort : elles semblent seules pouvoir nous éviter de redoubler les petites classes de cette maternelle de la spiritualité.

"Pour lui, la lente descente dans l’oubli, avec tout ce qu’elle comportait d’attente et de possibilités - un pari gagné, une bagarre, un frisson de joie dans un éclat de rire ou une chanson, un souvenir soudain ramené à la vie - c’était le principal de la chose. Il fallait parfois des jours et des nuits sans sommeil pour en arriver là, mais il en avait savouré chaque instant. Toutefois, avec le temps, l’attente et les possibilités s’étaient amenuisées, et il s’était contenté de boire, sans illusion et sans fausse joie. Boire et rien d’autre. Et quand il s’était rendu compte qu’il en avait fini à jamais de l’attente et des possibilités, il s’était demandé ce qui continuait à l’attirer. Et il avait su alors que ça n’avait jamais été les filles, ni rien d’autre. Depuis toujours ça n’avait été que l’oubli. C’était là son véritable amour : l’oubli.
A Milan, il avait tué intentionnellement. Mais, au cours des ans, il avait perpétré le même crime contre lui-même, et sans savoir pourquoi. Finalement, il avait plus de validité en tant que tueur qu’en tant que protagoniste de sa propre existence."

…Johnny envoie donc les gentils A.A. se faire foutre, n’assistant aux réunions que pour se fournir en gonzesses, et vit son abstinence tout seul, parce qu’il l’a, lui, cette étincelle héroïque, et c’est l’autre sujet du bouquin : l’itinéraire spirituel d’un nuisible qui vit ça les yeux ouverts. Il trouvera son chemin, mais pas la rédemption, définitivement classée affaire de couilles molles.
(ça doit être l’arrèt du tabac qui me fait focaliser comme ça en ce moment)

"Je ne vois pas de la même façon que nos ancètres.
Ici il n’y a ni Patriarche ni Bouddha.
Bodhidarma n’est qu’un vieux barbare puant.
Gautama est un vieux papier toilette desséché."
Te-Shan (780-865), cité par U.G.

On peut envoyer tous les bouddhas se faire foutre, mais il faut d’abord avoir suivi les enseignements.

Commentaires

  1. C’est marrant, au début, j’étais sûre que c’était toi qui avais écrit ce texte. C’est vraiment ton style (en fictionnel). Quoi qu’il en soit, sa vue et la tienne sur les AA ne sont pas contradictoires. Peut-être que c’est une bande de nases mais peut-être aussi qu’ils ont sauvé des millions de gens. C’est ça qu’on finit par comprendre. L’élitisme est réservé à l’élite. Si le maître dzogchen enseigne le dzogchen, il n’aidera pas grand-monde. S’il enseigne des naseries à longueur de journée, ça aidera un tas de gens, parce que les gens sont des nuls. C’est le standard. L’auto-détermination, la réflexion, tout ça, ce sont des valeurs d’élite, ça marche 1 fois sur 1 million. C’est ce qu’on comprend en regardant Amma.

  2. c’est marrant, parce que le réalisateur du film sur Amma était aux enseignements du lopön en novembre 04.
    sinon, oui, j’admire le style de nick tosches, et je vais en réunion AA, et l’autre jour j’ai rêvé que la Mafia aidait les AA à “salir leur argent propre” (les finances de l’association sont exclusivement issus des dons spontanés des membres) et j’ai pris ce songe comme une parabole sur le fait que “trop de blancheur nuit” de la même façon que la noirceur érigée en système relève du terrorisme intellectuel, et qu’on la tolère uniquement chez les artistes quand elle fait joli.


mercredi 30 novembre 2005

Grégaires égrégores

Bien que j’en aie marre de m’identifier avec un tox parce que ça ne fait que retarder ma sortie de la polyclinique, que la logique de l’addiction me lasse par sa ravageuse et réductionniste absurdité, j’ai sûrement quelque chose à faire avec ça : 20 ans que je manifeste des comportements autodestructeurs bien que cet assemblage de mots soit vide de sens, issu comme les autres du mental verbal qui tricote ses p’tites chaines - par - affinités - électives - du - souvenir - qui - en - appelle - un - autre - qui- s’accroche - à - une - représentation - déjà - présente - cette - semaine - dans - la - playlist, ce qui fait qu’on peut passer des années entières à monter et descendre les escaliers escheriens des vestiaires de l’esprit sans jamais trouver l’endroit où se joue le match, et puis un jour, boum, plus de mots dans le sac à mots : on VOIT mais aussi ON RESSENT que l’hypothèse d’une présumée conscience qui ferait tourner le bazar en sous-main est ridiculisée d’avance, qu’un générateur d’impulsions aléatoires jouirait d’un degré de liberté supérieur, et on se tourne alors vers des pratiques, sur lesquelles le mental va recommencer à tricoter ses pulloverdoses, mais on apprend à cohabiter puisque n’importe quelle autre figure que l’acceptation les nourrit - donc j’ai pris rdv avec une thérapeute recommandée par le psychiatre - qui - ne - pouvait - rien - pour - moi et qui affiche pnl, hypnose ericksonienne, thérapies familiales, transgénérationnel… manque plus que "charbons et spiritueux" ou "ramonage et fumisterie" au fronton de l’échoppe, commerces d’un autre âge qui flottent encore parfois à la limite de la perception sur des façades parisiennes décrépites.
Bref je suis allé la voir hier en lui disant "faites moi tout sauf de la psychothérapie, j’ai dressé mon mental à faire trois fois le tour du pâté de maisons pendant que je reste calé sur mes chiottes"…

