Ca a commencé par la lecture que je pensais anodine d'un article qui fleure bon le n'importe naouak de tabernak adolescent québécois de la désencyclopédie : Comment invoquer Belzébuth ?
"(...)Est-ce que j'ai vraiment envie d'invoquer Belzébuth ? Ah, bien sûr, il ne faut pas invoquer le démon de la pourriture, des excréments, de la sodomie et du viol sans raison. En effet, une fois que Belzébuth est chez vous, il ne partira pas avant que vous ayez un truc à lui faire faire. J'ai un ami qui l'a appelé pour rigoler une fois, eh ben ce sale squatter est resté chez lui pendant un mois à inviter ses potes, à boire de la bière et à pousser les voisins de son immeuble dans les escaliers. Il a trouvé assez tard un service à lui faire faire (en l'occurrence, la vaisselle) avant que Belzébuth ne se barre. Réfléchissez bien auparavant (sinon, prévoyez des bières)."
C'est censé faire rire, mais ça m'a paru chargé d'une gravité insoupçonnée, et j'ai observé que la plupart de mes actes, paroles, pensées, ressemblaient à, (et se comportaient in fine comme) des invocations, pas forcément sataniques, mais tout de même : chaque acte, pensée, parole étant sous-tendu par une motivation et une certaine quantité d'énergie, quand même il faut faire attention de oùsqu'on met les pieds sur à quoi on pense et comment on l'fait parce qu'après, c'est pas une fois qu'on se retrouve avec des entités innommables plein sa tête (bien qu'on les visualise parfois dans son salon, leur habitat psychique se situe bien dans notre cerveau) qu'y faut se demander si on a assez d'essence pour aller leur acheter des bières au Super U.
A postériori j'ai relié ça avec les enseignements bouddhistes, par exemple Sogyal Rinpoche : "si une relation d'interdépendance nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles et actions aura de réelles répercussions dans l'univers entier. Tout est inextricablement lié. Nous en viendrons à comprendre que nous sommes responsables de chacun de nos actes, de nos paroles et de nos pensées, responsables en fait de nous-mêmes, de tous les êtres et de toutes les choses, ainsi que de l'univers entier. Il est important de ne jamais oublier que la portée de nos actions dépend entièrement de l'intention et de la motivation qui les anime, et non de leur ampleur ."
Mais sur le moment ça m'a surtout donné envie de relire Lovecraft, et comme j'étais à Montpellier, je me suis tapé le pélerinage à la librairie Sauramps, insurpassable Babel du Languedoc, une pyramide à pan coupé de 6 ou 8 niveaux de labyrinthiques entresols reliés par d'escheriens escaliers, dans un apparent désordre en fait méticuleusement entretenu par des hordes d'érudits moines magasiniers, dont le titanesque labeur est savamment ruiné par leurs assistantes à mi-temps, de lascives étudiantes moldoslovaques à l'accent chantant et à la désarmante incompétence, poussant des norias de chariots débordants de nouveautés inclassables, mais il faut bien leur trouver une place alors on n'a qu'à les benner là.
Sans parler des clients se consumant visiblement pour la chose livresque, errant désorientés, encombrés de leur corps en semi-vie ployant sous le fardeau de leur néo-cortex en surcharge, et courbant l'échine d'une terreur sacrée devant les choix inouïs qui s'offrent à eux.
Sans parler de la difficulté à trouver une caisse.
J'ai pris le tome 1 des oeuvres complètes de Lovecraft dans la collection Bouquins parce que l'an dernier aux Utopiales j'avais craqué pour le tome 2 mais j'étais tombé sur des nouvelles qui m'avaient paru verbeuses et infantiles, en un mot indignes de mon souvenir... c'était sans doute des fonds de tiroir... Las, en m'attaquant au tome 1, il m'est arrivé la même chose qu'à Maurice Levy : Les défauts et les limites de Lovecraft lui apparaissent maintenant plus nettement. Après trente ans, il a trouvé sa lecture plutôt décevante, l'étonnement provoqué par sa première lecture ayant disparu. L'écriture de Lovecraft comporte trop de clichés, de "scléroses", pour ne pas avoir mal vieilli. Ses monstres horribles sont maintenant concurrencés et supplantés par les monstres cinématographiques, autrement plus convaincants. D'une "effrayante banalité", les "pires imaginations de Lovecraft font triste figure" et l'auteur aujourd'hui paraît dépassé.
Enfin, c'est pas vraiment qu'on puisse comparer cinéma et littérature, ou que les monstres de cinéma puissent se substituer aux trouvailles du génial scribe de l'innommable et de l'indicible, qui se gardait bien de donner trop de corps à ses créatures, se contentant d'incendier l'imagination de l'innocent lecteur, alors qu'au cinéma, plus je t'en montre et moins tu as peur, mais c'est vrai que par rapport à la vie quotidienne à Mogadiscio ou aux films de chtrouille, les lovecrafteries apparaissent aujourd'hui stéréotypées, pâlichonnes, et son style prévisible, surchargé, excessif et hyperbolique.
