vendredi 3 novembre 2006

Bénéfices secondaires de la compassion


dessin de Honoré © Charlie Hebdo du 25/10/06

L’année dernière, j’ai offert un pécé portable à ma chérie, parce qu’elle en avait marre que je lui répète qu’elle n’avait qu’à utiliser mon macintosh alors que j’étais collé dessus à toutes les heures ouvrables du jour et de la nuit. Je l’ai prévenue “tu sais, je suis une burne en pécé, faudra pas compter sur moi pour la maintenance”. Ca n’a pas loupé, panne sur panne, coups de fil au beau-frère instrumentalisé en hot-line, explosion du lecteur de cédérom un mois après l’expiration de la garantie, séjour prolongé au SAV de Leclerc auprès duquel la Caisse d’Allocations Familiales est une administration hautement qualifiée et très réactive, et là, cette semaine, alors que je croupis dans les affres d’un célibat quasi monastique (tes cuivres, et puis quand t’auras fini tu retourneras poncer ton plâtre dans ta nouvelle cuisine Vogica qui tarde à sortir de terre) la machine rentre de la polyclinique, et impossible de réinstaller windows avec les disques d’origine même pas tombés du camion. Alors je me suis mis dedans, en me disant que si je n’essayais pas de faire pour elle ce que j’aurais fait pour moi sans même y penser si j’avais eu une galère de bécane, je serais le dernier des garden nabbots, et pas que sur le plan de la maintenance. Secondé par un ami fidèle, le golem windowsien finit par réémerger de la glèbe siliconée, victoire qui induit une intuition salvatrice tout à fait involontaire qui me permet de redonner vie à mon scanner sans avoir à remonter dans le temps pour aller tchourer sur le présentoir d’un magasin informatique les drivers disparus à jamais.
Joie, fierté, et humilité de sentir que je n’y suis pour rien, heureusement réduites à néant par le ton triomphaliste de cet articulet.
Ce qui me permet de vous faire partager derechef l’édito de Philippe Val de la semaine dernière, le chevalier blanc de la conscience politique :

“Sarkozy, syndic de faillite du gaullisme

Sarko, facho ? Evidemment, la rime est tentante, comme l’était celle de CRS = SS en d’autres temps. Mais au fur et à mesure que le personnage se déploie dans la vie politique française, il faut se rendre à l’évidence. Sarkozy n’est pas un fasciste. Contrairement aux différents leaders du Front national, et à certains autres, comme de Villiers, il n’a encore rien dit ni rien fait qui prouve qu’il soit de cette famille qui cherche à fonder une autorité politique sur le racisme, par exemple. Il est de toute évidence étranger à tout sentiment antisémite, antiarabe ou anti-noir. L’attaquer là-dessus, c’est perdre son temps et lui en faire gagner, car il n’aura aucun mal à renvoyer dans les cordes de façon spectaculaire celui qui cherchera à l’atteindre par des accusations de ce genre. Et il aura raison.
Lorsqu’on combat le Front national, on est face à un ennemi qui se situe hors du champ de la démocratie, et qui cherche à faire croire qu’il y campe pour y foutre le feu à la première occasion. Sarkozy, jusqu’à présent, se situe clairement dans le champ démocratique, et il faut le combattre comme un adversaire, ce qui n’est pas la même chose. On peut juger que le sarkozisme, S’il triomphe, mettra en péril la démocratie, ce qui est très probable. Mais, contrairement à Le Pen, Sarkozy n’est pas un idéologue anti-démocrate. Et si l’on refuse de le comprendre, on rien arrivera jamais à bout. Nous nous essoufflerons à l’accuser de ce dont il n’est pas coupable, en ne convainquant que nos amis déjà convaincus.
Sarkozy n’est pas fasciste, il est de droite, ce qui n’a rien à voir. Il est vraiment de droite. À force de dire que tout le monde est de droite, un jour on va se retrouver avec un vrai facho et il sera trop tard pour réapprendre à faire le tri.
Lorsque Sarkozy est allé aux Etats-Unis pour se faire photographier avec George Bush et critiquer la position de la France, beaucoup ont pensé qu’il faisait une faute politique. C’est possible, parce que l’opinion française est travaillée par une sorte de racisme anti-américain auquel Bush sert de prétexte, mais ça n’est pas sûr. En revanche, on peut parier que l’adhésion de Sarkozy à la politique de Bush, elle, est sincère. Sur le plan international, sans doute, et sur sa vision de la répression en général, certainement. Ces deux-là sont faits pour s’entendre. Et si la démocratie américaine et son image dans le monde ressortiront en loques des huit ans d’administration Bush, elle préfigure l’état dans lequel la France sera au bout de cinq ans de Sarkozy. Mais l’Amérique dispose d’une puissance et de ressources qui lui permettront sans doute de se relever, tandis que la France, isolée au sein d’une Europe malade, risque fort d’avoir à raser les murs pendant longtemps.
L’UMP de Sarkozy est une machine destinée à liquider le gaullisme, pour lequel la cohésion sociale passait par un Etat actif, une unité incompatible avec le communautarisme et un système de valeurs qui n’ont plus cours aujourd’hui : grandeur nationale, rayonnement culturel, indépendance et maîtrise du jeu dans la construction européenne, à quoi s’ajoutaient un puritanisme et un jacobinisme vétilleux, une méfiance historique pour les milieux d’affaires, et une conception de la liberté de la presse à l’ancienne…
Sarkozy veut un État cantonné au maintien de l’ordre, il se fout de l’unité, il est communautariste, le rayonnement culturel passe par Christian Clavier et Doc Gynéco, il a soutenu le traité constitutionnel comme la corde soutient le pendu, il adore les milieux d’affaires, puisque c’est son milieu, il n’a gardé du gaullisme qu’une conception de la liberté de la presse à l’ancienne, voire, entre autres, l’affaire de Paris Match et du choix des journalistes à Europe I.
Quant aux valeurs, ce n’est pas son problème. Il est pour celles qui ne nuisent ni à I’ordre, ni au business.
Le point commun qu’ll a avec Bush, c’est le hold-up qu’il fait sur la modemité et le progrès. Ils ont mis au point un discours tendant à faire passer pour archaïque et ringard tout ce qui n’est pas, dans le domaine social, un retour à une brutalité économique sans freins politiques, et, dans le domaine politique, tout ce qui contrôle la violence de l’État.
Ils se font passer pour « modernes » et “allant de l’avant », alors qu’ils sont deux-représentants typiques du renoncement démocratique. Mais ils le font dans le cadre de la démocratie, certes en longeant les bords, avec peut-être la tentation de les franchir, mais peut-être aussi avec une certaine dose de bonne foi qui confine à la bêtise. La différence entre Bush et Sarkozy, c’est que l’un est président et que l’autre n’est que candidat. Pour le reste, ils sont deux rails parallèles sur lesquels le train du droit fonce vers une catastrophe.

