dimanche 9 avril 2023

Estropiés faisant vachement gaffe à la marche (3)

Pour faire du potager pieds nus,
attention de bien être à jour
de votre rappel anti-t'es Thanos
Après toute cette rééducation sur La Voie du Cimetière, ton pied va mieux. Tu peux à nouveau te déplacer librement dans la maison, prendre ta voiture, aller faire les courses, à manger, le ménage, défiler avec la CGT-FranceTV dans les manifs contre la réforme des retraites en laissant ta béquille dans la voiture pour qu'elle ne soit pas confondue par les CRS avec une arme par destination, et préparer ton jardin pour la campagne de printemps. 
Comme on t'a suggéré d'aller en bord de mer marcher dans le sable pour accélérer ta convalescence, tu mets au point une méthode innovante de renforcement de la voûte plantaire, en retournant le potager pieds nus; tu lances aux poules les grasses larves de hannetons que tu exhumes entre 10 et 20 cm de profondeur, et qui semblent des créatures imaginées par David Cronenberg, dans la terre meuble que tu enrichis ensuite avec le fumier récupéré il y a des années chez ta belle-mère albigeoise, celle qui a passé l'arme à gauche il y a deux mois. 
Tu sens que tu te remuscles sous le pied de façon très rapide, l'exercice est presque aussi puissant que quand tu prends la posture sur ton pied cassé de Jésus-Christ sur une croix gammée pour faire marrer le kinésithérapeute, il ne te vient pas à l'idée d'en faire un tutoriel sur youtube pour les gens qui habitent loin de la mer, mais il te semble que le microdosage de psychédéliques t'apporte un gain substantiel de créativité, comme annoncé dans les brochures, que tu ne penses pas pouvoir mettre sur le dos de l'effet placebo, et si la liberté consiste à faire tout ce que permet la longueur de la chaine, tu sens que tu viens de lui ajouter quelques maillons, et ta life en profite, malgré le manque de sommeil accumulé depuis début février. 
Et tu minimises les désagréments et variations d'humeur de ces dernières semaines, parce que tu ne désirais interrompre l’expérience qu’en cas de franchissement de ligne jaune, en même temps, par rapport aux débordements passés, y’a pas eu trop de casse jusqu’à aujourd'hui, à part l'aile avant gauche de ta bagnole fatiguée et la plaque pectorale de ton coeur d'artichaud, malgré la lassitude perceptible des proches devant ce qu'ils prennent pour une fantaisie saisonnière pas indispensable, y'a pas eu de compulsion, pas d'effondrement dépressif, et par rapport à ton objectif premier - te rebrancher sur tes émotions - c'était intense, mais tu peux dire que t’en as eu pour ton argent. Tu as surréagi au départ de ton ancienne amie, c’est clair. Mais tu avais du unfinished business avec elle (que tu n'as pas étalé ici, c'est bien, tu progresses, baisse la tête et t'auras l'air d'un bloggueur de fond, ce que tu admets être, at last & in fine) que tu n’aurais peut-être pas entrepris de travailler sans cette curieuse conjonction astrale avec l'arrêt du régulateur d'humeur, le microdosage de psilo et la marée d'équinoxe à Perros-Guirec.

Devant l'église qui jouxte le cabinet de ton psy, 
la municipalité fait aussi la grève
des poubelles émotionnelles, comme ta femme.
Que Jésus-Christ amen lui-même la benne !
Tu as même convaincu le psychiatre qui t'accompagne depuis 12 ans de ne pas reprendre le lithium pour le moment. Je ne veux pas vous ramasser à la petite cuiller, t’a-t-il dit, et il te connait bien, et il accepte quand même de partager ta prise de risque, donc c’est globalement positif, tout ça, à part le fait que ça nous rendra pas la défunte, bien sûr. 
Anyway, toi, ça fait longtemps que tu l'avais perdue, malgré toute cette belle énergie pour te faire croire que tu l'as retrouvée. Entre vous deux, c'est un peu comme dans la chanson de Vincent Delerm, « Fanny Ardant et moi » : 
"On écoute du chant grégorien
Elle parle à peine et moi je dis rien
On a une relation comme ça
Fanny Ardant et moi (..)
Elle est posée sur l’étagère
Entre un bouquin d’Eric Holder
Un chandelier blanc Ikea
Et une carte postale de Maria"

