mardi 18 avril 2006

Rémanences pascales






Commentaires

  1. Bonne continuation ! :)

  2. Ouah, tourner un film ! Trop génial ! Tiens je sais pas si t’as vu la pub pour “la nuit du poker”, elle est géniale.

  3. beuh non, on peut la voir où ? et t’es sûre que tu te moques pas, là ? j’aurais tendance à penser que si je suis capable de diriger une équipe même dans mon costume à paillettes de lavette cosmique, c’est à la portée de n’importe qui. Le tournage est fini, il me reste encore le montage et le mixage pour flipper ma race, rhaaa !

  4. la pub était sur yahoo mais elle n’y est plus apparemment.

  5. Le montage, c’est les doigts dans le pif avec ton expérience et dans les yeux de la script pour chaque faux raccord et le mixage ça sera juste le bout du rouleau…et des angoisses… Après tu peux compter 3 ans avant d’avoir un regard frais sur ton truc et ne plus voir seulement les merdes… Wellcome

  6. si je pars du principe - et que je le garde au frais dans ma conscience de veille - que la négativité affichée de mon esprit n’est qu’une manifestation particulière d’énergie qui relève d’un apprentissage et sur laquelle j’évite de poser des jugements de valeur, tout va bien.

mardi 11 avril 2006

Impermanence


Ce matin, dans la file d’attente, au tabac, un pépé de 70 ans demande à la buraliste Chobiz, vous savez, celui qui est en vitrine. C’est un journal de cul avec son dévédé. Torride. La buraliste, d’une neutralité indicible, lui enfourne son journal dans un pochon opaque. J’imagine pépé rentrant chez lui, se faisant revenir à la poële son gigot d’agneau-flageolets, puis il se mate son dévédé, en pensant à mémé, qui est au cimetière depuis l’an dernier, et il boit un petit coup de rouge pour faire passer : après l’amour, le champagne.
Rien que pour adoucir les dernières années de tous les veufs en milieu rural, il faut sauver la pornographie.
Sinon, lundi dernier y’a un mec d’un centre de post-cure qui s’est fait amener en réunion AA par un membre très serviable du groupe, hier on a appris qu’il s’était suicidé dans la semaine.
Les absents ont toujours tort.


Commentaires

  1. “Rien que pour adoucir les dernières années de tous les veufs en milieu rural, il faut sauver la pornographie.”
    Tu sais, moi qui ait une tendresse particulière pour les handicapés, la dernière fois que j’en ai croisé plus de 20 en moins de 30 minutes, c’était au salon de l’érotisme à Bruxelles… Pour eux aussi, faut sauver la pornographie…
  2. Génial ! tu me donnes même l’idée pour une nouvelle campagne : “le porno, c’est fun pour les vieux et les handicapés !” mais comment dire aux autres que c’est la louze ?

lundi 10 avril 2006

les mots volés


La prière qui monte immédiatement après "Mon Dieu, préservez-moi de me prendre pour un minable", c’est "Mon Dieu, préservez-moi de l’auto-apitoiement." Puisqu’on en est à demander des choses qu’on se pense incapable de s’apporter tout seul, autant y aller franco.

Je fus hanté très tôt par des vues pessimistes sur la futilité de toute entreprise humaine, et j’y suis encore sensible, cette chanson récente d’Alexis HK vient me le rappeler. Mais il s’agissait déjà de pallier à une certaine langueur, un manque d’énergie constitutif par des vues dépréciantes.
On imagine sans doute ainsi s’établir dans un certain au-delà de la déception en affadissant par avance tous les plaisirs de la vie.
Quelle erreur ! On se prépare en fait à de sévères déconvenues, et c’est comme si la vie nous prenait au mot et nous mettait en demeure de prouver nos prémisses.