J’espère obtenir des techniques de recorporisation dans le monde des sensations, avant qu’elles ne soient prises en otage par le mental. Dit comme ça c’est carrément cucul, et c’est pas en faisant de l’ordi que je vais augmenter mon score, donc il est aussi sur la liste des activités à réduire dare dard.
Encore une de ces périodes où mes employeurs raréfiés me laissent mariner plus que de raison, j’ai dû bosser 6 jours en novembre alors que je suis à la fleur de l’âge et au top de la créativité. J’ai même pas fait exprès de rater la date limite pour poster ma candidature à l’audiovisuel public, et la machine à fabriquer du stress est quand même bien présente, même si les différents sevrages en cours lui font tourner la tête ailleurs.
J’aurais dû plus potasser le programme des AA, ils ont de bons outils. Je me serais pas retrouvé dans la cybermerde (sortie du cybercul.) Mais je ne voulais pas me confier à l’égrégore du groupe. La prière me faisait profondément chier, sans parler de l’inventaire moral. Les étapes du programme de rétablissement spirituel suggéré, je ne me voyais pas les pratiquer. Résultat, aujourd’hui je ne bois pas, ne fume pas et ne me branle pas, et je serais tenté de dire "et c’est tout" dans le sens où l’abstinence ne fait pas de moi un Superman (si sexy avec son slip par dessus) ni même un prophète à trois balles, si je n’avais l’intuition de la fatuité pseudo-désenchantée de ce "et c’est tout". Quand je cède aux sirènes poilues de l’auto-apitoiement, je me dis que j’aurais dû plus potasser dans le bardo précédent, cette incarnation me laisse stupéfait et les bonbons du tableau B sont des remèdes pires que le mal. Il y a peut-être des domaines dans lesquels j’ai des dons, à part pour prendre des gnons et ne pas les rendre. Mais j’ai pas les moyen de m’illusionner sur mes faiblesses.
Je me rappelle d’un gros malin qui avait déconné avec l’ésotérisme et qui commençait ses partages en réunion AA par "je suis abstinent de tout produit modifiant le comportement et j’envisage de devenir abstinent de tout comportement modifiant le comportement", ce qui n’était évidemment que vantardise : ses partages étaient parfois brillants, mais dès qu’on s’approchait de l’homme, on découvrait un transformateur EDF dont la plupart des circuits avaient fondu et qui était parcouru de courts-circuits en tous sens.
Ce matin, en faisant mon jogging, je réconcilie "je n’ai prise sur rien" (= je lâche prise) avec "je ne peux changer que moi-même" (= je me mets à bosser sur ce qui m’apparait incorrect, crooked, unefficient, painful… et sur cet encombrant et persistant sentiment du ridicule qui a lui aussi sa raison d’être au moins sur le plan historique : j’ai passé tant de temps à être à l’affût du moindre changement intérieur sans poser le plus petit bout d’acte quantique qui l’aurait suscité que je n’ai pas volé ces tourbillons fractals d’inhibition de l’action & de la pensée.)
note : un égrégore c’est quand un ensemble de gens pensent ou agissent pareil, ça crée une forme d’entité psychique. 10 termites ne bougent pas. 100 termites se mettent à construire une termitière. Bon, avec les humains, ça commence à deux. Le couple par exemple, est une sorte de 3è personne qui se crée par l’interaction de deux autres.

Commentaires

  1. Aujourd’hui, je vois les comportements “auto-destructeurs” sous un autre jour. Pour moi, ils sont révélateurs du fait qu’il y a quelque part chez l’individu l’intuition de sa non-existence (en tant que je). Son mensonge quotidien lui devient insupportable : demain ça ira mieux, demain je serai heureux, j’aurai moins de défauts etc… Comme le dit le bouddhisme, l’existence est souffrance, et il est normal qu’il y ait dans l’individu une tendance qui veuille mettre fin à ce mensonge. Quand on naît avec une interrogation existentielle, ce n’est pas une thérapie qui va y mettre fin.

