lundi 7 novembre 2005

ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

L’inutilité relative de mes efforts pour détourner mes condisciples de l’enfer qu’ils se sont eux-même créés ne me fait plus mal au bide. D’ailleurs on ne peut pas dire qu’ils se le soient réellement créés, comme dans toute dépendance
il y a d’abord une rencontre ponctuelle entre le consommateur et le produit, qui se structure ensuite dans le temps. Je vais mettre mon énergie ailleurs, sinon moi aussi je reboirai la tasse quand la mer remontera. Elle remonte toujours un jour ou l’autre.

Ballade en forêt. Jeannette a un radar à cèpes dans le cerveau, moi un radar à girolles. Mais quand je l’enclenche, je suis obligé de shunter le circuit "sensibilité défocalisée à la beauté de la nature sans finalité", c’est un choix déchirant uniquement motivé par la perspective d’une omelette aux champignons. Un peu jaloux de l’hypermédiatisation des violences suburbaines actuelles, j’ai voulu initier un cycle de violences rurales en allant foutre le feu au tracteur du voisin dans sa grange, mais je me suis fait mordre par son clébard.
Dans ces temps obscurs où l’on ne pense qu’à forniquer parce que la société nous a lavé le cerveau à ce sujet, la réaction de tous ces p’tits gars de banlieue pour faire redémarrer l’industrie automobile a quelque chose de salubre, bien qu’eux n’aient guère le choix entre le ridicule et la désespérance, occupés qu’ils sont à détruire méthodiquement, et c’est là la nouveauté, leur environnement sans se préoccuper des lendemains qui déchantent nécessairement : ghettoïsation accélérée, établissement de fait de zones de non-droit, détournement massif de l’électorat vers la droite de Sarkozy, où l’on ne trouve guère que Le Pen et ses sbires, qui ne font rire personne.
La troisième saison de "The Shield" a commencé hier soir sur Canal Jimmy, et un journaliste de Télérama observe que "alors qu’on craint toujours de voir la série basculer définitivement dans le n’importe quoi et l’invraisemblance la plus extrème, Shawn Ryan parvient à maintenir un très précaire équilibre dans cette vertigineuse immersion dans les eaux nauséabondes de la chasse à la délinquance en zone ultrasensible." On devrait l’envoyer en reportage en banlieue pour les pages "faits de société" du magazine, ça le changerait de la télé.

Commentaires

  1. Très belle note
    “FilBlog”

  2. paroles, paroles.
    Tu veux dire quoi au juste?

  3. “Je viens de m’apercevoir que dans les rêves règne le même mécanisme qu’à l’état de veille : le concept se fait passer pour la réalité, et ce avec une outrecuidance (…) Toutes les histoires mirifiques que j’ai cru vivre, je les ai inventées, j’en étais l’unique auteur, et elles n’étaient même pas complètes. Des concepts surgissent, nous en formons une histoire, nous créons le décor adéquat par notre seul désir de les faire vivre.” (flo en 99)
    Quels sont les concepts déployés dans cet article ? “sevrage, ridicule, promenade en forèt, ironie, média, violence réelle & virtuelle, journaliste à télérama.” Bref, un échantillon de désirs, de craintes, d’embryons de pensées, avec un léger enrobage goût praline. Nulle part on n’a affaire à une volonté unifiée qui fédérerait la poignée de tropismes qui agitent le texte. Le style ne fait pas l’homme, il en démontre l’inexistence.
    John “je ne sais ce que j’ai dit que lorsque j’entends la réponse”

