dimanche 26 février 2006

Forever old





Les vieux Motorhead, c’est ma madeleine de Proust. L’intro d’Overkill avec double grosse caisse, à chaque fois que je la mettais sur la platine dans ma chambre à l’étage, ma mère courait à la buanderie du sous-sol parce qu’elle croyait que c’était la machine à laver qui partait en vrille. Salauds de gosses. J’étais trop petit bourgeois et anxieux du regard de mes parents pour foirer mes études, mais ce boucan d’enfer qui donnait l’impression de mettre deux doigts dans la prise du début à la fin du vynile me procurait de délicieux frissons de délinquance sonore. Je ne comprenais rien aux paroles (de toute façon les amplis étaient gradués jusqu’à 11 et on comprend aux éructations de Lemmy Kilminster, transfuge du psychédélique Hawkwind, qu’il s’agit d’un message à caractère informatif sur l’urgence de vivre et de faire tout ce qu’une enveloppe humaine peut supporter, quel qu’en soit le risque) mais la brutalité du son me ravissait sur le plan énergétique. Je percevais une certaine intégrité dans ce jusqu’au-boutisme sans fioritures alors que mes condisciples lycéens s’égaraient avec AC/DC dans une frénésie de poseurs à voix suraigües dont l’adolescent pubère constituait manifestement le coeur de cible.

December’s child, the only one,
What I do is what I’ve done,
I realize, I get so cold,
When I was young I was already old,
My life, my heart, black night, dark star, Capricorn.

Vraiment la bande-son idéale pour faire son repassage le dimanche.
La simplicité du riff de Bomber confine à la rouerie, mais laissez-le vous occuper le cerveau pendant les 3 minutes 40 de la durée réelle du morceau : l’expérience sera moins ennuyeuse que de répéter 2000 fois le mot "cuiller", dose suffisante pour qu’il ait perdu pas mal de sa cuillerité sans acquérir de qualité intrinsèque autre, mais il vous en restera assez pour pénétrer dans le monde merveilleux des mantras, et vous risquez fort de vous surprendre à fredonner ledit riff au cours de la journée.
Je n’ai jamais prété foi au folklore sataniste qui entourait certains groupes de hard-rock, et ne comprenais pas le sérieux des enragés de la chose (je n’étais néanmoins pas assez inconscient pour en rire ouvertement et risquer un cassage de gueule discount) : jeans raides de crasse, mauvaise bière et filles masculinisées. Ils en avaient autant à mon service : j’avais l’air d’un étudiant flippé qui cherchait à s’encanailler à bon compte. La séduction qu’exerçait sur moi cette transgression méthodique des règles du bon goût, cet appel à la fureur et à la destruction préfigurait sans doute l’appel des sirènes du porno : le hard, comme le porno, procède par identification, et vous vous attribuez un peu vite les qualités - invulnérabilité du chef viking en colère (et si possible incarné par Michael Chiklis) pour l’un, puissance virile pour l’autre - de ce que vous consommez. Mais pour s’y croire vraiment, rien de tel que de reproduire un comportement, et je jouais aussi mal, aussi fort et aussi seul de mon Ibanez imitation Les Paul et de mon Novanex 100 watts que de ma bistouquette 15 ans plus tard, ce qui semble indiquer la supériorité de la masturbation sur le hard-rock pour assurer la paix sociale dans les quartiers sensibles, Chirac l’a bien compris quand il parlait de réduire la fracture numérique dans le pays.

Commentaires

  1. J’aime bien les mélodies du hard, le problème c’est que le son est super délétère au niveau du corps énergétique. Tiens je vais faire un post…

  2. ah la la…y’en a pas un qui m’aurait dit que mon lien ne marchait pas et que pendant 2 jours on a vu mon nom pas secret du tout à la place du mp3 de la mort… ni que mon ton professoral de rock-critic frustré masquait mal mon narcissisme compassé qui, ne pouvant plus se nourrir de porno, est obligé de se rabattre sur les valeurs sûres…

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