De toute façon, quand on est up, tous les prétextes sont bons pour rester là-haut, et profiter de la vue. Ta cure de psilocybine se termine, tu espères maintenant redescendre doucement dans la vallée, en évitant les précipices, au fond desquels la présence d'ascenseurs n'est jamais certaine, comme le dit ce poète du bas-astral que tu réécoutes un peu trop ces jours-ci pour être tout à fait chelou, ou alors, si, en fait
De savoir que tu es allé à son enterrement sous champis, même microdosés, ça aurait bien fait marrer ta copine, enfin, telle que tu l'as connue dans ton segment temporel interrompu en 83, en tout cas. C'est avec elle que tu en prenais, les rares fois où tu y as goûté. Il te faut maintenant laisser le soufflé émotionnel retomber, tu en as réussi un bien gratiné sur le dessus, c'est vrai, retrouver un sommeil régulier, et patienter quelques semaines pour capter ce que t'as réellement retiré de l'expérience. avant de te demander vers où tu veux maintenant aller, avec ou sans psychédéliques. 
C'était quoi, ce trip ? As-tu fait l'amour avec un fantôme, dans ta tête ? 
As-tu enfin donné une sépulture décente à ta jeunesse ? 
As-tu pris une grosse murge émotionnelle pour rien, sur ton blog, cette perche à selfies dont tu te croyais sevré ? 
As-tu découvert l’ingrédient mystère de la recette de la pâte à tartiner les regrets éternels, avec un enthousiasme non feint ?… tu crois avoir vécu ce que Castaneda, Ignace de Loyola et Flopinette de la Croisette appelaient une récapitulation, ou « examen de conscience » chez les AA; elle s’agrémente d’une évaluation « est-ce que j’ai été bon, mauvais, neutre ? » dans une version assez reposante, puisque personne ne te juge, même pas toi-même. C'est pas banal. C'est pas ton genre.

fragment de tutoriel portant sur la récapitulation
retrouvé dans une poubelle, devant l'évéché.
Attention, n'essaye pas de refaire ça chez toi,
sinon finie la garantie !

De plus, les circonstances ont nimbé l'évènement d'un halo de synchronicité vaguement miraculeuse, des coïncidences heureuses, petites et grandes, se produisent depuis le début de la randonnée, tu évites de t'évanouir de joie à chaque fois que tu les remarques, car sinon cela signifierait que tu en es la source et que tu t'auto-intoxiques avec ton up, tu les prends juste comme des signaux positifs te confortant dans l'idée que c'était une bonne décision de venir, même si tes raisons étaient loin d'être sans mélange, tout s'est bien enquillé, c'est ma foi vrai, comme si l'esprit de l'Univers t'avait fait confiance et voulait te dire des trucs sympas, qu'il pensait vraiment, tout en soustrayant ton amie du monde sensible, mais n'en fais pas une affaire personnelle, il a fait un temps splendide, et franchement ce fut une très belle journée, mais ma p'tite soeur qui est tombée de la falaise et il va falloir que je vous quitte ce soir messieurs dames... 
et demain, ça s'ra vachement mieux !
Tu as conservé les yeux ouverts au milieu des vagues de chagrin quand elles te submergeaient, tu n’as ni toussé ni craché. Même pas mal.
Et encore plus mieux, tu as pu comprendre par les témoignages de ses proches, qu'elle avait finalement accédé à une certaine forme d’accomplissement, dans sa destinée de prof de français adorée par ses élèves, dont l'amour l'avait soutenue jusqu'au bout de sa longue maladie.

A vingt ans, on croyait que le cul et l'herbe
pouvaient être le ciment du couple.
Ils ne cimentèrent que son caveau.
Le risque de lui nuire s'est éteint avec elle. Pour lui parler, ne serait-ce que pour la féliciter de son parcours, tu n’as plus besoin d’aucun intermédiaire. 
Tu l'appelles quand tu veux. 
Même si l'idée maîtresse, maintenant, c'est de la laisser partir. Elle l'a bien mérité, son repos éternel. Son photomaton de 1982, sur lequel tu as louché pendant une bonne quinzaine, ayant compris le pouvoir mortifère qu’il exerçait sur ton cerveau en surchauffe, est magnifié par sa disparition, mais il montre aussi qu'il ne faut pas trop s’attacher aux apparences, sinon, on se prépare d'atroces souffrances, puisque tout change tout le temps. Le seul organe qui se bonifie, tandis que beaucoup d’autres fatiguent et flanchent, et nous font des mauvaises blagues, c’est le coeur : lui seul est doté du pouvoir de guérison, et de se régénérer, et de gagner en maturité, s’il a de la chance dans ses aventures. 
Les images sont donc à la fois vraies et piégeuses, transformant la vérité d’un instant passé en une petite éternité : celle de notre regard. Elles interrogent notre rapport au temps, à la mortalité. Le reflet pâli de l’être aimé, qui resplendit de vie à partir d’un petit photomaton noir et blanc, peut nous briser le coeur, ou alors nous rappeler au devoir d’essayer de vivre à la hauteur des combats menés; même si le départ définitif semble une défaite, et même si l’impression qui domine pour l’instant est celle de l’accablement devant la perte.

