La côte de granit rose est une curiosité géologique qui s'étend de Perros-Guirec à Trégastel.
C'est un chaos rocheux rosâtre créé par des dieux aux pieds légers, qui se sont livrés là à une partie d'osselets endiablée, puis sont partis en laissant tout en plan.
Leur mère ne leur demandait pas de ranger leur chambre.
300 millions d'années de vents et de marées plus tard, leur ancien terrain de jeu est poli, érodé, creusé de vasques à taille humaine, mélange de gigantesque et d'infime.
C'est là que j'ai appris à gambader, dans ces rochers aux formes arrondies, incurvées (pour ne pas dire maternelles), quitte à y revenir plus tard en tournant le dos à la beauté ou à être foudroyé par elle, comme un adulte stupide qui ne capte plus ce qu'il a sous les yeux.
Petit, je trouvais l'endroit génial pour son côté parc d'attractions naturel, et je ne voyais pas son aspect sacré, et puis quand on habite trop près de la splendeur, on s'y habitue. Ca devient un acquis. J'avais un prof d'histoire-géo qui s'y promenait avec son chien deux heures par jour, quel que soit le temps. Lui, il avait compris le truc.
C'est pas parce que c'était chez moi il y a longtemps que j'y reviens. Bien sûr, quelques souvenirs affleurent lors des randonnées. Mais je ne viens pas pour ça. Je viens pour la contemplation. Les attachements qui se défont, les idées sur soi qui se dissolvent quand on s'asseoit quelques heures sur une de ces dalles de plusieurs tonnes, granuleuses mais pas inhospitaliers aux séants spectateurs.
Dans le temps, il y avait des vieilles qui savaient sur quel rocher s'asseoir pour se ressourcer énergétiquement, sur quel autre s'allonger pour traiter telle ou telle affection. Ce savoir s'est perdu avec elles. Tant pis. Plus le temps passe, plus le site devient un haut-lieu de mon petit druidisme privé. Cet été j'y ai juste fait un jogging, et passé une après-midi dans les cailloux de la plage de Tourony avec ma soeur et ses enfants, dont l'étroitesse d'esprit se fissurait face à la beauté du lieu.
Ici, peu de chances d'apercevoir des musulmanes se baignant en burkini : la mer elle est trop froide, et y'a vachement de courant. Ca n'arrête pas de monter ou de descendre, à 4 noeuds de moyenne. Quand il fait beau c'est splendide, et quand il fait moche c'est splendide aussi.
Je ne mets pas de photos, je m'arrangerais pour y glisser des selfies et ce n'est pas le propos.
Si je refais des infections dépressives majeures comme l'an dernier, il faut que je me rappelle que Ploumanac'h guérit tout et que je peux toujours m'y traîner, quel que soit mon âge et mon état (ils ont créé un chemin déambulateur-friendly sur le sentier des Douaniers), et retrouver cet état d'harmonie et d'unité avec le monde que je ne trouve pas dans beaucoup d'endroits sur Terre.