"Dans son étude sur la forme que revêt le masochisme chez l’homme moderne, Thedor Reik avance une vue intéressante. Le masochisme est plus répandu que nous ne l’imaginons car il prend une forme atténuée. La dynamique de base est la suivante: le sujet perçoit quelque chose de mauvais dont la venue est inévitable. Il ne peut rien faire afin d’interrompre le processus; il est réduit à l’impuissance. Le sentiment de son impuissance engendre chez lui le besoin d’exercer quelque contrôle sur cette souffrance imminente - n’importe quelle forme de contrôle fera l’affaire. C’est logique: le sentiment subjectif de sa propre impuissance est plus douloureux que la souffrance à venir. Aussi le sujet a-t-il recours, pour se rendre maître de la situation, à la seule voie qui lui reste ouverte: il concourt à hâter la venue de ce malheur prochain. Cette activité encourage chez lui l’impression erronée qu’il aime la souffrance. Il n’en est rien. La vérité est simplement qu’il ne peut plus supporter sa propre impuissance, ou son impuissance supposée. Mais le mécanisme par lequel il acquiert la maîtrise de cette souffrance de toute façon inévitable l’amène automatiquement à devenir anhédoniste (c’est-à-dire à ne plus pouvoir ou à ne plus vouloir éprouver le plaisir). L’anhédonie s’installe sournoisement et en vient, au fil des années, à dominer le sujet. Ainsi apprend-il, par exemple, à différer la gratification - c’est là une étape du triste processus de l’anhédonie. En apprenant à retarder la gratification, il éprouve un sentiment de maîtrise de soi; il est devenu stoïque, discipliné; il ne cède pas à la pulsion. Il possède la maîtrise. Maîtrise de soi quant à ses pulsions, maîtrise de la situation extérieure. Il est un sujet qui se maîtrise et qui maîtrise. Bientôt, il a étendu le processus et exerce sa maîtrise sur d’autres sujets, car cela fait partie de sa situation. Il devient un manipulateur. Naturellement, il n’est pas conscient de la chose; il ne s’agit pour lui que d’atténuer le sentiment de son impuissance. Mais la tâche qu’il s’est ainsi fixée le conduit à asservir insidieusement la liberté d’autrui. Pourtant il n’en retire aucun plaisir, aucun gain positif sur le plan psychologique; tous ses gains à lui sont fondamentalement négatifs."
rapporté par Philip K. Dick dans Siva (Trad. Robert Louit)


Mon fils manifeste un gros potentiel de branleur, et je ne parle pas du catalogue "Sexy Galeries Lafayettes" retrouvé sous son oreiller un jour de grand ménage.
Ca, c’est de son âge.
C’est une nonchalance généralisée sur laquelle j’ai peine à ne pas projeter la mienne à son âge, et l’effet miroir n’est pas ce qui se fait de mieux pour amorcer le dialogue, d’autant que nous avons déjà décidé de sous-traiter toute la partie travail scolaire avec des étudiantes plus pédagogues que nous devant 1/ l’incapacité d’Hugo à travailler tout seul 2/ notre incapacité à travailler avec lui.
Moyennant quoi il engloutit le PNB d’un petit pays africain en cours particuliers et se maintient bon an mal an à 9,5/20 de moyenne générale.
Et j’ai beau m’accuser de fuir le débat, ça se passe mieux quand j’évite de renforcer ses résistances en le soumettant à des interrogatoires gestapistes sur tel ou tel travail qu’il avait à rendre la semaine dernière, ce qui me renvoie aux incapacités de mon père qui mimait à la perfection le dieu de colère de l’Ancien Testament mais n’était pas foutu de nous donner, à mon frère et moi, un cours de maths sans que ça tourne à la tragédie humaine.

"Si peu d’invention, c’est à désespérer de l’homme. Ils croient mûrir parce qu’ils ont des enfants. Ils croient aimer parce qu’ils n’osent plus tromper leur femme. Ils n’auront jamais fait que vieillir. Ils n’auront jamais fait qu’être vieux."
Christian Bobin, Le Très-Bas


Commentaires

  1. Je viens d’apprendre ce qu’est l’anhédonie et j’ai fait un rapprochement avec certaines techniques de méditation.
    Certaines formes de méditation pourraient faire penser à la recherche délibérée de l’anhédonie, mais il n’en est rien.
    Certains yogis, ont développé un mental n’ayant pas de phénomène discursif (souvent confondu avec le vide mental), mais en réalité ils sont fortement concentrés sur leur corps, ressentant l’apparition des sensations douloureuses ou plaisantes, mais en ne les évaluant pas.
    (Au contraire du comportement de Mr tout le monde qui serait d’intensifier le mental pour oublier les sensations douloureuses.)
    Certaines écoles préconise de balayer successivement toutes les parties du corps en ressentant toutes les sensations, mais sans y associer le mental qui s’approprierait aussitôt ces sensations.
    Suit alors une phase d’anhédonie plus ou moins longue selon la force de l’ego du sujet, puis vient un plaisir béatifiant sans objets mentaux, le corps se débrouille alors tout seul, il est libéré du mental.
  2. Comme d’hab’, toujours très fin ce fichu P.K. Dick! ;)

dimanche 9 avril 2006

6 mois

6 mois sans user du népenthès pornographique. Je devrais être satisfait de mes efforts. En goûtè-je les fruits ? Il se trouve que le porno, comme l’alcool, était à la fois symptôme et justification de mon dégoût de la vie, dégoût qui n’est pas désespoir "la chair est triste hélas et j’ai lu tous les blogs" mais réaction de compensation au dépit né de la constatation qu’elle ne peut répondre à des attentes insatiables : plus on en a plus on en veut, mais moins on en a plus on en veut aussi.

