samedi 7 juillet 2012

Se réconcilier avec la Science, mais avec la Fiction aussi

 Après Prométhéus, où Ridley Scott fait subir les outrages du soudard de passage ce soir dans votre ville à la Vieille Dame qu'est devenue la Science-Fiction, je reprends un livre de SF que j'ai déjà essayé de lire 3 ou 4 fois cette année, sans jamais dépasser la page 200.
Trop difficile, trop confus.
Même pour un Dickien dans mon genre, moi qui fus geek 30 ans avant les ordinateurs individuels, du temps où il n'y avait que les livres de Jules Verne pour se défoncer. A un âge où la seule survie véritable passe par les livres, parce qu'ils sont les preuves vivantes qu'il existe une multitude d'autres places dans le monde que celle qui nous a été assignée et qui nous fait souffrir, pour reprendre Nelly Kaprièlian.
Il faut dire que le narrateur a été amputé d'une moitié de cerveau, suite à une épilepsie handicapante.
Ca n'aide pas à écrire des histoires sur l'incommunicabilité, quand on est un autiste hyper-spécialisé enfermé dans un vaisseau spatial commandé par un Vampire parti à la rencontre d'Etrangers qui se révèlent avoir fait l'économie de la Conscience de soi au cours de leur évolution, et qui sont donc beaucoup plus adaptés à la survie, et qui sortent gagnants haut la main de la confrontation.
Et que je te ponde des pages indigestes mais vivaces de méditations philosophiques :
"Nous explorons des domaines au-delà de la simple compréhension humaine. Parfois ses contours sont tout simplement trop complexes pour nos cerveaux, à d'autres moments ses axes même s'étendent dans des dimensions que sont incapables de concevoir des esprits construits pour baiser et se battre sur des prairies préhistoriques. Tant de choses nous contraignent, dans tant de directions. Les philosophies les plus altruistes et les plus viables échouent face à l'intérêt personnel, cet impératif brutal du tronc cérébral."
C'est pas avec ça qu'on va en vendre des caisses.
L'heure est grave : d'un côté, la littérature d'anticipation est agonisante, au profit de l'héroic fantasy qui l'a détronée sur les stands des libraires (ceux qui ont survécu à la Grande Peste Amazon, qui a suivi la Pandémie Fnac)(1)
Les écrivains ne sont plus traduits, les éditeurs périclitent.
Le lectorat vieillit.
De l'autre, le cinéma de SF ne décolle pas, du fait de cette invasion de superhéros en slips.
La prospective, on la trouve maintenant dans les revues de décroissance.
Qu'est-il arrivé aux idées SF ?
Quand le genre triomphe, dans les années 60/70, c'est un formidable outil de futurologie et d'anticipation.
Peu d'utopies, beaucoup d'enfers.
Certains sont advenus, d'autres attendent dans les limbes.
On n'est pas pressés.
Après j'ai un peu décroché, avec l'irruption des romans hard science, cyberpunk, j'ai lu quelques auteurs mais j'avais cessé d'en tirer ma substance vitale.
Peter Watts tire un feu d'artifice de théories empruntées aux dernières trouvailles de la neurologie, des sciences cognitives, empruntant à la physique, aux idées trainant ici et là sur l'évolution de la Vie sur Terre et Ailleurs, et sa postface bourrée de références est plus instructive que le roman lui-même, qui ne sert que de plateforme de tir à ses petits jeux de l'esprit sur la nature de la conscience.
Au service d'une humeur asses sombre : comme l'auteur le rappelle dans la postface, "la sélection naturelle prend du temps, et le hasard y joue un rôle. Si nous sommes à ce point inaptes, pourquoi n'avons-nous pas disparu ? Pourquoi ? Parce que la partie n'est pas terminée. La partie n'est jamais terminée, aussi ne peut-il y avoir de gagnants. Il n'y a que ceux qui n'ont pas encore perdu."
Aah, au moins là on est en terrain connu.
Ouf.
Et il y a quand même de quoi faire pleurer une armée de scénaristes et de producteurs de blockbusters aromatisés SF.

