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samedi 27 février 2021

Entre ici, Maître Mô, avec ton terrible cortège

La suffocante promiscuité des blogs
fait que je peux bien coller sa bonne tronche
sur le mien, c'est pas ça qui nous le rendra.
Y'a pas que Maître Zhu, dans la vie.
Y'a aussi Maître Mô.
Enfin, y'avait. Yahweh, mais y'a plus.
Ils sont tous les deux disparus.
Sur le site de Maître Zhu, je lis ceci : "Le vrai sourire est une marque d'amour. Il transmet une énergie réconfortante doté d'un pouvoir bienfaisant, car il émet de puissantes ondes d'énergie curative." Ca fait peut-être un peu cucul la praline, mais le sourire reste chez les humains LA vraie marque d'humanité, quand tout le reste se débine. Le sourire, ce truc qui n'a pas pu être inventé à la Préhistoire car les rapports sociaux entre tribus étaient encore trop tendus, du fait de la pénurie alimentaire rampante, si l'on en croit l'intégrale de Rahan, qui combattait aussi l’ignorance et les superstitions de ses frères et soeurs en quête de leur humanité dimanche, mais aussi les autres jours de la semaine qui n’avaient même pas encore été inventés.
Et sur le compte Twitter de Maître Mô, avocat pénaliste récemment décédé, on peut lire en date du 5 mars 2019. : « Si un jour je meurs, ce qui m’étonnerait sincèrement, ne dites pas mes supposées qualités ou ne rappelez pas ce que j’ai fait ou dit ; dites que je vous manque, que vous aimeriez m’aimer encore ou rire avec moi, ou bien ne dites rien du tout. Enfin, sans vous commander ». Pour un média social réputé répandre l'anathème, l'invective et propager l'émeute raciale en veux-tu en voilà, cette invitation au sourire émane d'un esprit singulier.
C'est un peu crapoteux, d'apprendre ainsi la mort d'un Juste après un cancer, alors qu'on ne se sent soi-même pas très bien, et qu'on est loin d'en être un. Juste. Ca semble injuste, bien que quand c'est l'heure, il soit difficile de se dérober. La chronique du Monde par laquelle j'ai appris sa disparition est élégante et sobre comme je ne le serai jamais, moi je ne suis qu'abstinent, ce méchant mot qui semble ne vouloir désigner qu'une envie de pisser qu'on traiterait par le mépris, jusqu'à ce que notre vessie explose. Le mépris n'est jamais une bonne médecine, ni en interne, ni en externe.
Cette tribune dans le Monde, dont vous ne verrez que les préliminaires si vous n'êtes pas abonné, m'ont mené vers son blog, dont l'article le plus renommé est apparemment celui-ci :
Franchement, si vous ne devez lire qu'un seul récit de procès d'assises, lisez celui-ci.
Ou bien ne lisez rien du tout. Enfin, sans vous commander.
Il y emboîte des phrases aussi longues que les miennes, je sais, ce n'est pas très sexy au premier abord, mais franchement, il nous fait partager son expérience de manière inouïe, en termes qualitatifs ça m'évoque le « D’autres vies que la mienne » d'Emmanuel Carrère, du temps de sa clarté et lucidité. 
C'est magnifique.
En même temps, c'est à pleurer.

Ce n'est qu'en rentrant chez moi et en lisant les commentaires de l'article du blog de Maitre Moyart que j'ai compris que son récit était déjà paru dans le hors-série des 10 ans du magazine trimestriel XXI
que ma femme m'avait élégamment offert à un Noël d'avant-guerre, et que j'aurais donc pu le lire tranquille dans mon lit au lieu de me crever les yeux sur un ordinateur au travail.

