lundi 15 décembre 2008

Théophobie et matérialisme affectif

autocollant théophobe pour véhicule automobile
acheté à vil prix par mon fils à Las Vegas à l'été 2008.


Il y a quinze ans, dans une société de post-production vidéo parisienne, je croisai un geek de base, je veux dire qu'il n'avait pas attendu que le mot existe pour incarner la fonction, dont le job consistait à numériser la nuit les rushes des documentaires en cours de montage; il passait le reste de son temps à jouer à Civilization, un jeu de stratégie massivement mono-joueur et résolument chronophage.
Une fois happé jusqu'à l'os, et au bout d'un certain temps, il s'est résolu, la mort dans l'âme, à effacer toutes les copies du jeu dont il disposait, afin de retrouver la paix intérieure. et un semblant de vie. Il a dû aller jusqu'à détruire la disquette master, ça m'a assez impressionné, cette hargne vengeresse, comme on dit.
Quelques mois plus tard, je le recroise, cette fois il était aux anges, il avait retrouvé un exemplaire du jeu maudit qui avait échappé à sa fureur passée, et c'était reparti comme en 40.
Cette histoire m'est revenue en mémoire : à un uploadeur qui proposait récemment le jeu Civilization IV sur un forum de téléchargement communautariste, un downloadeur anonyme rendait cet hommage : "merci mon Dieu je vais enfin perdre toute vie sociale" : la boutade qui voudrait faire d'une catastrophe une bénédiction, outre qu'elle relève d'un anhédonisme éclairé , dissimule une instrumentalisation du divin dans un but érémitique, phénomène ma foi fort à la mode, qui relève en fait d'une forme maligne de théophobie, et je m'y connais au moins autant qu'en phrases difficiles à défragmenter du premier coup.
Enfin, je veux dire, c'est très récent, j'ignorais l'existence même du mot théophobie avant qu'il s'offre à moi dans sa plénitude aussi réjouissante que si je l'avais découvert en feuilletant un dictionnaire médical en me demandant quelle maladie je pouvais bien avoir attrapée.
Dans le temps, sur un forum de partage de fichiers de Q, un autre gars, qui venait sans doute d'avoir un aperçu de l'indicible, avait sorti : "Dear God, my punishment won't be undeserved." Là, c'est une variante, à base d'un masochisme qui ridiculise la notion de justice divine en la réduisant à un cliché kitsch. Y'a pas besoin de réimporter la notion de châtiment, là où les conséquences de nos actes suffisent.
En fait le joueur en réseau est théophobe, parce qu'il choisit de se perdre dans l'illusion groupale sans abandonner la fiction d'un moi, bien plus que le cyber-branleur, qui se délecte intimement de la contemplation du frais minois d'une telle, du coquillage de nacre et autres fruits de mer de telle autre, mais qui comprend qu'un corps qui serait composé d'un tel best of de ses préférences perso repousserait le plus hardi des Priapes et qu'il terre son mépris de l'autre sous une overdose de corps dont aucun n'est vraiment là.
Kant à moi, pour les câlins du samedi soir et les engueulades du dimanche matin, je trouve que ma femme se défend encore bien. Est-ce que c'est du matérialisme affectif ?
Car comme le disait la Schtroumpfette à lunettes, qu'il faut croire sur parole tant qu'on n'a pas eu l'occasion de vérifier ses dires, "si on ne se rend pas compte de sa propre méchanceté, il est impossible d'être habité par l'amour divin en permanence. L'amour divin n'est pas comme de l'eau qu'on se verse sur la tête et qui nous mouille quelle que soit notre attitude intérieure. Il est notre propre attitude."

samedi 13 décembre 2008

L'âge d'or, c'est maintenant


Echantillon de moquette hallucinogène.
Ne pas inhaler à proximité d'une flamme.


