La lecture, c'est l'aventure, c'est une saga rédactionnelle qui s'étend à ce jour sur trois épisodes :
Le seul livre que je parvienne à lire sans confusion perceptive aliénante sur tablette, c'est le Yoga d'Emmanuel Carrère, mais cette lecture me navre, pour lui comme pour moi. Sans parler de Fanny Ardant, posée en VHS sur l'étagère. Je ne vais pas en dire du mal, ça me nuirait, je me rappelle avec une acuité douloureuse d'un commentaire tranchant sur le forum café éveil qui disait "mais son karma n'est pas le mien, et ne peut pas le devenir, tant que je ne le condamnerai pas. Et je ne le condamne pas, car pour sûr je ne le souhaite pas", mais Carrère et ses défaillances narratives, Manu et ses embarrassantes révélations sur lui-même, toute cette intimité suffocante avec ses dysfonctionnements qu'il nous partage de livre en livre, lui et sa dépression de pleine conscience, lui dont j'apprécie tant le verbe quand il parle des autres, devient mon modèle répulsif absolu de névrose expérimentale attrapée en se regardant écrire sur soi, incarnant tout à fait ce qu’il ne faut pas faire et qu’il est éprouvant de voir faire aux autres.
En plus ça fait 15 ans que je fais pareil sur mon blog, c'est de plus en plus compliqué à démouler, et ça ne m'a jamais rapporté un radis; et à force d'arroser mon jardin avec du ciment, Dieu a fini par me couper l'eau, donc en principe Yoga me dispense pour aujourd’hui du besoin compulsif de coucher mes états d'âme (si tant est que j'en aie une) sur le papier des grossiers de l'écran.
Comme l'a dit Beigbeder lors de l'émission Le flasque et l'enclume, « On a affaire à une autobiographie qui se ment à elle-même. C'est comme les bloggueurs patients qui mentent à leur psychanalyste : ça ne peut pas marcher. » Comme chez Warsen, quoi, sauf que Warsen n’est pas édité chez P.O.L, d'ailleurs il ne m’édite pas autant qu'il le prétend, mais s’auto-édite à un seul exemplaire et surtout radote tout seul devant son écran; et il prend du lithium, comme Carrère, et comme beaucoup de bipolaires. Y'a pas de quoi être fier, tralalère. Sans parler du fait qu'à la suite d'une lombalgie carabinée, pas plus tard que la semaine dernière, j'avais retrouvé une réserve secrète de di-antalvic, un anti-inflammatoire à la fois interdit et périmé, je m'enfilais ça avec des cachets de lamaline (le comprimé fourré à l'opium qui ne rend pas malin, selon ma femme qui en a trop pris) pour faire descendre, comme on disait dans les troquets avant-guerre, et puis il a suffi que ma généraliste brandisse la menace pangoline, prétexte bon à tout faire passer par décret, disant que ceux qui vivaient par l'anti-inflammatoire offraient une voie d'accès en open bar à la vermine covidienne, encore pire que s'ils avaient investi dans un paillasson marqué "bienvenue" en lettre fluo à l'entrée de leur organisme, et ça m'a tout coupé. Finalement, je me suis remis droit tout seul, en faisant des travaux sur un escabeau. Mon ordinateur a passé huit jours sous une bâche au milieu des gravats, ça l'a rendu plus humble, et la peur a changé de camp, comme dit notre bon président.
Délivrez-nous des bandeaux qui masquent les illustrations de Manchu. |
"Nous explorons des domaines au-delà de la simple compréhension humaine. Parfois ses contours sont tout simplement trop complexes pour nos cerveaux, à d'autres moments ses axes même s'étendent dans des dimensions que sont incapables de concevoir des esprits construits pour baiser et se battre sur des prairies préhistoriques. Tant de choses nous contraignent, dans tant de directions. Les philosophies les plus altruistes et les plus viables échouent face à l'intérêt personnel, cet impératif brutal du tronc cérébral." pouvait-on lire dans Vision aveugle, que j'avais eu un mal de chien à décrypter : une intrigue mêlant space opéra, hard-science, vampirisme, entrelardée de philosophie et de questionnements sur la nature de la conscience.