Pièce à conviction n° 3
Je serais curieux de voir le dessin que tirerait Xavier Gorce de l'histoire du "Guet-Apens", un grand moment de Réalité Réelle Ratée, comme beaucoup de procès d'assises, mais les réseaux sociaux ont tué Xavier Gorce, presque aussi sûrement que l'addiction à la nicotine fut le guet-apens où Maître Mô laissa sa peau. D'ailleurs, si Maître Mô a bien été tué par le cancer du tabac, comme on peut le suspecter légitimement vu qu'il a la clope au bec au fronton de son blog et qu'elle fume toujours quand il débarque sur le mien, je me dis que s'il avait accepté d'assurer la défense de son meurtrier présumé jusqu'en cour d'assises, en la personne de cette innocente cigarette qui fait tant de morts dans un assourdissant silence, dit-il après avoir fumé plus de 30 ans, il aurait très certainement obtenu l'acquittement de son client, au bénéfice du doute, bien sûr. Mais c'est difficile, de plaider, quand on est mort.

dimanche 14 février 2021

Entre ici, Navalny, avec ton terrible cortège

L’homme ne cesse de chercher une vérité qui corresponde à sa réalité.
Étant donné notre réalité, la vérité ne peut y correspondre.

Werner Erhard
cité par Frank M. Robinson dans « Destination Ténèbres »

La colonisation de Mars :
la version préférée de Poutine

« En juillet 2020, les Émirats Arabes Unis, la Chine et les États-Unis ont envoyé une sonde spatiale sur Mars. C’était le moment où nos orbites respectives étaient les plus favorables pour raccourcir la promenade. Il y a très peu de stations de gonflage ouvertes sur le trajet. Après sept mois de voyage et 470 millions de kilomètres avalés tranquillement en écoutant RFM avec un doigt sur le volant et l'autre sur le régulateur de vitesse, elles arrivent enfin tour à tour à destination.
Sur ce sujet, les Émirats, la Chine et les États-Unis affichent les mêmes ambitions : comprendre l’atmosphère martienne, son climat, sa géologie, son passé… et apposer une empreinte durable sur la planète rouge. Car au-delà des questions scientifiques, ce sont des enjeux économiques et géopolitiques qui se jouent dans l’espace.
Mars, une nouvelle colonie ? On en débat avec nos invités. »
C’était à peu près le lancement chanté par Elisabeth Quint du magazine 28 minutes sur Arte jeudi soir dernier, et disponible jusqu’au 11/02/2022. 


Hein ? 
Quoua ? 
jusqu'en 2022 ? 
ha ben, ça, c’est vraiment de la science-fiction, car je ne sais même pas ce qu’on va faire à manger ce soir. Il faut que je le revoie, ce débat, je mâchais trop fort ma purée, j'ai pas tout compris. 


Ce que je note c'est l’image étonnante de ces émirs arabes unis, coiffés de leurs chapeaux de cheikhs, en train de se congratuler du succès du lancement de leur sonde au milieu des ordinateurs quantiques, offrant un spectacle un peu anachronique pour mon islamophobie rampante qui n’attendait que ça pour ricaner, et je ne dois pas être le seul parce qu'il n'y a guère qu'Amazon pour avoir le courage de m'aider à nommer ce Chapeau arabe traditionnel pour homme composé d'un foulard carré (Ghutra), également connu sous le nom de Yashmagh, Kufiya et bague de tête (Igal). 

c’est Jean-Pierre Filiu, le célèbre chercheur islamo-gauchiste, 

qui s’est prêté de bonne grâce à la fantaisie du déguisement.

Arrête, Jean-Pierre, tu fais le jeu du Hamas.