  2. Aujourd’hui je vois mon “besoin de te donner raison” (y compris quand tu chantes avec le vedantesque Souchon “et si en plus il n’y a Personne”) sous un autre jour. L’intuition de ma non-existence est réifiée en prétexte pour attacher peu d’importance à l’accomplissement de “ce qui doit être fait” dans le quotidien. La cessation de comportement auto-destructeurs ne signifie pas qu’on attache soudainement plus d’importance à la vie ou à quoi que ce soit, elle implique qu’on a pigé que la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, et que ce samsara particulier est auto-entretenu.
    C’est comme les interrogations existentielles, qui sont là pour se (me) donner l’impression d’exister dans une certaine intensité, alors qu’elles m’éloignent de l’Etre, les bougresses. L’Etre émane quand on a enlevé assez de pelures à l’oignon. La thérapie, c’est juste pour enlever des couches.

  3. Je voulais simplement dire qu’il ne faut pas culpabiliser de ses comportements auto-destructeurs car ils ne sont que l’autre face du mensonge quotidien. Une face pervertie, certes, mais quand même. Je veux dire par là que tout a sa place, et croire qu’il y a du bon et du mauvais ne fait que perpétuer les problèmes. Il n’y a ni bon ni mauvais, il n’y a que des phénomènes qu’il ne faut ni accepter ni rejeter. Accepter le mauvais, c’est mauvais. Mais accepter le bon, c’est mauvais aussi. Il faut simplement voir comment ils sont liés l’un à l’autre, et comment tous les deux sont, en fin de compte, des mensonges. Si la thérapie permet d’enlever des couches, c’est bien, mais si elle remplace par d’autres qui sont jugées “meilleures”, on n’a fait que remplacer une prison chinoise (dont on savait devoir se débarrasser) par un palais doré (dont on ne sait pas devoir se débarrasser).

  4. Dans l’auto-destruction, il y a quand même la culpabilité de se détruire soi (le soi qui nous a été donné) alors qu’on voudrait juste détruire le moi (le noeud dans le torchon) donc on peut dire que cette culpabilité est à sa place quand elle permet de passer à autre chose. Ni la prison chinoise ni le palais doré ! ma maison en bord de route me conviendra très bien. J’aime bien ta théorie sur l’auto-destruction, comme si les destroys avaient interprété de travers un zen qui explique que le vide à l’intérieur du bol est identique au vide de l’extérieur, et qui pensent qu’il faut briser le bol pour accéder à cette vérité.

  5. Illusion de croire ou de prétendre qu’on puisse porter atteinte au Soi ! c’est comme si l’oeuf pensait porter atteinte à la Poule ! quant à détruire le moi…vantardise et hypocrisie ! le noeud sait très bien que sans lui, plus de torchon…

jeudi 17 novembre 2005

Le bonheur dans l’abstinence : la religion des couilles molles ?



Expérience nouvelle et nécessaire : j’ai laissé mon ordinateur éteint pendant 3 jours, suite au fait que j’avais traité un mec de connard sur le forum des dépendants sexuels (alors qu’il n’était qu’abruti), qu’il se prenait pour Dark Vador alors que c’était visiblement au-dessus de ses moyens, il n’avait pas l’intelligence de sa maladie… c’est idiot ce que je dis là, évidemment que s’il l’avait, il eut été à moitié guéri. C’est une remontée inopinée d’huile dans le carbu : "l’intelligence de sa maladie" est une expression lue dans "la maladie de la mort" un court texte de Marguerite Duras qui m’avait fait tripper morbidité contemplative il y a bien 20 ans et qui me revient sous les doigts maintenant, m’indiquant qu’elle fut gravée dans la cire molle de mes circonvolutions cérébelleuses. (et ça c’est au moins du Thiéfaine)
Bref, on ne trouve pas vraiment de disciples de Lautréamont ou de Sade chez les porno-toxs, je veux dire de mecs qui tripperaient sur des entités démoniaques, des divinités courroucées… c’est un assortiment assez homogène de mecs prématurément abimés sur le plan du développement affectif et qui du coup s’abyment dans la quète du sein perdu… endossant la posture des "fantomes affamés" du bouddhisme tibétain.
Re-bref, ça m’a fait comprendre qu’il était temps d’aller prendre l’air. Sur le forum, place aux jeunes abstinents. D’ailleurs, à 45 jours de ma dernière branlette, il est temps de me protéger de la femme à tête carrée.
Du coup j’ai cessé de fumer (rires et toussotements génés du public) et réduis progressivement mes doses d’ordinateur, ce qui me laisse du temps libre pour lire les bouddhistes au coin du feu, faire un puzzle de 3000 pièces et observer ce qui s’élève en moi (mis à part le glaive sous la robe austère de la justice) quand j’augmente les doses de sevrage dans l’espoir de déconstruire mon rapport névrotique au réel. J’observe donc des pensées, conventionnelles, conditionnées, suintantes d’angoisses résiduelles, je remonte leurs filières qui débouchent sur des culs-de-sacs logiques ou émotionnels, ce qui les affaiblit temporairement… Pourquoi sommes-nous affublés de cet absurde sentiment de liberté, sans cesse contredit par le treillis hyper-dense du réseau de déterminismes dont nous nous croyons les gérants alors que nous ne sommes le plus souvent que des squatteurs terrés dans les combles ? Pour éviter le suicide au court-bouillon, sans doute. C’est quand je VOIS combien mon esprit réagit de façon bien peu libre, que je me dis qu’à part changer de façon d’apprendre… "penser par moi-même" est une pure fiction qui m’a maintenu en vie, mais à quel prix !