Comme le disait Dartan, "Tous, tant que nous sommes, avons en nous "quelque chose" qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c’est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s’éternisent chez les humains. Mais ce n’est grave et dangereux qu’autant que nous en sommes inconscients. C’est alors seulement que nous agissons en gorilles."
Bref. Quand je mate le blog de Cha, qui met en scène ses propres ecchymoses avec une cruauté narquoise qu’elle voudrait cathartique, mais peut-être que ça lui sert juste à survivre à ses pulsions destroy, je me dis que si j’ai cessé de boire, la gueule de bois ne s’est jamais dissipée, et ma "structure dépendance" a trouvé d’autres terrains de jeu. Je retourne donc fouiller il y a 20 ans, quand le monde se divisait en choses sacrées (les femmes, le rock dépressif, l’ivresse haschichine et la bande dessinée) tragiques (Philip K. Dick) dérisoires et insignifiantes (tout le reste). De ce point de vue, je vis aujourd’hui dans une insignifiance à laquelle je dois donner du sens, sans lequel aucun progrès réel ne peut se manifester, abstinence ou pas.
Il n’est pas inutile non plus de relire tout ce que les Alcooliques Anonymes ont pondu sur l’auto-apitoiement : qu’on soit ex-pochtron, chrétien ou bouddhiste, ou rien du tout avec des casseroles au cul, le remède préconisé est partout le même : accepter les choses que nous ne pouvons changer, ne pas focaliser dessus et s’attaquer à ce qui peut l’être, et qui est généralement sous notre nez.

samedi 8 avril 2006

Instants fugaces



Je fais une plaisanterie inattendue à une personne que je ne connais pas. Elle rit de bon coeur, et c’est une invitation instantanée à l’allégresse; je prends conscience que mon désespoir est un pardessus élimé que j’ai endossé en m’abreuvant de Gérard Manset et autres professionnels de la lamentation, et que j’en suis donc libre pour aujourd’hui si je le désire. Ca dure une seconde et demie, et elle est géniale.
A 20 ans le coeur se pose où l’oeil se pose. Et ça s’arrange pas forcément après. Depuis, j’ai lu des livres qui m’ont fait entrevoir l’idée d’une possibilité de maturation affective, mais je ne voulais rien lâcher question tristesse. C’était ma crispation identitaire de prédilection. Et puis la maturation affective, ce me semble aujourd’hui un énoncé paradoxal. Les croyances les plus enracinées sont les colorations émotionnelles contractées dans l’enfance, voire même avant. Les miennes furent malheureuses, mais je n’eus de cesse de les entériner et de les reconduire. Je peux trouver que ça craint ou que mon égoïsme se drape dans de piteux voilages, je peux surtout continuer d’observer les occurences et absences du phénomène, ses mécanismes d’apparition et de résorbtion. Vous allez me dire qu’à mon rythme actuel, je vais mettre 14 000 ans à sortir de l’émotionnel, surtout que j’ai appris à le bloquer pour ne plus en souffrir, et qu’il va falloir que je déterre quelques cadavres. Que quand j’aurai fini de faire le deuil de l’Irrémédiable, du Disparu et de l’Irréparable, je serai au seuil de la mort. C’est possible. J’essaye de faire du mieux que je peux, le plus souvent possible. J’en suis à m’adresser ainsi à l’Esprit de l’Univers : "Mon Dieu, préservez-moi de me prendre pour un minable." Pas de manifester des comportements lamentables ou pitoyables, non, ça c’est mon boulot, mais d’endosser la fonction, le personnage intérieur. Les manifestations sans la personne pour les incarner, ç’est déjà bien moins pénible.
A part ça, il se pourrait aussi que le dernier Ballard ne soit pas indispensable. Ca m’apprendra à piller la rubrique littéraire du Monde au lieu de faire mon Warsen. A propos, demain j’arrose mes 6 mois sans porno. Dans la plus stricte intimité, mais avec mon pantalon.

