vendredi 17 décembre 2021

Le petit Noël de Mélanie Mélanome (6)

« Qui tapote, vivote. »

Albert Dupontel, Adieu les cons 


Résumé 
:
Pour le petit Noël des blogueurs nécessiteux, les épisodes précédents des aventures de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome, la mystérieuse Oncle Olog masquée qui était en fait sa tante, comme aurait dit le regretté Dédé (de chez Dédé et Mireille, qui raffolait du gender fluid longtemps avant que ça existe) ont été rassemblés là, sous le sapin, emballés à la hâte dans du papier cadeau recyclé par les orphelins apprentis d'Auteuil, et n'attendant que votre relecture bienveillante ou consternée, car je viens de créer le #hashtag qui permet de les afficher tous, et dans les ténèbres les lier, au pays de Mozinor où s'étreignent les sombres.

Collectionne les épisodes déjà parus dans le commerce
de Loukoum et Tagada contre Mélanie Mélanome,

au bout de 12 épisodes tamponnés sur ton appli carte de fidélité,
tu gagnes une pizza mélanome/pembrolizumab® gratoche !

Pour le reste, je ne prends plus de commandes, et n'assure plus le SAV, que je sous-traite désormais avec de fiefféz filous en télémarketing recrutés en Corée du Sud. De toutes façons, comme l'économie mondialisée fonctionnait à flux tendu avant la pandémie, à l'approche des "fêtes de faim damnée" (sic) tout le monde est déjà en rupture de stock de tout. J'aurais dû commander au Père Noël un bon gros voeu de silence, et m'y tenir, le temps que mon inflammation pumonaire et langagière s'estompent. 

Allah vérité, je pensais bien cesser d'alimenter ce blog à l'article précédant le précédent, celui qui mettait en scène mon voisin pyromane, ayant ainsi quasiment bouclé la boucle en y dénouant le noeud noué précédemment lors de mes débuts enthousiastes dans le débloggage de fond, sans que ça ait changé grand-chose au problème, 15 ans plus tard on prend les mêmes et on reconfine; mais pour l'instant, comme je me suis mis à blablater ici sur mon cancer réel en plus du virtuel, et bien que Mélanie Mélanome m'ait déclaré en rémission complète, je ne puis quitter l’identité de malade aussi aisément que je me suis laissé glisser dedans; et puis c'est pas vraiment fini, c’est même un peu comme la blague de la copine de la mère de Sam Lowry dans Brazil : « ma petite complication a eu une petite complication… »  et du coup j'ai encore attrapé une petite crise de graphomanie bien de chez nous, chez moi c'est de saison, la faim damnée c'est vraiment mon truc en plumes. 


Le premier scanner thoracique ne révéla rien d'anormal,
et dissipa toutes nos inquiétudes, à Mélanie et moi.
Certes, Mélanie m’a récemment déclaré officiellement guéri du cancer de la peau à l’origine de ce feuilleton virtuel, elle a même précisé que depuis le début j’avais suivi un traitement « adjuvant », c’est à dire administré en plus du traitement de première intention (ablation par chirurgie) pour aider à réduire le risque de récidive de la maladie (mais je ne suis pas inapte à attraper autre chose entre-temps, comme tout le monde, quand la rémission du cancer aura cessé de me rendre immortel) comme si elle cherchait à minimiser après-coup la gravité de mon affection longue durée trente-trois tours haute fidélité. 
A notre premier rendez-vous, elle avait pourtant évoqué le risque d'en mourir, je l'avais prise au sérieux, 18 mois plus tard, ma guérison me fait me demander si c'était pas plutôt un cancer de pédé, hormis le fait que c'est des expressions de boomer qu'on ne peut plus guère employer, comme "sale pédé", et pourtant, les sales pédés n’ont pas disparu, bien au contraire, le bannissement du mot n'a eu aucun effet sur le fait.
En tout cas, bonjour mon adjuvant : pendant un an, les effets cumulatifs des perfusions d'anticorps anti-PD1, je n'invente rien, m'ont fait vivre un affaiblissement progressif et généralisé, comme une baisse de tension électrique sur tout le réseau, jusqu'au stade où j'avais l'impression de porter une enclume sur le dos en permanence, en fait les trois derniers mois je faisais sans y croire une infection pulmonaire carabinée, qui me vit passer un été difficile, car je venais d'obtenir un CDI à mi-temps par la grâce des Prud'hommes, mais je ne respirais plus beaucoup, et je me rendais au travail en haletant comme une petite vieille qui fume 3 paquets par jour; rien que le fait de rester en vie m'épuisait, sans compter que je devais masquer mon état à mon employeur car j'avais continué à travailler en CDD avant d'obtenir cet emploi en CDI par le biais d'un recours aux Prud'hommes, et un CDD cancéreux c'est quand même moins sexy sur un marché assez concurrentiel qu'un CDD sain, et après, c'est pas une fois que j'ai été intégré dans la boite que j'allais faire mon coming out métastatique, ou alors ça aurait été encore plus compliqué à gérer que raconté comme ça.
Et l'immunothérapie dût être interrompue avant son terme échu, après avoir été identifiée comme fauteur de ces troubles pulmonaires. 
Mélanie et ses copines oncologues
aiment bien faire des blagues aux patients
dans les couloirs de l'hôpital.
illustration : caligrama.tumblr.com
Mélanie me dit alors que si mon traitement s'attaquait avec autant d'enthousiasme à mes poumons, comme les scanners thoraciques en témoignaient, c’était bon signe : après s’être goinfré de cellules cancéreuses, mon système immunitaire boosté à mort par le pembrolizumab® n’avait plus rien à se mettre sous la dent, il se faisait un peu suer, et s’attaquait alors à un organe sain, malgré l’arrêt du traitement. Ca s’appelle les effets secondaires indésirables. En aoûtre, Mélanie m'orienta en urgence vers un pneumologue, qui après m'avoir fait passer quelques tests me trouva au bord de l'extinction, et me bourra de corticoïdes (80 mg de prednisone la première semaine, puis diminution progressive jusqu'à l'arrêt total au bout d’un mois)
Tout cela a déjà culminé dans le cliffhanger de la saison 1 de mon feuilleton de longue durée produit à 100% par la Sécu :

Grâce à ces foutus anti-inflammatoires, j'observe un soulagement immédiat, et même le retour en force de la joie de vivre, qui n’a pourtant jamais été vraiment mon truc. Je l'ignore encore, mais les corticoïdes vont progressivement me faire grimper aux rideaux, un peu comme l'avaient fait les antidépresseurs à base d'inhibiteurs de recapture de la sérotonine en leur temps. Comme quoi les médocs, des fois ça dépanne, et des fois c'est vraiment de la merde.

Le problème, c'est que les corticos m'excitent, et dès que j'essaye de suivre le proverbe en usage chez les toxicos "en septembre, cesse d'en prendre" qui accompagne l'arrêt de mon traitement, l'infection pulmonaire ressurgit et ma respiration s'affaiblit à nouveau. Je m'en aperçois en tentant de rallier Saint-Fiacre à vélo mi-Septembre, puisque depuis que la fatigue induite par les séances d'immuno à l'hosto m'a été ôtée, je rends grâces de ma guérison en faisant une à deux heures d'activité physique par jour, souvent au jardin, où je communie avec les tubercules, les feuilles mortes à ramasser, les gallinacés à nourrir, la clotûre du ranch à réparer, le compost à brasser, tout ce que je peux trouver à améliorer et à bricoler en extérieur et qui m'éloigne de la femme à tête carrée (l'écran d'ordinateur), parce que je me sens vivant, je sais pas si ça va durer, mais je suis bien décidé à en profiter un maximum, et j'éprouve moins d'appétence pour le virtuel, et bien plus pour le réel. 

Oui, Bernard, je suis vivant.
45 ans après que tu me l'aies posée,
je peux enfin répondre à ta question.
Par contre, par ces frimas, et avec mon mélanome, 
j'évite de sortir torse nu, pour atteindre la double durée.
Mais tu fais ce que tu veux, après tout,
le plus Lavilliers de nous deux,
c'est quand même toi. 

N'empêche que la côte de Saint-Fiacre, j'arrive pas à la grimper à vélo, je suis obligé de mettre pied à terre, à l'aller comme au retour, ça ne m'est jamais arrivé, les jambes ça va, ça pédale, mais je respire comme une chaudière pas révisée, flûtalors. Et moi qui me croyais guéri. Quel nigaud je fais. 

Je me retourne alors vers mes praticiens favoris, qui me re-prescrivent des corticos pour deux semaines, jusqu'à mon prochain rendez-vous avec Mélanie la Mystérieuse, dont je n'ai jamais vu le bas du visage puisque notre relation a commencé pendant la pandémie et qu'on portait déjà tous le voile, ce qui ne nous empêche pas d'avoir des relations intimes, donc peut-être qu'il y a quelque chose de sensé dans cette prescription islamique de masquer le visage des femmes pour éviter aux hommes d'être perturbés par leur désir pour elles, et quand je revois le haut de son visage Mélanie me prescrit une nouvelle cure de plusieurs mois de prednisone, 35 mg /jour puis légère dégressivité sur 3 mois, jusqu'à notre prochain rendez-vous masqué, et alors on verra bien au scanner où c'est qu'on en est, et si mon système immunitaire me regardera encore de travers et prendra mes poumons pour un cancer à soigner, vu que son code source a été tellement bidouillé par mon traitement anti-cancer que ça lui engendre ce biais cognitif et moi une inflammation chronique des bronches, Mélanie me prévient qu'il y en a sans doute pour quelques mois avant que ça se tasse. Sur le moment, ça me fait rien. Je ne puis évaluer la gravité, même ressentie, de ce qui m'est arrivé, je n’ai pas d’autre terme de comparaison. C’est quand même moins violent que les 17 mètres de chute dans un ravin en Mercedes quand j’avais 20 ans. Et l’été que j’avais ensuite passé à l’hosto. 