"Je pense parfois que le plus grand accomplissement de la culture moderne est la publicité remarquable qu’elle fait pour le samsara et ses distractions stériles. La société contemporaine m’apparait comme une célébration de tout ce qui nous éloigne de la vérité, nous empêche de vivre pour cette vérité et nous décourage de seulement croire à son existence. Etrange paradoxe que cette civilisation qui prétend adorer la vie mais lui retire en fait toute signification réelle, qui clame sans cesse vouloir rendre les gens "heureux" mais en réalité leur barre la source menant à la joie véritable ! Ce samsara moderne entretient et favorise en nous une angoisse et une dépression dont il se nourrit en retour. Il les alimente par le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité afin de se perpétuer. Il est extrèmement organisé, habile et sophistiqué; il nous assaille de tous côtés avec sa propagande et crée autour de nous un environnement de dépendance presque insurmontable. Plus nous tentons de lui échapper, plus nous semblons tomber dans les pièges qu’il nous pose si ingénieusement."(Sogyal Rinpoche)

Que mes projections émotionnelles aient pour support les stars du porno ou les maitres spirituels, j’ai observé qu’elles sont finalement de même intensité et que leur différence de nature est minime : le porno c’est plutôt maman, les maitres plutôt papa. Dans les deux cas, il s’agit d’une insolvable demande de secours.

"Les gourous ne sont pas aimés, ils sont enviés, détestés, et l’adulation apparente dont ils sont l’objet n’est que le reflet des espoirs qu’on place en eux, espoirs qui seront forcément déçus. L’enseignement des gourous est aussi différent de ce qu’on imagine que leur vie. On croit qu’ils sont des rois vivant dans des palais faits de la reconnaissance et de l’admiration de leurs disciples, et l’on s’imagine devenir des rois grâce à eux. Ils ne sont que des vieux chiens (l’expression n’est pas de moi) abandonnés au bord de la route, et c’est ce qu’ils nous proposent de devenir." (quelqu’un qui n’a finalement pas besoin de lire Chuck Palahniuk pour écrire comme lui et dont je vais finir par croire que mon esprit ne l’a créé que pour m’aider à déconstruire le bourgeois orientophile qui m’habite, ce qui serait une pensée immodeste et erronée)

L’addiction m’a permis d’éprouver la sensation pure de l’attachement au sens bouddhique : puisque la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, elle resserre ainsi le noeud qu’elle prétend relâcher "pour un moment". Commercer avec un toxique dans l’espoir de retrouver un plaisir qui naissait de la fortuité de la rencontre, faut vraiment être baisé de la caisse pour penser que ça peut marcher. D’ailleurs les dépendants évitent de "penser" à leur problème sous peine de s’en créer un autre de dissonance cognitive.
Quel dommage que l’abstinence soit un mot tristounet, qui évoque une ascèse défraichie, soldée pour pauvres d’esprit et minus habens du coeur.
Ce qui m’agaçait dans le bouddhisme sans parvenir à mettre le doigt dessus, c’était que je croyais y lire l’équation désirs = caca. On voit très bien la saisie qu’un esprit craintif peut faire sur le texte de Sogyal, à cheval entre le tract cégétiste anti-samsara et le dépliant publicitaire éloge-de-la-fuite : le bouddhisme faisant l’économie du désir, jette le bébé avec l’eau du bain en assimilant le monde phénoménal à un casino où l’on ne peut que perdre, donc le bouddhisme c’est bon pour les couilles molles. Plus proche de nous, c’est l’attitude de dépit du renard de La Fontaine qui, ne pouvant les saisir, décide que "ces raisins sont trop verts et murs pour des goujats". Maintenant que je constate par moi-même que "choisir, c’est renoncer" se mesure aux résultats, je ne vais pas sombrer dans un moralisme inversé mais tout aussi outré, et prétendre que c’est finalement l’avidité qui est un trip de chochottes. L’avidité, c’est la peur du manque, donc l’ignorance, et basta : d’autres ont écrit tout ce qu’il y avait à en penser. Quant au fait que cette peur du manque soit un des ressorts choisis pour stimuler la croissance économique et alimenter le débat politique, on pourrait en déduire des perspectives rigolotes sur l’élévation prochaine des consciences, mais j’ai mieux à faire : apprendre à me différencier d’un chien savant, qui est déjà un objectif plus raisonnable : finalement, me retenir de remuer la queue quand on me propose un susucre, c’est assez rock’n'roll pour aujourd’hui… Evidemment, la couille molle, c’était la mienne quand j’allais aux cyberputes. Dieu vomit les tièdes, et il leur passe pas un coup de Sopalin après.

