jeudi 17 novembre 2005

Le bonheur dans l’abstinence : la religion des couilles molles ?



Expérience nouvelle et nécessaire : j’ai laissé mon ordinateur éteint pendant 3 jours, suite au fait que j’avais traité un mec de connard sur le forum des dépendants sexuels (alors qu’il n’était qu’abruti), qu’il se prenait pour Dark Vador alors que c’était visiblement au-dessus de ses moyens, il n’avait pas l’intelligence de sa maladie… c’est idiot ce que je dis là, évidemment que s’il l’avait, il eut été à moitié guéri. C’est une remontée inopinée d’huile dans le carbu : "l’intelligence de sa maladie" est une expression lue dans "la maladie de la mort" un court texte de Marguerite Duras qui m’avait fait tripper morbidité contemplative il y a bien 20 ans et qui me revient sous les doigts maintenant, m’indiquant qu’elle fut gravée dans la cire molle de mes circonvolutions cérébelleuses. (et ça c’est au moins du Thiéfaine)
Bref, on ne trouve pas vraiment de disciples de Lautréamont ou de Sade chez les porno-toxs, je veux dire de mecs qui tripperaient sur des entités démoniaques, des divinités courroucées… c’est un assortiment assez homogène de mecs prématurément abimés sur le plan du développement affectif et qui du coup s’abyment dans la quète du sein perdu… endossant la posture des "fantomes affamés" du bouddhisme tibétain.
Re-bref, ça m’a fait comprendre qu’il était temps d’aller prendre l’air. Sur le forum, place aux jeunes abstinents. D’ailleurs, à 45 jours de ma dernière branlette, il est temps de me protéger de la femme à tête carrée.
Du coup j’ai cessé de fumer (rires et toussotements génés du public) et réduis progressivement mes doses d’ordinateur, ce qui me laisse du temps libre pour lire les bouddhistes au coin du feu, faire un puzzle de 3000 pièces et observer ce qui s’élève en moi (mis à part le glaive sous la robe austère de la justice) quand j’augmente les doses de sevrage dans l’espoir de déconstruire mon rapport névrotique au réel. J’observe donc des pensées, conventionnelles, conditionnées, suintantes d’angoisses résiduelles, je remonte leurs filières qui débouchent sur des culs-de-sacs logiques ou émotionnels, ce qui les affaiblit temporairement… Pourquoi sommes-nous affublés de cet absurde sentiment de liberté, sans cesse contredit par le treillis hyper-dense du réseau de déterminismes dont nous nous croyons les gérants alors que nous ne sommes le plus souvent que des squatteurs terrés dans les combles ? Pour éviter le suicide au court-bouillon, sans doute. C’est quand je VOIS combien mon esprit réagit de façon bien peu libre, que je me dis qu’à part changer de façon d’apprendre… "penser par moi-même" est une pure fiction qui m’a maintenu en vie, mais à quel prix !

"Je pense parfois que le plus grand accomplissement de la culture moderne est la publicité remarquable qu’elle fait pour le samsara et ses distractions stériles. La société contemporaine m’apparait comme une célébration de tout ce qui nous éloigne de la vérité, nous empêche de vivre pour cette vérité et nous décourage de seulement croire à son existence. Etrange paradoxe que cette civilisation qui prétend adorer la vie mais lui retire en fait toute signification réelle, qui clame sans cesse vouloir rendre les gens "heureux" mais en réalité leur barre la source menant à la joie véritable ! Ce samsara moderne entretient et favorise en nous une angoisse et une dépression dont il se nourrit en retour. Il les alimente par le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité afin de se perpétuer. Il est extrèmement organisé, habile et sophistiqué; il nous assaille de tous côtés avec sa propagande et crée autour de nous un environnement de dépendance presque insurmontable. Plus nous tentons de lui échapper, plus nous semblons tomber dans les pièges qu’il nous pose si ingénieusement."(Sogyal Rinpoche)

Que mes projections émotionnelles aient pour support les stars du porno ou les maitres spirituels, j’ai observé qu’elles sont finalement de même intensité et que leur différence de nature est minime : le porno c’est plutôt maman, les maitres plutôt papa. Dans les deux cas, il s’agit d’une insolvable demande de secours.

"Les gourous ne sont pas aimés, ils sont enviés, détestés, et l’adulation apparente dont ils sont l’objet n’est que le reflet des espoirs qu’on place en eux, espoirs qui seront forcément déçus. L’enseignement des gourous est aussi différent de ce qu’on imagine que leur vie. On croit qu’ils sont des rois vivant dans des palais faits de la reconnaissance et de l’admiration de leurs disciples, et l’on s’imagine devenir des rois grâce à eux. Ils ne sont que des vieux chiens (l’expression n’est pas de moi) abandonnés au bord de la route, et c’est ce qu’ils nous proposent de devenir." (quelqu’un qui n’a finalement pas besoin de lire Chuck Palahniuk pour écrire comme lui et dont je vais finir par croire que mon esprit ne l’a créé que pour m’aider à déconstruire le bourgeois orientophile qui m’habite, ce qui serait une pensée immodeste et erronée)

