mardi 7 décembre 2021

L'espoir n'est pas un steak (2006)

"Au revoir"
(Valéry Giscard d'Estaing, 1981)
Le mois dernier, vers la fin de mon homélie d'auto-addict, j'ai fait une allusion voilée et truffée d'hyperliens planqués sous l'icône de l'éléphant trempant sa petite trompe dans son petit bol, elle-même empruntée à un remarquable ouvrage pour la jeunesse, aux débuts enthousiastes de ce blog, vers 2005, sous l'égide de la lutte contre la cyberdépendance sexuelle. Dure lutte, en vérité, puisque je suis encore là, et apparemment vous aussi. Ca m'a rappelé qu'à l'époque, je n'écrivais pas encore dans l'espoir (qui n'est pas un steak) de pouvoir ensuite lire les articles que je ne trouvais nulle part sur le net. Au contraire, je baignais dans un flot de blogs spiritualistes, au milieu de personnes dont l'expression écrite me stupéfiait d'intelligence et de sensibilité, car j'étais un peu branché auto-dévalorisation. Au moins, ça, ça m'a un peu passé. Ces personnes se sont depuis toutes mises en retrait(e) du virtuel, et j'aurais mieux fait de suivre leur exemple, au lieu de jouer les prolongations. Mais enfin, les paroles s'envolent, alors que les écrits restent. Voici deux petits billets qui m'ont bien profité. Si l'auteur passe devant, je le salue chaleureusement.


L'espoir n'est pas un steak

Par curiosité, je suis allée voir où en était Spirit de sa lutte contre la cyberdépendance, et j’ai vu qu’il avait ouvert un nouveau nouveau blog après sa nouvelle nouvelle rechute. Apparemment, il y a une chose qu’il n’a pas comprise : on ne se nourrit pas d’espoir. L’espoir c’est comme la barbapapa, c’est rose, c’est sucré, ça a l’air bon, mais ça colle et c’est surtout du vent. Si on se nourrit de barbapapa, au bout de quelques jours, on commence à avoir très faim.
Tout le monde a essayé de se nourrir d’espoir un jour ou l’autre. Par exemple, quand j’ai commencé le Tchan, en 1996, je me disais « Allez, aujourd’hui je prends une bonne résolution, je deviens consciente. Et dans 48 jours ou peu s’en faut, je serai éveillée. Voilà. On y croit. Tout va changer. Je peux le faire. ». Quand je lis Spirit, j’ai l’impression de me voir il y a 10 ans. Mais il y avait là une erreur d’analyse fondamentale. C’est que l’espoir est une pensée, contrairement à un steak, ou à un plat de pâtes, par exemple. Et, au bout de 10 jours, on peut bien penser ce qu’on veut, le corps, lui, regarde ce qu’il a mangé entre temps. Et s’il n’a rien mangé, il n’est pas content, et il retourne là où il y a à manger. Donc tout se casse la gueule.
Le problème de nos compulsions, c’est qu’elles nous nourrissent. Si on ne trouve pas de nourriture alternative, il est normal qu’on y retourne, à moins qu’entre temps on se soit habitué à crever la dalle, comme les moines trappistes. Mais alors on vit mal, on est dépressif. Dans les monastères, on appelle ça l’acédie. Bien sûr, on ne cède plus aux compulsions, mais ça ne nous remplit pas pour autant. On est vide, et on ne peut pas se remplir avec de l’auto-satisfaction. Surtout pas, en fait. Car l’auto-contemplation est précisément ce qui empêche Dieu (l’état naturel) d’être présent. On essaie de se remplir de la pensée de soi, ce qui est impossible puisque la pensée est vide, comme le soi, mais le problème c’est qu’en attendant la place est prise, même si c’est par un fantôme.
L’espoir est au fond la même chose que le doute. J’y arriverai, ou je n’y arriverai pas, c’est la même chanson, déclinée sous deux modes différents. Une façon de penser à soi. C’est pour cette raison que les maîtres sont assez peu complaisants envers l’un comme envers l’autre. Qu’on ait l’air tout exalté ou tout malheureux, qu’on s’auto-convainque de ses mérites ou qu’on s’auto-apitoie, il s’agit toujours d’auto-contemplation, de mensonge. Le moi n’a pas d’existence intrinsèque.

Commentaires

1. Le dimanche 12 février 2006 à 23:30, par john

La pensée n'est pas un steak, mais c'est de l'énergie. C'est pourquoi le plaignos qui cherche à changer de crèmerie préfèrera au mot mensonge celui de fiction : le mensonge, il va s'en accomoder à condition que ça soit de sa faute, et risque d'en faire un usage ambivalent, alors que la fiction, il peut l'explorer en étant moins polarisé affectivement, pour finir par découvrir qu'elle est auto-entretenue (il s'en doutait quand même un peu).
Merci du coin de zinc, plutôt bien famé pour une fin de semaine.