jeudi 30 mars 2006

l’homme au chapeau, le vrai

J.G. Ballard, une vigie au bord du monde
Article paru dans le Monde du 10.03.06

Une petite maison en désordre dans la banlieue londonienne… C’est de là que l’écrivain britannique, autrefois une des voix les plus puissantes de la science-fiction, s’est mis à observer la civilisation telle qu’elle est ou plutôt telle qu’elle dérive. La fin du monde commence là : Shepperton, Surrey, 10 796 habitants. Des rues blafardes, des boutiques de vidéo et des pavillons à perte de vue - un formidable remède contre l’optimisme. De Londres et de son agitation, à une petite heure de train, rien ne semble parvenir jusqu’à cette banlieue lointaine, sauf le grondement continu de l’autoroute M3, lancée comme une flèche en travers de la campagne anglaise. Un lieu sans attrait, sans relief, qui partage son ciel avec l’aéroport de Heathrow, tout proche et dont H. G. Wells avait d’ailleurs imaginé la destruction par des « tripodes » extraterrestres, armés de terribles tentacules ( La Guerre des mondes, 1898). C’est de cet endroit, pourtant, que James Graham Ballard a fait, depuis plus de quarante-cinq ans, son refuge et son observatoire, son nid d’aigle aux avant-postes du désastre. Car il guette, le grand J. G. Ballard. Vigie sans repos, il tient la modernité sous sa lunette de romancier, de nouvelliste et de critique, examinant ses vices et ses effets inattendus sur la nature humaine : les ravages du consumérisme, de l’uniformisation, de l’ennui et de la violence, le tout potentialisé à l’infini par le progrès technologique. « Eh bien ! vous y êtes arrivée, finalement ! » Quand il ouvre la porte déglinguée de son pavillon, Ballard sait parfaitement que l’endroit suscite la curiosité, comme une sorte d’exotisme à l’envers. Pull-over bleu marine et mèche blanche en bataille, il en rit à l’avance, comme d’une bonne farce faite à ses visiteurs. Même si vivre à Shepperton ne relève évidemment pas de la plaisanterie - pas du tout, en fait. « C’est un acte politique explique vivement cet homme de 76 ans. Une façon de montrer ma solidarité émotionnelle avec les gens d’ici, ceux de la petite-bourgeoisie. » L’oeil rit. « Est-ce que je pense réellement ça ? » Avec lui, comme avec ses livres, on ne sait jamais tout à fait que croire non plus. Redoute-t-il les événements qu’il imagine, ou s’en réjouit-il secrètement ? Une chose est sûre : Ballard le bourgeois (son père était un industriel aisé) s’est appliqué à mettre sa vie quotidienne en conformité avec la critique aiguë de la société de consommation que reflètent ses livres. Tout son environnement parle de cette cohérence - la voiture cabossée, le jardin négligé, la maison lilliputienne où s’entassent des cassettes vidéo, des chemises suspendues à des cintres, un téléphone débranché, tout un bric-à-brac et même une énorme liane jaunâtre qui rampe d’un côté à l’autre de la table, dans la pièce de séjour. N’importe. Ballard, cordial, propose un verre de chablis et s’installe devant la cheminée froide, au-dessous d’un curieux tableau, reproduction d’un Delvaux détruit pendant la deuxième guerre mondiale. Au départ, il avait choisi la science-fiction pour exprimer ses inquiétudes et lâcher la bride à son imagination magnifique. Il travaillait alors pour une revue scientifique, après avoir traîné son ennui dans diverses antichambres, médecine ou armée, jusqu’à ce que son père finisse par le rappeler à l’ordre. De nouvelles (très nombreuses et excellentes, comme en témoigne par exemple « L’Homme enluminé », dans un recueil intitulé Histoires de catastrophes, Livre de Poche no 3818) en romans (notamment La Forêt de cristal, Denoël, 1967), il s’était imposé comme l’une des voix les plus puissantes de la science-fiction britannique, servi tout autant par la qualité de ses récits que par l’élégance de sa langue. Dans un domaine où le style est souvent le parent pauvre du rêve, cette particularité le singularisait d’emblée. Mais pourquoi se projeter dans des mondes complètement inventés, quand le bizarre, le tordu et même le fantastique sont là, sous vos yeux, à vous faire des signes ? Progressivement, J. G. Ballard est donc passé aux délices autrement effrayants de l’anticipation sociale et à l’étude de ce qu’il appelle la « psychopathologie » collective. Finies les histoires de comètes et de galaxies éloignées. Au lieu de regarder le cosmos depuis la Terre, Ballard a regardé la Terre depuis Shepperton. Et les humains en société, dont les dérives sont devenues sa spécialité : pas les êtres gentillets ou idéalisés tels qu’on les aime dans les romans héroïques, mais les gens de tous les jours, emportés par une civilisation qu’ils ne maîtrisent plus. Poussant des