Mais il s'est quand même accouché, à l'instar d'un Tolkien, au cours d'une existence qui ressemble elle-même à une sorte de cauchemar autogène, de toute une mythologie moderne, aussi désuète fut-elle aujourd'hui, et c'est peut-être pourquoi, tout comme on ne peut plus lire le Seigneur des Anneaux depuis que la bédé et le cinéma ont épuisé Tolkien en recyclant son imagerie jusqu'au dégoût, on ne peut plus lire ou relire Lovecraft, après avoir franchi les nouvelles frontières du cinéma d'épouvante contemporain (postures fièrement antipathiques traînant leurs petites brocantes terroristes à la Gaspard Noé) sans avoir un voile sépia devant les yeux.
L'auteur lui-même condense autour de sa figure réelle ou fantasmée les pires clichés du geek : éducation rigoriste, parents fous, sexualité à la ramasse... de plus il semble avoir été hanté toute sa vie par de méphitiques muses qui lui déversaient de bonnes rasades de leur pus nauséabond dans les oreilles pendant son sommeil.
Aujourd'hui, il contemplerait sur Internet des abysses autrement inquiétantes que ses spéculations cucul, (l'éventail est large, du porno aux conspirationnistes en passant par les pandémies et autres Damoclès environnementaux qui nous pendent au nez... et il est aussi le père involontaire de l'intox et de la supercherie médiatique avec le Necronomicon) et aurait une carrière à la Houellebecq. Qui a d'ailleurs écrit un livre sur lui.
Par contre, la partie historico-biographique de Francis Lacassin et les documents non-fictionnels de Lovecraft (correspondances, articles sur l'écriture) sont passionnantes.
A la librairie Sauramps, j'ai aussi découvert que tout Castaneda avait été réédité en livre de poche, et j'en ai pris un, parce que même si c'est de l'initiatique imaginaire c'est quand même autrement inspirant que les flips du père Lovecrade, avant de me rappeler que je les avais achetés ici-même dans la collection Robert Laffont au début des 80's alors que j'avais le pouvoir d'achat d'un étudiant malade subventionné par des parents abusifs et complaisants, et que je les avais prêtés à une salope velléitaire qui ne me les a jamais rendus.
"(...)Est-ce que j'ai vraiment envie d'invoquer Belzébuth ? Ah, bien sûr, il ne faut pas invoquer le démon de la pourriture, des excréments, de la sodomie et du viol sans raison. En effet, une fois que Belzébuth est chez vous, il ne partira pas avant que vous ayez un truc à lui faire faire. J'ai un ami qui l'a appelé pour rigoler une fois, eh ben ce sale squatter est resté chez lui pendant un mois à inviter ses potes, à boire de la bière et à pousser les voisins de son immeuble dans les escaliers. Il a trouvé assez tard un service à lui faire faire (en l'occurrence, la vaisselle) avant que Belzébuth ne se barre. Réfléchissez bien auparavant (sinon, prévoyez des bières)."
C'est censé faire rire, mais ça m'a paru chargé d'une gravité insoupçonnée, et j'ai observé que la plupart de mes actes, paroles, pensées, ressemblaient à, (et se comportaient in fine comme) des invocations, pas forcément sataniques, mais tout de même : chaque acte, pensée, parole étant sous-tendu par une motivation et une certaine quantité d'énergie, quand même il faut faire attention de oùsqu'on met les pieds sur à quoi on pense et comment on l'fait parce qu'après, c'est pas une fois qu'on se retrouve avec des entités innommables plein sa tête (bien qu'on les visualise parfois dans son salon, leur habitat psychique se situe bien dans notre cerveau) qu'y faut se demander si on a assez d'essence pour aller leur acheter des bières au Super U.
A postériori j'ai relié ça avec les enseignements bouddhistes, par exemple Sogyal Rinpoche : "si une relation d'interdépendance nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles et actions aura de réelles répercussions dans l'univers entier. Tout est inextricablement lié. Nous en viendrons à comprendre que nous sommes responsables de chacun de nos actes, de nos paroles et de nos pensées, responsables en fait de nous-mêmes, de tous les êtres et de toutes les choses, ainsi que de l'univers entier. Il est important de ne jamais oublier que la portée de nos actions dépend entièrement de l'intention et de la motivation qui les anime, et non de leur ampleur ."