1 • Bush, à quelques semaines des élections, vient de faire voter une loi permettant à la fois des pratiques torturantes, le secret et des tribunaux d’exception. Cette pérennisation de l’exception est un véritable cancer du droit constitutionnel qui garantit les libertés fondamentales. C’est exactement ce que voulait Ben Laden en organisant les attentats du II septembre. Il voulait que le système démocratique qu’il déteste—avec ses femmes libres, son cosmopolitisme, et ses lois au-dessus des cultes— se renie lui-même, sous l’effet de la peur. Cet affaiblissement démocratique de la plus grande puissance démocratique du monde est un signe alarmant de la fragilité des États de droit, dont l’existence ne pourrait bien être qu’une parenthèse dans l’histoire humaine, qui se confond avec celle de la barbarie.
2 • Sarkozy, qui rencontrait la semaine dernière les lecteurs du Parisien, en a profité pour révéler ses propositions en matière de répression de la délinquance. Elles sont au nombre de huit, et toutes relèvent de la tentation de l’exception. Lorsqu’il propose, par exemple, la prison préventive automatique pour toute atteinte à l’intégrité physique, il préconise de systématiser la peine avant enquête et jugement. Lorsqu’il propose une peine plancher automatique pour un multirécidiviste, il ôte à la fois au juge son pouvoir d’évaluation et il nie les droits de la défense que la justice accorde à tout coupable quel qu’il soit. Lorsqu’il réclame les assises pour qui s’en prend à un pompier, un gendarme ou un policier, et qu’il veut instituer des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, il cherche à marginaliser le pouvoir judiciaire. Il veut que l’opinion juge et décide, et non plus les juges professionnels. Si l’opinion décidait, à l’heure qu’il est, la guillotine fonctionnerait encore, et tous les accusés d’Outreau seraient morts. Si le peuple désigne des représentants, et que ces représentants eux-mêmes sont séparés en deux chambres, une « rapide », celle des députés, et une « lente », le Sénat, c’est que le temps et les degrés de représentation sont nécessaires à l’exercice de la raison. La « démocratie directe », c’est une merde démagogique au service du lynchage. La représentation, c’est la viscosité qu’il faut pour transformer les passions volatiles et aliénantes de la foule en civilisation d’hommes libres. Bush et Sarkozy ont en commun avec les extrémistes —qui en appellent sans cesse à la légitimité de l’opinion—de vouloir faire l’économie des institutions.
Ce sont eux les ringards et les archaïques. Il suffit d’ailleurs de constater la médiocrité des médias qui les soutiennent l’un et l’autre. Ils ne sont pas, comme les fascistes, les islamites et les totalitaires divers, des ennemis qui se situent volontairement à l’extérieur de la démocratie, ils sont les symptômes de ce qui la ronge de l’intérieur : un manque de foi en elle-même. Ils sont les produits de la peur, du manque de confiance dans le droit, et de ce fameux bon sens populaire qui croit toujours qu’au bout du compte les prisons sont plus utiles que les Parlements.”