mardi 1 novembre 2005

aspirations fondamentales



La semaine dernière, j’ai rêvé que je surfais sur des sites de cul, qui n’étaient pas très bandants mais très commerciaux. Ce rêve me rassure, car ça fait très longtemps que je n’ai pas eu de rêve branché addiction, alors que mes pensées conscientes tournent souvent autour.
Enfin j’appelle ça des pensées conscientes, mais elles ne sont que le ressassement engendré par ce dérèglement ancien de mon système glandulaire.
Le Forum des dépendants génère chez moi une autre forme d’addiction, ce qui est un comble et qui va à contresens de la libération tant souhaitée. Egréner au jour le jour son chapelet d’espoirs et de misères ne permet pas de se détacher suffisamment du problème. Le comparer à celui des autres non plus. Il s’agit de prendre un engagement ferme vis à vis de soi-même sans possibilité de marche arrière, et peu d’entre nous ont assez confiance en eux pour poser le théorème sous cette forme, qui est pourtant la seule viable si l’on y réfléchit bien.
Je me rappelle aujourd’hui ce message :
"Quand on est petit, on a des aspirations fondamentales, ou peut-être même une seule aspiration fondamentale. Devenir. Et devenir quoi ? Devenir soi bien sûr. Et puis voilà que par là-dessus la société nous convainc que soi = quelqu’un d’honnête de vertueux, qui gagne bien sa vie avec une maison à la campagne une femme et 3 gosses. Alors on se met à vouloir tout ça. Et puis à un moment on a vaguement l’impression qu’on s’est fait arnaquer, mais on n’arrive pas à voir où, alors puisque c’est comme ça on décide éventuellement de devenir une larve : ne plus rien vouloir, puisqu’on n’a pas eu ce qu’on voulait.
Mauvais calcul, parce qu’on vient de jeter le bébé avec l’eau du bain. Soi, c’est du désir. Désir d’être soi, de se connaître… (=Dieu se manifeste pour s’aimer lui-même à travers sa création).
Il faut en revenir à ce qu’on désirait quand on était petit, se remettre dans cet état d’esprit, et repartir de là sans se laisser influencer par les autres."

si je vous disais que celle qui a écrit ça vend du porno gay, vous croiriez que j’ai trop lu Chuck Palahniuk. Je me demande si elle, elle en a lu.
Ce n’est pas des mots qu’il faut se méfier, ni même de ceux qui les prononcent. C’est de notre tendance à nous en contenter.
Du coup, les rengaines éculées prétextent de leur familiarité pour prendre tout le lit : auto-apitoiement, immaturité… Ne leur donne rien à becqueter, c’est à dire le moins possible.
Ne pas perdre de vue que nous avons des problèmes de nantis (par opposition à la majorité des habitants de la planète, qui ont des problèmes de survie)
Je rêve de trouver sur le Web un endroit qui soit l’équivalent sensoriel d’un cimetière silencieux, battu par les vents, auquel on accèderait après une longue marche dans des sous-bois feuillus, où j’aie le loisir de me re-cueillir (bien qu’il n’y ait "personne" et "rien" à cueillir sous peine de sombrer again dans l’autoérotisme nonsensique) et surtout de sortir du mental, ce pendule qui oscille indéfiniment dans un espace à trois dimensions : la peur, la colère, le désir…
Heureusement, ça n’existe que dans la réalité, et je n’ai qu’à enfiler mes bottes pour le trouver derrière chez moi.
Lecture recommandable de premier novembre : Le livre tibétain de la vie et de la mort, par Sogyal Rinpoché
(Le Livre de Poche)

Commentaires

  1. mince, mais t’as changé la photo ! Pourquoi ? la précédente avec le chien était absolument géniale !

  2. elle reviendra !
    tout ce qui s’en va revient !
    j’ai préféré ce photomaton de moi à 17 ans pour marquer l’accent tonique sur “repartir de quand on était petit”, l’autoportrait en “chien avec shooteuse” est bien plus tardif !