logiques jusqu’au bout, comme un scientifique dans son laboratoire, Ballard se demande ce que pourraient devenir nos lubies d’Occidentaux blasés. Comment pourrait (mal) tourner, entre autres, la civilisation des loisirs, la ségrégation sociale ou le vertige engendrés par l’absence d’idéaux et le dégoût de soi. Bien qu’il se défende d’être pessimiste, l’auteur très admiré de Crash ! (une fable hallucinante sur le sexe et la violence automobile, portée à l’écran par David Cronenberg et aujourd’hui rééditée par Denoël) ou, plus récemment, de Millennium People (La Révolution des classes moyennes, Denoël, 2005), a souvent peint cet avenir aux couleurs de l’Apocalypse. Une inclination que l’entrée dans le troisième millénaire n’a pas adoucie. « Le XXIe siècle est une époque dangereuse, où s’affrontent la raison et l’irrationnel. Je dis juste : attention, mauvais temps en perspective, fermez vos volets ! », explique-t-il. Quant à lui, c’est à Shepperton qu’il attend l’orage, dans cet ultime satellite de la capitale géante, où naissent les symptômes de ce qu’il appelle la « banlieuisation » de l’âme. « La plupart des évolutions et des habitudes sociales de l’après-guerre, la télévision, la vidéo, la pop culture, sont parties des banlieues, explique-t-il. La ville est devenue un mode d’habitat complètement démodé, et les gens qui y vivent ne réalisent pas à quel point le pays autour d’eux a changé. La classe moyenne supérieure, celle qui vit à Knightsbridge ou Hampstead, les quartiers chics de Londres, pense que la banlieue est comme la ville, en juste un peu moins chic. Pas du tout : c’est complètement différent. Ici, il n’y a pas de musées, pas de galeries d’art et notre cathédrale à nous, c’est l’aéroport d’Heathrow. » Ces fameuses « middle-classes », avocats, médecins, gens de télévision, riches commerçants, sont une cible privilégiée de l’imagination de Ballard. Ce sont eux qui assurent le fonctionnement de cette société sur laquelle il jette un regard à la fois sardonique, réprobateur, magnifiquement inventif et pourtant glaçant de réalisme. Et eux aussi qui perdent les pédales, délirants de violence et de transgressions, dans des romans aussi saisissants que I.G.H. (pour Immeuble de grande hauteur, réédité par Denoël), ou Super-Cannes. Est-il de gauche, comme il l’a dit parfois ? Ou surtout « libertaire », comme il l’affirme aujourd’hui ? « Je ne veux pas accepter ce monde. C’est juste un e convention, non ? On nous a appris à y croire, on nous a entraînés comme des chiens, pour nous faire marcher sur nos pattes arrière et nous faire venir quand on nous dit «Au pied !» » Ecrire est une manière d’échapper à cette « bourgeoisification » - il dit le mot dans un français volontairement emphatique, avant d’éclater de rire. Et de se soustraire à la « banlieuisation » qui crée cet ordre abhorré - « La paix des morts », comme il l’appelle. Depuis toujours, Ballard voit les choses de l’extérieur, de la périphérie. Depuis le jour, plus exactement, où il a été enfermé dans un camp de prisonniers par les Japonais, en Chine, où il vivait avec ses parents. C’était l’été 1942, il avait 12 ans. Rentré en Angleterre quatre ans plus tard, il n’a jamais tout à fait cessé de regarder ses compatriotes avec l’oeil de l’immigré. « Tout ici est crypté, comme un message secret, parce que le système de classes sociales est d’une puissance inouïe. On ne se rend pas compte à quel point ce pays est étrange. Moi, je m’y suis toujours senti un étranger et j’en suis fier. Les Anglais possèdent beaucoup de qualités, mais ils n’ont jamais été autorisés à se connaître eux-mêmes. Ils sont comme des animaux costumés dans un zoo, à qui l’on ne permet pas d’ôter leurs déguisements. Peut-être parce qu’ils se savent plus violents que les autres… Après tout, la Renaissance n’est pas arrivée jusqu’ici. » Dans cette cage remplie de prisonniers bien élevés, il tonne et cogne contre les barreaux pour se faire entendre. Quitte à créer le scandale, comme il le fit avec Crash ! - le film suscita un tollé en Angleterre et aux Etats-Unis. Mais c’est plus fort que lui : « Je provoque les gens pour les révulser, les forcer à m’écouter. Sinon, personne ne veut savoir, personne ne veut entendre, tout le monde veut une existence tranquille et des vacances aux Bahamas. » Montrer à quel point les modes de vie imposés tout en douceur par la tyrannie tranquille de l’économie globale transforment les moeurs, le caractère - et pas en bien. Faire oeuvre de moraliste, en somme, ce que Ballard ne renie pas (on dirait même que l’idée l’amuse) en rendant les dangers visibles, par une fiction à la fois surprenante, cruelle et affreusement réaliste - ou affreusement possible, c’est selon. 