(1) Après avoir survécu à la saison 2 du Trône de Fer sans bailler, moi je dis que l'héroic fantasy c'est jamais que la énième resucée des Rois Maudits, luttes de pouvoir, guerres fratricides, incestes royaux et alliances contre nature, félonies et corruption du clergé, avec un zeste de concubines, un brin de gore et éventuellement un saupoudrage de magie noire.
D'ailleurs Georges R.R. Martin écrivait de la SF quand j'étais petit, d'ailleurs assez bonne, et comme Brussolo en France il a dû trouver que ça ne mettait pas assez de beurre dans les épinards s'il voulait vivre de sa plume.

samedi 30 juin 2012

Inconditionnel


Hier après midi, il faisait chaud, j'ai ouvert la fenêtre du bureau, qui donne sur la cour intérieure d'un vieil immeuble, qui n'a pas été ravalée depuis que Dickens a écrit Oliver Twist.
Vers 18 h 30, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre monter d'un appartement voisin des halètements équivoques, j'ai d'abord cru que quelqu'un matait une cassette, bientôt suivis de "Oui, oui, oui !"  propres à dissiper toute équivoque précédente, acoustiquement poussés par une gorge féminine.
On imagine aisément le monsieur, si c'en était un, partagé entre la gêne à l'idée de mettre de l'animation dans l'immeuble avec une compagne de jeux si volubile, et le plaisir de participer à un tremblement de terre sexuel de magnitude 6.
Ca a duré ce que ça a duré, puis d'un autre étage sont parvenus les cris d'une africaine sur ses gosses qui n'avaient pas fait leurs devoirs. Après l'extase, la lessive, la vie continue.
Vu de ma fenêtre, il semble y avoir un différentiel organique de jouissance homme/femme, qui n'est que partiellement compensé par notre miséricordieuse faculté à nous trouver gratifiés par le plaisir de l'Autre.
Quand j'étais un bon coup, j'avais remarqué cette propension à l'embrasement chez ma partenaire, et même si je restais à terre, j'étais content de lui offrir ce voyage dans les hautes sphères.
Pas d'échappatoire : ce "Oui ! " d'union totale avec la vie et d'acceptation inconditionnelle de la situation présente, à faire pâlir Eckardt Tolle, chaque mâle de notre espèce ressent une légitime fierté à le voir éclore, bien qu'il n'y participe que comme cause contributive, j'allais dire comme second couteau.
C'est légèrement addictif, ce truc : comme ce "Oui" ne s'exprime que dans des circonstances d'intimité particulière et laisse aux messieurs un goût de Revenez-y, c'est la porte ouverte à toutes les errances.
Comme je vois que je commence à généraliser, et que je ne vais pas tarder à jalouser ce "Oui" que j'aimerais bien dire à la Vie même au prix du dérèglement des sens, mais je pense que ça ne marche pas comme ça chez les mecs, je m'arrête là.


mardi 26 juin 2012

Et j'ai crié, crié-é, "Alien !", pour qu'il revienne...

La blogosphère vibre encore d'immenses clameurs de dépit à la vision de Prometheus, le film de Ridley Scott qui est censé être le "début" d'Alien.
Ce que tous ces Tintins sans Milou, reporters-pamphlétaires de leur propre indignation, semblent reprocher au film, c'est d'avoir laissé en chemin l'enthousiasme de leur jeunesse, comme dans ce célèbre dessin de Xavier Gorce, dans lequel on peut remplacer le mot "Ecole" par quasiment n'importe quoi.
En l'occurence "Alien", ça marche.


