dimanche 3 mai 2020

La vidéo qui dit tout

Ca fait longtemps qu'on prophétise le Grand Remplacement...
Non, pas celui-là.
Je parle du Basculement de la civilisation de l'écrit vers celle de l'image.
Plutôt un Glissement, d’ailleurs.
Aussi insidieux que la substitution de vos proches à des répliques tronquées, des entités d’outre-espace dignes de l’Invasion des Profanateurs de Sépultures de l’Ehpad 
(après enquète, il s’agissait tout bonnement de soignants déguisés en cosmonautes pour le 1er avril des Residents). 
Les Residents juste avant leur entrée à l’Ehpad de San Francisco. 
Pour  basculer vers la civilisation de l'image,
ils étaient fin prêts et bien équipés,
c’est le monde qui ne l’était pas.
Pour protester, le chanteur s'est récemment mis en grêve illimitée de la vie.
Le jour où vous vous en apercevez, il est bien trop tard pour prévenir qui que ce soit, du fait que vous étiez confiné dans votre auto-préoccupation sans avoir songé à en ouvrir les fenêtres quand il était encore temps, et tous les gens que vous connaissiez s’expriment maintenant dans une langue dont vous n'êtes pas locuteur natif, et que vous refusez d'apprendre.
De quoi je parle ?
hé bien, j’observe les inquiétants effets de cette Substitution de l'Image à l'Ecrit depuis le début du confinement, et je n'en mène pas large. L’apparition de la rubrique Medias/Net dans Télérama aurait dû m’alerter. J'ai préféré l'ignorer, et maintenant il est bien tard pour m'en inquiéter. 
Ca a commencé par un membre de ma famille qui, voulant me convaincre de la justesse de ses vues, me donnait à méditer des palabres vidéos monologuées de 30 minutes minimum, quel que soit le sujet de discussion abordée... il faut dire qu'il s'était déjà un peu échauffé sur les vidéos post-11 septembre 2001, je savais que c'était un sujet sensible à ne pas aborder avec lui sous peine de gâcher la soirée; et plus je lui disais que je n'avais pas de temps de cerveau disponible pour assister à des youtuberies, plus il m'en balançait pour que je comprenne les failles de ma vision erronée. Il pense sans doute que tout point de vue abordé "de vive voix" par un interlocuteur qui se filme de face en clignant des yeux en plein soleil sans chapeau doit emporter l'adhésion, adossé qu'il est à sa propre légitimité.
C'est un biais cognitif que je désespère d'acquérir un jour.

Le cheval à ma soeur fait un bon 90b.
Il me dit qu'il préfère s'abreuver à des sources d'information indépendante, avant de me balancer d'immondes, obscures et interminables causeries de prophètes auto-proclamés. Pour tout dire, c'est tellement embarrassant que je ne peux même pas le dénoncer ici, et encore moins à la gendarmerie, bien qu'il s'agisse d'un membre vraiment très proche de ma famille et qui n'est pas ma soeur, qui a de toutes façons autre chose à faire que de battre du cyber-beurre en broche, parce que pendant qu'on s'excite sur des vidéos youtube, il faut bien que quelqu'un soigne les chevaux.
Sur des sujets sensibles et dans des périodes troubles, ça peut prendre des dimensions inquiétantes. J’étais loin de suspecter les galaxies entières de e-penseurs peuplant le Multivers et prêts à colmater les trous de mon ignorance crasse avec à peu près tout ce qui leur tombe sous la main depuis la fermeture de Monsieur Bricolage, où la quête de matériaux ad hoc était quand même facilitée par des petits panneaux informatifs surplombant les allées de bacs plastiques bourrés à craquer de joints toriques de Ø 8 luisant dans la pénombre de ma convoitise.
Mais ça, c’était avant.