Raphaëlle Rérolle

L’article est sympa, et ne donne aucune idée de la violence et de la crudité glaciales à l’oeuvre dans les livres de Ballard, devenu entomologiste de l’humain alors que ses romans des années 60 pouvaient passer pour des méditations écologistes sur des mondes promis aux désastres par l’incurie des hommes. Si plus rien ne vous effraie, et que vous avez envie de savoir comment on va finir, vous pouvez essayer la sauce Ballard. Comme le dit Wikipedia :"L’oeuvre de Ballard est étrange et sophistiquée et a été très influente malgré son faible succès commercial. Il explore la face sombre des citadins des grandes mégalopoles, excellant dans la peinture de personnages en apparence normaux, cadres supérieurs, gens policés, qui s’avèrent obsédés par la violence et les perversions sexuelles. Super Cannes se déroule dans un cadre a priori idyllique sur la Côte d’Azur; mais les brillants cadres de multinationales s’y révèlent des sadiques qui organisent des descentes racistes." L’actualité de Ballard, c’est Millénaire mode d’emploi, choix d’articles et de brefs essais écrits par J.G. Ballard dans de nombreux journaux britanniques et revues spécialisées depuis une bonne trentaine d’années. Les admirateurs français de l’un des plus grands visionnaires de la littérature du XXe siècle se précipiteront donc sur ce riche volume qui nous présente de manière inattendue l’auteur de La Foire aux atrocités (texte également édité chez Tristram), évidemment plus connu de ce côté-ci de la Manche pour ses romans et nouvelles que pour ses interventions journalistiques over the Channel. Au rendez-vous, un large choix d’articles sur tous les sujets favoris de Ballard, qui englobent le XXe siècle (et dépassent le cadre de celui-ci), temps macabre dont il a si bien radiographié la barbarie high-tech avec son écriture un peu lente, poisseuse, très descriptive : du cinéma à la littérature classique, des grandes questions scientifiques à la science-fiction, des icônes comme Reagan ou Elvis aux mass médias, des évocations autobiographiques à l’analyse des nouvelles pollutions contemporaines, tout le Ballard écrivain est là, explicité dans des textes souvent courts, à chaque fois incisifs et piquants. Evidemment, il faut être en bonne forme spirituelle pour le cotoyer, sinon c’est pas certain que ça requinque.

After one look at this planet, any visitor from outer space would say "I want to see the manager" -William Burroughs-

Commentaires

  1. Je connais pas du tout. Si je devais en lire qu’une, quelle oeuvre tu me conseillerais ?

  2. Tu m’as donné aussi envie de le lire ce curieux bonhomme au chapeau mais, comme Dado, je ne sais par lequel commencer ? Merci de ton conseil…. et puis, même si ma bonne forme spirituelle reste à vérifier … je prends le risque, car j’apprends à ne plus avoir peur.

