lundi 27 avril 2009

UNE PLONGÉE DANS L’ENFER SOMALIEN, le pays le plus dangereux du monde

Hé ben ça fait quand même plaisir : il reste des journalistes qui ne sont pas en train de se branler sur la prochaine pandémie, et des endroits où la réincarnation est problématique.
(article récent de Courrier International, le journal qui voit tout, mais d'ailleurs.)
Au-delà des malédictions propres au pays et à son histoire, on méditera sur le running gag de l'interventionnisme américain, auprès duquel les Bidasses en Folie n'étaient que de tristes amateurs du comique de répétition.


La Somalie avait connu une brève période de paix avec l’arrivée au pouvoir des islamistes, en 2006. Mais, depuis que les Américains les en ont chassés, le pays sombre à nouveau dans l’horreur.

Le premier formulaire à remplir en arrivant à l’aéroport international de Mogadiscio vous demande votre nom, votre adresse et… le calibre de votre arme. De quoi vous plonger immédiatement dans l’ambiance. Sans plus attendre, on découvre, dès la sortie de l’aérogare, un des spectacles les plus effarants de la planète : des kilomètres de rues bordées d’immeubles incendiés et éventrés. Jadis considérés comme les joyaux architecturaux de la région, les bâtiments construits par les Italiens [du temps de la colonisation, entre 1889 et 1941] ont été réduits en tas de briques déchiquetées à la mitrailleuse.

Depuis l’effondrement du gouvernement central, en 1991, la Somalie est ravagée par la violence. Dix-huit ans et quatorze tentatives de constitution d’un gouvernement plus tard, la mort continue sa moisson à coups d’attentats suicides, de bombes au phosphore blanc, de décapitations et de lapidations dignes du Moyen Age. Des soldats adolescents dopés au qat, la drogue locale, passent leurs journées à se tirer dessus. Des missiles de croisière américains s’abattent parfois du ciel. En mer aussi, c’est la mêlée générale. Les pirates menacent de bloquer l’une des routes maritimes les plus stratégiques du monde, le golfe d’Aden, traversé chaque année par 20 000 navires. Ces flibustiers armés jusqu’aux dents ont attaqué plus de 40 bateaux en 2008 et raflé un butin de 100 millions de dollars. La plus grande épidémie de piraterie des temps modernes.

Après plus d’une douzaine de voyages en Somalie – effectués en deux ans et demi –, j’ai dû revoir ma définition du chaos. J’ai connu des situations très inquiétantes en Irak ou en Afghanistan, mais nulle part je n’ai eu aussi peur que dans la Somalie d’aujourd’hui, ce lieu où vous pouvez être kidnappé ou abattu d’une balle dans la tête en moins de temps qu’il ne vous en faut pour essuyer la sueur de votre front. Depuis les mangroves à la végétation touffue, parfaites pour les embuscades, qui s’étendent dans le Sud autour de Kismaayo, jusqu’au labyrinthe létal de Mogadiscio, en passant par le repaire de pirates de Bossasso, sur le golfe d’Aden, la Somalie est tout simplement l’endroit le plus dangereux du monde. Ce pays est devenu un vivier de chefs de guerre, de pirates, de preneurs d’otages, de fabricants de bombes, d’insurgés islamistes fanatiques, de bandits free lance et de jeunes désœuvrés pleins de colère, dépourvus d’éducation mais disposant de beaucoup trop de munitions.

Ici, il n’y a pas de Zone verte [nom donné à un quartier hautement sécurisé de Bagdad], pas de forteresse où courir en dernier recours si vous êtes blessé ou si vous avez des problèmes. En Somalie, vous êtes seul. Les hôpitaux ont à peine assez de gaze pour panser les blessures. Et la folie dévastatrice déborde aujourd’hui les frontières du pays, provoquant des tensions et des désordres au Kenya, en Ethiopie et en Erythrée. Les insurgés islamistes liés à Al-Qaida se répandent dans tout le pays, transformant la Somalie en un aimant pour l’islam radical qui, comme l’Afgha­nistan, attire des combattants extrémistes du monde entier. Un jour, ces hommes rentreront chez eux et propageront leur idéologie meurtrière.