Commentaires

  1. Comment se fait-ce que tu n’es pas encore chroniqueur dans un journal ? Je trouve vraiment tes posts géniaux, je ne sais même pas pourquoi, d’ailleurs. Maintenant, en ce qui concerne tes projections émotionnelles, il faut suivre le parcours de l’énergie dans le corps, et effectivement, avec des stars du porno, ça peut marcher aussi bien, voire moieux, qu’avec des maîtres. Après ça, tu vois que le porno n’est pas plus impur que le reste. C’est la vision qui est impure = l’énergie reste coincée à certains endroits et ne se libère pas.

  2. 1/meuh non, c’est toi qui devrais chroniquer dans un journal, moi mon égo prendrait tout le lit. Je deviendrais Guy Carlier. Là je me mords la queue, mais au moins, c’est l’oeuvre au noir ;-)
    2/je comprends “intellectuellement” l’histoire du trajet énergétique, mais comprends aussi que le porno fait à l’estime de soi (en tout cas de ceux qui se cartonnent la tronche avec ) ce que hitler a fait aux juifs, sans parler des dommages collatéraux sur ma vie de couple. Tu me diras peut-être que c’est très bon de bousiller l’estime de soi, on est débarassé, mais non, la mésestime peut s’avérer aussi encombrante. Quel type de travail préconises-tu pour décoincer l’énergie ?
    question subsidiaire : si je trippais sur des empalements de nouveaux-nés, est-ce que ça serait pas un tout p’tit peu impur quand même ?

  3. Il faut prendre l’énergie là où elle est. Et la méthode ne préconise pas la complaisance mais la clarté : il faut voir ce qui se passe, ne pas rejeter, ne pas retenir. Où l’énergie circule-t-elle dans le corps quand on trippe ? Comment est-ce qu’on essaie de la bloquer ici ou là ?

  4. ça me rappelle quand tu me parlais de la clope.
    le problème du “trip”, comme son nom l’indique, c’est qu’on sort de son corps…sans aller nulle part. Si j’essaye de tripper “pour voir ce qui se passe”, je vais me retrouver mal avant d’avoir pigé ce qui m’arrive, et après ça sera trop tard. Tu me demandes de me baser sur “l’idée de la chose, qui n’est pas la chose” : c’était relativement facile avec la clope, avec des dakinis c’est plus tangent.
    on ne change pas une équipe qui gagne ;-)
    ça ne veut pas dire que je ne vais pas essayer !

  5. Comment ça, “on sort de son corps” ? Tu n’es plus dans ton corps quand tu regardes un film X ? Si c’est le cas, il n’y a pas 36 choses à faire, il faut pratiquer la conscience des sensations, ou de la respiration, le plus souvent possible (voir mon site).

  6. ha ben oui, y’a qu’à lire ton journal de pensée perceptive, ça donne vachement envie de s’y mettre… ceci dit, “le plus souvent possible” ça laisse effectivement de la marge quand devant l’émergence de chaque pensée inutile je me dis “ah oui mais ça c’est du passé, c’est parti” et je la laisse s’en aller. Et la pp est meilleure sans tabac et avec 45 minutes de course à pied/jour.
    bon, ton dévédé est parti le 30/11. on pourrait pas se voir ailleurs qu’ici ? les cases sont toutes petites ;-)

  7. Il est tres beau ce post, felicitations :-)

    Bientot le detachement t la liberte…


lundi 7 novembre 2005

ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

L’inutilité relative de mes efforts pour détourner mes condisciples de l’enfer qu’ils se sont eux-même créés ne me fait plus mal au bide. D’ailleurs on ne peut pas dire qu’ils se le soient réellement créés, comme dans toute dépendance
il y a d’abord une rencontre ponctuelle entre le consommateur et le produit, qui se structure ensuite dans le temps. Je vais mettre mon énergie ailleurs, sinon moi aussi je reboirai la tasse quand la mer remontera. Elle remonte toujours un jour ou l’autre.

Ballade en forêt. Jeannette a un radar à cèpes dans le cerveau, moi un radar à girolles. Mais quand je l’enclenche, je suis obligé de shunter le circuit "sensibilité défocalisée à la beauté de la nature sans finalité", c’est un choix déchirant uniquement motivé par la perspective d’une omelette aux champignons. Un peu jaloux de l’hypermédiatisation des violences suburbaines actuelles, j’ai voulu initier un cycle de violences rurales en allant foutre le feu au tracteur du voisin dans sa grange, mais je me suis fait mordre par son clébard.
Dans ces temps obscurs où l’on ne pense qu’à forniquer parce que la société nous a lavé le cerveau à ce sujet, la réaction de tous ces p’tits gars de banlieue pour faire redémarrer l’industrie automobile a quelque chose de salubre, bien qu’eux n’aient guère le choix entre le ridicule et la désespérance, occupés qu’ils sont à détruire méthodiquement, et c’est là la nouveauté, leur environnement sans se préoccuper des lendemains qui déchantent nécessairement : ghettoïsation accélérée, établissement de fait de zones de non-droit, détournement massif de l’électorat vers la droite de Sarkozy, où l’on ne trouve guère que Le Pen et ses sbires, qui ne font rire personne.
La troisième saison de "The Shield" a commencé hier soir sur Canal Jimmy, et un journaliste de Télérama observe que "alors qu’on craint toujours de voir la série basculer définitivement dans le n’importe quoi et l’invraisemblance la plus extrème, Shawn Ryan parvient à maintenir un très précaire équilibre dans cette vertigineuse immersion dans les eaux nauséabondes de la chasse à la délinquance en zone ultrasensible." On devrait l’envoyer en reportage en banlieue pour les pages "faits de société" du magazine, ça le changerait de la télé.