J'ai voulu constater les dégâts par moi-même, au péril de ma soirée du Samedi, habituellement consacrée à somnoler en famille devant des blockbusters tout public soigneusement chapardés sur des trackers privés.
Pas très loin de chez moi, il y avait une séance en 3D à 22 heures, dans une de ces zônes suburbaines douloureusement désertées de toute humanité architecturale et environnementale, faites d'un empilement  anarchique d'enseignes de la grande distribution, de faux restaurants ethniques et de commerces entièrement dédiés à l'équipement de jardin ou aux loisirs sportifs, qui n'est pas sans rappeler l'exubérance de Durbar Square, cette foire-expo de la religion constituée d'une stratification étalée sur 4000 ans  de temples bouddhistes, jaïns, shintoïstes et d'autres religions niaquouées improbables qu'on trouve dans la banlieue de Katmandou si on n'est pas feignant et qu'on visionne d'un index las au début de Baraka si on a peur d'attraper des maladies.
Mais retournons au cinéma.
L'avant-programme était entièrement constitué de courts métrages publicitaires consacrés aux smartphones, qui m'ont rempli d'une épouvante philosophique supérieure en qualité et en intensité à celle que j'ai pu ressentir pendant le film proprement dit. 
Glorification du Vide, palimpsestes de désirs d'ubiquité omnipotente.
Second moment de terreur pure : pendant le générique de début de Prometheus, je comprends rapidement que mes lunettes 3D présentent un dysfonctionnement important, puisque j'y vois tout gogol et que ça clignote à mort. alors que mes voisins de rangée arborent des visages impassibles, ce qui prouve que leurs lunettes marchent, à ces bâtards.
Je dois m'arracher à mon fauteuil et courir à la caisse, où l'on m'explique que c'est normal, les lunettes marchent avec des piles et elles doivent être déchargées, tenez en voici une autre paire, et je regagne mon siège à petites foulées, maudissant cette technologie qui a pourtant suscité mon déplacement rarissime dans une salle obscure.
Quand même, ils pourraient mettre un panneau d'information décrivant les symptômes et le remède, au lieu de nous faire sombrer dans la paranoïa sur la déficience de notre vision.
Réflexe de client, pour lequel je me maudis derechef.
Du coup, j'ai raté le générique, qui explique tout et qui n'explique rien, mais heureusement, j'en ai trouvé une version exotérique sur ce blog.
Sinon, le relief au cinéma c'est rigolo, mais déréalisant : j'ai l'impression de regarder un film sous l'eau à travers un masque de plongée, qui truanderait les perspectives. 
Pour peu qu'il y ait une bonne histoire et des acteurs convaincants, on râlerait d'être ainsi tenu à distance, par rapport à un film normal où l'on s'absorbe dans l'écran.
C'est heureusement rarement le cas.
La technologie tue dans l'oeuf le surcroit de réalisme qu'elle est censée procurer.
Fouchtra la cagasse !
Est-ce pour cela que Ridley Scott assassine son film, qui n'est jamais aussi malade qu'on rêverait de le voir, et surtout de le croire ?
Personnages réduits à l'état d'ersatz d'épures, métaphysique infantile et grotesque, pyrotechnie pompière.
Fallait peut-être confier le bébé à Cronenberg.
J'ai pas spoilé, et y'a pas de quoi être fier.

jeudi 21 juin 2012

Ma dépression racontée aux enfants (3)


A l'hopital des fous, rayon dépressifs, c'était pas très gai.
La plupart de mes voisins de galère étaient murés dans le silence et le mal-être, et je n'étais pas particulièrement ravi de me retrouver en psychiatrie légère, au pavillon des burn-out, avec un suivi quasiment inexistant : on voyait un interne en psychiatrie 10 minutes par jour, en entretien individuel, il nous racontait essentiellement des âneries peu revigorantes, et les journées passaient péniblement à traîner dans les couloirs de l'hosto, en fumant cigarette sur cigarette.
La journée d'hospitalisation est refacturée 700 € à la Sécu, j'ai trouvé ça un peu cher par rapport au service rendu.
Je me souviens avoir essayé de lire, d'écrire... rien, impossible de faire autre chose que souffrir et attendre que ça passe, en me demandant ce qui avait craqué.
Au bout d'une semaine, j'ai demandé à rentrer chez moi.
Ils sont malins, ils m'ont contraint de trouver un psychiatre pour un suivi hors les murs; dans les contacts qu'ils m'ont donné y'avait des hypnothérapeutes, des comportementalistes, mais aucun de ceux que j'ai contactés n'avait de place avant 3 mois.
Alors je me suis rabattu sur un mec qui annonçait "psychanalyse et médicaments", à qui j'avais presque raccroché au nez à l'énoncé de ce programme, et puis finalement on s'est bien entendus.
Surtout que le Seroplex® m'a aidé à me remettre debout quand j'étais par terre, vu que c'est de la sérotonine pure, mais que après, c'était difficile de rester calme, vu que la béquille se transforme assez vite en fusée dans le derrière.
Je me suis mis a faire "ach !" à tout bout de champ, à devenir hyper-speed...
Ca devrait s'appeler le Egoplex, ce truc-là, ça booste l'ego sans rime ni raison.
Au bout de 3 mois, j'ai obtenu d'arrêter le traitement.
Des fois, j'en reprendrais bien un petit, mais sachant qu'il m'en faudrait une caisse pour être reboosté, je me retiens.
Et comme ça fait trois mois que j'ai arrêté, et que ce soir c'est la fête de la musique, je me suis fendu d'une petite reprise d'un morceau de Jean Marron "Je Me Sens Bien" sur lequel j'ai répandu une fine couche de ces autoportraits vides de sens que j'ai shootés à l'époque avec mon téléphone portable.
Comme si je voulais me prouver que j'avais survécu.
Parce que mettre le mp3 en ligne, c'était plus compliqué qu'encoder une vidéo sur Vimeo.



ich fühl mich gut from john warsen on Vimeo.

mercredi 20 juin 2012

Voutch, encore.