Comme chaque année, mes voisins se rendent à San Francisco pour passer les fêtes avec leurs petits-enfants. Dans mon quartier, ce ne sont pas les seuls à partir loin, la nounou de ma fille va souvent au Canada étrangler sa bru.
Je sais bien qu'on ne s'étonne plus de rien à l'ère du désenchantement généralisé et obligatoire, mais quand même, c'est dingue : il y a un siècle, c'est un trajet qui aurait demandé plusieurs mois de voyage en mer, d'affronter mille périls... et dans un siècle, ça relèvera d'un glorieux et surtout insouciant passé : les réserves de pétrole étant ce qu'elles sont, et les Arabes qui sont assis dessus trop mal à l'aise pour nous dire où en est la jauge...
Dans le cas du transport aérien et du tourisme transcontinental, le mythique âge d'or n'est ni derrière ni devant nous : c'est maintenant, et il est en promo chez Nouvelles Frontières.
Faut en profiter vite, parce que l’océan s’acidifie le long de la côte Ouest , et il n'y a guère que le vieux hippie qui sommeille en moi qui se réjouisse du fait que l’eau chargée en acide se rapproche des côtes : en fait, c'est pas un bain de LSD auquel on va avoir droit, gratuitement, ou alors directement le très mauvais et redouté retour d'acide.

vendredi 12 décembre 2008

La plus grande épreuve qu’ait jamais affrontée l’humanité




http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2059

Et une fois qu'on aura été contraints de regagner nos abris souterrains, on pourra toujours se mettre nos téléphones 3G dans le cul pour voir si ça fait de la musique.
Je pense qu'il est temps d'abolir la Beauté du Monde, parce qu'elle est nettement derrière nous.
Tout ça pour rester dans le mood d'une fin d'année résolument fashion victim, comme ose le dire un journaliste anglais :

Martine Aubry, 58 ans, et Ségolène Royal, 55 ans, sont toutes deux issues de l’aile modérée du parti. Elles s’opposent en partie sur leur vision de l’avenir du PS. Ségolène Royal souhaite attirer en masse des adhérents plus jeunes et souhaite, comme elle l’a dit, édifier “un Facebook socialiste”, que les nombreux jeunes Français penchant à gauche pourraient facilement rallier et auquel ils s’identifieraient. Ses ennemis assurent que ce qu’elle veut c’est un fan-club.
Martine Aubry, si elle aussi évoque un parti “nouveau”, est parfaitement à l’aise avec un Parti socialiste dont les “masses” se composent essentiellement d’enseignants et de fonctionnaires. Elle représente la tendance administrative et sociale-démocrate d’une direction vieillissante qui refuse de perdre son influence. Mais, au-delà, il y a le mépris de Martine pour Ségolène, qu’elle considère comme une évaporée autoritaire penchant à droite sur les questions de société. Et le profond mépris de Ségolène pour Martine, qu’elle considère comme un dinosaure à langue de vipère et, plus grave encore, comme un dinosaure mal fagoté.
Il est possible, bien qu’elle s’en soit défendue tout le week-end, que Ségolène Royal soit tentée de jouer les martyres messianiques et de créer son propre parti. Quoi qu’il en soit, les véritables vainqueurs sont plus vraisemblablement : a) Nicolas Sarkozy et <>ib) Olivier Besancenot, le facteur trotskiste onctueux mais crédible, dont les efforts pour créer un large “parti anticapitaliste” commencent à porter leurs fruits. On disait auparavant que la France avait la “droite la plus bête du monde”. A cet égard au moins, le pays a pris un net virage à gauche.

Vive Courrier International, plus vivifiant et moins long à lire que Le Monde.

jeudi 4 décembre 2008

déflation du moi et marketing viral

La déflation du moi se produit spontanément quand on comprend en un éclair qu'Eckh@rt Tolle, le nain lubrique néo-advaïtiste, est un suppôt de satan.