L’addiction m’a permis d’éprouver la sensation pure de l’attachement au sens bouddhique : puisque la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, elle resserre ainsi le noeud qu’elle prétend relâcher "pour un moment". Commercer avec un toxique dans l’espoir de retrouver un plaisir qui naissait de la fortuité de la rencontre, faut vraiment être baisé de la caisse pour penser que ça peut marcher. D’ailleurs les dépendants évitent de "penser" à leur problème sous peine de s’en créer un autre de dissonance cognitive.
Quel dommage que l’abstinence soit un mot tristounet, qui évoque une ascèse défraichie, soldée pour pauvres d’esprit et minus habens du coeur.
Ce qui m’agaçait dans le bouddhisme sans parvenir à mettre le doigt dessus, c’était que je croyais y lire l’équation désirs = caca. On voit très bien la saisie qu’un esprit craintif peut faire sur le texte de Sogyal, à cheval entre le tract cégétiste anti-samsara et le dépliant publicitaire éloge-de-la-fuite : le bouddhisme faisant l’économie du désir, jette le bébé avec l’eau du bain en assimilant le monde phénoménal à un casino où l’on ne peut que perdre, donc le bouddhisme c’est bon pour les couilles molles. Plus proche de nous, c’est l’attitude de dépit du renard de La Fontaine qui, ne pouvant les saisir, décide que "ces raisins sont trop verts et murs pour des goujats". Maintenant que je constate par moi-même que "choisir, c’est renoncer" se mesure aux résultats, je ne vais pas sombrer dans un moralisme inversé mais tout aussi outré, et prétendre que c’est finalement l’avidité qui est un trip de chochottes. L’avidité, c’est la peur du manque, donc l’ignorance, et basta : d’autres ont écrit tout ce qu’il y avait à en penser. Quant au fait que cette peur du manque soit un des ressorts choisis pour stimuler la croissance économique et alimenter le débat politique, on pourrait en déduire des perspectives rigolotes sur l’élévation prochaine des consciences, mais j’ai mieux à faire : apprendre à me différencier d’un chien savant, qui est déjà un objectif plus raisonnable : finalement, me retenir de remuer la queue quand on me propose un susucre, c’est assez rock’n'roll pour aujourd’hui… Evidemment, la couille molle, c’était la mienne quand j’allais aux cyberputes. Dieu vomit les tièdes, et il leur passe pas un coup de Sopalin après.

Commentaires

  1. Comment se fait-ce que tu n’es pas encore chroniqueur dans un journal ? Je trouve vraiment tes posts géniaux, je ne sais même pas pourquoi, d’ailleurs. Maintenant, en ce qui concerne tes projections émotionnelles, il faut suivre le parcours de l’énergie dans le corps, et effectivement, avec des stars du porno, ça peut marcher aussi bien, voire moieux, qu’avec des maîtres. Après ça, tu vois que le porno n’est pas plus impur que le reste. C’est la vision qui est impure = l’énergie reste coincée à certains endroits et ne se libère pas.

  2. 1/meuh non, c’est toi qui devrais chroniquer dans un journal, moi mon égo prendrait tout le lit. Je deviendrais Guy Carlier. Là je me mords la queue, mais au moins, c’est l’oeuvre au noir ;-)
    2/je comprends “intellectuellement” l’histoire du trajet énergétique, mais comprends aussi que le porno fait à l’estime de soi (en tout cas de ceux qui se cartonnent la tronche avec ) ce que hitler a fait aux juifs, sans parler des dommages collatéraux sur ma vie de couple. Tu me diras peut-être que c’est très bon de bousiller l’estime de soi, on est débarassé, mais non, la mésestime peut s’avérer aussi encombrante. Quel type de travail préconises-tu pour décoincer l’énergie ?
    question subsidiaire : si je trippais sur des empalements de nouveaux-nés, est-ce que ça serait pas un tout p’tit peu impur quand même ?

  3. Il faut prendre l’énergie là où elle est. Et la méthode ne préconise pas la complaisance mais la clarté : il faut voir ce qui se passe, ne pas rejeter, ne pas retenir. Où l’énergie circule-t-elle dans le corps quand on trippe ? Comment est-ce qu’on essaie de la bloquer ici ou là ?

  4. ça me rappelle quand tu me parlais de la clope.
    le problème du “trip”, comme son nom l’indique, c’est qu’on sort de son corps…sans aller nulle part. Si j’essaye de tripper “pour voir ce qui se passe”, je vais me retrouver mal avant d’avoir pigé ce qui m’arrive, et après ça sera trop tard. Tu me demandes de me baser sur “l’idée de la chose, qui n’est pas la chose” : c’était relativement facile avec la clope, avec des dakinis c’est plus tangent.
    on ne change pas une équipe qui gagne ;-)
    ça ne veut pas dire que je ne vais pas essayer !

  5. Comment ça, “on sort de son corps” ? Tu n’es plus dans ton corps quand tu regardes un film X ? Si c’est le cas, il n’y a pas 36 choses à faire, il faut pratiquer la conscience des sensations, ou de la respiration, le plus souvent possible (voir mon site).

  6. ha ben oui, y’a qu’à lire ton journal de pensée perceptive, ça donne vachement envie de s’y mettre… ceci dit, “le plus souvent possible” ça laisse effectivement de la marge quand devant l’émergence de chaque pensée inutile je me dis “ah oui mais ça c’est du passé, c’est parti” et je la laisse s’en aller. Et la pp est meilleure sans tabac et avec 45 minutes de course à pied/jour.
    bon, ton dévédé est parti le 30/11. on pourrait pas se voir ailleurs qu’ici ? les cases sont toutes petites ;-)

  7. Il est tres beau ce post, felicitations :-)

    Bientot le detachement t la liberte…


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