J'ai encore scanné un des livres de Voutch que j'ai achetés, je sais, je ne suis qu'un con...




mardi 19 juin 2012

Ma dépression racontée aux enfants (2)

Cette nuit, j'ai rêvé d'un morceau de musique imaginaire de Frank Zappa, je veux dire un morceau qui n'existait que dans mon imagination, qui le construisait au fur et à mesure, mais qui sonnait vraiment comme ceux que Frank a joués dans la salle de concert de mon esprit pendant de nombreuses années.
D'ailleurs, lui-même se lance dans la métaphysique musicale dans l'intro du morceau "Watermelon in Easter Hay" (album Joe's Garage ) à propos de la prise de conscience tardive de son malheureux héros :
"Joe has just worked himself into an imaginary frenzy during the fade-out of his imaginary song . . . He begins to feel depressed now. He knows the end is near. He has realized at last that imaginary guitar notes and imaginary vocals exist only in the imagination of The Imaginer . . . and . . . ultimately, who gives a fuck anyway? . . . "

Dans mon rêve, Frank jouait sur une gamme vraiment marrante : la plupart des notes étaient correctes, mais de temps en temps il en balançait une inattendue, profondément ironique.

Je suppose que c'est une invitation de ma Puissance Supérieure à reprendre ma guitare là où je la laisse (au garage, avec le super-ampli racheté à un vieux pote l'été dernier) à chaque fois que je dis que je vais m'y remettre, au même titre que le décès du père de xxx d'un cancer du poumon est une invitation à poser ma clope là où je l'ai reprise il y a 18 mois.

Je trouvais qu'après la mort de ma mère, c'était pas une mauvaise idée de reprendre la clope plutôt qu'autre chose (logique de toxicomane, cherchant désespérément à remplir le Vide, qui ne Peut Ontologiquement l'Etre, le Néant)

Quand l'anniversaire de la mort de maman s'est rapproché, début novembre dernier, mon frère nous a mis en garde, disant que papa était fragile, qu'il fallait faire attention à lui dans cette période.
Mais pour lui, ça s'est bien passé, il avait fait son deuil.

Moi, apparemment, non, j'ai commencé à être très las, à m'auto-inférioriser au travail, tendance qui était restée latente depuis quelques temps, pensant à tort que je tendais vers mon taux maximum d'incompétence, de moins en moins capable d'initiatives, et puis ça s'est cristallisé autour d'un problème particulier, je ne voyais vraiment pas comment j'allais pouvoir le résoudre ou simplement y faire face, et progressivement  ça s'est encore dégradé, je me suis mis s'en m'en rendre compte à regarder les immeubles de travers pour voir duquel j'allais tenter ma chance pour ne pas me rater.

Quand je me suis trainé chez mon généraliste, il était déjà bien tard.

Je lui ai demandé quelque chose pour tenir le coup, j'ai eu droit à des anxios, des somniféres et des antideps, le coquetèle des ouineurs, parce que je ne dormais plus du tout depuis 2 semaines, et que j'avais perdu 8 kilogs, et les antideps ça a beau être de la super-came, je vous ferai un topo plus tard, ça met 3 semaines à regarnir le cerveau en sérotonine, donc sur le moment ça m'a pas empêché d'aller me jeter du bord de la falaise par un dimanche après-midi couvert et morne, parce que je ne voyais pas d'autre sortie de crise, le champ de ma conscience s'était rétréci aux dimensions de mon incapacité de continuer à vivre.

Heureusement qu'au bord de la falaise, je me suis dit que si je faisais ça, d'abord je serais damné, ce qui n'est pas très bon pour la santé post-mortem (on ne sait jamais, sauf les tibétains qui sont persuadés qu'ils savent très bien que ce qui nous attend après c'est en gros de remettre ça jusqu'à ce qu'on en ait marre et qu'on passe à la vitesse supérieure) et puis surtout j'allais faire souffrir tous les miens, qui me sont chers.

Je suis remonté dans ma voiture assez dépité d'avoir raté mon suicide, je suis rentré, je me suis dénoncé, et le lendemain je suis allé voir un psychiatre assidûment fréquenté dans les années 2000, qui m'a proposé un séjour en psychiatrie, deux semaines au frais.
Pour ne pas me mettre en danger.
J'ai accepté, parce que je rampais, comme un jouet cassé.