Expérience nouvelle et nécessaire : j’ai laissé mon ordinateur éteint pendant 3 jours, suite au fait que j’avais traité un mec de connard sur le forum des dépendants sexuels (alors qu’il n’était qu’abruti), qu’il se prenait pour Dark Vador alors que c’était visiblement au-dessus de ses moyens, il n’avait pas l’intelligence de sa maladie… c’est idiot ce que je dis là, évidemment que s’il l’avait, il eut été à moitié guéri. C’est une remontée inopinée d’huile dans le carbu : "l’intelligence de sa maladie" est une expression lue dans "la maladie de la mort" un court texte de Marguerite Duras qui m’avait fait tripper morbidité contemplative il y a bien 20 ans et qui me revient sous les doigts maintenant, m’indiquant qu’elle fut gravée dans la cire molle de mes circonvolutions cérébelleuses. (et ça c’est au moins du Thiéfaine)
Bref, on ne trouve pas vraiment de disciples de Lautréamont ou de Sade chez les porno-toxs, je veux dire de mecs qui tripperaient sur des entités démoniaques, des divinités courroucées… c’est un assortiment assez homogène de mecs prématurément abimés sur le plan du développement affectif et qui du coup s’abyment dans la quète du sein perdu… endossant la posture des "fantomes affamés" du bouddhisme tibétain.
Re-bref, ça m’a fait comprendre qu’il était temps d’aller prendre l’air. Sur le forum, place aux jeunes abstinents. D’ailleurs, à 45 jours de ma dernière branlette, il est temps de me protéger de la femme à tête carrée.
Du coup j’ai cessé de fumer (rires et toussotements génés du public) et réduis progressivement mes doses d’ordinateur, ce qui me laisse du temps libre pour lire les bouddhistes au coin du feu, faire un puzzle de 3000 pièces et observer ce qui s’élève en moi (mis à part le glaive sous la robe austère de la justice) quand j’augmente les doses de sevrage dans l’espoir de déconstruire mon rapport névrotique au réel. J’observe donc des pensées, conventionnelles, conditionnées, suintantes d’angoisses résiduelles, je remonte leurs filières qui débouchent sur des culs-de-sacs logiques ou émotionnels, ce qui les affaiblit temporairement… Pourquoi sommes-nous affublés de cet absurde sentiment de liberté, sans cesse contredit par le treillis hyper-dense du réseau de déterminismes dont nous nous croyons les gérants alors que nous ne sommes le plus souvent que des squatteurs terrés dans les combles ? Pour éviter le suicide au court-bouillon, sans doute. C’est quand je VOIS combien mon esprit réagit de façon bien peu libre, que je me dis qu’à part changer de façon d’apprendre… "penser par moi-même" est une pure fiction qui m’a maintenu en vie, mais à quel prix !
"Je pense parfois que le plus grand accomplissement de la culture moderne est la publicité remarquable qu’elle fait pour le samsara et ses distractions stériles. La société contemporaine m’apparait comme une célébration de tout ce qui nous éloigne de la vérité, nous empêche de vivre pour cette vérité et nous décourage de seulement croire à son existence. Etrange paradoxe que cette civilisation qui prétend adorer la vie mais lui retire en fait toute signification réelle, qui clame sans cesse vouloir rendre les gens "heureux" mais en réalité leur barre la source menant à la joie véritable ! Ce samsara moderne entretient et favorise en nous une angoisse et une dépression dont il se nourrit en retour. Il les alimente par le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité afin de se perpétuer. Il est extrèmement organisé, habile et sophistiqué; il nous assaille de tous côtés avec sa propagande et crée autour de nous un environnement de dépendance presque insurmontable. Plus nous tentons de lui échapper, plus nous semblons tomber dans les pièges qu’il nous pose si ingénieusement."(Sogyal Rinpoche)
Que mes projections émotionnelles aient pour support les stars du porno ou les maitres spirituels, j’ai observé qu’elles sont finalement de même intensité et que leur différence de nature est minime : le porno c’est plutôt maman, les maitres plutôt papa. Dans les deux cas, il s’agit d’une insolvable demande de secours.
"Les gourous ne sont pas aimés, ils sont enviés, détestés, et l’adulation apparente dont ils sont l’objet n’est que le reflet des espoirs qu’on place en eux, espoirs qui seront forcément déçus. L’enseignement des gourous est aussi différent de ce qu’on imagine que leur vie. On croit qu’ils sont des rois vivant dans des palais faits de la reconnaissance et de l’admiration de leurs disciples, et l’on s’imagine devenir des rois grâce à eux. Ils ne sont que des vieux chiens (l’expression n’est pas de moi) abandonnés au bord de la route, et c’est ce qu’ils nous proposent de devenir." (quelqu’un qui n’a finalement pas besoin de lire Chuck Palahniuk pour écrire comme lui et dont je vais finir par croire que mon esprit ne l’a créé que pour m’aider à déconstruire le bourgeois orientophile qui m’habite, ce qui serait une pensée immodeste et erronée)
L’addiction m’a permis d’éprouver la sensation pure de l’attachement au sens bouddhique : puisque la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, elle resserre ainsi le noeud qu’elle prétend relâcher "pour un moment". Commercer avec un toxique dans l’espoir de retrouver un plaisir qui naissait de la fortuité de la rencontre, faut vraiment être baisé de la caisse pour penser que ça peut marcher. D’ailleurs les dépendants évitent de "penser" à leur problème sous peine de s’en créer un autre de dissonance cognitive.
Quel dommage que l’abstinence soit un mot tristounet, qui évoque une ascèse défraichie, soldée pour pauvres d’esprit et minus habens du coeur.