Jeff Bezos sert peut-être la soupe aux Pays du Golfe, en bon commerçant transfrontalier, mais au moins, grâce à son érudition, la science du couvre-chef avance, et nous connaissons mieux nos voisins et partenaires, fournisseurs officiel du combustible fossile de nos véhicules et nouveaux conquistadors de l'Eldorado spatial. 
Ces gens qui ont inventé l'arithmétique quand nous pataugions dans la boue du Haut Moyen-Age, cette arithmétique que nous leur avons "empruntée" et jamais rendue, et qui nous permet aujourd'hui de nous envoler vers les étoiles, ces gens qui refusent de se laisser imposer la démocratie, la laïcité et le droit au Blasphème, qui sont pourtant parmi nos joyaux civilisationnels les plus enviables.
Je note aussi les deux grands absents de cette ruée vers Mars : l’Europe et les Russes. 
L’Europe, en panne de projet politique, en panne de gouvernail, en panne tout court, navire de commerce à géométrie variable mais afflligée de 27 capitaines irréconciliables, je comprends. C'est compliqué. 
Avec l'Europe, tout est compliqué.
Voici les 17 principaux programmes spatiaux sur lesquels 
l'Europe va travailler dans les cinq années à venir.
Nous lui souhaitons bon courage, et de bien s'organiser, aussi.



Le premier Spoutnik : une dégaine

à répandre la Covid-19 sur l'Occident Chrétien

par le biais des antennes 5G.

Mais les Russes ? 
du temps du premier Spoutnik, question conquête spatiale, c’était eux les rois du pétrole. C'est en observant leur progrès ahurissants que Kennedy a ordonné à la NASA d'aller sur la Lune avant 1970, pour ne pas se faire griller la politesse par Brejnev.
Ils ne sont plus dans la course, les Russes ? 
Ils ne veulent pas aller sur Mars ?
Vladimir montre ses muscles face à l'Europe, face à Navalny aussi, parce qu'il n'a plus grand-chose d'autre à montrer : le PIB de la Russie est aujourd'hui plus modeste que celui de l'Italie, juste derrière la Corée. C'est lors d'un débat de cette rudement chouette émission de 28 minutes sur Arte que je l'ai appris. Ainsi que l'info, plus troublante, et reprise nulle part ailleurs, sur la véritable nature de Navalny, opposant antisémite et nationaliste qui brigue le pouvoir pour le pouvoir, et non pas pour pouvoir pouvoir, comme le suggérait Patrick Font. C'est une journaliste de l'Humanité invitée sur le plateau qui balançait, peu suspecte de partialité (c'est ainsi que j'ai appris que l'Humanité, le journal, existait encore.)
Les Russes se sont peut-être recentrés vers des objectifs plus réalistes et moins laborieux que la terraformation et la colonisation de la planète Mars, que des auteurs de science-fiction très sérieux comme Kim Stanley Robinson ou moins avenants mais plus télévisés comme James S. A. Corey ont résolu depuis belle lurette. 

Putin absorbing life force of an innocent child
(source: Russia Today, 2015)
Peut-être aussi qu'ils économisaient leurs roubles pour investir dans des secteurs plus rentables de la recherche : ils ont surpris tout le monde en proposant récemment à l'export leur vaccin anti-Covid Spoutnik V, « facile à manipuler, peu coûteux, et fiable comme une kalachnikov » : le vaccin russe affiche apparemment des performances insolentes contre le Covid-19. 
Mais nous hésitons encore à passer commande. On aimerait constater les résultats sur la santé publique d'un pays tiers, de préférence peu influent sur l'échiquier géopolitique. 
Si c'est pas des craques, c'est assez finement joué, de la part d'un autocrate au pouvoir depuis 1999 dont le seul argument lors des négociations avec l'Europe repose sur un chantage au pipeline Nord Stream 2, qui doit prochainement nous ravitailler en gaz via la mer Baltique, si on est sages et qu'on la ramène pas trop avec Navalny. Je me suis laissé dire par le bonimenteur du télémarketing que Spoutnik V s’appuyait sur la technique du « vecteur viral » qui, consiste à injecter une instruction génétique dans nos cellules et à les laisser produire l’antigène qui va lancer la réponse immunitaire. Sauf qu’il s’agit ici non pas d’ARN mais d’ADN, inséré dans le génome d’un adénovirus. C’est ce virus rendu inoffensif qui va porter le bout de ruban génétique jusqu’au noyau des cellules… et se désintégrer. Le fragment d’ADN de SARS-CoV-2 est alors pris en charge par la machinerie cellulaire pour produire l’antigène, en l’espèce, la fameuse protéine Spike. (...) C’est assez malin, commente Jean-Daniel Lelièvre, chef du service immunologie clinique et maladies infectieuses à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Cela permet d’éviter que des anticorps spécifiques contre le vecteur apparus après la première injection ne risquent de ruiner l’effet de la seconde. » Nous voici pleinement rassurés, et prêts à nous shooter au Sputnik-V dès que la Haute autorité de santé aura donné son feu vert, vers 2040 si tout se passe bien.