Le cancer, je ne l’ai pas senti passer. L’ablation du mélanome d'origine, qu’on m’a faite dans le gras du bas du dos, même si on m'a ôté un bon bifteck, y’avait de la marge pour que ça se voie. Le traitement, par contre, c’est fatiguant, oui. Epuisant, même. Et la suite du programme, la pneumopathie, cette extinction à petit feu, insidieuse et flippante à postériori, et l’obligation de m’allonger 3 heures par jour vers la fin tellement j’avais la pêche, franchement, par rapport aux gens que j'ai vus au centre de cancérologie, j'ai quand même pas à me plaindre.

Mélanie m'a proposé de faire monter
mon mélanome sur un petit socle décoratif,
pour en faire un bibelot pour cheminée.
Je suis très partagé.
illustration : caligrama.tumblr.com
Et pourtant, si vous interviewez des proches, genre ceux qui vivent sous mon toit, ils vont vous dire que j’ai fait que couiner, tout le temps. Ils ne me méritent pas. De toute façon, je suis rompu aux astuces qui consistent à faire le malin avec ses déficiences (si j’avais eu l’idée de me mettre de la crème solaire, je n’en serais peut-être pas là; mais penses-tu, j’étais immortel, le soleil était mon dieu secret que je pouvais adorer torse nu dans mon jardin jusqu’à ressembler à une merguez trop cuite en deux après-midi d’avril, et le cancer c’était bon pour les autres)

Aucun regret, c’est fait c’est fait. J'ai été guéri du cancer, j'ai chopé autre chose à la place du fait du traitement, ce qu'on gagne d'un coté on le perd de l'autre, je me dis que c'est comme ça avec les nouvelles thérapies, qui sont encore toutes jeunes et qui ont peu d'expérience. Les malades essuient les plâtres et permettent à la science médicale d'avancer, comme les béta-testeurs qui débuggent les applications nouvellement mises sur le marché.

Ce qui m'importait, en cette fin d'été où je donnais des signes d'extinction (sans rébellion) comme une bougie en manque d'oxygène, c'était que l’oncologue finisse par admettre que son remède était devenu poison, et négocier l'arrêt définitif du traitement, puisque j'avais été prévenu par un ami lointain des risques inhérents et des effets secondaires possibles de l'immunothérapie, et donc je comprenais tout à fait ce qui m'arrivait, je savais que parfois le produit s'attaquait au coeur plutôt qu'aux poumons ou aux reins, et alors là j'aurais pas eu le temps de venir m'en vanter ici et de jouer les Survivors de blog, l'issue était fatale et sans sommations. Couic.


Pompidou, sur la fin on lui a mis une housse, 
parce qu'il était pas beau à voir.
illustration : caligrama.tumblr.com
Depuis le début de l'infection, je peux pas m'empêcher de ricaner comme un débile maniaco-dépressif de ma prescription du fameux prednisone qui a occasionné une septicémie à Pompidou sur la fin. "J’ai hâte." prétends-je dans d'absurdes et interminables correspondances privées. "Dans cette attente pour l’instant déçue, j’ai failli mourir mais l’infection décroît, alors j’éprouve le sentiment imbécile de revivre, et on dirait pas comme ça mais ça m’a rendu plus humble. Si, si. L’emmerdant c’est que j’avais perdu 8 kilos comme qui rigole, alors que là j’ai à nouveau la dalle." Heureusement que mes correspondants me connaissent et ne s’inquiètent pas pour autant de mon état mental. Je savoure énormément ma convalescence, depuis l’invention des corticoïdes. Tout comme je m'étais mis à savourer la liberté de pouvoir à nouveau choisir mes pensées lors de l'invention du lithium, cinq ans après l'invention de mes tendances bipolaires par un psychiatre conventionné, mais il est bien quand même. Je ne vais donc pas la ramener plus longtemps avec mon année de traitement contre le cancer, où j’ai eu beau temps, pas de mauvaises surprises aux scanners, pas de quoi couiner : malgré ces complications pulmonaires, je vis quand même bien mieux que pendant l’année où j’avais une enclume sur le dos. Par contre, faut reconnaitre que je ne dors plus beaucoup depuis début novembre, je recommence à tomber du lit vers 5 heures.

un livre à lire pour passer
les fêtes dans la bonne humeur
Alors que les virus congelés depuis des millions d’années dans le permafrost vont bientôt être libérés de leur confinement glaciaire, et sortir dans les boites de nuit de Sibérie sans pass sanitaire, avant de se grimper dessus sauvagement dans les toilettes pour hommes et y engendrer de nouveaux variants comme je l’ai lu dans « la fabrique des pandémies », un essai magistral sur l’érosion de la biodiversité comme cause déterminante de l’invasion des zoonoses, parce que évidemment, quand on est occupé à avoir toujours raison sur son blog, on n’a pas le temps de se documenter sur l’état du monde, jusqu’au jour où il faut un QR Code pour manger un kebab en terrasse, mais à part ça, je voulais vous dire que je vais mieux. Tant que je vais pas dans une boite de nuit en Sibérie, où l’happy hour dure plusieurs mois, et où du coup, fatalement, après avoir éclusé quelques gorgeons de limonade aromatisée à l'herbe de mammouth décongelé, j'éprouverais le besoin de me soulager, je rejoindrais les toilettes pour hommes, et là, crac, un nouveau virus totalement hilare devant ma triple et obsolète vaccination. Merci bien.
Enfin, je n'en suis pas là : pour l'instant, je subis de plein fouet les effets secondaires du traitement que je prends pour me remettre du traitement anti-cancer que j'ai pris pendant 9 mois. Je dors 3 heures par nuit. C'est à dire que ma fichue traditionnelle et folklorique insomnie de faim d'amnée, qui trouve toujours un prétexte pour me faire péter les plombs dans mes addictions favorites entre novembre et décembre, avec prolongations en janvier si affinités, est de retour. 
Faut dire que j'ai pris ma première semaines de congés payés par la boite depuis mon embauche début juin, qu'on est partis à Paris voir quelques expos et on est même allés au cinéma et au restaurant, ça nous a un peu trop irrigué le cerveau, parce que ça faisait presque deux ans qu'on était fossilisés dans notre cambrousse entre confinements, chômage de masse et consultations d'oncologie, que des copains sont venus faire de la vidéo artistique à la maison et qu'il a fallu se montrer créatif, un certain nombre de facteurs qu'on est bien obligé de voir comme causes contributives à un frémissement d'excitation, surtout après un 18 mois sans rapports sociaux sauf avec le chat, le facteur et le voisin d'en face qui a Alzheimer, même moi ça commençait à me manquer. 

Etre créatif : un challenge toujours renouvelé

Avant de partir à Paris, j’ai sécurisé plusieurs téraoctets de données perso (travaux vidéos, bases de données, fruits de mes rapines multimedia sur le net) sur un disque dur externe, que j’ai caché dans une pile de linge à l’étage, histoire de récupérer une sauvegarde des fois que des cambrioleurs viendraient embarquer mon Imac 27 pendant notre absence, mais au retour, pas le moindre disque dur dans mon armoire à fringues. Du coup, dans un accès de franche démence, je trie tout mon placard à vêtements, des kilos de pantalons dans lesquels je ne rentre plus, parce que les corticoïdes en plus de faire perdre le sommeil ça fait pas maigrir, des flopées de pulls défraichis, de polos usés, que j’emballe soigneusement et dépose à la recyclerie, ce dont ma femme avait renoncé à me croire capable depuis une bonne décennie. 
En plus ça la fait bien rire, que j’aie planqué un disque dur pour parer au vol de données, et que je ne le retrouve plus. Mon état des stocks vestimentaires me contraint à aller acheter quelques pantalons, j’ai vraiment plus rien à me mettre. Allez, c’est le black Friday chez Darty, j’en profite pour racheter un disque dur de 5 To, c’est la fête, de toute façon je dépense jamais rien, faut dire aussi que mes revenus ont fondu avec mon mi-temps, j’ai un demi-salaire. Mais j’apprécie ce mi-temps. Je l’ai dit, je me sens à nouveau en vie, après plus d’un an dans les limbes. 