Mais sur le moment ça m'a surtout donné envie de relire Lovecraft, et comme j'étais à Montpellier, je me suis tapé le pélerinage à la librairie Sauramps, insurpassable Babel du Languedoc, une pyramide à pan coupé de 6 ou 8 niveaux de labyrinthiques entresols reliés par d'escheriens escaliers, dans un apparent désordre en fait méticuleusement entretenu par des hordes d'érudits moines magasiniers, dont le titanesque labeur est savamment ruiné par leurs assistantes à mi-temps, de lascives étudiantes moldoslovaques à l'accent chantant et à la désarmante incompétence, poussant des norias de chariots débordants de nouveautés inclassables, mais il faut bien leur trouver une place alors on n'a qu'à les benner là.
Sans parler des clients se consumant visiblement pour la chose livresque, errant désorientés, encombrés de leur corps en semi-vie ployant sous le fardeau de leur néo-cortex en surcharge, et courbant l'échine d'une terreur sacrée devant les choix inouïs qui s'offrent à eux.
Sans parler de la difficulté à trouver une caisse.
J'ai pris le tome 1 des oeuvres complètes de Lovecraft dans la collection Bouquins parce que l'an dernier aux Utopiales j'avais craqué pour le tome 2 mais j'étais tombé sur des nouvelles qui m'avaient paru verbeuses et infantiles, en un mot indignes de mon souvenir... c'était sans doute des fonds de tiroir... Las, en m'attaquant au tome 1, il m'est arrivé la même chose qu'à Maurice Levy : Les défauts et les limites de Lovecraft lui apparaissent maintenant plus nettement. Après trente ans, il a trouvé sa lecture plutôt décevante, l'étonnement provoqué par sa première lecture ayant disparu. L'écriture de Lovecraft comporte trop de clichés, de "scléroses", pour ne pas avoir mal vieilli. Ses monstres horribles sont maintenant concurrencés et supplantés par les monstres cinématographiques, autrement plus convaincants. D'une "effrayante banalité", les "pires imaginations de Lovecraft font triste figure" et l'auteur aujourd'hui paraît dépassé.
Enfin, c'est pas vraiment qu'on puisse comparer cinéma et littérature, ou que les monstres de cinéma puissent se substituer aux trouvailles du génial scribe de l'innommable et de l'indicible, qui se gardait bien de donner trop de corps à ses créatures, se contentant d'incendier l'imagination de l'innocent lecteur, alors qu'au cinéma, plus je t'en montre et moins tu as peur, mais c'est vrai que par rapport à la vie quotidienne à Mogadiscio ou aux films de chtrouille, les lovecrafteries apparaissent aujourd'hui stéréotypées, pâlichonnes, et son style prévisible, surchargé, excessif et hyperbolique.
Mais il s'est quand même accouché, à l'instar d'un Tolkien, au cours d'une existence qui ressemble elle-même à une sorte de cauchemar autogène, de toute une mythologie moderne, aussi désuète fut-elle aujourd'hui, et c'est peut-être pourquoi, tout comme on ne peut plus lire le Seigneur des Anneaux depuis que la bédé et le cinéma ont épuisé Tolkien en recyclant son imagerie jusqu'au dégoût, on ne peut plus lire ou relire Lovecraft, après avoir franchi les nouvelles frontières du cinéma d'épouvante contemporain (postures fièrement antipathiques traînant leurs petites brocantes terroristes à la Gaspard Noé) sans avoir un voile sépia devant les yeux.
L'auteur lui-même condense autour de sa figure réelle ou fantasmée les pires clichés du geek : éducation rigoriste, parents fous, sexualité à la ramasse... de plus il semble avoir été hanté toute sa vie par de méphitiques muses qui lui déversaient de bonnes rasades de leur pus nauséabond dans les oreilles pendant son sommeil.
Aujourd'hui, il contemplerait sur Internet des abysses autrement inquiétantes que ses spéculations cucul, (l'éventail est large, du porno aux conspirationnistes en passant par les pandémies et autres Damoclès environnementaux qui nous pendent au nez... et il est aussi le père involontaire de l'intox et de la supercherie médiatique avec le Necronomicon) et aurait une carrière à la Houellebecq. Qui a d'ailleurs écrit un livre sur lui.
Par contre, la partie historico-biographique de Francis Lacassin et les documents non-fictionnels de Lovecraft (correspondances, articles sur l'écriture) sont passionnantes.
A la librairie Sauramps, j'ai aussi découvert que tout Castaneda avait été réédité en livre de poche, et j'en ai pris un, parce que même si c'est de l'initiatique imaginaire c'est quand même autrement inspirant que les flips du père Lovecrade, avant de me rappeler que je les avais achetés ici-même dans la collection Robert Laffont au début des 80's alors que j'avais le pouvoir d'achat d'un étudiant malade subventionné par des parents abusifs et complaisants, et que je les avais prêtés à une salope velléitaire qui ne me les a jamais rendus.
Alerté trop tard, le Comité de préservation de la faune sous-marine n'a pu intervenir.
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