Le gouvernement de transition somalien – une création approuvée par l’ONU mais condamnée à l’échec dès sa naissance, il y a quatre ans – est sur le point de rendre l’âme. Un épilogue qui provoquera peut-être l’envoi d’une nouvelle mission de sauvetage internationale, tout aussi promise à l’échec que les précédentes. Abdullahi Yusuf Ahmed, vieux chef de guerre devenu président, qui était soutenu par les Etats-Unis, a fini par démissionner en décembre 2008, après une longue et âpre bataille contre le Premier ministre, Nur Hassan Hussein. Leur différend portait prétendument sur un accord de paix avec les islamistes et sur quelques ­portefeuilles ministériels. Cette dispute laisse ­perplexe, car ce gouvernement ne contrôle plus ­grand-chose. Il n’exerce son pouvoir que sur un territoire limité à deux ou trois pâtés de maisons, alors que le pays est aussi grand que le Texas [plus que la France métropolitaine].

En Somalie, même quand on a l’impression que les choses ne peuvent pas aller plus mal, elles s’aggravent. En plus de la crise politique, tous les facteurs d’une famine généralisée – la guerre, les déplacements de population, la sécheresse, la hausse vertigineuse du prix des aliments et l’exode du personnel des organisations humanitaires – sont à nouveau réunis, comme au début des années 1990, quand des centaines de milliers de Somaliens étaient morts de faim. En mai 2008, je me suis retrouvé sur le seuil d’une hutte dans le centre du pays, un coin complètement sec, à regarder un petit garçon malade blotti contre sa mère mourante. Ses vêtements étaient moites. Sa respiration était à peine perceptible. Elle n’avait rien mangé depuis des jours. “Elle va certainement mourir”, m’a dit un ancien du village avant de se détourner.

La Somalie est dans un état critique, mais le monde ne sait pas quoi faire après ces deux décennies d’anarchie débridée. Les interventions extérieures ont si mal tourné que plus personne ne veut s’y frotter. De tous ceux qui ont tenté de fourrer leur nez dans les affaires somaliennes, les Etats-Unis ont certainement été les plus maladroits : leur armée a combattu les chefs de guerre pillards, puis soutenu certains de ces mêmes chefs de guerre au mauvais mo­ment ; et elle a invariablement mal évalué le poids des paramètres claniques et religieux. Résultat : son action a radicalisé la population, accru l’insécurité et poussé des millions de personnes au bord de la famine.

La Somalie est un paradoxe politique : c’est un pays uni en surface, mortellement divisé en profondeur. C’est en effet l’un des Etats-nations les plus homogènes de la planète. Il compte entre 9 et 10 millions d’habitants qui non seulement parlent quasiment tous la même langue (le somali), mais ont tous la même religion (l’islam sunnite), la même culture et la même appartenance ethnique. Mais tout, ici, repose sur les clans : les Somaliens se divisent en une quantité ahurissante de clans et de sous-clans, avec des allégeances mouvantes et des intrigues compliquées qui ont toujours semé la plus grande confusion dans l’esprit des étrangers.

A la fin du XIXe siècle, les Italiens et les Britanniques se sont partagé la majeure partie du territoire somalien, mais leurs efforts pour imposer un ordre légal à l’occidentale n’ont jamais vraiment abouti. Les querelles étaient le plus souvent réglées au sein des clans par les anciens. Avec la dissuasion comme principe régulateur : “Tue-moi et le courroux de mon clan tout entier s’abattra sur toi.” Les régions où les coutumes locales ont été le moins perturbées, comme le Somaliland britannique, semblent s’en être mieux sorties à long terme que celles où l’administration coloniale italienne a tout fait pour enlever leur rôle aux anciens. La Somalie a acquis son indépendance en 1960, mais, la guerre froide aidant, elle est rapidement devenue l’objet de convoitises à cause de son emplacement stratégique dans la Corne de l’Afrique. Les Russes ont été les premiers à y envoyer des armes, suivis par les Américains. Ce pays pauvre, à la population quasi ­illettrée et majoritairement nomade, est ainsi devenu un entrepôt de munitions prêt à exploser. Le gouvernement central a toujours eu le plus grand mal à tenir en main l’ensemble du pays. Dans les années 1980, le général Mohamed Siyad Barré – le ­dictateur capricieux qui a gouverné de 1969 à 1991 – était de façon moqueuse surnommé “le maire de Mogadiscio”, parce qu’une grande partie du pays échappait déjà à son contrôle.