quand mon agenda ressemble à ça,
c'est pas très bon signe.
Appelle le docteur !
Le lendemain, je passe faire ma visite trimestrielle au psychiatre, pour qu’il me renouvelle mon ordonnance de lithium. Je lui confie mes soucis d’insomnie et mon agitation hypomaniaque, car me voilà bien installé dans un rythme cassé, debout vers 3 heures, toutes les nuits, écriture, bidouille informatique, je me recouche une heure ou deux, après je suis bien nazebroque toute la journée, et le soir à 22 heures je suis cuit. Il me propose un anxiolytique, je suis pas fan, ça me rappelle des mauvais souvenirs de dépressions passées, il me convainc d’acheter un peu de Xanax, si j’en éprouve le besoin je peux toujours essayer de me détendre avec ça. Un anxiolytique ? Pourtant, si y’a un truc que je suis pas en ce moment, c’est anxieux. La posture du Prince de l’Inquiétude m’a bien quitté ces dernières années. J'ai pas du tout envie de prendre un médoc pour me soigner du traitement que je prends contre les effets secondaires de mon traitement. 
Dans la foulée de la consultation, je rejoins la Fnac, en quête de cadeaux de Noël. Un chantier d'allégresse et de générosité devenu calvaire et corvée de merde. En entrant dans le magasin, je bippe en passant le portique, une grande black bien costaude en uniforme de vigile du magasin me demande si j’ai pas quelque chose de neuf sur moi, qui aurait pu déclencher le biniou, franchement avec 3 heures de sommeil par nuit je ne vois pas ce que j'ai de neuf, je me sens plus qu'usé, et puis soudain, la lumière, « mais si, bien sûr, c’est mon nouveau pantalon, j’ai pas enlevé l’étiquette antivol » elle me dit très sérieusement «  bon ben on va voir ça, vous allez l’enlever et me montrer ça », je regarde alentour, cherchant un recoin dans lequel je pourrais baisser mon fute pour trouver cette putain d’étiquette à la con et lui prouver que c'est ça qui fait tût, en plus je l’ai vue hier, cette étiquette, pourquoi je l’ai pas coupée aux ciseaux, et l’entrée de la Fnac recèle peu d’endroits discrets pour un tel déshabillage, et puis surtout au bout de quelques secondes je comprends qu’elle se fout très sérieusement de moi, qu’il n’a jamais été question que je baisse ma culotte devant tout le monde dans l'entrée du magasin (je suis tellement naze de manque de sommeil que plus rien ne me surprend à priori) et elle me dit « c’est bon vous pouvez y aller » avec un demi-sourire de sphynx femelle, putain j’ai réussi à faire sourire une black, le rêve de toute une vie qui se réalise, sans parler d’avoir failli baisser mon froc, et me voilà parti à l’étage à chercher une intégrale de Souchon en 16 CD pour un être cher, évidemment ils l’ont pas, et puis attends dis donc c’est dingue, dans les rayons il y a beaucoup plus de vinyles que de CD, qu’est-ce que c’est que cette frime de marketing vintage analogique ? 

Malgré les 2 Téraoctets de films archivés mais toujours pas visionnés sur mon disque externe mis à l’abri de moi-même quelque part dans la maison, je ne puis m’empêcher de mater au passage le rayon DVD, qui réduit comme peau de chagrin d’année en année, mais je vois un coffret Mizoguchi, que je shoote avec mon smartphone pour pouvoir le télécharger ensuite, et ne jamais le regarder non plus, c’est ça le fin fond de l’abjection dûe à l’aliénation numérique pour moi, faudrait vraiment que j’écrive ce précis de psychopathologie du téléchargement illégal que j’avais en projet au lieu de raconter ma vie, ce qui n’a de sens que si je lui en donne, et c'est du boulot, alors je fuis Mizoguchi pour me réfugier dans les allées de la librairie, mais là je tombe sur quelques nouveautés de SF que je flashe au smartphone tout aussi derechef, et dégotte finalement le Köln Concert de Keith Jarrett pour 7 €, et puis je passe en caisse, ces caisses modernes que tu ne peux atteindre sans avoir zigzagué dans des allées délimitées par des plots mobiles reliés par des bandes de tissu, prétexte à te faire passer devant des présentoirs dans lesquels ils ont encore entassé des produits culturels avec l’énergie de petits commerçants acculés à la promotion par amazon, à rendre malade le geek le plus en manque de culture, je commence un petit laïus sur le fait que non, je n’ai pas de carte Fnac mais que par contre je venais quand acheter à la Fnac relevait d’un acte politique, je me retiens de citer le parcours d’André Essel, fondateur de l’établissement, un ancien maoïste, du calme John, paye et bouge, en passant le portique ça refait tûût avec mon fute, alors la grosse black qui n’est pas grosse mais juste vachement costaud et devant qui pour tout dire je n’en mène pas large se dirige à nouveau vers moi, « bon alors là, on va l’enlever, hein, ce pantalon » je me tiens coi, j’ignore si elle blague ou pas « et puis comme ça je me nourrirai par les yeux » alors là c’est tellement gros que j’ai les fils qui se touchent, je réfléchis à ce que je ne peux pas lui dire plutôt qu’à ce que je pourrais lui répondre dans le même style, à savoir qu’elle serait déçue, que je ne suis pas très en forme, que je suis loin d’être une poutre de Bamako, fais attention elle peut te trouver raciste et/ou sexiste et dégainer un tazer comme qui rigole, et elle aurait raison. 

j'ai acheté la version sans images
pour pas que ça me monte à la tête 
J’ai beau avoir acheté « Sexe, race & colonies » pour déconstruire en kit ma domination post-coloniale sexuelle inconsciente vis-à-vis des blacks, en fait c’est la première fois que je discute avec une femme noire depuis mon voyage en Afrique qui remonte à 2002, en plus elle se fout gentiment de la gueule du p'tit gros boomer blanc qu’a l’air un peu flapi, elle s'amuse à peu de frais dans l'exercice de son métier de Vigilante aussi chiant que Deauville sans Trintignant, si j’avais eu la chance d’échanger des blagues comme ça avec des blackettes quand j’ai commencé à les trouver très plaisantes dans mon imaginaire à moi que j'ai, ça m’aurait sans doute évité de m’ériger un palais à fantasmes sur les Africaines, plus encombrant que fréquenté.
Je quitte la Fnac avec le sentiment d’être passé à côté d’une occasion avec cette vivace vigilante vigile, ma Joséphine Baker d'occasion qui vient d'entrer dans mon Panthéon des blacks qui savent faire des blagues que j'arrive à comprendre, mais franchement, j'ai pas su rebondir, quand on n’est pas en état d’interagir normalement, mieux vaut encore s’abstenir. Faut que je trouve quelqu'un à qui offrir l'intégrale de Brel, et que je revienne plus en forme. Et voilà, mon petit Noël est passé : trois minutes d'imprévu et de poésie pure, vécues dans la vraie vie, plutôt que le radotage d'ordi, qui ne me vaut rien.

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En 2022, Loukoum et Tagada reviendront dans de nouvelles aventures, lutter contre Doliprane,Xanax et Cortisone.


ma preuve d'achat comme quoi c'est pas du flan.
je me demande si ce Keith Jarrett n'est pas un peu noir lui-même.
Il faudra que je demande à Joséphine si elle aime le piano.

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)

mardi 14 décembre 2021

Les fils qui se touchent (2) : la réalité historique du fait religieux

« Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse »
(1 Corinthiens 1:22-24)


Cette histoire de fils de Marie qui se laisse toucher trouvée dans une petite église de Mayenne la semaine dernière, ça m'a intrigué, quand même. Est-ce que c'était un curé bien intentionné qui avait voulu dire que si on priait, on était entendu par Jésus ? Ou autre chose ? J'ai rentré la phrase ambigüe dans un moteur de recherche; bingo.
En plein dans l'apparition de la Vierge Marie survenue le 17 janvier 1871 dans le petit village de Pontmain, en Mayenne. A la suite de quoi le culte de Notre-Dame de Pontmain se répand, et en 1920, l'évêché obtient du Vatican la création d'un office et d'une messe spécifique. 
Lors de l'évènement surnaturel, le pays était alors envahi par les Boches. 
Les apparitions mariales, c'est souvent dans des périodes de grande difficulté pour le pays, donc on ne devrait plus tarder à la voir se radiner à nouveau face à la menace zemmouro-pandémique, sans parler de la diabolisation du foie gras de canard vegan pour Noël.
"Sept enfants au total déclarent voir « une belle dame », mais seuls les trois plus âgés seront reconnus officiellement par l’Église lors de la reconnaissance officielle de l'apparition. L'apparition débute vers 18 h, et va durer environ 3h. Elle regroupe progressivement les habitants du village, qui ne voient rien, sauf quelques enfants qui décrivent les évolutions de la vision au cours du temps, au rythme des prières de l'assemblée. Dès le lendemain le curé du village interroge les enfants et note un premier récit avant d'en informer l'évêque. Très vite une enquête canonique est ouverte, et un an plus tard, le 2 février 1872, Mgr Casimir Wicart reconnaît officiellement l'apparition de la Vierge de Pontmain, et autorise sa dévotion."
Cette grosse pute laïque et mécréante de wikipédale occulte l'essentiel :
La Vierge Marie est apparue dans le Ciel, puis des mots se sont "affichés" par la suite au dessous d'elle:
MAIS PRIEZ MES ENFANTS
DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS
MON FILS SE LAISSE TOUCHER

Heureusement qu'il existe d'autres sources d'info, moins sujettes à controverse :


Et voilà. C'est quand même pratique, internet, pour éviter de blasphémer à tort et à travers. Rappelons que les apparitions mariales n'engagent que ceux qui y assistent, et ceux qui les croient. Et ceux qui croient y avoir assisté à partir du récit qu'on leur en a fait.
Sur le sujet, j 'aimerais bien voir le film "L'apparition" de Xavier Giannoli, mais je suis un peu au taquet.

