J'ai des tontons qui durent, et d'autres qui ne font pas long feu. J'ai donc démarré une nouvelle carrière littéraire dans l'eulogie au Crématorium de Bégard (22).
Ecriture plus sobre, plus dépouillée, en un mot plus reposante, parce qu'apaisée.
J’ai eu un petit succès, malgré un débit un peu rapide, parce que si je ralentissais, je savais que j'allais me mettre à pleurer, et c'était pas le but.
Ce qui m’a stimulé, c’est l’épouvante sourde que je ressens depuis des années à l’idée de faire un de ces jours l’oraison funèbre de papa, car comme le dit ma dulcinée quand je lui en parle, «au fait, c’est vrai, qu’est-ce qu’on pourrait dire de positif sur ton père ? »
Et je ne voulais pas voir se reproduire ce qui s’était passé à la mort de mon oncle précédent, après laquelle personne n’avait pris la parole lors de cette cérémonie dans une petite église de Dordogne, pourtant charmante, et j’avais trouvé ça bien triste comme début de post-vie.
Là, les enfants de tonton (mes cousins, quoi) m’avaient fait comprendre qu’ils ne pourraient pas parler au Crématorium, trop d’émotions, et ils savaient que j’avais une relation chaleureuse avec Jean-Pol. Donc je m’y suis collé, comme à un mal nécessaire, mais c’est venu quasiment tout seul.
L’eulogie est pour moi un genre littéraire tout neuf, et promis à un bel avenir dans ma famille vieillissante; bien sûr si tu regardes dans les angles, ça relève de la fiction, car la vraie vie de tonton dans la RRR (Réalité Réelle Ratée) serait un roman à faire passer Houellebecq pour Guy des Cars, donc je ne pouvais pas partir des faits, uniquement de mon ressenti; de toute façon, dans l'éloge funèbre, on peut se lâcher : il est rare que le destinataire, sagement étendu à l’arrière-plan, vienne nous contredire.
Il s’agit avant tout d’exalter les vertus du défunt en faisant croire aux survivants qu’elles se diffusent doucement vers eux en fines gouttelettes pendant la lecture, à mi-chemin entre le brouillard d’huiles essentielles et le crachin breton.
L’exercice est donc bien balisé, et j’ai trouvé ça intéressant, en plus d'être utile aux autres.
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Quelques mots inspirés par Tonton Jean-Pol, et qui n’engagent que moi.
Brassens chantait : « Il est toujours joli, le temps passé
Une fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types »
…c’est pas pour faire mentir Brassens, mais je n’ai jamais rien eu à pardonner à Tonton Jean-Pol. Et pourtant, dans ma famille, c’est pas pour me vanter, mais on s’offense assez facilement, alors qu’on pardonne assez peu, et le plus tard possible. C’est parce qu’on cherche à avoir raison, et qu’on a du mal à se remettre en cause, sauf moi qui vous cause, évidemment.
Et Tonton Jean-Pol, qui avait été miraculeusement épargné par le dogmatisme.
Tonton Jean-Pol, il a été présent à tous les âges de ma vie, et franchement, pour moi il a toujours incarné la bienveillance. C’était un oncle incarné, quoi.
Quand on était petits, avec mon frère et ma soeur, qui ne sont pas là mais que je représente moyennant un cachet d’intermittent du spectacle très raisonnable, Jean-Pol et Françoise venaient nous voir à Perros, avant qu’ils aient des enfants, et ils nous apportaient toujours des cadeaux. Mes autres oncles aussi, d’ailleurs ils nous ont vraiment gâtés pourris et je sais pas comment on a fait pour pas devenir infects, tellement on a reçu de cadeaux non mérités, simplement parce que mon père était le premier des quatre Dalton à avoir des gosses, alors tout le monde faisait des cadeaux aux gosses d’Averell en attendant d’en avoir, des enfants, pour pouvoir leur en faire, des cadeaux, mon père qui n’est pas là non plus mais que je représente pour un autre cachet d’intermittent du spectacle tout à fait exorbitant, mon père qui a failli venir et qui vous prie de bien vouloir l’excuser de ses empêchements majeurs et mineurs, en tout cas tonton Jean-Pol on était toujours content de le voir, parce qu’avec ou sans cadeaux il était tout le temps gentil et bienveillant, d’une gentillesse qui ne triche pas, qui ne demande rien sinon d’être à la bonne hauteur pour la recevoir.
Merci pour ça, Tonton Jean-Pol.
Plus tard, pour mes 20 ans, tonton m’a offert mes premiers jobs d’été, comme aide-cuistot et plongeur dans les jolies colonies de vacances de la CCAS. C’était super, ça me changeait de mon milieu petit-bourgeois intello de gauche, en plus des fois je faisais la plonge dans de jolies monitrices des jolies colonies de vacances de la CCAS. (oeuvres sociales EDF)
Merci pour ça aussi.
[Même la fin d’été où je me suis fait braquer tous les sous que j’avais gagné dans les colonies CCAS par deux voyous à qui je voulais acheter du shit en gros et demi-gros, le fait de me retrouver avec un flingue sur le ventre et un cran d’arrêt sous la gorge, ça m’a rapidement et définitivement convaincu que je ne ferais pas carrière dans le trafic de stupéfiants, ce fut une expérience très pédagogique, et ça c’est encore à tonton que je le dois. Trop fort, tonton.]
(passage enlevé à la demande de ma dulcinée, qui a trouvé que ça parlait plus de moi que de tonton)
Encore plus tard, en 1986, tonton m’a hébergé plusieurs semaines à Rennes où j’avais décroché un stage dans une société d’images de synthèse. Et toujours cette générosité et cette prévenance, alors qu’il venait de subir un drame familial terrible qui avait largement de quoi le rendre fou, dépressif, aigri, alcoolique ou un subtil mélange des quatre.
Que dalle. Il est resté droit dans ses bottes.
S’il avait un côté obscur, et qui n’en a pas, c’est pas à moi qu’il l’a montré. Je ne l’ai jamais vu.
Et toujours cette simplicité, ce langage du cœur qui gouvernait nos échanges, dont il est un peu tard pour me vanter, mais si tu m’entends tonton, tu le sais bien que c’est vrai que quand on se voyait on allait droit au but.
La dernière fois qu’on s’est croisés, au mois d’aout, j’ai cru comprendre que pour cette vie-là, dans ce corps-ci, t’avais eu ta dose, on t’avait sévèrement trafiqué le moteur, enlevé des pièces, bricolé d’autres, et il en résultait pour toi un inconfort qui ne justifiait pas de jouer les prolongations plus que nécessaire.
Inquiet, j’étais repassé le lendemain, dans l’idée de t’en mettre une couche en direct de la cellule de prévention du suicide, et tu m’avais rassuré, tu t’étais déjà repris, m’affirmant que tu récupérais petit à petit et que tu allais te bouger pour répondre à cette vie qui s’offrait encore à toi.
En fait, je crois que tu étais déjà en paix, que tu avais réglé tes affaires, fait tes valises, et que tu te tenais prêt à partir.
Tu m’as bien roulé, Tonton Jean-Pol.
Tu ne seras jamais un petit vieux. Je n’ai rien contre les petits vieux, j’ai de très bons amis petits vieux, mais c’est un truc qui ne t’a jamais intéressé.
Je t’embrasse et je te salue.
Merci pour tout.