Ce qui s’est passé lorsque les chefs de faction l’ont chassé du pouvoir, en 1991, n’a pas surpris grand-monde. Les seigneurs de la guerre ont mobilisé la formidable puissance de feu qu’ils avaient emmagasinée au fil des années pour se battre contre leurs rivaux. Ils se sont disputé les moindres ports, terrains d’atterrissage, pontons de pêche, le moindre poteau téléphonique – bref, tout ce qui pouvait rapporter quelque chose. On tuait des gens pour quelques centimes. On violait impunément les femmes. Le chaos a engendré de nouvelles sortes de parasites, qui se nourrissent de la guerre : des trafiquants d’armes, des vendeurs de drogue, des importateurs d’aliments pour bébés périmés (et souvent avariés), bref, des individus qui avaient tout intérêt à ce que la pagaille dure. La Somalie est devenue ce qui, dans le monde moderne, ressemble le plus à l’état de nature de Hobbes, un lieu où la vie est vraiment dure, violente et courte. Il serait même trop positif de qualifier ce pays d’“Etat en faillite”. La république démocratique du Congo est un Etat en faillite. Le Zimbabwe aussi. Mais ces nations ont au moins une armée et une administration nationales, même si elles sont terriblement corrompues. Plutôt qu’un Etat, la Somalie est un territoire sans loi ni gouvernement.

En 1992, le président George H. W. Bush a voulu aider le pays et a envoyé des milliers de marines pour protéger des convois de vivres. Nous étions au début du “nouvel ordre mondial” de l’après-guerre froide, et beaucoup croyaient que les Etats-Unis, débarrassés de toute superpuissance rivale, pouvaient donner au cours des événements mondiaux une direction nouvelle, bonne et juste. La Somalie s’est avérée un très mauvais départ. Bush et ses conseillers n’ont pas su voir le paysage clanique et n’ont pas compris jusqu’où pouvait aller la loyauté des Soma­liens envers leurs chefs de clan. Si la société somalienne se divise et se subdivise fréquemment lorsqu’elle est en proie à des querelles internes, elle fait très vite corps face à un ennemi extérieur. Les Etats-Unis l’ont appris à leurs dépens lorsque leurs soldats ont tenté d’arrêter le général Mohamed Farah Aïdid. Le résultat, tristement célèbre, a été la “chute du Faucon noir” en oc­tobre 1993. Des milliers de miliciens somaliens chaussés de tongs ont envahi les rues avec leurs grenades autopropulsées. Ils ont abattu deux hélicoptères Black Hawk et tué 18 soldats américains, dont ils ont triomphalement traîné les corps dans les rues de la capitale. Ainsi s’est achevé le premier acte de l’intervention des Etats-Unis en Somalie.

Humiliés, les Américains se sont retirés, et le pays a été abandonné à son sort. Pendant la décennie qui a suivi, l’Occident a préféré ignorer cette zone du globe. Mais des organisations arabes, principalement basées en Arabie Saoudite, et des adeptes du wahhabisme, un courant rigoriste de l’islam sunnite, y ont posé leurs valises sans faire de bruit. Ils ont construit des mosquées et des écoles coraniques, et mis en place un système d’action sociale, favorisant ainsi un renouveau islamique. Début 2000, les anciens des clans de Mogadiscio ont créé un réseau informel de tribunaux de quartier pour instaurer un minimum d’ordre dans une ville qui en avait désespérément besoin. Ils ont arrêté des voleurs et des assassins, les ont enfermés dans des cages en fer et ont organisé des procès. La loi islamique, ou charia, acceptée par les différents clans, a été appliquée. Les anciens ont baptisé leur réseau Union des tribunaux islamiques.

A Mogadiscio, il y a des seigneurs de la guerre et des seigneurs de l’argent. Pendant que les premiers dévastent le pays, les seconds, qui possèdent les principales entreprises, assurent un minimum de cohésion sociale en offrant bon nombre des services habituellement fournis par le gouvernement, comme les soins de santé, les écoles, l’alimentation en électricité ou les services ­postaux. Ces seigneurs de l’argent ont même donné un coup de pouce à la politique monétaire de la Somalie, et le shilling somalien a été plus stable dans les années 1990 – avec une banque centrale hors service – que dans les années 1980, lorsqu’il y avait un gouvernement. Mais ces profits se sont accompagnés de risques très élevés, dont l’insécurité chronique et le vol. Les islamistes offraient une solution pratique : ils fournissaient une forme de sécurité sans exiger d’impôts et une administration sans qu’il y ait de vrai gouvernement. Les seigneurs de l’argent se sont mis à leur acheter des armes.