mercredi 8 décembre 2021

Les fils qui se touchent

Ca se voit, que Satan l'habite pas.
Finalement, si les intégristes pseudo-catholiques n'avaient pas débarqué pour interdire son concert hier soir à Nantes, je n'aurais jamais entendu parler de Anna von Hausswolff. Bénis soient-ils ! ça ne peut que lui faire de la publicité gratuite.
Anna von Hausswolff est une chanteuse, pianiste, organiste et autrice-compositrice de post-métal et de rock expérimental. Dans l’une de ses chansons, Pills, elle évoque l’addiction à la drogue et dit métaphoriquement avoir « fait l’amour avec le diable »« Elle s’est déjà produite dans une quarantaine d’églises ou de cathédrales et il n’y a jamais eu de problème », a expliqué à Ouest-France Eli Commins, le directeur du Lieu unique, la scène nationale de Nantes, qui organisait ce concert hors les murs. « Il n’y a aucune inspiration religieuse, aucune violence ! Simplement, elle joue de l’orgue et les orgues se trouvent dans les églises. C’est une musique d’influence post-métal. Il n’y avait même pas de paroles dans la représentation prévue », a-t-il ajouté. (Le Monde)

Frédéric Mitterrand s'est déguisé en Nick Cave
pour faire rire Anna, et ça marche.
Y'en a, toutes les audaces leur réussissent.
A l'écoute d'Anna sur son bandcamp, c'est vrai qu'on est quand même assez loin des outrances supposées des professionnels du Blasphème, comme le Nazaréen Empalé.
Je vois bien moins de malice perverse dans les musiques d'Anna que dans n'importe quelle prestation scénique des Devil's Daughters, ou même du concert virtuel de Mama Saturn's, car rien qu'à regarder se trémousser ces gourgandines, j'ai le palpitant qui tambourine, alors que j'avais juré de fermer l'aorte aux étrangères, surtout si bien dotées par Dame Nature. Ca ne mérite donc pas le retour de Blasphémator. Pas tant qu'ils ne la crucifient pas sur la porte de l'église, au minimum.
De toute façon, même s'ils ne se font pas sauter le caisson par désespoir spirituel devant les écoles laïques, les cathos intégristes ont un pouvoir d'auto-nuisance qui ne cesse de me réjouir. Hier soir, le rapport de farce était inégal, car 370 personnes avaient payé leur place, alors que entre 50 et 100 imbéciles voulaient leur gâcher la soirée pour « satanisme » en braillant dans la rue des mantras éculés comme « Sainte-Marie mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs »

Anna répète un mauvais coup pour mettre le feu à la cathédrale
de Nantes, ignorant que le créneau est déjà pris
par un rwandais multirécidiviste. 
Ce qui ramènera de l'eau (comme s'il en manquait)
au moulin de vous-savez-qui.
Si on avait voté à main levée, les mélomanes auraient gagné contre les culs bénits confits dans leur névrose. Mais on ne vote plus, mon bon monsieur, on se fout sur la gueule, ça va plus vite et c'est plus efficace que la démocratie parlementaire. Dans le même ordre d'idées, si une brigade de kamikazes de SOS Racisme n'étaient pas allés foutre la merde au meeting de Zemmour à Villepinte, je n'aurais pas pris conscience de la violence qui ravage le pays et émeut tous les éditorialistes, pendant que je me remets de l'extraction de deux incisives sans faire chier personne en allant hurler dans la rue que les chirurgiens dentistes sont des bourreaux.
De toute façon, quand j'essaye de hurler avec mes deux incisives en moins ça fait des bruits bizarres. C'est pas très crédible.

https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/12/07/presidentielle-2022-le-debut-de-la-campagne-de-zemmour-marque-par-la-violence_6104970_6059010.html

Y'en a qui se laissent toucher, d'autres ont les fils qui se touchent.
Dieu reconnaitra les siens. En principe.

Encore sous le coup de l'émotion, j'ai failli oublier de vous parler de la mère de Jésus découverte la semaine dernière au cours d'un reportage dans une petite église de Sacé, en Mayenne. Les collègues à l'esprit mal tourné ont cru que j'avais fait un trucage sur photoshop. C'est mal me connaitre. Le mec qui a pondu le slogan voulait juste dire que Dieu était joignable, si on faisait l'effort de lui parler sincèrement (et poliment). Il y juste une maladresse dans la formulation, plutôt ambigüe. 
Renseignements pris auprès de la journaliste qui a filmé la chose sur le terrain, il s'agit de Notre-Dame-de-Pontmain, la vierge qui serait apparue en Mayenne une nuit au milieu de étoiles (d’où sa tenue). Comment veux-tu que les curés s’en sortent, avec des slogans pareils ???

Ou pas.

mardi 7 décembre 2021

L'espoir n'est pas un steak (2006)

"Au revoir"
(Valéry Giscard d'Estaing, 1981)
Le mois dernier, vers la fin de mon homélie d'auto-addict, j'ai fait une allusion voilée et truffée d'hyperliens planqués sous l'icône de l'éléphant trempant sa petite trompe dans son petit bol, elle-même empruntée à un remarquable ouvrage pour la jeunesse, aux débuts enthousiastes de ce blog, vers 2005, sous l'égide de la lutte contre la cyberdépendance sexuelle. Dure lutte, en vérité, puisque je suis encore là, et apparemment vous aussi. Ca m'a rappelé qu'à l'époque, je n'écrivais pas encore dans l'espoir (qui n'est pas un steak) de pouvoir ensuite lire les articles que je ne trouvais nulle part sur le net. Au contraire, je baignais dans un flot de blogs spiritualistes, au milieu de personnes dont l'expression écrite me stupéfiait d'intelligence et de sensibilité, car j'étais un peu branché auto-dévalorisation. Au moins, ça, ça m'a un peu passé. Ces personnes se sont depuis toutes mises en retrait(e) du virtuel, et j'aurais mieux fait de suivre leur exemple, au lieu de jouer les prolongations. Mais enfin, les paroles s'envolent, alors que les écrits restent. Voici deux petits billets qui m'ont bien profité. Si l'auteur passe devant, je le salue chaleureusement.


L'espoir n'est pas un steak

Par curiosité, je suis allée voir où en était Spirit de sa lutte contre la cyberdépendance, et j’ai vu qu’il avait ouvert un nouveau nouveau blog après sa nouvelle nouvelle rechute. Apparemment, il y a une chose qu’il n’a pas comprise : on ne se nourrit pas d’espoir. L’espoir c’est comme la barbapapa, c’est rose, c’est sucré, ça a l’air bon, mais ça colle et c’est surtout du vent. Si on se nourrit de barbapapa, au bout de quelques jours, on commence à avoir très faim.
Tout le monde a essayé de se nourrir d’espoir un jour ou l’autre. Par exemple, quand j’ai commencé le Tchan, en 1996, je me disais « Allez, aujourd’hui je prends une bonne résolution, je deviens consciente. Et dans 48 jours ou peu s’en faut, je serai éveillée. Voilà. On y croit. Tout va changer. Je peux le faire. ». Quand je lis Spirit, j’ai l’impression de me voir il y a 10 ans. Mais il y avait là une erreur d’analyse fondamentale. C’est que l’espoir est une pensée, contrairement à un steak, ou à un plat de pâtes, par exemple. Et, au bout de 10 jours, on peut bien penser ce qu’on veut, le corps, lui, regarde ce qu’il a mangé entre temps. Et s’il n’a rien mangé, il n’est pas content, et il retourne là où il y a à manger. Donc tout se casse la gueule.
Le problème de nos compulsions, c’est qu’elles nous nourrissent. Si on ne trouve pas de nourriture alternative, il est normal qu’on y retourne, à moins qu’entre temps on se soit habitué à crever la dalle, comme les moines trappistes. Mais alors on vit mal, on est dépressif. Dans les monastères, on appelle ça l’acédie. Bien sûr, on ne cède plus aux compulsions, mais ça ne nous remplit pas pour autant. On est vide, et on ne peut pas se remplir avec de l’auto-satisfaction. Surtout pas, en fait. Car l’auto-contemplation est précisément ce qui empêche Dieu (l’état naturel) d’être présent. On essaie de se remplir de la pensée de soi, ce qui est impossible puisque la pensée est vide, comme le soi, mais le problème c’est qu’en attendant la place est prise, même si c’est par un fantôme.
L’espoir est au fond la même chose que le doute. J’y arriverai, ou je n’y arriverai pas, c’est la même chanson, déclinée sous deux modes différents. Une façon de penser à soi. C’est pour cette raison que les maîtres sont assez peu complaisants envers l’un comme envers l’autre. Qu’on ait l’air tout exalté ou tout malheureux, qu’on s’auto-convainque de ses mérites ou qu’on s’auto-apitoie, il s’agit toujours d’auto-contemplation, de mensonge. Le moi n’a pas d’existence intrinsèque.

Commentaires

1. Le dimanche 12 février 2006 à 23:30, par john

La pensée n'est pas un steak, mais c'est de l'énergie. C'est pourquoi le plaignos qui cherche à changer de crèmerie préfèrera au mot mensonge celui de fiction : le mensonge, il va s'en accomoder à condition que ça soit de sa faute, et risque d'en faire un usage ambivalent, alors que la fiction, il peut l'explorer en étant moins polarisé affectivement, pour finir par découvrir qu'elle est auto-entretenue (il s'en doutait quand même un peu).
Merci du coin de zinc, plutôt bien famé pour une fin de semaine.