Quant au marketing viral, on en fait les frais chaque fois que l'on reçoit un PowerPoint poujadiste et boulo-chopiste sur les indemnités des parlementaires après leur cessation d'activité, ou une publicité pléonastiquement stupide. En ces temps où le gouvernement se moque plus que jamais des manifestations de mécontentement populaire, on voudrait encourager le terrorisme d'ultra-gauche que on ne s'y prendrait pas autrement; d'accord, n'importe quel fichier lâché sur le réseau cherche d'abord à s'y propager, tel un virus, uniquement animé du besoin d'entrer dans le plus grand nombre d'ordinateurs possible et prêt à négocier âprement sa survie, comme Henri Laborit l'avait dit de tout organisme vivant ayant pour unique but la sauvegarde de sa structure biologique... c'est valable pour la recette de la dinde au whisky comme pour les PowerPoint "à message", qui sont les plus redoutés, mais finalement du même tonneau que les "publicités amusantes" etc... qu'on reçoit de loin en loin depuis que les publicistes, ayant appris que la télé, c'était mort, se sont mis à traquer l'ado et le préado sur youtube et dailymotion. L'ado dont on se demande, quant on surfe sur les sites qui lui sont dédiés, s'il n'apprend pas d'abord à défocaliser sur les bandeaux animés qui se disputent son attention.
La semaine dernière, à l'école où j'enseigne le montage vidéo, ils se sont fait hacker leur serveur informatique, qui a été converti pendant quelques jours en bombardeur de courriels fou, ils ont dû le débrancher et le réinitialiser, ça a foutu une bazar pas possible. Un robot avait détecté une faille en scannant le web, et un humain s'était engouffré dedans pour reconvertir le serveur en méga-catapulte à spam. Les techniciens de l'école étaient partagés, comme toujours, entre l'effroi et l'admiration pour les performances du saboteur.
Il faut se réjouir chaque jour de ce que nos ordinateurs marchent encore, même si c'est pour recevoir des mails pourris !
J'ai discuté là-bas avec des étudiantes qui avouent être totalement dépendantes de l'informatique, dans le sens où nous le sommes du papier toilette ou de l'air que nous respirons : que ce soit pour toutes leurs démarches administratives ou professionnelles, recherches de stage, consultation de documentation, mais aussi contacts intimes avec leurs proches, tout passe pour elles par le net. Et la tendance s'accélère. Dans les lieux publics, restaurants et bistrots, on commence à voir des affichettes "wifi gratuit ici", bref on est tous invités à devenir accros, sauf ceux qui le sont déjà, qui sont encouragés à poursuivre leurs efforts d'enfouissement de la tête dans le cybersable.
Je me demande parfois si la dépendance au porno n'était pas finalement moins nocive que d'être condamné à errer en compagnie des milliers d'âmes perdues sur FesseBouc.
Cet été à San Francisco, dans un bar branché j'ai vu la mort de la communication humaine : tous les clients étaient occupés à pianoter sur leur ordinateur portable ! dans un bar ! alors que la barmaid était un ode à la jeunesse, au métissage et aux smart drinks de l'happy hour !
Et c'est ainsi que l'indignation devant le cauchemar - qui - a - déjà - commencé en ferait prendre un sacré coup dans les miches à la déflation du moi si on n'y faisait pas gaffe, et si on ne se rappelait qu'on consacre déjà soi-même un blog à la cyberdépendance.
Uh uh.
Quand la télé est arrivé, on a pensé qu'elle allait tuer la radio.
Quand la radio est arrivée, on a pensé qu'elle allait tuer la presse écrite.
Là, ce qui rend les gens barjeots, à part le fait que l'accès à des outils de diffusion massive de l'information s'est démocratisé jusqu'à mettre l'os à nu, ce qui renforce l'incrédulité et dissout les quelques atomes de citoyenneté qui pouvaient nous rester, d'ailleurs quand un outil se démocratise, c'est en général qu'on a découvert comment en faire un assomme-crétins, avec leur consentement express, mais c'est surtout que la surabondance de sources de jouissances potentielles rend l'absence de jouissance réelle problématique.

lundi 24 novembre 2008

Théorie du Bordel Ambiant versus Va ranger ta chambre

Un jeune lecteur du Bas-Rein vient de me montrer comment, d'un simple click dans le menu "options", et c'est à peine croyable, je pouvais rétablir la date d'origine de mes anciens articles au lieu de les republier pèle-mêle avec les nouveaux, et restaurer ainsi une chronologie qui protègera du botulisme mes lecteurs non-immunisés contre les dangers qu'il y a à consommer des articles ouverts depuis plusieurs années, à l'instar de ce remarquable exposé sur la narration non-linéaire.
Qu'il en soit remercié : je vais donc tout remettre dans l'ordre, et après ça s'ra tellement propre qu'on pourra manger par terre.
Faites gaffe quand même sur quoi vous vous asseyez.

vendredi 21 novembre 2008

des séductions de l'esprit mauvais (2)