jeudi 27 octobre 2005

chacun la sienne




Au début de mon abstinence de porno, un copain m’a envoyé cette photo de femme à poil, composée de milliers d’autres photos de femmes à poil. C’est à peine croyable, d’autant plus que je peux pas vous la montrer plus grosse que ça, sinon Le Monde éradique mon blog au nom de l’holographie lolographique. Bref,j’ai bien failli rechuter, mais le message était passé : il s’agit d’augmenter progressivement mon seuil de tolérance à la frustration. En effet, que nous le voulions ou non, nous allons continuer de vivre dans un monde où la fausse abondance de sexe (qui n’est qu’un excès de représentation) cache ET révèle une grande misère… que nous cautérisions à coup d’égoîsme et de culpabilité qui nous ont mené dans des enfers qui nous contraignent à nous en sortir coûte que coûte. D’ailleurs, au bout d’un moment ce n’est plus tant le sevrage qui nous fait souffrir mais les rechutes, là on se doute qu’il y a un basculement énergétique tout à fait positif.



témoignage d’un mineur


lu aujourd’hui sur le forum

http://orroz.forumactif.com/index.forum :

"Bonsoir.
En ce moment, c’est la période des vacances scolaires pour moi. J’ai 17 ans, je suis lycéen en terminale littéraire. Mon rêve, c’est être écrivain ; je m’y exerce autant que je peux. Et j’ai vu mon premier porno à environ six ans.
Petit historique:
Je me rappelle. Lorsque j’étais petit, ma mère m’enregistrait tout les épisodes de Tintin et Milou sur cassette. Après l’école, j’avais droit à un ou plusieurs épisodes. Lorsque j’ai été assez grand pour mettre une cassette dans le magnétoscope, et pour que ma mère me laisse seul plus de deux heures, en fouillant dans toutes les VHS pour retrouver mes épisodes, en passant les cassettes une part une, je suis tombé la-dessus. Un gros plan, crade à vomir. J’appelle ma soeur. Elle a douze ans, six de plus que moi. Elle est curieuse. Elle regarde. Un autre jour elle fait venir des potes à la maison, eux ils sont habitués. Moi je regarde encore ça, dégoûté mais fasciné. Fasciné par quelque chose qui m’a aggripé et ne m’a plus lâché. Je revoyais ces images même quand elles n’étaient pas là, et lorsque je ne m’en rappellais pas, j’essayais de les retrouver dans tout et n’importe quoi.
Je suis déçu. De ce que j’ai raté. Je sais que j’aurai pu être un vrai romantique s’il n’y avait pas eu cette conspiration.
Les sujets du collège entre mecs donnaient dans le "putain elle est bonne !". En Art plastique, on se démerdait pour trouver des images X ou érotiques, même on découpait des mannequins de la section lingerie féminine des catalogues par correspondance, et on faisait nos projets avec. Ca nous faisait marrer. Le prof nous disait "bande de ptits pervers" et ça s’arretait là.
Fin collège, lycée : Je sombre dans le "plus en plus sale et avilissant". C’est une escalade. Une chute libre. Où on a presque pas de prise. Il faut faire l’effort de sortir le parachute. Et d’abord prendre conscience que si on ne le fait pas on va s’écraser, et peut-être en écraser d’autre. Mais le mal est déjà fait.
Lorsque j’ai découvert la maladie, que j’ai pris conscience qu’il est anormal que je puisse passer des après-midi entière seul à me masturber devant un porno, que je puisse veiller des heures à attendre la diffusion du film du soir… j’ai pris peur. Je me suis dis que j’allais devenir violeur, psychopate, dingue. Qu’il fallait que je me fasse soigner avant de déraper sur une fille au hasard d’une rue, une pulsion qui me serrait sortie d’on ne sait où. J’ai eu peur, parce que je me disais que si ça continuait à empirer, à s’accélerer, bientôt les images ne me suffiraient plus. J’en étais au stade porno-branlette-sopalin, mais j’avais vraiment peur pour la suite. Alors j’ai choisi fait un article sur mon blog, où j’annonçais ma dépendance. Je me suis dit, il y en aura bien un ou une qui devinera, parmis mes amis. Y’en a une qui a deviné, une autre à qui j’ai fais confiance.