Légitimité du "mal"

De blog en blog, une autre évidence m’apparaît. Ce qui trompe les gens dans leur recherche de solution, c’est le fait de ne pas avoir la totalité du tableau. Comme le gars qui touche la queue de l’éléphant, qui croit que c’est un serpent, et qui fonde toute sa démarche sur le fait qu’il a affaire à un serpent. Sur le blog de Roujsend, par exemple, on y considère que le désir de puissance est une mauvaise chose et qu’il a dû apparaître à un certain moment pendant l’enfance. Dans les commentaires, la tendance ne fait que s’amplifier. Mais si l’on remonte le fil, on se rend compte que la réalité est toute autre. Le sentiment de toute-puissance est en réalité celui que l’on éprouve lorsque le corps énergétique est unifié, c’est-à-dire lorsqu’il devient omniprésent – on peut avoir un vague aperçu de ce que ça donne en rêve -. Autrement dit, le désir de puissance que nous exerçons sur nous ou les autres n’est que la dégradation de cet état originel non-séparé (d’avec nous-mêmes) que nous cherchons à retrouver. Mais il y a mieux. La béatitude que nous éprouvons dans ces états d’omniprésence n’est elle-même que le reflet de la béatitude qui est la 3è qualité de rigpa. Autrement dit, le désir de puissance n’est que la dégradation de la dégradation de la nature originelle. Qui s’étonnerait alors qu’il soit si bien accroché ?
Il en va de même pour le désir. Les cyberdépendants combattent leur désir. Pas de chance, le désir de la pétasse sur un écran n’est que la dégradation de quelque chose de plus haut, car la jouissance sexuelle n’est, de nouveau, qu’une version dégradée de la béatitude produite par l’union de la clarté et de la vacuité. Autrement dit, rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature. Et ça ne peut pas marcher.

Voilà pourquoi tout le monde tourne en rond. On rejette ce qui nous paraît mauvais. Alors que si nous comprenions que ce qui nous paraît mauvais n’est qu’une version déformée – mais pas tant qu’on le croit – de notre nature, ou de Dieu, tout irait bien mieux. De même, on va thérapiser le tueur qui a poignardé quelqu’un en lui faisant subir je ne sais quel traitement basé sur le fait que son geste est totalement mauvais, alors qu’en réalité, il n’est que l’expression d’un désir d’ouverture non compris, qui s’est vécu sur le plan physique au lieu de se vivre sur le plan énergétique. Si les gens pouvaient VOIR ce qu’il y a dans tout ce qui leur paraît mauvais… ils verraient que ce qui est mauvais, c’est leur vue. Mais que le geste, l’acte, ou la pensée, au fond, est parfaitement légitime. C’est toujours Dieu qui se cherche.


Commentaires

1. Le dimanche 12 février 2006 à 23:15, par roujsend

Quand je dis apparaître, je ne dis pas venu de nulle part. Je veux dire en prendre conscience, s'exprimer clairement (enfin clairement dans le langage commun). Le rejet, lui, ne viendra que plus tard, non pas parce que cette puissance me paraît "mauvaise" en elle même, mais parce qu'elle entrera en conflit avec d'autres voiles émotionnels (moraux entre autres)

2. Le lundi 13 février 2006 à 21:47, par joaquim

Salutaire recadrage sur l’ouverture de la porte. Enfoncer des portes ouvertes, c’est parfois utile, surtout quand tant se heurtent au cadre.

3. Le mardi 14 février 2006 à 08:12, par orroz

Je viens de lire et je suis d'accord avec toi : "rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature". C'est pourquoi je propose aux dépendants de transformer leurs désirs de pétasses en désir vrai d'amour pour leur partenaire car en réalité c'est cette omnipotence du désir qui permet d'atteindre la vraie jouissance.
En revanche, je ne suis pas totalement d'accord avec :
"Si les gens pouvaient VOIR ce qu’il y a dans tout ce qui leur paraît mauvais… ils verraient que ce qui est mauvais, c’est leur vue. Mais que le geste, l’acte, ou la pensée, au fond, est parfaitement légitime."
Car si l'on passe à l'acte "mauvais" c'est que la vue n'est pas la bonne !
Mais ta conclusion est juste :
C’est toujours Dieu qui se cherche.

4. Le mardi 14 février 2006 à 18:07, par Anargala

Tout à fait d'accord sur la métaphore de l'éléphant dans le noir. Tout désir dérive de l'amour du Soi, ou de la nature de Bouddha.
L'univers, c'est "god in the making".

5. Le mardi 14 février 2006 à 20:41, par flo

Waouh ! Les chenilles ne t'ont pas dévoré tout cru, tu as survécu ! 

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