Légitimité du "mal"

De blog en blog, une autre évidence m’apparaît. Ce qui trompe les gens dans leur recherche de solution, c’est le fait de ne pas avoir la totalité du tableau. Comme le gars qui touche la queue de l’éléphant, qui croit que c’est un serpent, et qui fonde toute sa démarche sur le fait qu’il a affaire à un serpent. Sur le blog de Roujsend, par exemple, on y considère que le désir de puissance est une mauvaise chose et qu’il a dû apparaître à un certain moment pendant l’enfance. Dans les commentaires, la tendance ne fait que s’amplifier. Mais si l’on remonte le fil, on se rend compte que la réalité est toute autre. Le sentiment de toute-puissance est en réalité celui que l’on éprouve lorsque le corps énergétique est unifié, c’est-à-dire lorsqu’il devient omniprésent – on peut avoir un vague aperçu de ce que ça donne en rêve -. Autrement dit, le désir de puissance que nous exerçons sur nous ou les autres n’est que la dégradation de cet état originel non-séparé (d’avec nous-mêmes) que nous cherchons à retrouver. Mais il y a mieux. La béatitude que nous éprouvons dans ces états d’omniprésence n’est elle-même que le reflet de la béatitude qui est la 3è qualité de rigpa. Autrement dit, le désir de puissance n’est que la dégradation de la dégradation de la nature originelle. Qui s’étonnerait alors qu’il soit si bien accroché ?
Il en va de même pour le désir. Les cyberdépendants combattent leur désir. Pas de chance, le désir de la pétasse sur un écran n’est que la dégradation de quelque chose de plus haut, car la jouissance sexuelle n’est, de nouveau, qu’une version dégradée de la béatitude produite par l’union de la clarté et de la vacuité. Autrement dit, rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature. Et ça ne peut pas marcher.

Voilà pourquoi tout le monde tourne en rond. On rejette ce qui nous paraît mauvais. Alors que si nous comprenions que ce qui nous paraît mauvais n’est qu’une version déformée – mais pas tant qu’on le croit – de notre nature, ou de Dieu, tout irait bien mieux. De même, on va thérapiser le tueur qui a poignardé quelqu’un en lui faisant subir je ne sais quel traitement basé sur le fait que son geste est totalement mauvais, alors qu’en réalité, il n’est que l’expression d’un désir d’ouverture non compris, qui s’est vécu sur le plan physique au lieu de se vivre sur le plan énergétique. Si les gens pouvaient VOIR ce qu’il y a dans tout ce qui leur paraît mauvais… ils verraient que ce qui est mauvais, c’est leur vue. Mais que le geste, l’acte, ou la pensée, au fond, est parfaitement légitime. C’est toujours Dieu qui se cherche.


Commentaires

1. Le dimanche 12 février 2006 à 23:15, par roujsend

Quand je dis apparaître, je ne dis pas venu de nulle part. Je veux dire en prendre conscience, s'exprimer clairement (enfin clairement dans le langage commun). Le rejet, lui, ne viendra que plus tard, non pas parce que cette puissance me paraît "mauvaise" en elle même, mais parce qu'elle entrera en conflit avec d'autres voiles émotionnels (moraux entre autres)

2. Le lundi 13 février 2006 à 21:47, par joaquim

Salutaire recadrage sur l’ouverture de la porte. Enfoncer des portes ouvertes, c’est parfois utile, surtout quand tant se heurtent au cadre.

3. Le mardi 14 février 2006 à 08:12, par orroz

Je viens de lire et je suis d'accord avec toi : "rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature". C'est pourquoi je propose aux dépendants de transformer leurs désirs de pétasses en désir vrai d'amour pour leur partenaire car en réalité c'est cette omnipotence du désir qui permet d'atteindre la vraie jouissance.
En revanche, je ne suis pas totalement d'accord avec :
"Si les gens pouvaient VOIR ce qu’il y a dans tout ce qui leur paraît mauvais… ils verraient que ce qui est mauvais, c’est leur vue. Mais que le geste, l’acte, ou la pensée, au fond, est parfaitement légitime."
Car si l'on passe à l'acte "mauvais" c'est que la vue n'est pas la bonne !
Mais ta conclusion est juste :
C’est toujours Dieu qui se cherche.

4. Le mardi 14 février 2006 à 18:07, par Anargala

Tout à fait d'accord sur la métaphore de l'éléphant dans le noir. Tout désir dérive de l'amour du Soi, ou de la nature de Bouddha.
L'univers, c'est "god in the making".

5. Le mardi 14 février 2006 à 20:41, par flo

Waouh ! Les chenilles ne t'ont pas dévoré tout cru, tu as survécu ! 

mardi 2 novembre 2021

Feu mon voisin pyromane (Pourrir peut attendre)

A l'issue de l'harcelante campagne d'automne de l'encyclopédie en ligne qui n'a toujours pas de publicité sur la figure, je viens d'envoyer 15 € à wikipédia. J'esmère que vous aussi. (je viens de retirer j'espère de mon vocabulaire, puisqu'il y a père dedans, et que je l'ai banni de ma vie autant que c'était possible sans lui nuire ni faire tort à d'autres). 
Sinon, vous pouvez me les envoyer à moi, je les transmettrai à Jimmy Wales (qui m'écrit à chaque fois un petit mot de remerciements plein de saveur, bien que je ne puisse pas défalquer mon don de mes impôts, et pourtant wikipedia c'est vraiment une oeuvre de salubrité publique pour ma tête et de manière plus générale pour la connaissance humaine.)
On s'y attend pas forcément, assis dans son salon,
mais quand c'est l'heure, c'est l'heure. Et couic !
Ou à la veuve de mon voisin d'à côté, mort subitement il y a quelques jours. Dans son fauteuil. Sa tête s'est inclinée, il est parti en avant, en saignant du nez. Terminé. Le jour de ses soixante-dix ans. Le cardiologue trouvait que tout allait bien, et il était soit-disant rétabli d'un cancer du foie, qui lui avait occasionné pendant quelques mois une jolie couleur jaune Homer Simpson, avant que les métastases diffusent un peu partout, mais l'oncologie a beaucoup progressé, j'en sais quelque chose, et l'a maintenu en vie et de mauvaise humeur pendant quelques années supplémentaires par rapport à son espérance de vie biologique attendue, vu comment il avait abusé de la boisson. Enfin, dans sa période jaune Simpson, on ne donnait quand même pas cher de sa peau, on avait bien cru le perdre dans la semaine où on l'avait croisé au bureau de vote, en 2019. Et puis non, il s'était remis. 
Nous étions loin d'être proches, dans tous les sens du terme, vu la taille des parcelles, nos maisons sont distantes d'une cinquantaine de mètres, on n'est pas les uns sur les autres, à l'époque où nous avons acheté les propriétés faisaient souvent plus de 1000 m2, c'était avant que les collectivités locales s'aperçoivent de l'hérésie du Plan d'Occupation des Sols, qui leur coûtait une blinde en assainissement, en voirie, en transports scolaires... cet "étalement urbain énergivore", comme je le lis aux cabinets dans le télérama de la semaine d'aujourd'hui en me demandant ce que je vais bien pouvoir télécharger.
Il y a dix ans, mon voisin avait tardivement vendu la moitié de son terrain, il avait besoin de sous après une longue période de chômage, acceptant qu'un primo-accédant bâtisse sa maison quasiment sur son seuil, la division parcellaire c'est une tendance de fond dans nos quartiers périurbains (en fait, la proche campagne, qui chez nous se résume au vignoble, mais on dit périurbain parce qu'on est sur le territoire de la commune et à trois kilomètres du bourg) où les permis de construire ne sont plus distribués comme qui rigole. Bien que la moindre bicoque en ruine se soit vendue comme des petits pains depuis la pandémie, et que les nouvelles constructions et rénovations sortent de terre plus vite que les champignons, parce qu'il n'est pas tombé d'eau en octobre, et que de toute façon comme on n'a pas eu d'été, l'automne aussi est en retard. 

Dans le temps, feu mon voisin
s'enflammait pour un rien.
Quand on a acheté la maison du ferrailleur, on a vite découvert que notre voisin était un enculé alcoolique qui à l'occasion tabassait sa compagne, alors on n'a pas cherché à copiner plus que ça, déjà qu'il était souvent là à l'heure de l'apéro, comme moi j'étais déjà abstinent d'alcool en arrivant dans la région, on n'avait pas grand-chose à se dire. Même si entre temps, il s'était racheté une conduite, et avait discrètement cessé de boire vu ses problèmes de santé, on n'en a pas profité pour mettre à jour notre relation, on se saluait de loin, sauf la fois où j'avais fait du feu dans le petit bois derrière chez moi un 15
août venteux où il faisait très sec, il était sorti de chez lui et m'avait engueulé comme si c'était moi l'enculé alcoolique, titubant et balbutiant comme s'il était encore ivre, j'avais eu toutes les peines du monde à le dissuader de me dénoncer aux flics, c'était déjà interdit de brûler ses déchets verts, j'avais fini par le calmer en lui montrant l'arrosoir plein, la prudence du chacal, le côté développement soutenable de mon incendie potentiel. 
En effet, je fais partie des vieux cons qui n'ont ni attache-remorque ni remorque pour transporter leurs déchets verts jusqu'à la déchetterie, et que le progrès a relégués au rang de pollueurs casse-couilles ennemis jurés de la planète, car je brûle derrière chez moi ce que je ne parviens pas à composter, avec beaucoup moins d'ardeur et beaucoup plus de discrétion qu'il y a vingt ans, uniquement quand le vent du nord charrie la fumée vers les hectares de vigne inhabitée sans incommoder aucun voisin, de préférence le soir, quand le risque de délation est moindre. 

