J'aime bien (mais je me méfie un peu) des films qui associent trois mots hétérogènes dans leur titre. Ma femme a vu celui-ci, il faudra que je lui envoie un mail pour savoir s'il est bien. |
Quand tout semble irrémédiablement compromis, il m'est arrivé de chercher une consolation spirituelle auprès de professionnels du désespoir, comme Emil Cioran, dont Louis-Julien Poignard, le président à vie autoproclamé du GRRR (le Groupe de Réalité Réelle Ratée, rappelez-vous) me rapporte nuitamment, et ce malgré le couvre-feu, une citation dans laquelle il croit reconnaitre le texte programmatique qui marque la naissance de son mouvement et lui confère sa légitimité :
"Les esprits lucides, pour donner un caractère officiel à leur lassitude et l'imposer aux autres, devraient se constituer en une ligue de la déception. Ainsi réussiraient-ils peut être à atténuer la pression de l'histoire, à rendre l'avenir facultatif."
L'avenir facultatif ? Quand j'étais jeune et sensible à ses Syllogismes de l'amertume, qui rentraient alors en moi comme dans du beurre de missel, je ne pouvais percevoir les présupposés franchement suspects de la petite cuisine décliniste du philosophe roumain, dépressif au long cours et auto-canonisé "lucide" parce que niant dès son plus jeune âge la possibilité même du bonheur dans les marges de ses cahiers.
Je suis moins Mallarmé pour les dépister (1) et les tenir à distance aujourd'hui. Peut-être que sur le long terme, Cioran n'a pas tort de professer la fin des haricots, et que le Big Crunch succèdera au Big Bang qui donna naissance à notre univers. Ca peut même sembler logique, dans une perspective ultime. Et puis c'est confortable pour lui : plus on fait des prévisions à long terme, moins on a de chances d'être détrompé de son vivant. Mais bon, je vois bien que la plupart des noeuds & callosités relevés à la surface de mon psychisme sont nés de raidissements & crispations conséquentes au refus de n’avoir pas voulu laisser partir ce qui n’était déjà plus là, et ce n'est pas en couinant que j'y ai jamais changé quoi que ce soit, d’où cette appétence pour Cioran, qui a chanté toute sa vie « No future » avec constance, une certaine créativité et à cappella parce qu’il n’était même pas fichu d'inventer le punk en Roumanie.
Un matin où je tombe très tôt du lit pour me rendre à ma chimiothérapie sans avoir à passer 90 minutes dans les bouchons à l'heure où tout le monde se rend en voiture à son téléchômage, je découvre grâce à Youtube que Cioran l’a dans le cul, que son manque d’empathie le condamne à rester à jamais un minus habens de la Vie, (surtout s'il est déjà mort) alors que les publicitaires, que j'exècre en temps normal, en ont à revendre, de l'empathie, en même temps que du Sopalin.
(1) surtout quand Mallarmé griffonne ce vers près du tombeau de Verlaine : « Un peu profond ruisseau calomnié la mort. » Ce que me confirmait un ami récemment disparu, quelques jours avant de passer l'arme à gauche : "Je vois la Vie s'ouvrir devant moi", me confia-t'il. Je l'ai cru sur parole. Et ça ouvre des perspective à bien des Tièdes, que Dieu vomit sans Sopalin, et que la Vie semble effrayer encore plus que la Mort, auquel cas il ne faut pas craindre de demander une petite piqûre à l'infirmière de service afin de trépasser sous anesthésie générale, il parait que ça fait moins mal, mais on doit sans doute passer à côté de quelque chose.