En 2005, la CIA a jeté un œil sur ce qui se passait en Somalie et a encore une fois mal interprété les choses. Dans le monde de l’après-11 septembre, la Somalie était devenue une grande source d’inquiétude. On craignait que le pays ne devienne une usine à djihad, à la façon de l’Afghanistan, où Al-Qaida avait préparé sa guerre mondiale contre l’Occident pendant les années 1990. A ce moment-là, il n’y avait pas grand-chose pour justifier de telles craintes, mais cela n’avait manifestement aucune importance. Quelques analystes militaires occidentaux ont dit aux responsables politiques que le chaos qui régnait en Somalie était insupportable. Le gouvernement de Bush a alors décidé d’éradiquer les islamistes sans envoyer de troupes. La CIA a chargé les chefs de guerre, ces mêmes bandits qui s’en prenaient à la population depuis des lustres, de combattre les islamistes. Un seigneur de la guerre m’a raconté en mars 2008 que deux agents américains répondant aux noms de James et David avaient débarqué à Mogadiscio avec des valises bourrées de billets de banque. “Servez-vous de ça pour acheter des armes, avaient-ils dit. Et si vous avez des questions, envoyez-nous un e-mail.” Le chef de guerre m’a montré l’adresse : (no_email_today@yahoo.com).

Mais cette stratégie s’est retournée contre les Etats-Unis. Car les Somaliens aiment parler. Le bruit a rapidement couru que ces seigneurs de la guerre que plus personne n’aimait étaient maintenant à la solde des Américains, ce qui a rendu les islamistes encore plus populaires. En juin 2006, ils avaient chassé les derniers chefs de guerre de Mogadiscio. Puis une chose incroyable est arrivée : on aurait dit que les islamistes avaient apprivoisé la bête. Je l’ai vu de mes propres yeux : lorsque j’ai atterri à Mogadiscio, en septembre 2006, des employés ramassaient les détritus et des enfants se ­baignaient à la plage. Pour la première fois depuis des années, aucun coup de feu ne venait déchirer la nuit. Les islamistes avaient réuni des clans rivaux sous la bannière de la religion et désarmé une bonne partie de la population, avec, bien entendu, le soutien des clans. Ils avaient même sévi contre la piraterie en utilisant leurs connexions dans les mêmes clans pour dissuader les villes côtières d’aider les pirates. Lorsque cela ne suffisait pas, ils prenaient d’assaut les bateaux détournés. Selon l’International Maritime Bureau de Londres, il n’y a eu que dix attaques de pirates au large de la Somalie en 2006.

La brève période de paix qui a marqué le règne des islamistes devait constituer les seuls six mois de calme que la Somalie ait goûté depuis 1991. Car faire front pour renverser les seigneurs de la guerre est une chose, décider de ce qu’il faut faire ensuite en est une autre. Une faille s’est rapidement creusée entre les islamistes modérés et les radicaux, déterminés à faire le djihad. L’un des groupes les plus extrémistes était une milice armée dénommée Al-Shabab, qui réunissait divers clans d’obédience wahhabite. Ses membres sillonnaient les alentours de Mogadiscio dans de gros pick-up noirs et battaient les femmes qui montraient leurs chevilles. Même les autres islamistes armés avaient peur d’eux.

En décembre 2006, une partie des habitants a commencé à les voir d’un mauvais œil, parce qu’ils avaient interdit l’usage de leur cher qat, ces feuilles légèrement stimulantes que les Somaliens mâchent, comme d’autres du chewing-gum. La rumeur s’est répandue que les chefs shabab travaillaient avec des djihadistes étrangers, y compris des terroristes d’Al-Qaida dont la tête avait été mise à prix. Le département d’Etat américain a fini par désigner Al-Shabab comme une organisation terroriste et a affirmé que les shabab cachaient les cerveaux des attentats commis en 1998, contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie. La Somalie avait peut-être hébergé quelques individus peu recommandables, mais elle était loin d’être le foyer de terrorisme que beaucoup craignent qu’elle ne soit devenue aujourd’hui. En 2006 s’est présentée une occasion de débarrasser les islamistes modérés des shabab et de leurs semblables, et certains Américains, comme le député démocrate Ronald M. Payne, président de la sous-commission de la Chambre des représentants sur l’Afrique, ont essayé de la saisir. Payne et d’autres émissaires ont rencontré les islamistes modérés et les ont encouragés à négocier un accord de partage du pouvoir avec le gouvernement de transition. Mais l’administration Bush a encore préféré faire ­parler la poudre. Etant donné qu’envoyer un grand nombre de soldats aurait été considéré comme une folie, les Etats-Unis ne pouvaient pas se battre en ­per­sonne. A la place, ils ont désigné un mandataire : l’armée éthiopienne. Le troisième acte pouvait ­commencer.

