7 millions de morts par an.
Pas mal.
Bien joué.
Je rase les murs pour échapper au massacre.
Et je fume.
Je fume comme je buvais, je fume comme je télécharge, je fume pour réguler des états intérieurs dont au fond j'ignore tout (à moins de les regarder dans le jaune des yeux pendant assez longtemps) puisqu'au lieu de les explorer, je fume.
Je fume par habitude buccale auto-érotique, je fume pour créer un épais rideau de fumée entre moi et le réel. Je fume parce que je me suis programmé pour, je fume parce que je dois brûler l'énergie que je ne sais mettre ailleurs, je fume parce que ça me consume, je fume pour m'ét(r)eindre, pour oublier que je m'étais promis de cesser de fumer. Impossible d'expliquer à un non-fumeur pourquoi je fume, et inutile d'en parler à un fumeur : il en connait aussi long que moi sur la question.
Le monde se divise en 3 catégories : les non-fumeurs, les fumeurs, les anciens fumeurs. Et les fumeurs morts, qui doivent être un sous-groupe à l'intersection des deux précédents, mais j'hésite un peu sur la nécessité de pousser plus avant la classification, tout le monde a compris.
J'ai arrêté 4 ans, de 2007 à 2011, et je ne parviens pas jusqu'à aujourd'hui à raccrocher, comme on dit.
Malgré que je commence à avoir pas mal d'amis fumeurs morts, catégorie injoignables.
Et que ça me crève, et que je tousse, et que ça fait un drôle de bruit quand je respire.
En mars, mon père m'alertait une énième fois sur les méfaits du tabac.
Comme il ne sait pas me parler, et que je n'ai rien à lui dire à ce propos, il m'envoya un article de journal "Coût économique et social du tabagisme" dont les résultats étaient bien en-deçà du bilan de l'article du Monde d'hier.
Je lui répondis :
Et pourquoi tu ne me dis pas tout simplement que si je continue je vais mourir dans d’atroces souffrances ? (je rêvais d'un message un peu personnalisé, genre dialogue père-fils)
parce que finalement c’est ça, l’enjeu.
Le coût économique et social du tabagisme, le fumeur s’en fiche.
Et lui :
... Parce qu'il n'y a pas besoin de le dire, et que ce n'est qu'une éventualité. En outre, on peut aussi "mourir dans d'atroces souffrances" sans avoir fumé. MAIS ...
Le "coût économique" du tabagisme, il est supporté par tous les contribuables*, y compris -et surtout- les non fumeurs, puisqu'ils sont les plus nombreux, sous forme de dépenses de santé additionnelles, en l'occurrence mutualisées: diagnostics, soins, frais d'hospitalisation, pertes d'heures de travail, etc. Ma voisine du dessous, fumeuse, a du se faire ôter un lobe pulmonaire en 2008. Mais j'ai, avec d'autres non fumeurs, contribué à la prise en charge collective de ces dépenses.
Dois-je conclure, si le "fumeur se fiche ...", qu'il lui est indifférent de contraindre ses concitoyens à supporter le coût de ses addictions, et donc à se serrer la ceinture, où réduire d'autres dépenses -culture, éducation, infrastructures etc.- **?
Et Toc !
(*) au sens large, en assimilant les cotisations d'assurance maladie à un "impôt", dès lors qu'elles sont obligatoires.
(**) et que les impôts sur le tabac sont loin de contrebalancer ledit "coût économique".
... Et en plus, la voisine, cancéreuse, s'est défaussée de son mandat de syndic, me contraignant à reprendre cette affaire, à un âge (70 bien tapés) où je m'en serais bien passé ! Et quand elle est partie, les nouveaux habitants, beaucoup plus jeunes (quadras) se sont empressés de me confirmer dans ce rôle. Takavoir, "Les méfaits du tabac" * !...
(*) clin d'oeil, car c'est le titre d'une courte pièce de Tchékov, très subtile, et drôle, dont je ne saurais trop conseiller la lecture, et où il n'est pas question du tout de "coût économique" du tabagisme, mais de bien d'autres difficultés ... familiales.