Ma centrale à charbon / incinérateur de jardin, dans le petit bois derrière chez moi.
Quand j'ai bien laissé sécher les feuillages, mon feu ne dégage même pas de fumée.
On distingue mes deux assistantes à l'arrière-plan.

Quand j'étais gamin, j'allumais des petits feux d'herbe sèche derrière chez moi, ça avait fini par m'inquiéter, cette pyromanie rampante, et surtout l'excitation émotionnelle induite (les risques d'embrasement généralisé étant quand même faibles au vu de la pluviométrie dans les Côtes d'Armor dans les années 60/70), au point que j'avais fini par aller tout avouer à ma mère. 
La coutume d'avouer ses fautes à quelqu'un d'autre est fort ancienne, découvrirai-je bien des années plus tard dans le 12 étapes/12 traditions des Alcooliques Anonymes. Les psychiatres et les psychologues font valoir ce besoin profond qu'éprouve tout être humain de rentrer concrètement en lui-même, d'identifier les faiblesses de sa personnalité et d'en discuter avec une personne compréhensive et digne de confiance. 
Je ne me rappelle plus de ce qu'a dit ma mère, sur le moment je crois qu'elle était surtout gênée par mes aveux qui écornaient l'image du fils parfait qu'elle s'était forgée (alors que ma grand-mère, à la fin de sa vie, n'y allait pas par quatre chemins pour dire que mes parents auraient mieux fait de me montrer à un psychiatre) mais ma confession compulsive et lacrymale à maman sur le thème "je sais pas pourquoi je fais ça mais c'est plus fort que moi" a bien refroidi mes ardeurs de pyromane.
Mais puisqu'on vous dit que c'est interdit.
Après les dictatures numérique et sanitaire, voici l'environnementale.
Pour protester, on peut toujours cramer son ordi devant la déchetterie,
en méditant sur les 6 phases de la dictature mondiale.
https://bouddhanar.blogspot.com/2021/10/les-6-phases-de-la-dictature-mondiale.html
Quel dommage que ce monsieur bouddhanar (de droite)
soit un conspirationniste de la plus belle eau trouble, 
il a de l'énergie à revendre.

Ces dernières années, je brûle sans enthousiasme, presque sans flamme, et généralement dans un incinérateur de jardin plutôt qu'à même le sol, ce qui me vaudra peut-être un tarif dégressif en cas d'amende; qui se monte de base à 750 euros. 
J'ai beaucoup progressé en techniques de compostage, et parviens à recycler presque tous mes déchets verts, sauf les yuccas et les framboisiers. Je fais sécher des semaines tout ce que je ne peux recycler, de façon à ce que ça dégage le moins de fumée possible, et qu'on ne vienne pas me faire suer avec mon empreinte carbone, j'en dégage dix fois plus en brûlant du chêne dans la cheminée du salon d'hiver devenu mon bureau, et ça c'est toujours autorisé.
Mon voisin pyromane alcoolique a longtemps brûlé dans un bidon métallique tout ce qui lui tombait sous la main, même les feuilles et les branches tombées dans le petit bois derrière chez nous, en se foutant éperdument de la direction du vent quitte à nous enfumer, et sa dernière compagne appréciait moyennement que je benne dans le sous-bois déjà abondamment feuillu les brassées de feuilles mortes qui se déposent sur ma pelouse entre octobre et janvier, où mes dizaines de brouettes sont ratissées, absorbées, et lentement converties en humus, la feuille de chêne ne se décompose pas très vite, il faut bien deux ans. Pourrir peut attendre. Et en plus ça étouffe l'herbe naissante. C'est ça qui lui déplaisait. Mes brouettes de feuilles mortes, elle aurait aimé que je les brûle; voilà des gens auprès desquels il n'est pas difficile de se croire un écologiste sensible aux exigences de l'avenir, même sans envoyer 15 euros à wikipédia et sans acheter ni remorque ni broyeur de jardin.

Non seulement brûler émet des particules comme c'est pas permis,
mais en plus le mec s'y est vraiment mal pris,
il a complètement étouffé son feu en bourrant son bidon
avec des trucs pas secs. L'erreur du débutant.

Et les histoires sur Patrick. 
La fois où il était tellement saoul qu'il a fait un délit de fuite au rond-point, et où les flics sont venus le cueillir chez lui parce qu'ils savaient très bien à qui ils avaient affaire. 
Et celle où un soir, soit-disant en ratissant des glands dans son allée, glands dont les chênes très féconds nous bombardent généreusement à l'automne, il avait glissé, et s'était fait une fracture ouverte, et qu'il est resté des heures à brâmer dans le noir avant que quelq'un le secoure (ici c'est la campagne).
La fois où il avait attaché sa copine au radiateur (c'est elle qui nous l'a raconté après) et voulant lui mettre son poing dans la figure, elle l'a esquivé et il s'est juste pété la main en cognant le radiateur (quelques jours après, on l'a effectivement vu avec la main bandée, il nous a dit qu'il avait fait du bricolage qui avait mal tourné)
La fois où les flics sont venus sonner parce que quelqu'un avait appelé pour dénoncer des violences conjugales en cours, sous les yeux du brigadier je me suis tourné vers la cage d'escalier et j'ai demandé à Loukoum, à l'étage, "dis donc, chérie, c'est toi qui as appelé les flics parce que je te tapais ? - ah ben non, c'est pas moi ! - Ok c'est bien ce que je pensais, il y a une erreur, allez donc voir à la maison d'à côté, au 34... "

Les meilleures blagues de Mezzo
dans Picsou Magazine
La fois où... Malgré toutes ces blagues sur Patrick, qui rempliraient un supplément gratuit à Picsou Magazine, et qui maintenaient notre relation de voisinage au point mort du strict minimum d'une cordialité distante et respectueuse, en fait méprisante et vaguement narquoise, et parce que ces dernières années nous avions surtout affaire à sa compagne qui faisait quotidiennement admirer nos poules de jardin à son épagneul tibétain qui en restait muet d'admiration derrière le grillage, et qu'elle était plutôt inoffensive, lui on ne le voyait plus, entre ses séjours à l’hôpital, ses cures de chimio, ses retours fatigués, nos échanges forcément décalés sur le cancer, quand je le voyais devant chez lui sur ses béquilles et que j'allais échanger trois mots, à cause de toutes ces circonstances soudain atténuantes au décès qu'on n'attendait plus de l'infréquentable voisin malgré sa rédemption clandestine, nous nous sommes rendus à ses funérailles, dans un petit cimetière au nord de l'agglomération, un radieux samedi de début septembre. 
Nous sommes restés entre nous, je veux dire nous et les voisins d'en face, qui le tenaient aussi en piètre estime mais qu'on avait embarqués dans l'histoire, ça leur faisait une sortie, à 80 ans sans vaccin ni passe sanitaire on ne sort plus beaucoup, nous ne connaissions personne parmi ses proches, à part le viticulteur du coin, mais on entretient avec lui les mêmes rapports distants qu'avec Patrick, et ma femme ne boit pas de son muscadet, il est trop pas bon. 
Les employés des pompes funèbres ont un peu foiré les intros et outros des chansons d'Aznavour et de Pascal Obistro diffusées pendant la cérémonie, mais les éloges funèbres par sa fille, avec qui il avait été longtemps brouillé, et par sa dernière compagne, qui l'avait réconcilié avec sa fille, en tout cas c'est ce qu'elles ont dit dans leur petit discours, ont été sobres et émouvants, elles ont dressé avec des mots très simples un tableau du disparu qui rayonnait soudain de qualités humaines insoupçonnées, le courage, la probité, la ténacité, l'humour, toutes ces vertus que nous n'avions pas su capter de notre voisin en choisissant de vivre à distance autant que faire se pouvait, et maintenant, évidemment, c'était un peu tard. Au point de me troubler, et de lui consacrer ce billet.
Images d'archives D.R.
En pénitence d'avoir pensé du mal d'un chouette gars qui avait un peu trop picolé pour ne pas être rattrapé par ses excès passés, mais qui a quand même œuvré pour la réduction de mon empreinte carbone en me faisant vivre dans la terreur d'une dénonciation quand il m'arrive de brûler des déchets végétaux dans le bois, quelques jours plus tard je suis allé faire les vendanges bénévolement, pour un ancien collègue en cours de reconversion comme vigneron bio, mais qui démarre modestement, et n'a pas de quoi pour l'instant salarier ses vendangeurs. Je me suis d'abord dit "nan mais il est un peu chié de me solliciter, il sait bien que je ne bois plus" et puis quand même après j'ai réfléchi "nan mais en fait y s'en fout de ta problématique d'alcoolo, il a juste besoin d'un coup de main, et quel plus beau geste pour toi que de donner de ton temps pour un gars avec qui tu n'as pas vraiment d'attaches ? "