Commentaires

  1. Très belle note
    “FilBlog”

  2. paroles, paroles.
    Tu veux dire quoi au juste?

  3. “Je viens de m’apercevoir que dans les rêves règne le même mécanisme qu’à l’état de veille : le concept se fait passer pour la réalité, et ce avec une outrecuidance (…) Toutes les histoires mirifiques que j’ai cru vivre, je les ai inventées, j’en étais l’unique auteur, et elles n’étaient même pas complètes. Des concepts surgissent, nous en formons une histoire, nous créons le décor adéquat par notre seul désir de les faire vivre.” (flo en 99)
    Quels sont les concepts déployés dans cet article ? “sevrage, ridicule, promenade en forèt, ironie, média, violence réelle & virtuelle, journaliste à télérama.” Bref, un échantillon de désirs, de craintes, d’embryons de pensées, avec un léger enrobage goût praline. Nulle part on n’a affaire à une volonté unifiée qui fédérerait la poignée de tropismes qui agitent le texte. Le style ne fait pas l’homme, il en démontre l’inexistence.
    John “je ne sais ce que j’ai dit que lorsque j’entends la réponse”

mardi 1 novembre 2005

aspirations fondamentales



La semaine dernière, j’ai rêvé que je surfais sur des sites de cul, qui n’étaient pas très bandants mais très commerciaux. Ce rêve me rassure, car ça fait très longtemps que je n’ai pas eu de rêve branché addiction, alors que mes pensées conscientes tournent souvent autour.
Enfin j’appelle ça des pensées conscientes, mais elles ne sont que le ressassement engendré par ce dérèglement ancien de mon système glandulaire.
Le Forum des dépendants génère chez moi une autre forme d’addiction, ce qui est un comble et qui va à contresens de la libération tant souhaitée. Egréner au jour le jour son chapelet d’espoirs et de misères ne permet pas de se détacher suffisamment du problème. Le comparer à celui des autres non plus. Il s’agit de prendre un engagement ferme vis à vis de soi-même sans possibilité de marche arrière, et peu d’entre nous ont assez confiance en eux pour poser le théorème sous cette forme, qui est pourtant la seule viable si l’on y réfléchit bien.
Je me rappelle aujourd’hui ce message :
"Quand on est petit, on a des aspirations fondamentales, ou peut-être même une seule aspiration fondamentale. Devenir. Et devenir quoi ? Devenir soi bien sûr. Et puis voilà que par là-dessus la société nous convainc que soi = quelqu’un d’honnête de vertueux, qui gagne bien sa vie avec une maison à la campagne une femme et 3 gosses. Alors on se met à vouloir tout ça. Et puis à un moment on a vaguement l’impression qu’on s’est fait arnaquer, mais on n’arrive pas à voir où, alors puisque c’est comme ça on décide éventuellement de devenir une larve : ne plus rien vouloir, puisqu’on n’a pas eu ce qu’on voulait.
Mauvais calcul, parce qu’on vient de jeter le bébé avec l’eau du bain. Soi, c’est du désir. Désir d’être soi, de se connaître… (=Dieu se manifeste pour s’aimer lui-même à travers sa création).
Il faut en revenir à ce qu’on désirait quand on était petit, se remettre dans cet état d’esprit, et repartir de là sans se laisser influencer par les autres."

si je vous disais que celle qui a écrit ça vend du porno gay, vous croiriez que j’ai trop lu Chuck Palahniuk. Je me demande si elle, elle en a lu.
Ce n’est pas des mots qu’il faut se méfier, ni même de ceux qui les prononcent. C’est de notre tendance à nous en contenter.
Du coup, les rengaines éculées prétextent de leur familiarité pour prendre tout le lit : auto-apitoiement, immaturité… Ne leur donne rien à becqueter, c’est à dire le moins possible.
Ne pas perdre de vue que nous avons des problèmes de nantis (par opposition à la majorité des habitants de la planète, qui ont des problèmes de survie)
Je rêve de trouver sur le Web un endroit qui soit l’équivalent sensoriel d’un cimetière silencieux, battu par les vents, auquel on accèderait après une longue marche dans des sous-bois feuillus, où j’aie le loisir de me re-cueillir (bien qu’il n’y ait "personne" et "rien" à cueillir sous peine de sombrer again dans l’autoérotisme nonsensique) et surtout de sortir du mental, ce pendule qui oscille indéfiniment dans un espace à trois dimensions : la peur, la colère, le désir…
Heureusement, ça n’existe que dans la réalité, et je n’ai qu’à enfiler mes bottes pour le trouver derrière chez moi.
Lecture recommandable de premier novembre : Le livre tibétain de la vie et de la mort, par Sogyal Rinpoché
(Le Livre de Poche)

Commentaires

  1. mince, mais t’as changé la photo ! Pourquoi ? la précédente avec le chien était absolument géniale !