Dans l'espace, personne ne vous entend copier un film impérialiste.
Mais ce n'est pas tout : dans le même temps, les Russes sortent aussi "Sputnik - Espèce Inconnue", un film de science-fiction dont le pitch évoque comme par hasard et très puissamment celui d'Alien. 
Alien qui était pour tout dire (dans son incarnation pandémique de 1979) une espèce assez invasive et sans-gène vis-à-vis de l'espèce humaine, Alien qui n'hésitait pas à s'introduire nuitamment dans un pékin lambda puis, une fois installé dans son organisme hôte comme un rat dans le fromage, en profitait pour lui mettre un sacré bazar dans l'ADN, l'ARN messager et toutes ses boites postales, sans parler de ses organes digestifs, qu'il était loin de laisser dans l'état où il les avait trouvés en entrant.
En résumé, une forme de vie assez éloignée de la notre, basée sur la défense de la laïcité, les bons repas entre amis et la lecture attentive de la rubrique Netflix de Télérama.

Je me tâte pour regarder "Sputnik - Espèce Inconnue", le film. 
Je ne voudrais pas me faire contaminer visuellement et à l'insu de mon plein gré par une forme mutante du variant moscovite, qui me contraigne ensuite à me faire injecter en urgence "Sputnik V- Espèce Inconnue", le vaccin. On a vu pire scénario se réaliser dans le Videodrome de David Cronenberg, dont les Russes ont aussi pu s'inspirer, si une copie pirate en a été glissée sous le rideau de fer. Il est aussi arrivé des choses pas très nettes aux jeunes qui ont regardé TF1 sans visière de protection à la grande époque où je travaillais au Club Dorothée. 
Parmi les effets secondaires indésirables de Sputnik V- le vaccin relevés par The Lancet, les cobayes font observer qu'à la première injection, on est parfois pris de l'irrépressible envie de réhabiliter Joseph Staline, à la seconde on rêve de grignoter une merguez avec Georges Marchais à la fête de l'Huma. 
A ce stade, la paranoïa c'est juste la réalité pesée sur une balance plus fine, comme le dit un personnage un peu interlope dans le Strange Days de Kathryn Bigelow, sans doute le prochain blockbuster à être adapté par les Russes. A moins que les Coréens ne s'en emparent les premiers.
En tout cas, il est bien loin, le temps des blagues de Francis Masse sur les Soviets.
Comme les Chinois et les Emirats Arabes Unis, les Russes jouent à nouveau dans la cour des grands.

"Photocopillage" de Francis Masse, in Hebdogiciel n°153, 1986.
Repris dans "La nouvelle encyclopédie de Masse, tome 2, 2016.
Clique sur les images, sinon t'auras du mal à lire.