Finalement, je n’étais pas le monstre que je me voyais devenir.
Pourtant, quand on a eu des périodes à deux à trois heures de porno quotidien, on sent bien qu’on a pas le même regard sur les gens que s’il n’y avait pas eu. Et c’est d’être l’auteur de ce regard là qui fout la trouille. Ne l’avait vous jamais eu, ce regard ?
Ma première relation amoureuse s’est soldée d’un dépucelage commun au bout d’un mois. Les rapports ont vite tourné à la "pornographie", en tout cas, ce n’était pas les rapports digne de deux adolescents amoureux. C’était du sexe. De la course au plaisir et au fantasme, des positions qui s’enchainaient.
J’ai pris conscience de la véracité de ma dépendance, de mon addiction au moi de juillet de cette année. Je me suis inscrit sur un forum, et j’ai lâché stupidement au bout d’environ un mois.
Je viens de tenir trois mois. J’ai craqué il y a quelques jours. C’est bizarre, comme ça semble intemporel. Il faudrait que je pointe les dates, car je suis incapables de dire exactement il y a combien de jour j’ai craqué, pourtant c’est si récent…
Il y a trois heures, j’ai eu ma dose. Injectée directement au cerveau par le nerf optique. C’est étrange, comme le porno perd de la saveur une foi que "pfiout". Comme ça perd son intérêt.
Une fois le petit rituel accompli, je me sens… malpropre. Informe. Aliéné, hybride. Possédé, en fait. Oui, possédé. Anesthesie de la raison, et seul un "pourquoi pas, vas-y, puisque ça te tente. Tu arrêteras plus tard. Imagine-toi ce que le manque pourrait te faire faire."
Lorsque j’ai arreté pendant ces trois mois, mon "taux hebdomadaire" de masturbation c’est nettement accru. Comme un besoin d’évacuer toutes ces images. Pendant trois mois, j’ai évité tout contact avec quoi que ce soit de pornographique ou à caractères sexuelles. Je méprisais les affiches choquantes de lingerie, fermait les yeux comme les enfants devant les érotiques des films. Et toutes les images que j’avais pu garder, j’avais presque tout usé avant ma dernière rechute. Il ne restait presque plus rien, je me disais peut-être que je pourrais réapprendre le sexe come une chose naturel, réapprendre la sensualité sincère et sans ambitions dévorantes. Et paf. En plein dedans. Alors je coupe cours en venant ici. Je ne veux pas me repourrir le cerveau. Me refoutre ces calques porno devant les yeux. Ne plus me haïr après avoir éjaculé.
Je veux remépriser ces putains d’affiches de lingerie, de filles en string et le cul en buse, au lieu de les guetter. Ne plus être victime. Ne plus me victimiser.
Être responsable. Parce que c’est ça l’enjeu. Quand je cède à mon petit rituel "je rentre l’adresse dans la barre d’adresse et je décolle !", c’est un moment où je quitte tout. C’est un moment où il n’existe plus rien que moi et le désir, moi et les images. Moi qui subis comme une chose, un objet. Pourquoi se sent-on souillé, sale, après ? Parce que pendant un instant on s’est privé soi-même de ce qui fait que l’on est humain. Parce que pendant un instant on a perdu toute dignité. Honte, haine de soi. Besoin de cacher. Mais je montre. Je souffre, mais dans l’anonymat j’exhibe. J’expose cette vermine pour qu’elle flambe sous vos regards. J’ai 17 ans, je suis accroc au porno."