D'autant plus qu'est paru un autre article du Monde, qui dit que le tabac tue de plus en plus de pauvres, et de moins en moins de riches, et comme je me pauvrifie d'année en année, ça me touche :
" Le pourcentage de fumeurs s’est accru chez les Français à faibles revenus et a baissé dans la population à haut niveau de revenus entre 2010 et 2016. (...) Pour expliquer cette augmentation de la consommation de tabac parmi les catégories sociales les plus défavorisées, l’agence sanitaire avance, pêle-mêle, « l’utilisation de la cigarette pour gérer le stress, la difficulté à se projeter dans l’avenir, la méfiance à l’égard des messages de prévention, le déni du risque, une dépendance nicotinique plus importante, une norme sociale en faveur du tabagisme ou des événements difficiles pendant l’enfance ».
http://www.lemonde.fr/addictions/article/2017/05/30/fumer-est-de-plus-en-plus-un-marqueur-social_5135700_1655173.html
C'est un peu victimisant, quand même. J'aime bien la formule des AA "je ne suis pas coupable de ma maladie, mais je suis responsable de mon rétablissement."
Voici donc :
Voici donc :
Les Méfaits du tabac
de
Anton Tchekhov
PERSONNAGE :
IVAN IVANOVITCH NIOUKHINE, mari de sa femme, directrice d'une école de musique et d'une pension de jeunes filles.
La scène représente l'estrade d'un cercle de province.
NIOUKHINE, longs favoris, pas de moustache, vêtu d'un froc usé, entre d'un air majestueux, salue le public et tire sur son gilet.
Mesdames, et, pour ainsi dire, messieurs. (Il caresse ses favoris.) On a demandé à ma femme de me faire prononcer ici, dans un but de bienfaisance, une conférence sur un sujet accessible à tous. On veut une conférence, eh bien, va pour une conférence, pour ma part, cela m'est parfaitement égal. Certes, je ne suis pas professeur, je ne possède aucun titre universitaire, néanmoins, voilà trente ans que je travaille sans relâche, et, pour ainsi dire, au détriment de ma santé, sur des questions strictement scientifiques; je ne cesse d'y réfléchir, et figurez-vous qu'il m'arrive même d'écrire des articles savants, pas précisément savants, si vous voulez, mais tout comme, passez- moi l'expression. Ainsi, l'autre jour, j'ai écrit un très long article, intitulé : «De la nocivité de certains insectes». Il a beaucoup plu à mes filles, en particulier la partie qui concernait les punaises, mais après l'avoir relu, je l'ai déchiré. Car on peut bien écrire tout ce qu'on veut, mais impossible de se passer de poudre insecticide. Chez nous, à la maison, c'est rempli de punaises, jusque dans le piano... J'ai choisi comme sujet de ma conférence de ce soir le danger que représente pour l'humanité l'usage du tabac. Je suis fumeur moi-même, mais comme ma femme m'a ordonné de parler des méfaits du tabac, inutile de discuter. Le tabac? Va pour le tabac, cela m'est parfaitement égal; quant à vous, messieurs, je vous invite à écouter mes propos avec le sérieux qui s'impose faute de quoi il pourrait nous en cuire. Ceux qu'effraie une conférence sérieuse et strictement scientifique peuvent se boucher les oreilles ou quitter la salle. (Il tire sur son gilet.) Je fais tout particulièrement appel à messieurs les médecins ici présents, susceptibles de puiser dans ma conférence des renseignements fort utiles, puisque le tabac, outre ses méfaits, est également employé en médecine. Si, par exemple, on enferme une mouche dans une tabatière, elle crève, sans doute de dépression nerveuse. Le tabac est, essentiellement, une plante... Quand je fais une conférence, j'ai l'habitude de cligner de l'œil droit, mais n'y faites pas attention, c'est parce que je suis ému. J'ai toujours été excessivement nerveux, mais je ne cligne de l'œil que depuis le 13 septembre 1889, jour où ma femme a accouché, si j'ose dire, de notre quatrième fille, Varvara. Toutes mes filles sont nées un treize. Mais (Il consulte sa montre.) ne nous écartons pas du sujet; notre temps est limité. Je dois tout de même vous dire que ma femme dirige une école de musique et une pension de jeunes filles, c'est-à-dire, pas une véritable pension, mais tout comme. Entre nous, bien que ma femme ne fasse que pleurer misère, elle a mis de l'argent de côté, quelque chose comme quarante ou cinquante mille roubles. Quant à moi, je n'ai pas un kopek, pas le rond, mais à quoi bon en parler! Je suis