C'est un méchant homme qui entraine sa jeune et future victime dans les bois, la nuit tombe, il y a des bruits étranges, ça craque à chaque pas, et le petit garçon pleurniche : "j'ai peur !"
alors l'homme lui répond, agacé, "et moi alors, après ça y va falloir que j'rentre tout seul, dans le noir..... ! "
J'hésite sur la leçon à tirer de cette fable, ça dépend si le méchant dit ça sur un ton sarcastique ou sincère, je veux dire un peu apeuré aussi.
Je ne peux rien présumer de l'adjectif "agacé" vu qu'on me l'a racontée par Internet, sans le langage corporel, qui aide à saisir les ressorts comiques, surtout dans un cas si épineux.
En tout cas, plus tard qu'hier, on a essayé de faire passer un reportage sur une variante de cette histoire qui venait d'arriver dans la région dans le zapping de la chaîne, mais comme il manquait la chute, c'était bien moins drôle, et on s'est abstenus; c'est un peu la conclusion que tire Goossens d'une histoire analogue : "j'ai pas trouvé de gag".
Ca me gène d'autant plus de risquer cette plaisanterie dans ces circonstances - bien qu'elle recèle sans doute un enseignement - que la saga Saw triomphe au cinéma; qu'il s'agisse de fait divers affreux ou de film gore, c'est le triomphe du nihilisme dans un cas et sa promotion par l'art dans le second, et ça, je vois pas l'enseignement qu'on peut en tirer.

jeudi 20 novembre 2008

Webcames

Au boulot, cet après-midi, un collègue entre dans mon échoppe, et s'enthousiasme pour un site web où des amateurs, et surtout des amatrices, s'exhibent en train de se masturber. Il aimerait me faire partager son enthousiasme, puisque nous avons d'autres passions en commun, dans le septième art ou les fascicules anglo-saxons de figuration narrative, et il n'en revient pas du nombre de particulier(e)s qui se la mettent à l'air sur le web.
Je vais pas lui faire un cours de psychologie sur la profonde morbidité de la société contemporaine et les façons que chacun trouve de se (dé)composer avec, déjà, dit comme ça, ça a l'air vaguement mortifère, alors je lui rappelle simplement que les exhibitionnistes et les voyeurs partagent les deux faces de la même tartine.
Mais dans l'état où il est, ça lui fait rien du tout.
Comme il voit bien que je suis calmement mais fermement opposé à ce qu'il convertisse mon bureau en peep-show virtuel, et qu'il connait mon parcours de hard sevreur - lui se dit usager récréatif, bien qu'en grattant un peu, il s'interroge de lui-même sur la nature de cette récréation, et reconnaisse spontanément que y'a des fois où ça craint un peu, bref on pourrait poursuivre cette conversation dans mon cabinet de consultation si le boulot ne se jetait à ce moment précis sur nous comme la vérole sur le bas clergé breton sous la forme d'une journaliste qui, comme par hasard, a un sujet à monter en urgence sur une soeur Emmanuelle locale qui a consacré sa vie à soigner les alcooliques avec les moyens du bord, et que nous appelerons soeur Emmanuelle 2 pour préserver son anonymat.
Par contre, mon pote je l'ai bien observé quand la page de son site de webcame s'est affiché sur l'écran, yeux luisants devant les imagettes prometteuses, frétillements narinaires précurseurs de plongée dans les profondeurs de ce qu'il prend pour l'intimité d'autrui, s'il avait une queue il la remuerait, et je pèse mes mots, bref j'en ai déduit une méthode imparable pour le sevrage : pour guérir un cyber-dépendant sexuel, il faut le filmer pendant l'action, et lui repasser la bande après. Un gros plan de face suffit. Le mélange d'excitation, de frustration et de nostalgie absolues - bien que relatives - d'un Eden imaginaire est loin de constituer une publicité vivante pour la pornodépendance, surtout s'il arrive à les déceler sur son propre visage.
Evidemment, c'est une approche strictement comportementaliste, et rien ne dit qu'une fois qu'on aura le dos tourné, le dépendant ne détournera pas la caméra pour satisfaire à nouveau ses funestes appétits. Mais les approches traditionnelles semblent achopper, et le mal s'étendre.
Ca doit aussi marcher aussi avec l'alcool, parce qu'on paye la facture cash et que ça se voit, mais pas avec la clope, parce qu'on la paye quand c'est trop tard pour arrêter et qu'il y a très peu de temps encore, le tabac était une attitude valorisée socialement.
Si je résouds inopinément d'autres grands problèmes de l'humanité d'ici la fin de l'après-midi, je ne manquerai pas de vous tenir informés.