Quand j'ai fait faire chez U des agrandissements de mon photomaton de 82 de la disparue,
j'ai bien revécu mes émotions avec leur intensité originelle, alors que j'aurais préféré une péridurale,
mais  je n'ai pas bien capté toutes les implications, qui ne me sont apparues qu'hier, 
en allant à la mer et en découvrant le chemin de la Culée, du côté de Saint-Jean-de-Monts.
Je vais peut-être rédiger une version franchement ordurière pourle site Complots Faciles,
 parce que là c'est encore un peu tangent.

Je suis sous le coup d’une émotion que je crois saine.
Les deuils, les pertes, sont des moments où l’on peut lâcher les vannes, et laisser couler ce qui doit être « libéré », afin que la personne disparue puisse elle aussi partir, ne pas être retenue par notre chagrin bien souvent aggravé par le sentiment de ce qui était perfectible, de l’idée pernicieuse et égotiste qu’on aurait pu mieux s’y prendre, et ainsi parvenir à une vie meilleure. C’est là qu’il faut faire gaffe à pas se prendre les pieds dans le tapis, aveuglé par les larmes quand même bienvenues, puisque comme le rappelle un lama qui n’est pas Serge« Il est des souffrances inévitables, et d'autres que nous nous créons. Trop souvent, nous perpétuons notre douleur, nous l'alimentons mentalement en rouvrant inlassablement nos blessures, ce qui ne fait qu'accentuer notre sentiment d'injustice. Nous revenons sur nos souvenirs douloureux avec le désir inconscient que cela sera de nature à modifier la situation - en vain. Ressasser nos maux peut servir un objectif limité, en pimentant l'existence d'une note dramatique ou exaltée, en nous attirant l'attention et la sympathie d'autrui. Maigre compensation, en regard du malheur que nous continuons d'endurer. »
Je l'aimais beaucoup, j'ose espérer qu'elle aussi, elle a beaucoup compté pour moi, avec sa fantaisie, sa générosité et sa confusion, on a vécu une relation houleuse, on pensait que la liberté consistait à faire ce qui nous plaisait, et l’apprentissage des responsabilités de la vie d’adulte, et des épreuves qui attendent les gens qui prétendent imprudemment se mettre « en couple » nous intéressait bien moins que d’expérimenter des trucs et des machins, quitte à se faire mal et à en tirer des leçons de vie, mais pas toujours. A tel point que nous ne pûmes nous pardonner certaines erreurs, et dûmes nous séparer. Ce furent nos compagnons d’après qui en récoltèrent les bénéfices, si l’on omet pudiquement l’épisode Pascale G., encore plus violent.
M. est évidemment l’antithèse de M., ce qui en dit aussi long sur elles que sur moi et mes choix de vie. C’est ça qu’est chouette, dans la vie, finalement : on fait ses choix, et quand on se trompe, on peut en changer.
Tant que la vie met longtemps à devenir courte.
Alors que quand on est mouru, tout se fige sous le vernis satiné de l’irrémédiable.
Écrire, pour moi c'est mettre à distance, donc j'écris le moins possible, et surtout pas plus, et uniquement quand je n'arrive pas à l'exprimer à l'oral. Ce qui reste rare, en fait.
Je t’embrasse.
(extraits d'une lettre à mon papounet, qui s'inquiétait de mon état, et à laquelle il n'a pas répondu) 

une nuit, j'ai confectionné sous Photoshop un ex-voto où je me la pète un peu.
Mais si je me la pète pas un peu, qui va me la péter ?


(à suivre...)

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