Tout ça parce qu'au début de la crise sanitaire, il m'avait dit :
 "On est pas confinés, juste privés de travail; si on rajoute la razzia générale sur les rayons alimentation de tous les supermarchés de la ville, on se rapproche un peu du scénario de certains films américains. La foule c'est vraiment idiot, car les magasins restent pour l'instant ouverts en semaine et sont approvisionnés. Mais le phénomène reste intéressant d'un point de vue scientifique, car si l'affirmation selon laquelle le battement d'aile d'un papillon au Brésil peut entrainer de proche en proche une tornade en Australie n'a pas encore été vérifiée, l'histoire du mec qui bouffe une patte de pangolin à Wuhan et qui entraine de proche en proche une pénurie de PQ au Hyper U du coin est maintenant tout à fait prouvée. Il y a 3 semaines j'avais anticipé en achetant un bon stock de pâtes et de riz en cas de mesures de confinement strictes.(...)"
Je ne pouvais pas laisser passer cette entorse à la logique formelle, et je l'avais légèrement taquiné vertement tancé d'avoir contribué à instaurer la pénurie dont il se plaignait.
"La foule est bête, car elle se précipite dans les magasins, que j’ai prudemment pillés il y a 3 semaines. » => la peur du manque engendre le manque; c’est sans doute un proverbe de toxico, mais tu l’as brillamment démontré. Mépriser cette foule « idiote » qui se rue sur les supermarchés alors que tu t’es servi il y a trois semaines, informé en avant-première par des effondrologues à la pointe du progrès anxiogène, c’est un peu abusé, sur le plan moral. 
Si tout le monde avait fait comme toi, queue, pénurie et climat d'angoisse règneraient depuis au moins deux semaines. Maintenant, quand c’est la guerre, c’est vrai que le plan moral passe au second plan, une fois que la survie est assurée."

Ca fait bien 15 ans que j'illustre mes articles
avec ce dessin. Ca nous rajeunit pas,
mais c'est quand même pratique.
J'aurais pas dû. Les mêmes gènes du professeur d'explications que les miens palpitent dans ses chromosomes, car nous sommes assez proches génétiquement, bien qu'il ne soit pas ma soeur.
C'est là qu'il a commencé à me bombarder de sa cohorte d'Economistes Enterrés, d'Effondrologues Patentés, de Thérapeutes auto-intronisés, d'Editorialistes Assoiffés d'En Découdre, j'en ai le vertige et un début de mal de mer, car un malaise physique quasi-lovecraftien s'empare de moi à chaque fois que j'essaye de faire preuve de bonne volonté, et m'interdit l'absorption de ces vidéos. 
Le divorce générationnel est consommé, et pourtant nous n'avons que 18 mois d'écart avec ce pauvre type qui n'est pas ma soeur. Et c’est pas parce que je suis confiné que je vais regarder une vidéo de 32 minutes pour lui complaire, même d’un effondrologue jubilant visiblement de ménager ses effets. Cette espèce d'égocratie vidéo me navre, d'autant plus que les miennes cumulent très peu de vues sur Youtube, et pourtant ça fait des années que je les y ai déposées. J'ai dû merder un truc dans les méta-données.
Considérant l'incident clos et le frère à ma soeur durablement vexé, comme ça quand je lui enverrai des blagues sur le Covid il ne se sentira pas obligé de faire semblant de rire, quelques jours plus tard, je discute santé avec une amie, et elle m'envoie tout de suite d'un air entendu vers le fumier de complotiste malfaisant dont j'ai fait mes choux gras il y a déjà de celà une bonne demi-lune confinée.
Je le crois pas. 
D'autant que sa vidéo m'est immédiatement relayée par un autre canal. 
Ca craint du boudin, cette histoire. 
Deux jours plus tard, une autre amie (on dirait pas, comme ça, à me lire, mais j'ai plein d'amies, dont toutes ne sont malheureusement pas imaginaires) me suggère d'aller mater 1h30 de live facebook sans aucune explication, je suppose que le mode d'emploi est à l'intérieur. 
Bon, après avoir cliqué, il s'agit en fait d'Edwy Plenel fustigeant le gouvernement pour la gabegie de la pénurie de masques, ouf, ça va, la France respire, enfin, pas si bien que ça, mais pas d'épouvante lovecraftienne en vue, je peux zapper sans avoir l'impression d'enjamber par le mépris un abime d'Inconnaissable.
Et je ne vous parle même pas des 2 amies perdues en route qui disposent de très peu d'images sur ce qui se passe dans les hôpitaux. Avec des amies comme ça, je n'ai pas besoin d'ennemies.
Curieusement, ce pilonnage de vidéos n'est jamais soutenu par aucun discours. 
Pas la moindre recommandation, précaution d'emploi ou avis qualitatif ne les accompagne.
Le lien hypertexte, point barre.
Et je me découvre sans doute assez vieux con pour être emporté comme qui ne rigole plus par le Covid, parce que la viralité de ces vidéos me subjugue, sans que je les visionne pour autant.