samedi 23 janvier 2021

Entre ici, Xavier Gorce, avec ton terrible cortège

L'affaire est résumée ici :
https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/affaire-olivier-duhamel/inceste-la-polemique-autour-du-dessin-de-xavier-gorce-publie-par-le-monde-en-5-actes_4266539.html
Xavier Gorce prétend avoir voulu se moquer des propos tenus par Alain Finkielkraut.
Elle est là, l'erreur.
Il ne faut jamais prendre Finkielkraut comme support de blague.
De quoi Finkielkraut est-il le nom ?
de blagues foirées, irrémédiablement.
Même le mec qui avait monté un blog musical cryptobarré Finkielkrautrock a plié sa boutique il y a de nombreuses lunes.
Et que dire des gens qui ont prétendu croire que ce dessin s'attaquait aux victimes d'inceste ou aux personnes transgenres ? d'aller se faire enculer tripoter par leur beau-père dans l'espoir que ça leur débouche les chakras de l'entendement ? ce serait un peu court, et ça apporterait de l'eau à leur moulin.
Et que dire du Monde, qui s'est confondu en excuses devant le choeur des vierges outragées ?
les bras m'en tombent.

dimanche 13 décembre 2020

« Croire à la science ou pas »

« Croire à la science ou pas est devenu une question éminemment politique, sans doute celle qui va décider de l’avenir du monde »


La sociologue Eva Illouz retrace l’histoire du complotisme et analyse les causes profondes de l’importance qu’il a prise cette dernière décennie, jusqu’à remettre en question « le pari que les démocraties ont fait sur la liberté d’expression et sur la force de la vérité ».

Publié dans Le Monde le 10 décembre 2020 à 01h33



Tribune. Un habitant de l’Etat du Montana récemment interviewé par National Public Radio (NPR), réseau américain de radiodiffusion de service public, s’exprimait ainsi : « Ce sont des mensonges. Il y a beaucoup de preuves que la “pandémie” due au coronavirus est liée à la Chine communiste. Ils sont en train d’essayer d’imposer le marxisme communiste dans notre pays. »

Dans ces quelques phrases se trouvent résumées presque toutes les caractéristiques de la pensée complotiste : déni de la réalité telle qu’elle est établie par le consensus scientifique ou politique ; perception de la présence malfaisante d’une entité étrangère au sein du pays (ici, la Chine) ; affirmation que cette entité manipule la réalité, répand des mensonges et a pour but ultime le contrôle de la nation ; conviction que cette entité est d’autant plus puissante qu’elle est secrète et invisible.


Chimère cohérente et argumentée

La théorie du complot a donc ici une vocation justicière : elle se propose de dénoncer les manipulations et les mensonges proférés par des autorités (sanitaires, médiatiques, économiques, politiques) et de dévoiler une réalité cachée, celle du vrai pouvoir. Ce récit vise à mettre au jour le pouvoir mondial d’un groupe (les juifs ; la finance internationale) ou d’une personne (les Clinton ; George Soros ; Bill Gates) qui menace la nation ou le peuple : le complotisme se veut donc un contre-pouvoir. Dans ce sens, il a une affinité à la fois avec l’extrême gauche, qui dénonce le pouvoir insidieux des élites, et l’extrême droite, qui défend la nation assiégée.

Même si le complotisme est une forme de pensée magique ou d’hallucination collective, il ne ressort pas du mensonge : il est au contraire une parole de conviction et relève de l’ignorance. L’historien des sciences Robert Proctor et le linguiste Iain Boal ont proposé, sous le nom d’« agnotologie », d’étudier l’ignorance comme fait social. Le complotisme en fait partie, mais avec une nuance importante. Si l’ignorance se définit par l’absence d’un savoir (par exemple 62 % d’Américains interrogés ne pouvaient pas nommer les trois branches du gouvernement de leur pays), le complotisme se présente au contraire comme un savoir privilégié, une chimère cohérente et argumentée.