Merci Liberatore !
Dans le muscadet, cette année y’a eu le gel, la grêle, le mildiou, et les récoltes sont perdues à 80 %. Alors son raisin a été vite ramassé, j
'ai passé un week-end dans les vignes avec que des 
quadras, c’est là que tu vois dans leurs yeux que tu ne l’es plus. Comme avec mon voisin, il y a une certaine distance qui s'établit spontanément, mais au moins, t'es en contact avec le monde, un monde post-Covid où les programmateurs de spectacles de jazz et de world music se reconvertissent dans la menuiserie. On s'est retrouvés à discuter de cinéma coréen avec un gérant de label musical de la région qui m'a proposé d'assister à un concert de rock psyché la semaine suivante en laissant une place à mon nom à l'entrée de la salle, ça fait toujours plaisir. Mais je ne suis plus très branché rock psyché. J'esmère simplement récupérer quelques bouteilles de muscadet pour ma femme si Pierre réussit sa première vinification. Réponse dans quelques semaines. Faut qu'ça fermente. Sauf qu’à force de me justifier dans les vignes et au cours des repas de vendangeurs « nan mais moi je bois plus depuis 29 ans », j’avais l’impression de proclamer l’inverse de ce que je prétendais, à savoir de prouver mon attachement hors d'âge au produit, et que si j’avais vraiment envie de me la péter avec mon abstinence, les quadras du cru n’en avaient rien à battre, et j’avais qu’à retourner m’en vanter en réunion Alcooliques Anonymes, ce que j’ai aussitôt fait. 
Même après 10 ans d'absence, les AA t'accueillent toujours comme si t'étais venu la semaine précédente. Et leur chaleur n'est pas feinte. J'y retourne aussi parce que j'ai une collègue de bureau à qui j'aimerais bien transmettre un peu de ce que j'ai reçu quand j'ai poussé la porte du mouvement pour chercher une solution à mon problème avec la boisson, et que j'ai un peu oublié les rudiments d'une transmission efficace.
En relisant parallèlement mes comptes-rendus de séances de psychothérapie de l'époque, il m'apparaît que je picolais pour cause de narcissisme déficient, c’est à dire pour me consoler de n’être « que » ce que j’étais, pas vraiment à la hauteur de mes ambitions. Je me décevais beaucoup, quoi. Le recours au médicament liquide n'arrangeait rien, mais anesthésiait la douleur. Et malgré tout mon blabla, rien ne m'interdit de transférer le programme de rétablissement qui m'est suggéré dans d'autres domaines de ma vie. C'est même recommandé.

Selon ma femme,
je vais pas tarder
à être dans un beau Drap.
Epilogue

La vie continue.
2 Novembre. 
Fête des Trépassés. 
Bonne fête Patrick ! 
C'est ta première, je sais, ne t'inquiète pas, ça va bien se passer, on est là, comme des voisins redevenus vigilants depuis ton départ.
Je me renseigne, sans passer par Wikipedia sinon il va encore me taper 15 balles.
En Occident, la Fête des Morts ou la «Fête des trépassés » est une célébration d'origine celtique qui, étendue ensuite aux peuples européens, a été réaménagée par les Églises chrétiennes depuis le XI° siècle sous le nom de « jour des Morts » dont la célébration est fixée au 2 novembre de chaque année. 
Ça fait bizarre, chaque fois que je vais pisser dans le jardin, et à mon âge c'est souvent, d'observer tes volets qui restent obstinément fermés. Sauf quand ta fille vient de Marseille pour finir de vider la maison. Depuis que tu as quitté ton corps, nous la surveillons. Pas ta fille. La maison. Ta fille, nous ne la connaissions pas, mais elle est sympa. Sa mère aussi. L'autre jour, peu après ton décès, je suis allé l'engueuler parce qu'elle brûlait des papiers sans doute hyper-secrets dans un brasero et que toute la fumée venait sur moi qui étais en train de ramasser des framboises dans ma parcelle, alors avec mon infection pulmonaire je toussais beaucoup, et je trouvais ça scandaleux de me faire enfumer, et elle était désolée, mais il fallait vraiment faire disparaitre ces papiers sans pouvoir passer par la déchetterie, ma femme m'a engueulé que je sois allé lui râler dessus, moi qui il y a vingt ans empuantissais tout le quartier avec mes incendies raisonnés® sans que ça me pose de problème moral ni avec les flics, j'ai beaucoup changé mais apparemment le souvenir de mes méfaits perdure. 

A tous les coups, ma femme se rappelle
du temps où je trempais ma trompe dans le bol
mieux que je ne saurais le faire.
Ahlala Akbar. Ça nous rajeunit pas.
La semaine dernière, en rentrant d'une virée en vélo, on a vu que y'avait du monde, et ma femme s'est arrêtée devant chez toi pour lier la conversation avec ton ex-épouse et ta fille, moi j'ai pas osé vu que je les avais engueulées début septembre, et c'est comme ça qu'on a su que ta maison allait être vendue au beau-père du second fils du viticulteur du coin, dont j'enfume parfois les vignes, du coup ma femme me prédit des difficultés grandissantes à faire du feu dans le bois, je m'en fous, l'autre matin il y avait du brouillard et j'en ai bien profité, j'ai berné tout le monde, le voisin d'en face est sorti parce qu'il trouvait que le brouillard avait une odeur suspecte, mais il n'a rien pu prouver et il est rentré chez lui.  


[EDIT]

Une amie m'envoie ce commentaire et me remet sur la voie de la raison :
Pour les déchets verts, nous allions à la déchetterie avec nos remorques. Mais j'ai acheté un broyeur, et je répands sur le terrain, aux pieds des arbres, dans les haies, et même sur nos mini carrés de potager. Mes pieds de tomates, concombres etc, je les ai arrachés et tout simplement laissés dans le potager. Les vers de terre et autres bactéries recyclent tout, et cela nourrit la terre. donc même si tu déposes tous tes végétaux dans la forêt, ils se décomposent. Je fais de même avec les épluchures etc....tout revient à la terre ou au hérisson. Pour les feuilles, soit on fait un tas autour des plantes, ou sur le potager, et cela les protège un peu de l'hiver et se décomposent avant le printemps, soit on les laisse.... de même pour celles qui pourrissent dans les gouttières. Tout peut revenir à la terre, pas besoin de brûler.

J'étais en train de penser la même chose de la crémation. Quel gaspillage !

samedi 2 octobre 2021

Loukoum et Tagada contre Mindhunter

L'affiche me fait penser à Richard Corben.
Qui n'a pourtant rien à voir.
Y aura-t-il une saison 3 de Mindhunter, la glaçante série de David Fincher sur le profilage des tueurs en série dans les années 60 ? La controverse ne me passionne pas. 
Je veux dire, il faut éviter de se nourrir uniquement de cochonneries toxiques. Les deux premières saisons sont bien menées, mais malaisantes à souhait. Après avoir joué les otages consentants des séries télé pendant une vingtaine d'années, le sortilège qui nous liait s'est un soir défait, évanoui dans l'azur, un soir de pandémie où j'avais perdu la foi dans les vertus du téléchargement, après une énième série dont les promesses, susurrées par les journalistes spécialisés, n'engageaient que ceux qui y croivaient.
Depuis, le soir, on est au lit, et on lit des livres. 
Tagada me récite à voix haute un passage de "Criminologie", de Maurice Cusson, que je lui ai trouvé sur l'extraordinaire librairie en ligne "Ali-baba et les 40 bibliothécaires en rut" : https://fr.1lib.fr/ pour nous éviter la ruine bibliographique depuis qu'elle a repris ses études après son départ à la retraite. (Depuis que j'ai écrit l'article, les antipirateures ont rendu le site inopérant, mais à l'heure où je mets sous presse, ils sont relocalisés par ici : https://fr.b-ok.cc/ mais sont susceptibles de disparaitre à nouveau du multivers. Auquel cas il faudra les rechercher à partir de l'argument "Partie du projet Z-Library. La plus grande bibliothèque électronique du monde entier" dans google.)