Commentaires

  1. euuh disons que le front national possede un programme qui à 20 points,
    si sarkosy en respecte 15 il est facho ou pas??

  2. Camarade, nuance ton propos. Relis l’article plus doucement, ou retrouve le post de dado sur les grenouilles (genre automne 2005), et essaye d’y aller mollo parce que tu vas nous serrer une durite un de ces quatre, et que je serai co-responsable.

  3. camarade,

    j’ai fait une surchauffe ca arrive… j’ai relue ton post et l’article de Val..
    plus calmement.
    c’est un personnage particulier sarko…

    mais étrangement pour moi il ne sera pas au deuxieme tour.
    on vie une epoque étrange ou les bus brule, les ecoles…
    une espece de course à l’echalotte.

    et je pense qu’il faut une personne calme pour reglée ce type de probléme, il a cassé systematiquement ce qui à été fait (villepin a l’onu ou chevenement et la police de proximité), pour le remplacé par ce qu’il pense bon.

    on est pas l’abris d’une surprise, et d’une bavure surtout…

  4. Ça alors…
    Depuis que j’ai troqué mon vieux PowerMac 8600 tout plein de SCSI pour un G4 plus récent, j’ai dû me défaire de mon fidèle scanner Agfa, et je me disais, pas plus tard qu’il y a dix minutes, alors que je rangeais mes derniers numéros de “Charlie”, qu’il m’aurait été bien utile pour récupérer, précisément, cet édito de Val sur Sarkozy. N’écoutant que mon courage, je m’apprêtais à recopier tout le texte, décidément très bon ; et justement, me suis-je fait remarquer, s’il est si bon que ça, alors il a pu probablement émouvoir un autre individu que moi, dans ce monde de brutes ; et qu’un tel quidam eût pu, en plus d’être lecteur de Charlie, avoir un autre point commun avec moi, outre un scanner en état de marche et une connexion internet: l’envie de partager avec d’autres ce qui nous a procuré du plaisir (intellectuel, s’entend). C’est ainsi que “sarkozy syndic val” tapé dans Google m’a dirigé jusqu’ici, me permettant d’être un bénéficiaire tertiaire de la compassion.
    Merci John !

  5. c’est marrant parce que ça m’a fait le même coup il y a quelques mois quand je recherchais un texte de théodor reik cité par philip dick dans substance mort, j’ai tapé tout ça sur google et bingo !
    faisons à autrui ce qu’on voudrait qu’il nous fisse !
    Il existe de bons adaptateurs SCSI pour G4 (Adaptec SCSI Card 2906 Driver), après faut faire dans le dossier préférences des choses qui sont pas dans le manuel, mais bon… s’il fallait se contenter des manuels….

  6. Hé oui John, Internet est bien une immense base de données collective qui enrichit les intelligences. J’ignorais l’existence de cette carte ; je note, merci :)
    …et pourquoi pas : fais à autrui ce qu’il aimerait que tu lui fasses ?

  7. c’est une bonne idée, si sa mère est d’accord.
    Immense base de données collective, oké. Mais je ne dirais pas qu’Internet enrichit l’intelligence. Elle rend un certain savoir accessible (en même temps qu’un tombereau d’opinions collées dessus).
    L’outil est neutre, tout dépend de comment tu l’exploites. Si ton intelligence préexiste au support, tu peux ramener des trucs sympas dans tes filets. Sinon il y a de fortes chances que ça augmente ta confusion.
    Hier soir j’ai entendu Emmanuel Todd sur France inter, il disait des choses intéressantes sur l’état du monde, ce matin j’ai pu enrichir ma connaissance de ses théories.

  8. “L’outil est neutre, tout dépend de comment tu l’exploites. Si ton intelligence préexiste au support, tu peux ramener des trucs sympas dans tes filets” : absolument d’accord. C’est tellement évident pour moi que je n’ai pas jugé utile de le préciser. J’en connais pourtant beaucoup qui se contentent de s’envoyer des blagues par mail, avec le matériel dernier cri et la connexion haut débit. Chacun son truc…

  9. et moi, j’en connais qui font du lobbying pour la dépénalisation du chichon et qui n’ont même pô lu mon article (illustré par charb) sur les séductions haschichines ;-)
    http://johnwarsen.blogspot.com/2008/10/des-seductions-haschichines.html

  10. Je découvre ce blog très intéressant.
    Et tombe sur cette phrase hallucinante: SAV de Leclerc. dois-je comprendre que le portable provenait de cet antre dont la compétence se limite aux boites de conserves et tablettes de chocolat (ce en quoi, il fait bien son travail) et qui prétend nous fourguer bijoux, voyages et portable ?
    Il n’est pas responsable des produits qu’il distribue me direz-vous ? hé bien je pense que si.
    Et dans le cas d’un ordinateur portable, produit intrasèquement fragile, passer par le commerce de gros n’est pas une solution.

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