Où est-il l'été? L'été où est-il?
Boby Lapointe
J'ai attendu l'été tout l'été, mais dans mon coin de Loire-Inférieure dont je n'ai pas bougé, je vois bien qu'on est déjà fin août, et je commence à croire qu'il ne viendra plus, comme la Madeleine de Proust dans la chanson de Jacques Brel, et qu'il a sans doute été annulé en catimini par le gouvernement liberticide. Aaah, les salopiots. Et combien de temps vais-je regretter cet été mort-né, alors que de toute façon je ne peux plus m'exposer au soleil qu'avec des habits anti-UV, des chapeaux à la con et autant de crème solaire que si j'étais Coréen ? Après un an de traitement, me voici officieusement en rémission, mais condamné à vivre dans l'ombre de mon cancer de la peau, après l'épisode infection pulmonaire qui a bien failli avoir la mienne, mais qui n'était qu'un effet secondaire de l'immunothérapie, dont les soignants m'ont sauvé en interrompant le traitement et en me mettant sous corticoïdes, les mêmes que Pompidou, et ça fait du bien de revivre, et pas comme dans la chanson éponyme de Gérard Manset, bien que les corticoïdes aient un effet un peu excitant, c'est appréciable de n'être plus fatigable du matin au soir ni épuisé du soir au matin après toute une année énergétique en basse tension.
Et quand je pense à tous les autres trucs que je regrettais déjà avant l'été abrogé, et tous ceux dont je chérissais le regret, ici même, en ce non-lieu où j'ai poursuivi tant de chimères sans en rattraper aucune, pour me consoler compulsivement à la crème de mots de n'avoir pas su être celui que j'aurais voulu incarner ? Hein ? Hein ? Ah là là Akbar, je préfère n'y plus penser. Je vous préviens, il n'est pas question de reprendre ma vie d'avant. D'avant le cancer, d'avant la pandémie, d'avant l'abrogation de l'été par décret préfectoral.
Et cet été qui n'est pas advenu, rien ne me dit qu'il ne se défaussera pas de la même manière un peu cavalière l'été prochain. Je préfère ignorer ce qu'en pensent les Cassandres Anonymes du GIEC, qui ne se réjouissent pas vraiment du fait que leurs pires prévisions se réalisent beaucoup plus tôt qu'ils l'avaient eux-mêmes prédit.
Sans parler de mon père, qui se prend désormais pour le Edgar Morin de Rumilly-les-Plouques, et qui prévoit, après avoir lu le Nouvel Obs "au sujet des perspectives climatiques et de leurs incidences pour les bipèdes dominants, pratiquement plus aucune chance d'échapper à la cata, en raison de l'incapacité de nos institutions (planétaires) à se réformer pour être en état d'y faire face (...) Je garde une infime lueur d'espoir (...) une chance de s'en sortir, pour le bipède, est que l'influence des femmes finisse par l'emporter.
Mais comme Raymond Devos, "j'ai des doutes."
Il me reste l'été de l'infini, que je n'ai pas entamé. Quand je l'ai acheté, je lui ai fait croire que j'allais l'emmener à la plage, mais on n'y a pas encore mis les pieds. |
Que mon été ait été annulé, c'est pas pire : je ne peux plus m'exposer au soleil, il a fait moche, mais je viens de guérir d'une grave maladie et j'ai obtenu début juin un CDI à mi-temps, faut pas être trop gourmand non plus. Mais les gens qui venaient de passer une année 2020/202 anémiée par le Covid, ses confinements, ses couvre-feux et son pass sanitaire ? Tous ceux qui ont attrapé la pauvreté et qui vont sombrer dès que l'Etat cessera de les perfuser de ses aides ? Les jeunes qui ont eu 20 ans pendant la réclusion, les vieux qui sont restés claquemurés dans les EHPAD sans revoir les leurs ? Tous les gens qui ont passé des vacances en Réalité Réelle Ratée, comment vont-ils réagir ?