Plus réservée aux religions

En tant que telle, la pensée complotiste n’est pas nouvelle. L’antijudaïsme médiéval prenait lui aussi la forme de grands délires complotistes, imaginant par exemple que les juifs buvaient le sang des enfants chrétiens pour préparer la matza, le pain azyme consommé à Pâques (le mot « cabale » est un exemple de cet imaginaire à la fois complotiste et antijuif). Mais la pensée complotiste moderne n’est plus réservée aux religions ; elle est en passe de devenir un des discours centraux de notre espace public. En 2014, NPR révélait que la moitié des Américains croyaient au moins en une théorie complotiste. Plus récemment, il est apparu que 70 % de l’électorat républicain pense que les élections ont été frauduleuses. Le groupe QAnon, qui n’a pas été désavoué par Donald Trump et compte même parmi ses plus fidèles adhérents, diffuse l’idée qu’un culte satanique de pédophiles contrôle le monde. L’annonce finale de la victoire de Joe Biden a été vue par le président et son équipe comme un vaste complot fomenté par les démocrates, les industries pharmaceutiques, la Fondation Clinton et le milliardaire George Soros. Cela aura des incidences graves sur la perception de la légitimité du président élu.

Le complotisme est en passe de dissoudre l’une des dimensions constitutives de la démocratie, à savoir la tension entre croyances fausses et croyances vraies, entre opinion du peuple et opinion des élites expertes. La liberté d’expression avancée par la doctrine libérale de John Stuart Mill envisageait une telle friction mais considérait avec confiance que la vérité saurait prévaloir. Le pari que les démocraties ont fait sur la liberté d’expression et sur la force de la vérité est désormais remis en question.

La riposte au complotisme est particulièrement difficile parce que ce dernier s’appuie sur des éléments légitimes de la pensée actuelle et s’engouffre dans les brèches des épistémologies contemporaines. La pandémie due au Covid-19 a montré de façon éclatante que la fragilité de la démocratie commence par son épistémologie.

Le complotisme contemporain prend la forme du doute critique, remettant en question le pouvoir politique et l’autorité des experts. Douter de l’autorité était l’injonction glorieuse des Lumières, mais celle-ci se voit dévoyée dans les théories qui construisent le monde comme une vaste toile d’intérêts cachés. Dans une lettre à Arnold Ruge écrite en 1843, Marx appelait à « la critique impitoyable de tout ce qui existe, impitoyable en ce sens qu’elle n’a ni peur des résultats auxquels elle aboutit ni de conflit avec les pouvoirs en place ». Douter de toute autorité établie, voir le monde comme une vaste toile d’intérêts cachés est en effet une constante de la pensée complotiste contemporaine, qui ne croit ni aux procédures de comptage de voix, ni aux principes de virologie, ni aux méthodes scientifiques de certification des médicaments ou au réchauffement climatique. La seule vérité est celle de l’intérêt de ceux à qui le savoir profite.

Comme l’a écrit Luc Boltanski dans une étude remarquable (Enigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Gallimard, 2012), le complotisme s’intensifie avec la naissance de l’Etat moderne et avec l’incertitude qui l’accompagne sur la nature du pouvoir politique : qui au juste nous gouverne est la question posée par le complotisme. Est-ce l’Etat, les compagnies de pétrole, les industries pharmaceutiques, les milliardaires ou bien une coalition secrète entre tous ces acteurs ? Comme le sociologue, le complotiste cherche à révéler la réalité des intérêts cachés et se veut donc être une intelligence critique. « A une réalité de surface, apparente mais sans doute illusoire, bien qu’elle ait un statut officiel, s’oppose une réalité profonde, cachée, menaçante, officieuse, mais bien plus réelle », nous dit Luc Boltanski.


« Imagination paranoïaque »

Cette façon critique d’interroger le monde aboutit à ce que l’historien de la littérature John Farrell appelle une « imagination paranoïaque », qui est, selon lui, une des grandes figures de la modernité. Pour Farrell, l’individu moderne perd progressivement de son pouvoir sur son environnement et perçoit le monde comme indifférent ou même hostile à ses besoins, d’où l’émergence du doute systématique. Le résultat, nous dit-il, est qu’il n’est plus possible de trouver une autorité épistémique ou morale.