L’Ethiopie est l’une des meilleures amies des Etats-Unis en Afrique. Son gouvernement a soigneusement cultivé une image de rempart chrétien dans une région où couve l’extrémisme islamiste. Et il a dit au gouvernement Bush ce qu’il voulait entendre : que les islamistes étaient des terroristes et qu’ils menaceraient toute la région. Le gouvernement éthiopien se battait alors contre plusieurs groupes insurgés, dont un très puissant appartenant à une ethnie somalienne, et il craignait qu’une Somalie islamiste ne devienne une tête de pont de l’insurrection sur son palier. Les Ethiopiens avaient également peur que les islamistes somaliens ne s’allient avec l’Erythrée, leur ennemie jurée. C’est exactement ce qui a fini par arriver.

Certains à Washington n’ont pas avalé les bobards des Ethiopiens. La situation des droits de l’homme dans le pays est catastrophique et l’armée est accusée de violences envers ses propres soldats. Mais, en dé­cem­bre 2006, le gouvernement Bush a donné le feu vert à l’Ethiopie pour envahir la Somalie. Les soldats éthiopiens – accompagnés de quelques membres des forces spéciales américaines – ont franchi la frontière par milliers (beaucoup étaient cachés en Somalie depuis plusieurs mois) et n’ont eu besoin que d’une semaine pour mettre les soldats islamistes en déroute. Les Etats-Unis ont également lancé des raids aériens pour débusquer les leaders islamistes et ont continué avec des missiles de croisière qui visaient des suspects de terrorisme. La plupart ont raté leur cible, tué des civils et alimenté l’antiaméricanisme latent. Les islamistes sont entrés dans la clandestinité et le gouvernement de transition est arrivé à Mogadiscio. Il y a eu quelques hourras et beaucoup de huées. Quelques jours plus tard, l’insurrection a repris de plus belle . Le gouvernement de transition était généralement considéré comme une coterie d’ex-chefs de guerre, ce que, au fond, il était. Il s’agissait de la quatorzième tentative d’instauration d’un pouvoir central, depuis 1991. Aucun des efforts précédents n’avait abouti. Il est vrai que certains des opposants étaient des profiteurs de guerre et étaient tout simplement résolus à torpiller n’importe quel gouvernement. Mais une grande partie du problème réside dans ce que le gouvernement a fait, ou n’a pas fait. Il a rapidement perdu le soutien des clans importants de Mogadiscio, à cause des moyens violents (et infructueux) qu’il employait pour écraser l’insurrection et à cause de sa dépendance vis-à-vis de l’armée éthiopienne. L’Ethiopie et la Somalie se sont déjà livré plusieurs guerres pour le contrôle de l’Ogaden, revendiqué aujourd’hui par l’Ethiopie. Cette région est majoritairement d’ethnie somalie, et l’alliance avec l’Ethiopie était donc considérée comme une trahison.

Les islamistes ont exploité ce sentiment : ils se sont présentés comme les vrais nationalistes somaliens et se sont attiré à nouveau la sympathie générale. Il en est résulté de sanglantes batailles de rues entre les rebelles islamistes et les soldats éthiopiens, au cours desquelles des centaines de civils ont été tués. L’armée éthiopienne a bombardé sans discernement des quartiers entiers (conduisant l’Union européenne à ouvrir une enquête pour crimes de guerre) et, selon les Nations unies, a même utilisé des bombes au phosphore blanc, qui font littéralement fondre les corps. Des centaines de milliers de personnes ont fui Mogadiscio et se sont réfugiées dans des camps, qui sont devenus un terrain de choix pour la maladie et le ressentiment.

La mort frappe plus souvent et aveuglément que jamais. J’ai rencontré un homme à Mogadiscio qui était en train de parler au téléphone avec sa femme lorsqu’elle a été coupée en deux par un obus de mortier perdu. Un autre m’a raconté qu’il était sorti se promener et s’est retrouvé pris dans une fusillade. Il a reçu une balle dans la jambe et a dû passer sept jours à attendre, en se nourrissant d’herbe, que l’affrontement prenne fin afin de pouvoir ramper hors de sa cachette.