préposé à l'économat de la pension : c'est moi qui fais les provisions, qui vérifie les comptes des domestiques, qui note les dépenses, qui fabrique les cahiers, qui extermine les punaises, qui promène le petit chien de ma femme, qui attrape les souris... Hier soir, entre autres, je devais remettre de la farine et du beurre à la cuisinière, car on avait l'intention de faire des crêpes. Eh bien, voyez-vous, ce matin, les crêpes déjà cuites, ma femme rapplique à la cuisine, et nous annonce que trois de nos pensionnaires n'en mangeraient pas, elles avaient les glandes enflées. Nous avions trop de crêpes, que fallait-il en faire? Ma femme a d'abord ordonné de les porter à la cave, puis après avoir mûrement réfléchi, elle m'a dit : «Tu peux les manger toi-même, épouvantail.» Quand elle est de mauvaise humeur, c'est comme ça qu'elle m'appelle : «épouvantail», ou encore «vipère», ou «Satan». Comme si je ressemblais à Satan! Elle est toujours de mauvaise humeur... Ces crêpes, je ne les ai pas mangées, je les ai avalées sans mâcher; c'est que je suis continuellement affamé. Hier soir, par exemple, elle m'a privé de dîner. «Toi, espèce de benêt, a-t-elle dit, pas besoin de te nourrir...» Mais (Il consulte sa montre.) à force de bavarder, nous nous sommes légèrement écartés de notre sujet. Poursuivons. Je suis bien persuadé que vous aimeriez mieux écouter une romance, ou une quel- conque symphonie, ou un air d'opéra... (Il entonne : ) «Nous ne broncherons pas au plus fort de la bataille»... Je ne sais d'où c'est tiré... A propos, j'ai oublié de vous dire... A l'école de ma femme, en plus de l'économat, je suis chargé de l'enseignement des mathématiques, de la physique, de la chimie, de l'histoire, de la géographie, du solfège, de la littérature, et ainsi de suite. Pour les leçons de danse, de chant et de dessin, ma femme exige un supplément, bien que ce soit encore moi qui enseigne ces matières. Notre école de musique se trouve dans la ruelle des Cinq Chiens, au numéro treize. Si j'ai raté ma vie, c'est sans doute parce que nous habitons au numéro treize. Et puis toutes mes filles sont nées un treize, il y a treize fenêtres à notre façade... Mais à quoi bon en parler? Pour tout renseignement, vous pouvez vous adresser à ma femme à toute heure du jour, et si vous voulez un prospectus de l'école, vous en trouverez chez notre concierge, à trente kopeks l'exemplaire. (Il tire quelques petites brochures de sa poche.) Moi-même je peux vous en céder quelques-uns, si vous le désirez. Trente kopeks l'exemplaire! Qui en veut? (Un temps.) Bon, alors vingt kopeks. (Un temps.) C'est bien regrettable. Oui, notre maison porte le numéro treize! Rien ne m'a réussi, j'ai vieilli, je suis devenu stupide... Tenez, je suis en train de faire une conférence, j'ai l'air gai, et pourtant j'ai envie de hurler de toutes mes forces, et de m'envoler, n'importe où, au bout du monde. Et personne à qui me plaindre, non, c'est à pleurer... Vous me direz : et vos filles? Eh bien, quoi, mes filles? Il suffit que je leur parle de tout ça pour qu'elles éclatent de rire... Ma femme a sept filles... Non, excusez-moi, six, je crois... (Vivement:) Sept! Anne, l'aînée, a vingt- sept ans, et la plus jeune, dix-sept. Messieurs! (Il jette un regard autour de lui.) Je suis malheureux, je ne suis plus qu'un imbécile, une nullité, mais au fond, vous avez devant vous le plus ravi des pères. C'est bien comme cela que ce devait être, n'est-ce pas, et comment dire le contraire? Ah, si vous saviez! Je vis avec ma femme depuis trente-trois ans, et, je puis l'affirmer, voilà bien les meilleures années de ma vie, c'est-à-dire, pas les plus heureuses, non, mais tout comme. Elles se sont écoulées comme un seul instant de bonheur, à proprement parler, et que le diable les emporte. (Il jette un regard autour de lui.) Mais elle n'est pas encore arrivée, je peux parler librement. J'ai terriblement peur... j'ai peur quand elle me regarde. Oui, qu'est-ce que j'étais en train de dire? Si mes filles tardent à se marier, c'est sans doute parce qu'elles sont timides, et que les hommes n'ont jamais l'occasion de les voir. Ma femme ne veut pas donner de soirées, elle n'invite personne à dîner, c'est une dame très avare, méchante, acariâtre, comment voulez-vous que quelqu'un mette les pieds chez nous? Mais... je veux vous confier