  2. elle reviendra !
    tout ce qui s’en va revient !
    j’ai préféré ce photomaton de moi à 17 ans pour marquer l’accent tonique sur “repartir de quand on était petit”, l’autoportrait en “chien avec shooteuse” est bien plus tardif !

jeudi 27 octobre 2005

chacun la sienne




Au début de mon abstinence de porno, un copain m’a envoyé cette photo de femme à poil, composée de milliers d’autres photos de femmes à poil. C’est à peine croyable, d’autant plus que je peux pas vous la montrer plus grosse que ça, sinon Le Monde éradique mon blog au nom de l’holographie lolographique. Bref,j’ai bien failli rechuter, mais le message était passé : il s’agit d’augmenter progressivement mon seuil de tolérance à la frustration. En effet, que nous le voulions ou non, nous allons continuer de vivre dans un monde où la fausse abondance de sexe (qui n’est qu’un excès de représentation) cache ET révèle une grande misère… que nous cautérisions à coup d’égoîsme et de culpabilité qui nous ont mené dans des enfers qui nous contraignent à nous en sortir coûte que coûte. D’ailleurs, au bout d’un moment ce n’est plus tant le sevrage qui nous fait souffrir mais les rechutes, là on se doute qu’il y a un basculement énergétique tout à fait positif.



témoignage d’un mineur


lu aujourd’hui sur le forum

http://orroz.forumactif.com/index.forum :