Les journalistes courent également des risques inouïs. Rares sont les reporters étrangers qui se rendent en Somalie aujourd’hui. Le kidnapping est une véritable hantise. Des amis qui travaillent pour les Nations unies au Kenya m’ont prévenu que j’avais à peu près 100 % de chances de me retrouver dans le coffre d’une Toyota ou d’être tué (ou les deux) si je n’engageais pas des miliciens pour me protéger. Maintenant, dès que j’atterris, je prends dix hommes armés à mon service.

A la fin du mois de janvier, le territoire contrôlé par le gouvernement de transition était une enclave de plus en plus réduite dans Mogadiscio, protégée par un petit contingent de soldats des forces de maintien de la paix de l’Union africaine. Aussitôt après que les Ethiopiens se sont retirés de la capitale, une bataille féroce a éclaté entre les divers groupes islamistes désireux de combler le vide de pouvoir. Il n’a fallu que quelques jours aux islamistes pour reprendre au gouvernement la troisième ville du pays, Baidoa, et instaurer la charia. Les shabab ne sont pas follement populaires, mais ils sont redoutables. Pour le moment, ils disposent d’une milice motivée et disciplinée, de centaines de combattants implacables et probablement de milliers de bandits armés qui leur prêtent main-forte. La violence n’a montré aucun signe de fléchissement, même depuis l’élection du nouveau président, un islamiste modéré, qui – ironie de l’histoire –, a été l’un des chefs de l’Union des tribunaux islamiques en 2006 [ceux-là mêmes que les Américains et leurs alliés éthiopiens avaient chassés du pouvoir].

23.04.2009 | Jeffrey Gettleman

lundi 13 avril 2009

Apocalypse molle & autres occis morts

La poulpeuse Brenda


Rien de tout cela : je ne suis pas là, occupé à une expérience de survie pascale sans ordinateur (et sans Pascale), visitant des parents âgés aux quatre coins de l'hexagone en attendant que ce soit mon tour, mais par la magie de la programmation et du léger différé, je publie cette notule ridicule qui stipule que j'ai parcouru deux articulets intéressants dans la catégorie "problèmes de riches :
Les Geekeries se cachent pour vieillir
et les hadopitreries de la semaine :
"Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème".
et le bouquin de l'auteur sur l'information, entre bien commun et propriété.
merci à Plouf.

lundi 6 avril 2009

Confessions d'un mangeur d'opium du peuple, tome LXVIII


Ce que j'aimais bien chez mon papa, c'était Dieu. J'ai été très krist quand Dieu a quitté papa. (d'ailleurs quand mon fils veut se moquer de moi, il me dit oh papa l'est krist ? au lieu de triste, réactivant sans le savoir un maléfice ancien)
A moins que ce soit papa qui ait quitté Dieu, c'est un peu confus, j'étais assez jeune et la colère paternelle a progressivement perdu ses attributs divins, la nature émotionnelle des conflits contribuant à leur délégitimation par ma conscience naissante. Et puis l'Ancien Testament, à la maison c'était le programme commun d'union de la Gauche de 1972, et le Nouveau, l'Huma Dimanche. Yahvé beaucoup de grumeaux et pas beaucoup de purée.
J'en ai beaucoup voulu à Dieu d'avoir lâché papa, ou vice versa donc, sans comprendre que papa avait ses propres singes à nourrir (expression employée par William Burroughs pour désigner l'incoercible besoin du toxicomane à recourir au produit).
D'ailleurs, aujourd'hui encore, quand je retrouve en moi les intonations et les contenus de papa, je ne sais pas trop comment réagir : le faisceau de câbles qui me permettrait de remonter de la créature au Créateur (Attention à la Marche) a été endommagé par de gros courts-circuits, et tranché nets par endroits. Sans parler des fissures du réacteur.
Et puis, à la puberté, les attributs divins, ... en tout cas la partie sympa (amour inconditionnel, omnipotence) se sont retrouvés projetés sur les filles, à la faveur d'une dérivation enthousiaste de tout mon réseau EDF.
Vaste programme, qui promettait de nombreuses réjouissances futures, comme dirait PlineJunior.
J'ai pas été déçu.
Pour une fois que je comprends quelque chose à un de ses articles... (quand je fais l'effort de les lire jusqu'au bout, c'est vrai que ça aide), ça s'arrose.