C'est ça, ouais. Et mon Q,
c'est du poulet à la thaïlandaise ?
Comme je le disais déjà dans l'autre article, et trois paragraphes plus haut dans celui-ci, je n'invente donc rien puisque je l'ai lu à plusieurs reprises sur mon blog, je refuse de vendre mon temps de cerveau disponible à Youtube, alors que pour regarder des greluches qui se trémoussent à loilpé sous les lampions cassés de la libération sexuelle, c'est vrai que je ne suis pas le dernier, mais dès qu'un gus veut m'expliquer (en moins d'une heure max !)  pourquoi ma fille est muette, je fais une allergie. 
Je n'en tire ni gloire ni honte, c'est comme ça, c'est tout.
Alors souvent je demande au locuteur A un résumé écrit de la vidéo qu'il m'envoie du locuteur B, pour gagner du temps. 
Je suis tranquille. En général, il est autant exilé au large du langage écrit articulé que je le suis actuelllement du planning des intermittents FranceTV. C'est un putain de biais perceptif, quand même. A ne pas confondre avec le biais cognitif, cette nouvelle façon polie de dire aux gens qu’ils sont cons mise au point par les journalistes. Avec un étrange effet tunnel : l'allocution du président, lundi soir, m'a fait le même effet qu'un youtubeur un peu triste, beaucoup trop long et pour tout dire pas très bon.

Alors pourquoi ces dérives, pourquoi cette logorrhée, à la limite de la dysenterie audio-vidéo, au lieu de discuter entre gens sensés, avec des arguments cohérents qui peuvent être résumés en un feuillet simple interligne, ce qui permet d'exprimer tant de choses ?
(en cordonnier bien balayé, j'aurais pu commencer par résumer cet article, vous auriez vous aussi gagné du temps pour regarder des vidéos Youtube)
J'en étais à interroger le Grand Krishnou à ce sujet, en lui sacrifiant comme à l'habitude un jeune chevreau prépubère(1) par une nuit sans lune, après avoir tracé sur le sol le pentacle qui va bien, malgré les plaintes répétées de mes voisins à la gendarmerie, et la relative pénurie de chevreaux vierges qui règne à présent dans mon quartier, quand je reçus un courriel de ma belle-mère 2.0. qui m'enjoignait d'aller lire séance tenante une interview de BHL. 
Une interview ÉCRITE ! 
Ma belle-mère 2.0, je l'aurais presque embrassée, malgré l'odeur prégnante de chevreau mort qui lui aurait très certainement fait repousser mes avances de son petit air pincé, car elle lit le Figaro, alors que mon père lit Le Monde.  
J'embrasserais presque BHL aussi, parce qu'en 2 minutes, j'ai compris son point de vue, en plus il évoque les réseaux asociaux, j'en pleurerais presque de joie tellement qu'elle est bonne, mais la douleur m'égare.
Aah, mes chers compatriotes, on est loin de la bouillie émotionnelle et du dolorisme participatif des vidéos présidentielles, qui totalisent quand même des millions de vues, chapeau l'artiste !

Je dois avouer que je n'ai pas été tout à fait honnête, dans ce sujet à charge.
Il y a une vidéo qui m'a fait forte impression de manière durable, c'est celle dénichée sans le faire exprès un jour où j'en avais un besoin vital sans le savoir, et qui a changé ma life pour toujours et à jamais, en élargissant le regard que je pouvais porter sur mes infirmités du moment.
Elle est en lien dans cet article, presque exclusivement constitué d’un emprunt à taux zéro à Emmanuel Carrère, que c'en est une honte. 
Tu veux bien aller la regarder, s’il te plait ?
__________
(1)je préviens tout de suite que le sacrifice rituel de ce chevreau n'a aucun rapport avec la traque du bouc émissaire, une réponse classique aux épidémies inexplicables, il ne faudrait pas faire l'amalgame.

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