C’est d’autant plus le cas qu’un pan entier de la pensée philosophique du XXe siècle a eu pour but de remettre en question la notion de vérité et le bien-fondé – moral et épistémique – de la recherche de la vérité. Des générations entières formées au foucaldisme ont appris que le savoir était une technique de pouvoir et sont devenues des virtuoses de la suspicion – malgré le désaveu de Michel Foucault pour toute méthodologie de la suspicion. Il avait éludé la question de l’intérêt, mais sa philosophie eut pour effet de faire de la science, au sein même de la communauté scientifique, une question de croyance, position intellectuelle qui ne pouvait que légitimer en retour le camp des non-croyants. Cette remise en question du savoir officiel s’est manifestée avec acuité pendant la crise sanitaire qui a exposé le spectacle des désaccords scientifiques, de la fragilité du consensus scientifique et du caractère construit de ses vérités.


Subjectivation de la vérité

La critique du pouvoir, de l’autorité experte et de la science s’est adossée à un autre phénomène, lui aussi central à la culture du doute : le subjectivisme ou l’idée que chacun a le droit de définir sa vérité. Porter atteinte à la vision du réel tel que chacun le définit est devenu une atteinte à la personne elle-même. Cette subjectivation de la vérité a été le résultat conjugué du psychologisme, qui octroie à l’individu la légitimité de ses émotions et de ses interprétations du monde, et des valeurs du pluralisme et de la tolérance, apanage des démocraties qui se doivent de respecter les individus et leurs visions du monde, aussi idiosyncratiques soient-elles. Toutes ces perspectives – du doute, de la critique systématique, de la défiance des autorités, du respect de l’intériorité des individus — ont été centrales à la mise en place et au déploiement de la culture démocratique.

Mais il y a une raison finale, non moins importante, à la montée du complotisme : la démocratie s’est révélée être un régime politique profondément divisé entre sa propre théâtralisation, la mise en scène d’elle-même sous le regard incessant des médias, et une forme cachée, voire souterraine, d’actions politiques faites de compromis, de quid pro quo, d’intérêts financiers, d’ambitions personnelles et de pressions exercées sur l’appareil de l’Etat par des organisations qui veulent rester dans l’ombre.

Parce que le régime démocratique présuppose l’intérêt général et la transparence, tout écart de ces normes crée une méfiance profonde vis-à-vis du pouvoir. Jamais les représentants des institutions démocratiques n’ont été en crise et n’ont autant souffert du manque de confiance de la part des citoyens dans une grande partie du monde démocratique.

Par le biais des grands médias, la vie politique est désormais ponctuée par des scandales qui semblent révéler les rouages et machinations sordides du pouvoir : le Watergate a montré que Richard Nixon avait enfreint la Constitution en espionnant le parti rival et en tentant de faire disparaître les preuves de son crime ; le scandale de l’Iran-Contra avait mis au jour le fait que Ronald Reagan vendait en secret des armes à l’Iran de Khomeiny, malgré l’embargo officiel, pour reverser l’argent des ventes à ceux qui combattaient le régime sandiniste au Nicaragua. Les armes de destruction massive au nom desquelles la guerre en Irak avait été engagée se sont avérées inexistantes. Sous les feux de la rampe, la vie politique démocratique s’est révélée dans toute la splendeur de ses mensonges et ses intrigues. Le roman et les films d’espionnage, les séries télévisées à audience internationale comme House of Cards ou Borgen, sont venus s’ajouter à ce nouvel imaginaire, pointant vers une réalité cachée d’un monde politique essentiellement corrompu par l’argent et le pouvoir.


Image dégradée de la politique

Le conspirationniste représente une anomie épistémique qui reflète la perception de l’anomie du monde politique. Il se nourrit donc de la dégradation réelle de l’image de la politique et des politiciens, d’un climat intellectuel qui a attaqué sans relâche la notion d’autorité épistémique, et du subjectivisme qui donne à l’individu tout pouvoir de définir sa propre réalité.

Dans ce sens, le complotisme est un non-savoir – ou une forme organisée d’ignorance qui se veut être plus intelligente que le « système ». C’est la raison pour laquelle certains ont avancé que le complotisme est le fait d’individus aliénés qui ne se sentent pas représentés par les institutions.