Entre 1935 et 1960, la criminologie de langue française est dominée par la figure d’Étienne De Greeff. Médecin anthropologue à la prison de Louvain à partir de 1926 et professeur d’anthropologie criminelle à l’Université de cette ville dès 1929, son influence se fait sentir notamment sur J. Pinatel, C. Debuyst, A. Hesnard et M. Fréchette. De Greeff prend ses distances avec les positivistes en se délestant de leur lourd déterminisme et en s’efforçant de voir les criminels comme ils se voient eux-mêmes. Dans une œuvre très riche qui déborde la criminologie, deux thèmes retiennent l’attention : le processus de l’acte grave et le sentiment d’injustice subie du criminel.
Chez de très nombreux meurtriers, De Greeff (1935-1942 ; 1948-1955) étudie de l’intérieur la maturation psychologique qui débouche sur le crime passionnel. Il insiste sur le fait que le processus du passage à l’acte s’étale dans le temps. La plupart des hommes qui en viennent à tuer la femme qu’ils disent aimer mûrissent leur crime pendant des semaines, des mois, quelquefois même des années. Leur évolution se déroule en trois stades. Elle commence par l’assentiment inefficace. L’idée que leur compagne pourrait disparaître s’infiltre peu à peu dans leur esprit sans qu’ils n’osent admettre devenir eux-mêmes les agents de cette mort. Dans un deuxième stade, la possibilité qu’ils suppriment la femme s’impose à leur esprit et ils en arrivent à l’accepter : c’est l’assentiment formulé. Puis vient la crise ; la décision, pour ou contre, est imminente. Écartelés, ils sont dans un état de tension extrême ; ils dorment mal ; mangent mal ; leur contact avec la réalité se détériore ; ils souffrent. Finalement, il suffit d’une maladresse ou d’une provocation de la part de l’éventuelle victime pour lever brusquement les dernières inhibitions. Le champ de conscience se rétrécit alors ; ils entrent dans un état de transe. Ils attaquent avec sauvagerie et, souvent, portent des coups répétés à la femme (De Greeff, 1942 : 243-7).
Cette issue fatale n’est rendue possible que par une évolution qui a conduit le meurtrier à se détacher de la femme qu’il prétend aimer et à se désintéresser de son propre avenir. C’est le « processus suicide ». De plus en plus désespéré, le meurtrier éventuel perd le goût de vivre. Il se désengage de tout ce à quoi il était attaché. L’idée de finir ses jours en prison cesse de lui faire peur. Devenu indifférent à tout, il devient capable de tout.
Parallèlement, au cours de ce que De Greeff appelle le « processus de revendication », le criminel projette tout le blâme sur sa future victime pour se sentir ensuite autorisé à se venger : elle a abusé de sa confiance ; elle l’a épousé par intérêt ; elle l’a humilié ; elle l’a honteusement trompé. Pour se persuader que la femme qu’il prétend aimer mérite la mort, il la dévalorise, l’accable de tous les torts et la réduit à une caricature haïssable.
De Greeff a aussi décrit la personnalité du criminel. Il a surtout insisté sur le sentiment d’injustice subie. L’homme engagé dans le crime nourrit des griefs contre l’univers entier. Il est convaincu d’avoir subi une longue succession de préjudices immérités. Il affirme qu’il a dû lutter durant toute sa vie contre les iniquités et les injustices. De ce fait, il adopte vis-à-vis d’autrui une attitude revendicatrice et justificatrice qui débouche sur le refus de pactiser. Convaincu que ses propres crimes sont des actes de justice, il les légitime en se persuadant qu’il est plus juste et plus honnête que ses juges. 
[...] Disciple de De Greeff, Pinatel présenta, en 1963, puis en 1974, une systématisation qui devait exercer une réelle influence sur la criminologie de langue française sans pour autant échapper à la critique. Selon Pinatel, il n’y a pas de différence de nature, mais de degré, entre les criminels et les autres. Ils se distinguent des gens normaux sur quatre dimensions du « noyau central de la personnalité criminelle » : l’égocentrisme, la labilité, l’agressivité et l’indifférence affective. Ces quatre traits doivent tous être présents pour qu’un crime grave soit possible.

1. L’égocentrisme est la tendance à tout rapporter à soi-même, l’incapacité « de juger un problème moral d’un point de vue autre que personnel » (Pinatel, 1975 : 597) et la propension à réagir à la frustration par le dépit et la colère. L’égocentrisme permet au criminel de se persuader de la légitimité de son forfait et le rend indifférent à l’opprobre qui s’attache au crime qu’il s’apprête à commettre.

2. La labilité est une combinaison d’imprévoyance, d’inorganisation dans la durée et d’instabilité du caractère qui empêchent le délinquant d’être inhibé par la menace de la sanction. Il se laisse asservir par le désir du moment sans tenir compte des conséquences lointaines de ses actes.

3. L’agressivité est l’énergie permettant au criminel de surmonter les obstacles rencontrés au cours du passage à l’acte et la combativité nécessaire pour passer outre à l’odieux de la réalisation du crime.

4. L’indifférence affective est un manque d’émotion altruiste et sympathique qui rend le criminel insensible aux souffrances de sa victime et incapable de ressentir de la culpabilité. Imperméable aussi bien à la pitié qu’à la compassion, il n’est pas retenu au cours de l’exécution du crime par le spectacle du mal qu’il inflige. Cet état de froideur psychologique peut provenir de carences éducatives ou constitutionnelles. Il arrive aussi qu’il soit le résultat d’un processus de désengagement affectif.

La théorie de Pinatel est en même temps une analyse des traits de personnalité qui distinguent les criminels des autres et une description des attitudes psychologiques qui rendent possible l’exécution du crime grave. Et elle est moins une explication qu’une identification des conditions subjectives du passage à l’acte : être indifférent à la réprobation, à la perspective de la peine, à la souffrance de la victime et à l’odieux de l’exécution du crime. À ce titre, elle n’échappe pas tout à fait à la tautologie : ce qui sert à expliquer le crime est contenu dans le crime lui-même.

Mais dites donc, voyez-vous ça, c'est qu'on ne s'embête pas, chez les criminologues. On dirait bien que quand Pinatel regarde l'abîme, Michel Fourniret le regarde aussi. Des défauts de caractère, des ruminations un peu poussées, comme chez les gens normaux mais en plus intense, et puis un jour de marée haute pulsionnelle, CRAC, passage à l'acte. Et COUIC, dans le journal. Et re-CRAC, au gnouf. Ou pas. Tagada me glisse gentiment que je présente au moins 3 des 4 conditions psychologiques requises pour passer à l'acte. Elle est bien gentille, mais moi, Loukoum, j'ai checké pendant sa lecture à voix haute, et j'ai bien les 4. Sur le moment, on rigole comme des jeunes mariés. Le lit, insuffisamment rigidifié, commence à grincer, et le chat, mécontent du barouf, se barre de sur nos pieds. Plus tard, quand elle me parle d'autre chose le dos tourné, dans la cuisine, et que j'ai l'épluche-patate à la main, une sorte de vertige me prend, mais c'est un flash forward, c'est depuis qu'elle m'a lu l'article. Je me dis qu'en fait, mon père présente les 4 traits de manière flagrante, mais au fond, je sais bien que ce qui me déplaît chez lui, c’est que je lui ressemble beaucoup.  Même si je n'irais sans doute pas faire chez lui ce qu'il vient de venir faire chez nous et dont je ne dirai rien, par décence tardive, après trois ans de mise à l'écart pour cause de pénibilité. Et pas question de botter en touche en usant du subterfuge de Flopinette, qui disait jadis sur un forum disparu que j'ai bien mis 5 ans à déterrer dans les cyber-gravats : 
Et même lorsqu'il y a offense, il faut savoir que les gens sont rarement conscients de faire des offenses. Comme qui dirait, c'est "inconscient", et la part de l'inconscient dans le comportement humain est énorme. J'ai une expression pour ça : "ils sont de mauvaise foi de bonne foi". Et cela, tu n'y peux absolument rien. Si leur économie psychique nécessite qu'ils ne soient pas conscients de l'offense, ils auront des hallucinations plutôt que de voir le mal qu'ils font. Le mal n'est jamais conscient. [...] Où as-tu vu que je condamnais J. ? Ton imagination se révèle fertile. Je dis simplement qu'il doit avoir quelques problèmes relationnels et que s'il se demande d'où ils viennent, la réponse est simple. Mais son karma n'est pas le mien, et ne peut pas le devenir, tant que je ne le condamnerai pas. Et je ne le condamne pas, car pour sûr je ne le souhaite pas."

J’ai longtemps trouvé ça bien vu, mais aujourd’hui je me dis : qu’est-ce que c’est que cette croyance que ne pas condamner autrui va me préserver du sort de celui que je dénigre ? ça sent le pharisien pas libéré, qui se retient de médire pour éviter le retour de boomerang karmique, un truc qu'il a intégré dans ses croyances; si j'évoque un effroyable connard qui n'a rien capté à sa vie, même si c'est mon père, ce n'est pas de le dire qui va y changer quelque chose, ni pour lui, ni pour moi. Sauf si je le lui dis en face, mais je m'expose alors à des troubles que je préfère éviter. Ce type a passé sa vie à nous inférioriser, mon frère et moi, il ne pouvait exister qu’en nous enfonçant, en entrant en compétition avec nous, et en se dévoilant à lui-même comme le meilleur, comme si nous le menacions, alors que nous étions ses enfants, pas ses concurrents. On peut se demander pourquoi il n'a pas trouvé d'autre solution pour avoir l'impression de vivre, mais c'est une autre histoire. Je ne parviens à l’apprécier ni comme homme ni comme père, il a le don de me perturber émotionnellement comme toute bonne relation toxique, mais au fond je ne peux rien lui reprocher qui ne ressemble comme un frère de ta soeur aux remarques blessantes dont il a parsemé notre éducation, moi et mon cadet. Or, Jésus et Flopinette ont dit « Aime ton ennemi » , pas « deviens comme lui ». C'est un pervers narcissique incurable, il est trop tard pour l'en prévenir car tout son système d'auto-conservation est maintenant solidifié. La rencontre n'a pas eu lieu, et vu les mécanismes de protection à l'œuvre, elle n'aura jamais lieu. Il m'arrive encore de le regretter, et c'est là que je suis fragile, et susceptible de me refaire baiser. Je peux juste me tenir au large et faire des choix différents des siens. Le puis-je vraiment ? A la lecture de mes interactions avec mon fils depuis une quinzaine d'années, pas tant que ça. Mais je peux continuer d'essayer. 

(Loukoum et Tagada® sont une création John et Jeannette Warsen®)