Voilà pour l’autoportrait d’une génération en train d’être salement bousillée. Peut-être que ce garçon va devenir un nouveau Bret Easton Ellis, et peut-être pas. Dans un mail suivant, il dit "Ecrire sur ma difficulté avec le porno, c’est comme… ça serait comme vomir. Alors si je devais vomir ce que je ressens tout les jours… "
Pour déconstruire sa relation au porno, ce jeune homme va avoir besoin que nous lui tenions la bassine. S’il a tenu trois mois rien qu’à lire nos partages sans éprouver le besoin de danser avec les loups, il y a de l’espoir.
J’identifie maintenant ce qui m’a fait récemment rechuter : l’exaltation liée au sentiment de triomphe d’avoir vaincu "la Bête", ainsi qu’une omniprésence plutôt vindicative sur le forum des dépendants, et la reconnaissance unanime de mes pairs. Voilà ce qui arrive quand on parle trop et qu’on n’agit pas assez. Autant pour moi…. et avis aux amateurs de rechutes carabinées.
Je balance tout ça un peu en vrac parce qu’aujourd’hui, une conjointe
de porno-dépendant nous a narré au comble de l’affliction qu’elle avait un mari qui se prenait en
photo en train de se masturber, et j’ai trouvé ça à hurler de rire dans le genre raccourci saisissant de l’Ourouboros, le serpent sacré qui se mord la queue, bien qu’à la réflexion
un lecteur peu amène puisse songer que la rédaction de ce carnet relève d’une pratique apparentée.

ma chatte me pose un lapin

Rêvé que je capturais un gros lapin dans le bois avec un morceau de grillage (non, c’était pas une lapine ! ) qu’il fallait protéger contre quelque chose qui la menaçait. Au réveil, notre abrutie de chatte prénommée Moumoune mais qui mériterait de s’appeler "Pavlov" ou "Ran-tan-plan" dormait paisiblement entre nous. Je descends au garage et trouve répandu sur le sol un lapereau qu’elle a réduit à un vague puzzle sanguinolent et machouillé après l’avoir victorieusement traîné à travers la chatière, dont elle avait mis trois mois à comprendre le fonctionnement, elle qui est la risée des écureuils et des corneilles du quartier quand elle se prend pour une panthère. Je nourrissais déjà un agacement envers le fait que cette bête partage notre couche, j’étais certain qu’elle influençait négativement la qualité de mon sommeil, ce matin j’ai la preuve encore tiède qu’elle est télépathe. Le seul point positif c’est qu’elle me donne envie de lire ce que Jung a écrit sur la synchronicité.
Vagues d’exaltation et de désarroi subséquent : quand je suis trop focalisé sur le forum, ça fournit du carburant à l’Ego, et c’est l’inverse qu’il faut faire, non pas lui couper les vivres mais comme le dit Orroz, le remettre à sa juste place. C’est lui qui s’excite, et une fois excité, l’Ego ne connait qu’un moyen de se satisfaire, il le fait par le biais des habitudes acquises, tentant pathétiquement de se prouver à lui-même sa propre existence. Et c’est l’ego, toujours l’ego, qui se fout de notre gueule. Pour dépasser cela, une seule solution: piéger l’ego, lui faire plier les genoux, le faire revenir à sa seule fonction positive : la dignité.

Qui s’occupe trop de clés devient lui-même serrure.
Nous sommes quelques-uns à constater que, passé les premieres semaines de la prise de conscience de la nécessité soutenue d’un "non-passage à l’acte", il vaut mieux nous éloigner pour éviter de redoubler les petites classes.

mercredi 26 octobre 2005

flashback : 2003 et des poussières

J’ai cessé de fumer, passant d’un paquet et demi de blondes fortes à rien du tout à la suite d’une prise de conscience de mon impuissance devant le tabac ; en ce moment c’est particulièrement dur, je ressens le gout d’une cigarette dans la bouche en permanence alors que je suis physiologiquement délivré.
Pas de doute, mon cerveau simule le manque pour préconiser la rechute, et mon cerveau refuse de se marier avec ma pensée que l’arrêt du tabac est bon pour moi, ce qui m’empêche de "faire l’amour avec elle" (en référence avec F** qui prétend que ce que nous désirons, c’est uniquement cela : faire l’union avec chacune de nos pensées, et non avec l’objet que celles-ci prétendent désigner comme sources du désir.)
Pourtant je ne tiens pas à remettre le nez dedans : Etre, ça a toujours été pour moi être en manque, j’ai une longue histoire d’amour avec l’addiction et j’aimerais conclure le chapitre tabac car j’apprécie cette liberté nouvelle, provisoire et conditionnelle.
A ce stade, "l’union avec chacune de mes pensées" n’est pas souhaitable : la moitié de mes pensées passe son temps à regretter les choix effectués par l’autre moitié !