  3. quand j’ai recopié cette chronique du Monde, j’ai oublié la notule qui justifiait l’actualité de l’article : “Vers l’âge de 50 ans, J. G. Ballard a commencé à se demander si sa vie tout entière « n’avait pas été un accident qui aurait pu être évité ». Quel rapport avec l’homme plus âgé, celui qui confesse un désir très affirmé de convaincre ses semblables, de les « forcer à écouter » - autrement dit à l’écouter ? Rien n’est simple. Mis bout à bout, ces deux penchants (l’un pour la dérision, le relativisme et l’autre pour la conviction) forment cependant une personnalité complexe, extrêmement séduisante et d’une drôlerie formidable, dont quelques pans sont rendus visibles par Millénaire mode d’emploi. Recueil d’articles, de chroniques et de critiques parues dans différents journaux, entre les années 1960 et 1990, le livre offre un panorama de réflexions sur le cinéma ( Casablanca ou Blue Velvet, Alien ou Barbarella), les écrivains (Proust, Joyce, Fitzgerald, Sade ou Willian Burroughs), la science fiction, les sciences tout court, des souvenirs d’enfance ou des portraits au vitriol (Nancy Reagan, par exemple). « La seule vraie planète étrangère est la Terre », voilà ce qu’affirme l’écrivain dans un article de 1962 consacré à la science-fiction et intitulé « Où trouver l’espace intérieur ? » Sur cette étrange étoile, le non moins étrange Ballard porte un regard magistralement moqueur, lucide et synthétique en direction de ses semblables, pour la plupart englués dans une société folle à lier. On ne sait quels passages citer, tant le livre regorge de phrases belles, saisissantes ou hilarantes ou tout cela à la fois. Plutôt qu’une sorte de prophète (ce que voient en lui certains de ses admirateurs), Ballard est certainement l’un des observateurs les plus incroyablement perspicaces de notre modernité.”

    me sont revenus les souvenirs de ses livres anciens, lus il y a longtemps : Sécheresse, Vermillion Sands, l’ile de béton… qui annoncent nos futurs désastres collectifs depuis le milieu des années 60. En littérature classique, Empire du Soleil et Super-Ca nnes sont assez éprouvants mais peu illusionés. Je crois que je vais craquer pour son recueil d’articles, car je dois l’avouer, je n’ai rien lu de lui depuis longtemps et je suis très curieux de son analyse d’une noirceur exempte me semble-t-il de misanthropie. Je crois qu’on va découvrir la modernité de son oeuvre sous peu, et que ça ne sera pas de la littérature. Fabienne, s’il te plait, ne lis pas Ballard, lis le blog de Dado :http://impossibilia.blogspot.com/ et du bouddhisme soft comme Pemä Chodron !

  4. >>> Fabienne, s’il te plait, ne lis pas Ballard, lis le blog de Dado.

    Mwahaha ! Ca c’est du conseil ! Je vais le suivre aussi et relire mon blog, comme ça j’économiserai quelques petits sous. :) ))

  5. Mais, John, je lis le blog de Dado déjà régulièrement, celui de flo aussi, et le tien également. Lectrice assidue, devenue, je suis. Ballard, c’est pour la fantaisie, quoique !!!!!! Et pour le Pemä, promis, je le lirai. Mais actuellement, je sature des bouquins de développement spirituel par correspondance. Tu sais bien, mon pov et unique neurone ! (it’s just a joke).

  6. Moi j’avais lu Le vent de nulle part, de la période SF. On y décrivait déjà en long en large et en travers l’incurie des gouvernements et la mégalomanie des milliardaires.