Ses thèmes récurrents sont l'illusion du libre-arbitre, la pensée consciente (prétendument) rationnelle qui n'est en fait qu'une justification a posteriori de processus inconscients issus des parties les plus anciennes et les plus primitives du cerveau humain, eux-mêmes n'étant que le fruit de phénomènes chimiques et électriques précisément déterminés par les lois de la physique, vous voyez le genre, on ne se poile pas tous les jours dans ses astronefs, c'est assez dense.
"Haka", de Caril Férey, qu'on m'a suggéré puis prêté, c'est encore pire, on dirait du Ellroy français. J'aurais jamais cru dire ça un jour, mais c'est trup punk pour moi. C'est comme d'autres avec les chanterelles, je ne peux plus manger de ça, je ne le digère plus. A ce stade, mon cancer virtuel est en nette régression, mais la récidive est à la portée d'un simple clic. Donc pas de déclaration d'intention propre à faire ricaner Dieu, comme le radotait Carrère avant moi.
J'ai pris une bonne claque dans la salle d'attente de l'oncologue |
Entretemps, un copain disruptif, je veux dire par là que je le vois par intermittence depuis 35 ans, a fait de sa maladie passée un roman très vigoureux qu'il m'envoie gracieusement et par la poste, c'est un récit de fureur et de haine envers la science médicale, avec une puissance poétique dont je ne le soupçonnais pas. Et dont je serais bien incapable, bien que personne ne m'ait questionné à ce sujet.
Et pendant que livres lus, non lus et à moitié lus s'empilent et s'enlacent au pied du lit et dans l'iPad, ça fait bien un mois déjà que je tente de conclure cet article faussement enjoué par le biais de l'autofiction du langage parlé pour vanter les vertus de la lecture, ce qui est bien la preuve que blogage et déblogage ne sont plus adaptés à mes besoins, si jamais ils le furent.
Les raisons qui m'ont conduit à ouvrir ce blog, elles, perdurent, c'est juste que l'outil n'était pas le bon.
Vive le silence et la méditation, mais attention aux velléités autobiographiques, surtout celles qui traitent de cyberdépendance virtuelle, d'auto-addiction, et de rédemption de l’objet fascinatoire.
quand elle n'est pas en service, ma libraire potasse des manuels traitant des cosplays Scooby Doo |
Je retourne en librairie, au moins ça c'est une des bonnes nouvelles, avec le fait que les libraires sortent renforcés du Covid; quand un ouvrage que j'ai mis dans l'iPad comme s'il m'avait été prêté par un ami m'a tapé dans l'oeil, je vais dans la librairie de la ville, tenue par des meufs pas trop bonnasses vu que sinon elles passeraient pas leur temps à lire des livres et à essayer d'en vendre, mais elles sont sympas quand même, et on peut tout commander par internet. Internet qui, rappelons-le, n'est pas mon ami, ou alors comme le serait un vieux pote un peu relou qui me proposerait toujours de me consoler avec des techniques de gavage qui ne pourront jamais niveler mon trou béant, qui était déjà à l'origine de la création de ce blog, même si je le remplissais avec autre chose, sans parler des impératifs de mon tronc cérébral, et surtout dans une phrase où l'on place l'adverbe de temps toujours il faut tout de suite après coller son antidote jamais car ces deux redoutables éternités ne sont que faussement accessibles à l'esprit humain.
Voilà pour aujourd'hui, je vais persister à soigner ma lombalgie par des travaux intérieurs sur un escabeau, jusqu'à ce que je ne puisse plus bouger l'autre épaule; je remets mon ordi sous une bâche, et la bâche sous les gravats, ça le rendra plus humble. Et moi donc. Parce que n'empêche même que quand même, si le langage reste l'ultime frontière de notre dernière liberté, et n'empêche melba que même si que la lecture, c'est l'aventure, au départ c'est la peinture, que c'est l'aventure.
(à suivre)