Ce qui m’agaçait dans le bouddhisme sans parvenir à mettre le doigt dessus, c’était que je croyais y lire l’équation désirs = caca. On voit très bien la saisie qu’un esprit craintif peut faire sur le texte de Sogyal, à cheval entre le tract cégétiste anti-samsara et le dépliant publicitaire éloge-de-la-fuite : le bouddhisme faisant l’économie du désir, jette le bébé avec l’eau du bain en assimilant le monde phénoménal à un casino où l’on ne peut que perdre, donc le bouddhisme c’est bon pour les couilles molles. Plus proche de nous, c’est l’attitude de dépit du renard de La Fontaine qui, ne pouvant les saisir, décide que "ces raisins sont trop verts et murs pour des goujats". Maintenant que je constate par moi-même que "choisir, c’est renoncer" se mesure aux résultats, je ne vais pas sombrer dans un moralisme inversé mais tout aussi outré, et prétendre que c’est finalement l’avidité qui est un trip de chochottes. L’avidité, c’est la peur du manque, donc l’ignorance, et basta : d’autres ont écrit tout ce qu’il y avait à en penser. Quant au fait que cette peur du manque soit un des ressorts choisis pour stimuler la croissance économique et alimenter le débat politique, on pourrait en déduire des perspectives rigolotes sur l’élévation prochaine des consciences, mais j’ai mieux à faire : apprendre à me différencier d’un chien savant, qui est déjà un objectif plus raisonnable : finalement, me retenir de remuer la queue quand on me propose un susucre, c’est assez rock’n'roll pour aujourd’hui… Evidemment, la couille molle, c’était la mienne quand j’allais aux cyberputes. Dieu vomit les tièdes, et il leur passe pas un coup de Sopalin après.
Aujourd’hui, je vois les comportements “auto-destructeurs” sous un autre jour. Pour moi, ils sont révélateurs du fait qu’il y a quelque part chez l’individu l’intuition de sa non-existence (en tant que je). Son mensonge quotidien lui devient insupportable : demain ça ira mieux, demain je serai heureux, j’aurai moins de défauts etc… Comme le dit le bouddhisme, l’existence est souffrance, et il est normal qu’il y ait dans l’individu une tendance qui veuille mettre fin à ce mensonge. Quand on naît avec une interrogation existentielle, ce n’est pas une thérapie qui va y mettre fin.
Rédigé par: flo | le 03 décembre 2005 à 02:40| Alerter Rédigé par: flo | le 03 décembre 2005 à 02:40 | GérerAujourd’hui je vois mon “besoin de te donner raison” (y compris quand tu chantes avec le vedantesque Souchon “et si en plus il n’y a Personne”) sous un autre jour. L’intuition de ma non-existence est réifiée en prétexte pour attacher peu d’importance à l’accomplissement de “ce qui doit être fait” dans le quotidien. La cessation de comportement auto-destructeurs ne signifie pas qu’on attache soudainement plus d’importance à la vie ou à quoi que ce soit, elle implique qu’on a pigé que la dépendance consiste à effacer la douleur par ce qui la provoque, et que ce samsara particulier est auto-entretenu.
Rédigé par: john | le 03 décembre 2005 à 19:24| Alerter Rédigé par: john | le 03 décembre 2005 à 19:24 | GérerC’est comme les interrogations existentielles, qui sont là pour se (me) donner l’impression d’exister dans une certaine intensité, alors qu’elles m’éloignent de l’Etre, les bougresses. L’Etre émane quand on a enlevé assez de pelures à l’oignon. La thérapie, c’est juste pour enlever des couches.
Je voulais simplement dire qu’il ne faut pas culpabiliser de ses comportements auto-destructeurs car ils ne sont que l’autre face du mensonge quotidien. Une face pervertie, certes, mais quand même. Je veux dire par là que tout a sa place, et croire qu’il y a du bon et du mauvais ne fait que perpétuer les problèmes. Il n’y a ni bon ni mauvais, il n’y a que des phénomènes qu’il ne faut ni accepter ni rejeter. Accepter le mauvais, c’est mauvais. Mais accepter le bon, c’est mauvais aussi. Il faut simplement voir comment ils sont liés l’un à l’autre, et comment tous les deux sont, en fin de compte, des mensonges. Si la thérapie permet d’enlever des couches, c’est bien, mais si elle remplace par d’autres qui sont jugées “meilleures”, on n’a fait que remplacer une prison chinoise (dont on savait devoir se débarrasser) par un palais doré (dont on ne sait pas devoir se débarrasser).
Rédigé par: flo | le 03 décembre 2005 à 20:05| Alerter Rédigé par: flo | le 03 décembre 2005 à 20:05 | GérerDans l’auto-destruction, il y a quand même la culpabilité de se détruire soi (le soi qui nous a été donné) alors qu’on voudrait juste détruire le moi (le noeud dans le torchon) donc on peut dire que cette culpabilité est à sa place quand elle permet de passer à autre chose. Ni la prison chinoise ni le palais doré ! ma maison en bord de route me conviendra très bien. J’aime bien ta théorie sur l’auto-destruction, comme si les destroys avaient interprété de travers un zen qui explique que le vide à l’intérieur du bol est identique au vide de l’extérieur, et qui pensent qu’il faut briser le bol pour accéder à cette vérité.
Rédigé par: john | le 04 décembre 2005 à 01:22| Alerter Rédigé par: john | le 04 décembre 2005 à 01:22 | GérerIllusion de croire ou de prétendre qu’on puisse porter atteinte au Soi ! c’est comme si l’oeuf pensait porter atteinte à la Poule ! quant à détruire le moi…vantardise et hypocrisie ! le noeud sait très bien que sans lui, plus de torchon…