ce à quoi F** m’a répondu :
Mais si justement. Je me demande bien ce que tu as lu à la place de ce que j’ai écrit. T’unir à la pensée "j’ai envie d’une cigarette" ne signifie pas t’unir à la cigarette. Tout l’argument reposait sur le fait que la pensée de la chose n’est pas la chose.
Donc maintenant, ressens la pensée "je n’aurais pas dû arrêter de fumer" ou "j’ai envie d’une cigarette". Quelle sensation produit cette pensée ? Est-elle dans le ventre, la poitrine, la gorge ? Comment te sens-tu avec ? A mon avis c’est une pensée plutôt agréable, si on la prend pour ce qu’elle est : de l’énergie.
Chaque pensée est de l’énergie.

Je voyais pas trop comment incarner ce truc même si je pressentais que c’était vraiment la rock’n'roll attitude à adopter. (Y compris en remplaçant le mot cigarette par branlette, reniflette, pépette sur Internet, etc…ça marche à tous les coups)

… je me rends compte que pour moi la pensée de la chose EST absolument la chose, que la carte EST le territoire et que c’est de là que me vient mon attachement (au sens carcéral du terme) à la chose écrite au détriment de la recherche personnelle dans ma vie réelle, d’où le fait que je puisse avoir tous les bouquins de Krishnamurti. dans ma bibliothèque ET être un drogué des sites de cul sur Internet : de la même façon que regarder des westerns ne rend pas particulièrement apte à combattre les indiens dans le réel, m’éberluer des trésors d’extase simulées ou réelles vendues par les marchands de cul ne me rend pas plus amoureux, ni de ma femme ni de celle des autres…

….mais je peux effectivement m’unir à la pensée "j’ai envie d’une cigarette / branlette / cybersalope " sans pour autant me ruer au bureau de tabac/sur les sites les plus chauds/ après un petit effort d’attention à la réelle portée pratique de ta réponse :
la pensée de la chose n’est pas la chose.

l’art d’aimer

Dans le système actuel, ceux qui sont capables d’amour sont forcément des exceptions. Non tellement parce que des occupations nombreuses ne permettent pas une attitude aimante, mais parce que l’esprit d’une société centrée sur la production, avide de richesses, est tel que le non-conformiste est le seul à pouvoir se défendre contre lui avec succès (…) notre société est dirigée par une bureaucratie administrative, par des politiciens professionnels. Les individus sont mûs par la propagande, leur but est de produire et de consommer plus, comme fins en soi. Les moyens sont devenus des fins. L’homme est un automate, bien nourri, bien vêtu, mais sans préoccupation majeure pour sa qualité et sa fonction spécifiquement humaines. Pour que l’homme soit en mesure d’aimer, il faut qu’il réintègre la place suprème qui lui revient. Plutôt que de servir la machine, il doit être servi par elle. (…) S’il est vrai, comme j’ai tenté de le montrer, que l’amour est la seule réponse saine et satisfaisante au problème de l’existence humaine, alors toute société qui contrecarre le développement de l’amour doit à la longue périr de sa propre contradiction avec les exigences fondamentales de la nature humaine.
Parler de l’amour, ce n’est pas prêcher, car c’et parler d’un besoin ultime et réel en chaque être humain. Que ce besoin ait été obscurci n’implique nullement qu’il n’existe pas. Analyser la nature de l’amour, c’est découvrir son absence générale aujourd’hui et critiquer les conditions sociales qui en sont responsables. La foi dans la possibilité de l’amouir comme phénomène social et non comme phénomène individuel d’exception, est une foi rationnelle qui se fonde sur l’intuition de la véritable nature de l’homme.

Erich Fromm, "l’art d’aimer", dans les années 70