"Bonsoir.
En ce moment, c’est la période des vacances scolaires pour moi. J’ai 17 ans, je suis lycéen en terminale littéraire. Mon rêve, c’est être écrivain ; je m’y exerce autant que je peux. Et j’ai vu mon premier porno à environ six ans.
Petit historique:
Je me rappelle. Lorsque j’étais petit, ma mère m’enregistrait tout les épisodes de Tintin et Milou sur cassette. Après l’école, j’avais droit à un ou plusieurs épisodes. Lorsque j’ai été assez grand pour mettre une cassette dans le magnétoscope, et pour que ma mère me laisse seul plus de deux heures, en fouillant dans toutes les VHS pour retrouver mes épisodes, en passant les cassettes une part une, je suis tombé la-dessus. Un gros plan, crade à vomir. J’appelle ma soeur. Elle a douze ans, six de plus que moi. Elle est curieuse. Elle regarde. Un autre jour elle fait venir des potes à la maison, eux ils sont habitués. Moi je regarde encore ça, dégoûté mais fasciné. Fasciné par quelque chose qui m’a aggripé et ne m’a plus lâché. Je revoyais ces images même quand elles n’étaient pas là, et lorsque je ne m’en rappellais pas, j’essayais de les retrouver dans tout et n’importe quoi.
Je suis déçu. De ce que j’ai raté. Je sais que j’aurai pu être un vrai romantique s’il n’y avait pas eu cette conspiration.
Les sujets du collège entre mecs donnaient dans le "putain elle est bonne !". En Art plastique, on se démerdait pour trouver des images X ou érotiques, même on découpait des mannequins de la section lingerie féminine des catalogues par correspondance, et on faisait nos projets avec. Ca nous faisait marrer. Le prof nous disait "bande de ptits pervers" et ça s’arretait là.
Fin collège, lycée : Je sombre dans le "plus en plus sale et avilissant". C’est une escalade. Une chute libre. Où on a presque pas de prise. Il faut faire l’effort de sortir le parachute. Et d’abord prendre conscience que si on ne le fait pas on va s’écraser, et peut-être en écraser d’autre. Mais le mal est déjà fait.
Lorsque j’ai découvert la maladie, que j’ai pris conscience qu’il est anormal que je puisse passer des après-midi entière seul à me masturber devant un porno, que je puisse veiller des heures à attendre la diffusion du film du soir… j’ai pris peur. Je me suis dis que j’allais devenir violeur, psychopate, dingue. Qu’il fallait que je me fasse soigner avant de déraper sur une fille au hasard d’une rue, une pulsion qui me serrait sortie d’on ne sait où. J’ai eu peur, parce que je me disais que si ça continuait à empirer, à s’accélerer, bientôt les images ne me suffiraient plus. J’en étais au stade porno-branlette-sopalin, mais j’avais vraiment peur pour la suite. Alors j’ai choisi fait un article sur mon blog, où j’annonçais ma dépendance. Je me suis dit, il y en aura bien un ou une qui devinera, parmis mes amis. Y’en a une qui a deviné, une autre à qui j’ai fais confiance.
Finalement, je n’étais pas le monstre que je me voyais devenir.
Pourtant, quand on a eu des périodes à deux à trois heures de porno quotidien, on sent bien qu’on a pas le même regard sur les gens que s’il n’y avait pas eu. Et c’est d’être l’auteur de ce regard là qui fout la trouille. Ne l’avait vous jamais eu, ce regard ?
Ma première relation amoureuse s’est soldée d’un dépucelage commun au bout d’un mois. Les rapports ont vite tourné à la "pornographie", en tout cas, ce n’était pas les rapports digne de deux adolescents amoureux. C’était du sexe. De la course au plaisir et au fantasme, des positions qui s’enchainaient.
J’ai pris conscience de la véracité de ma dépendance, de mon addiction au moi de juillet de cette année. Je me suis inscrit sur un forum, et j’ai lâché stupidement au bout d’environ un mois.
Je viens de tenir trois mois. J’ai craqué il y a quelques jours. C’est bizarre, comme ça semble intemporel. Il faudrait que je pointe les dates, car je suis incapables de dire exactement il y a combien de jour j’ai craqué, pourtant c’est si récent…
Il y a trois heures, j’ai eu ma dose. Injectée directement au cerveau par le nerf optique. C’est étrange, comme le porno perd de la saveur une foi que "pfiout". Comme ça perd son intérêt.
Une fois le petit rituel accompli, je me sens… malpropre. Informe. Aliéné, hybride. Possédé, en fait. Oui, possédé. Anesthesie de la raison, et seul un "pourquoi pas, vas-y, puisque ça te tente. Tu arrêteras plus tard. Imagine-toi ce que le manque pourrait te faire faire."
Lorsque j’ai arreté pendant ces trois mois, mon "taux hebdomadaire" de masturbation c’est nettement accru. Comme un besoin d’évacuer toutes ces images. Pendant trois mois, j’ai évité tout contact avec quoi que ce soit de pornographique ou à caractères sexuelles. Je méprisais les affiches choquantes de lingerie, fermait les yeux comme les enfants devant les érotiques des films. Et toutes les images que j’avais pu garder, j’avais presque tout usé avant ma dernière rechute. Il ne restait presque plus rien, je me disais peut-être que je pourrais réapprendre le sexe come une chose naturel, réapprendre la sensualité sincère et sans ambitions dévorantes. Et paf. En plein dedans. Alors je coupe cours en venant ici. Je ne veux pas me repourrir le cerveau. Me refoutre ces calques porno devant les yeux. Ne plus me haïr après avoir éjaculé.
Je veux remépriser ces putains d’affiches de lingerie, de filles en string et le cul en buse, au lieu de les guetter. Ne plus être victime. Ne plus me victimiser.
Être responsable. Parce que c’est ça l’enjeu. Quand je cède à mon petit rituel "je rentre l’adresse dans la barre d’adresse et je décolle !", c’est un moment où je quitte tout. C’est un moment où il n’existe plus rien que moi et le désir, moi et les images. Moi qui subis comme une chose, un objet. Pourquoi se sent-on souillé, sale, après ? Parce que pendant un instant on s’est privé soi-même de ce qui fait que l’on est humain. Parce que pendant un instant on a perdu toute dignité. Honte, haine de soi. Besoin de cacher. Mais je montre. Je souffre, mais dans l’anonymat j’exhibe. J’expose cette vermine pour qu’elle flambe sous vos regards. J’ai 17 ans, je suis accroc au porno."

Voilà pour l’autoportrait d’une génération en train d’être salement bousillée. Peut-être que ce garçon va devenir un nouveau Bret Easton Ellis, et peut-être pas. Dans un mail suivant, il dit "Ecrire sur ma difficulté avec le porno, c’est comme… ça serait comme vomir. Alors si je devais vomir ce que je ressens tout les jours… "
Pour déconstruire sa relation au porno, ce jeune homme va avoir besoin que nous lui tenions la bassine. S’il a tenu trois mois rien qu’à lire nos partages sans éprouver le besoin de danser avec les loups, il y a de l’espoir.
J’identifie maintenant ce qui m’a fait récemment rechuter : l’exaltation liée au sentiment de triomphe d’avoir vaincu "la Bête", ainsi qu’une omniprésence plutôt vindicative sur le forum des dépendants, et la reconnaissance unanime de mes pairs. Voilà ce qui arrive quand on parle trop et qu’on n’agit pas assez. Autant pour moi…. et avis aux amateurs de rechutes carabinées.
Je balance tout ça un peu en vrac parce qu’aujourd’hui, une conjointe
de porno-dépendant nous a narré au comble de l’affliction qu’elle avait un mari qui se prenait en
photo en train de se masturber, et j’ai trouvé ça à hurler de rire dans le genre raccourci saisissant de l’Ourouboros, le serpent sacré qui se mord la queue, bien qu’à la réflexion
un lecteur peu amène puisse songer que la rédaction de ce carnet relève d’une pratique apparentée.