un secret... (Il s'approche de la rampe.) On peut voir les filles de ma femme, les jours de grande fête, chez leur tante, Natalia Séménovna, oui, celle qui souffre de rhumatismes, et qui porte une robe jaune à pois noirs, on jurerait qu'elle est saupoudrée de cafards... Chez elle, on vous servira des hors- d'oeuvre... Et quand ma femme n'y est pas, on peut même s'envoyer un petit coup de vodka... (Il fait le geste de vider un verre.) Je peux bien vous l'avouer, un seul petit verre suffit à me griser, et alors j'ai le cœur si léger, et si triste en même temps... vous n'imaginez pas! Mes jeunes années me reviennent en mémoire, je ne sais pourquoi, et il me prend une de ces envies de m'enfuir... une envie, oh, si vous saviez! (Avec passion : ) Oui, fuir, tout planter là, fuir sans un regard en arrière, fuir, n'importe où... fuir cette vie étroite, inutile, vulgaire, qui a fait de moi un vieillard stupide, pitoyable, un pauvre idiot, fuir cette femme bornée, mesquine, avare et méchante, oh si méchante! qui m'a torturé pendant trente-trois ans, fuir la musique, la cuisine, l'argent de ma femme, toute cette bêtise, toute cette mesquinerie... et m'arrêter quelque part, . très loin d'ici, dans un champ, me tenir immobile comme un arbre, comme une borne, comme un épouvantail à moineaux, sous un vaste ciel... toute la nuit, regarder la lune silencieuse et claire, et oublier, oublier... Oh! comme je voudrais ne plus me souvenir de rien! Arracher de mes épaules cet habit tout usé, dans lequel je me suis marié, voilà trente-trois ans!... (Il retire son habit d'un geste rageur.) et c'est là-dedans que je fais toujours des conférences dans un but de bienfaisance... Tiens, attrape! (Il piétine son habit.) Tiens, attrape! Je suis vieux, misérable, piteux comme ce gilet au dos râpé et usé... (Il montre son dos.) Mais je ne demande rien. Je suis au-dessus de tout, plus pur que tout cela; j'ai été jeune, intelligent, j'allais à l'Université, je faisais des rêves, je me croyais un homme... Maintenant, je n'ai plus besoin de rien. De rien... D'un peu de repos, oui, c'est tout... de repos... (Il jette un regard dans les coulisses, remet vivement son habit.) Mais voilà ma femme, dans les coulisses... Elle est arrivée, elle m'attend là-bas... (Il regarde sa montre.) L'heure est déjà passée. Si elle vous pose des questions, dites-lui, s'il vous plaît... je vous en prie, dites-lui que la conférence a eu lieu, et que l'épouvantail... c'est-à-dire... moi, s'est comporté avec dignité... (Il regarde dans les coulisses, toussote.) Elle regarde par ici... (Elevant la voix : ) Etant donné que le tabac contient le terrible poison dont je viens de vous entretenir, je vous recommande de ne fumer sous aucun prétexte, et j'ose espérer que cette conférence sur les «Méfaits du tabac» n'aura pas été inutile. J'ai fini. Dixi et animam levavi.
(Il salue le public et se retire majestueusement.)
FIN
Sinon, sur les méfaits du tabac, rien ne me fait plus d'effet que cette photo, on dirait l'oeil de mon chat après l'avoir emmené se faire euthanasier la semaine dernière, et pourtant il ne fumait pas des masses. Une piqure pour l'endormir, puis une de barbituriques, en 3 minutes, son âme avait définitivement quitté son corps. Rendons grâce à la Seita d'imprimer des images dégueulasses et absconses sur les paquets de cigarettes, d'une inefficacité totale quant à la prévention.
Maigre consolation, l'idée de mourir d'une malédiction jetée à l'Homme Blanc par les Indiens d'Amérique quand ils ont compris qu'ils allaient disparaitre en tant que peuple.
(y compris l'Homme Blanc à peau noire ou à peau jaune, à mesure que les cigarettiers se tournent vers de nouveaux marchés quand les pays occidentaux amorcent quand même une décrue globale de leur consommation).
Soyons honnêtes : j'ai rédigé des billets bien plus inspirés sur le sevrage tabagique, c'était en un autre temps. Quand je répétais comme un mantra "la cigarette crée le manque qu'elle prétend combler" et que ça marchait. Du coup, ça me refait penser à mon père qui disait d’un air entendu « on a écrit des bibliothèques entières sur les bénéfices de la prière » (sans avoir jamais cru ni prié un Autre que Lui-Même).
http://johnwarsen.blogspot.fr/2008/01/dernier-rappel-dair.html
http://johnwarsen.blogspot.fr/2008/10/des-sductions-de-la-cigarette.html