Casser des Cailloux à Cayenne

Sur son blog, bruno 59 observe que "La réponse à la dépendance suppose d’accepter sa fragilité, pour prendre le chemin inverse de l’aspiration illusoire à la toute puissance que les différents produits auxquels nous avons succombé cherchent à alimenter ", aspiration illusoire qui manifeste un certain sens du réel puisqu’elle choisit de se traduire sous la forme de l’autodestruction plutôt que de s’essayer à la candidature à la présidence de la république : c’est alors dans la consomption que j’éprouve ma force, et paradoxalement dans le fait de survivre aux traitements épouvantables que je me fais subir. Reconnaitre sincèrement la nature erronée de ces comportements aussi répétitifs qu’inefficaces dans la résolution des conflits qu’ils ne peuvent qu’aviver, parfois alors même qu’on s’apprète à s’y réadonner de dépit et de frustration devant les difficultés d’apprendre à poser d’autres actes, peut être salutaire. C’est là qu’intervient la Puissance Supérieure (Telle Que Je la Conçois), trouvaille géniale des Alcooliques Anonymes, Qui ne nous engueulera jamais de prendre nos vessies pour des lanternes, divinité nécessairement bienveillante, elle nous suggère de prendre conscience qu’il y a d’autres voies que la Brûlure, que même fermement ancrés dans notre conviction orgueilleuse et identitaire de notre Manque de Valeur, nous pouvons nous ouvrir à d’autres expériences. Il s’agit de renoncer à poser des actes qui auraient pour conséquence de me sentir à nouveau Minable après un shoot émotionnel dont la violence est le caractère premier puisque quel qu’en soit le contenu intrinsèque, il ne fait que réactiver un ancien circuit de satisfaction plus ou moins désaffecté avec d’explosifs effets sur la mémoire cellulaire, vibratoire, énergétique, organique, ce que vous voulez. Par exemple, tous les 15 jours je cède à la panique devant la Nouveauté et je refume compulsivement un ou deux paquets de cigarettes. L’épouvante est circonscrite : elle s’abat en volutes asphyxiants sur la conscience, provoque ses dégâts collatéraux sur l’humeur et repart dans son trou. Et je passe encore trop de temps devant mon ordinateur pour avoir une Balance Commerciale des Actes qui soit Excédentaire. D’où l’impression de nager dans de la glu. Même la rédaction de ce blog est anxiogène. Or, si je l’écoute, la peur a quelque chose a me dire, de terriblement simple : je me suis gourré quelque part, mais je peux refaire mes choix. Si je "saisis" selon le terme bouddhiste/m’identifie à la personne que dessinent mes actes passés - un pauvre garçon assoiffé de pouvoir et de lâcheté devant le réel - ou présents - les balbutiements d’une conscience qui éprouve encore des réticences à lâcher le bord de la piscine - je suis foutu. Au fait, qu’est-ce que c’est, le chemin inverse de l’aspiration illusoire à la toute puissance ? l’aspiration réaliste à m’exposer aux conséquences de l’exercice de mes choix (je remets à plus tard l’inventaire délicat de l’étendue de cette liberté) C’est pourquoi je demande souvent à ma Puissance Supérieure : "Préservez-moi de me prendre pour un minable" : le grand silence froissé qui règne déjà entre moi et mes pulsions au goût sauvage, entre ma femme et moi, entre mon fils et moi, entre mon père et moi, aura bien du mal à se défroisser (sans parler du risque non nul que chacun des protagonistes ne décède prématurément d’autre chose de moins insidieux) sans mon précieux concours. Si la mauvaise conscience est la voix de Dieu, j’ai pas besoin de sonotone en ce moment, il faut juste que j’arrive à trouver le bouton de volume. D’après mes calculs, il jouxte pour aujourd’hui le bouton on/off de mon Mac. Et si ce blog redevient plaignos, je pourrai toujours l’abandonner vaguement confus sur une aire de repos des autoroutes de l’information.

Commentaires

  1. Fo pas qu’il reste hyper secret ton blog parce qu’il est hyper bien !

  2. Argh! Je comprends plus rien. Tu serais pas en train de lire Proust ou son grand-papa-ès-lettres, le duc de Saint-Simon, toi ?

  3. ben non, je n’ai rien lu de tout ça, d’ailleurs ça fait quelques années qu’à part des fadaises spiritualistes et le blog de Flo, je n’arrive plus à lire grand chose… par contre je te vois bien feuilleter les auteurs que tu cites. J’ai beauoup lu la contre culture sans être passé par la Culture. Bah, n’oublie pas la raison d’être de ce blog, sorte de capharnaüm virtuel sur le chemin du rétablissement de la dépendance sexuelle et informatique; tu me fais craindre qu’il y ait eu quelque chose à comprendre dans cette note à usage interne, mais ça me passera.

  4. >> tu me fais craindre qu’il y ait eu quelque chose à comprendre dans cette note à usage interne.

    Ouf! Ca me rassure.

    >> par contre je te vois bien feuilleter les auteurs que tu cites.

    J’ai lu Proust il y a une vingtaine d’années. C’est d’une finesse de sensibilité et d’expression extraordinaire (tout le contraire du fameux texte sur la balade en forêt). Ca vaut vraiment le déplacement.

    Je viens de lire Saint-Simon, mais c’est dans une édition affreusement tronquée malgré qu’il y ait marqué dans la préface “Peu d’auteurs ont plus à pâtir que Saint-Simon d’une lecture par fragments”. En bref, un véritable sabotage.

    Je préfère largement Proust, il est très profond et contemplatif alors que Saint-Simon m’a paru superficiel et langue de vipère. Apparemment, le ton du film “Ridicule” est très inspiré de ses mémoires. C’est une expression qu’il utilise plusieurs fois: “distribuer les ridicules”.

    Proust adorait Saint-Simon, je crois qu’il le cite plusieurs fois. Son style biscornu me semble très inspiré de celui de cet auteur.