Le complotisme de cette dernière décennie signale une transformation inédite de la démocratie : l’alignement des camps politiques autour des questions du savoir et de l’autorité épistémique. Pendant la crise sanitaire, les camps républicain et démocrate ont été profondément divisés, précisément sur le bien-fondé de l’autorité médicale. Les résultats des élections avaient commencé par donner une victoire à M. Trump mais ont changé quand on a commencé le comptage des voix par courrier, c’est-à-dire les voix de ceux qui ne se sont pas rendus aux urnes parce qu’ils croyaient dans l’autorité des experts sanitaires.

Historiquement, le complotisme a existé autant à droite qu’à gauche, mais récemment il est devenu essentiellement l’arme idéologique de l’extrême droite. Cela est dû au fait que pour les populistes, les autorités médicales et scientifiques sont désormais des élites tout court, des groupes dont la parole compte autant que la leur. C’est aussi dû aux énormes efforts de la classe industrielle alliée à la droite et de l’extrême droite pour nier le réchauffement climatique, efforts qui ont nécessité le rejet même de la science. Croire ou pas à la science est devenu une question éminemment politique, sans doute celle qui va décider de l’avenir du monde. L’épistémologie est désormais au cœur de notre démocratie et de son avenir.

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Eva Illouz est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ses recherches portent notamment sur la sociologie des émotions et de la culture. Elle a rédigé plusieurs essais, parmi lesquels Les Sentiments du capitalisme (Seuil, 2006), Pourquoi l’amour fait mal (Seuil, 2012), Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, coécrit avec Edgar Cabanas (Premier Parallèle, 2018), et Les Marchandises émotionnelles (Premier Parallèle, 2019).


jeudi 10 décembre 2020

Le boum du tourisme chamanique

Publié dans Le Monde le 02 août 2019

ENQUÊTE Rassemblements, conférences et études se multiplient en Occident, et les voyages en terres chamaniques se banalisent.

La France aussi a ses passionnés de chamanisme. Du 28 août au 1er septembre, la première Université d’été du chamanisme ouvrira ses portes à Cogolin (Var). Elle sera animée par « des scientifiques, des chercheurs, des anthropologues, des écrivains et des représentants de traditions celte, néo-zélandaise, maori, shintoïste, congolaise et mexicaine », nous dit-on au Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales, qui a déjà orchestré du 25 au 28 avril à Genac (Charente) le douzième Festival du chamanisme. L’événement, alternant débats, évocations de la « Terre-Mère » et cérémonies coutumières, a accueilli « 180 chamans et femmes ou hommes médecines » venus des cinq continents, et attiré quelque 4 000 visiteurs.
Cet engouement pour le chamanisme, considéré par certains anthropologues comme la religion originelle de l’humanité, se manifeste en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada depuis une quinzaine d’années. Rassemblements, conférences, cursus universitaires se succèdent, et des milliers d’Occidentaux se rendent régulièrement en Amazonie pour participer avec des chamans guérisseurs (curanderos, de l’espagnol curar, « soigner ») à des rituels de prise d’ayahuasca (du quechua aya, « défunt », « esprit », « âme », et huasca, « corde », « liane »), une boisson indigène médicinale hallucinogène à base de plantes macérées. D’après le médecin et historien équatorien Plutarco Naranjo, auteur de Mitos, tradiciones y plantas alucinantes (Université Simon Bolivar, 2012, non traduit), l’ayahuasca est utilisée depuis 2000 à 4000 ans par les Amérindiens, qui la surnomment « la liane de l’âme ». M. Naranjo reproche d’ailleurs à Claude Lévi-Strauss d’avoir sous-estimé l’importance des plantes psychoactives dans les civilisations précolombiennes.


Cet intérêt occidental pour le chamanisme amazonien et « l’expérience ayahuasca » a été initié par des personnalités comme Tori Amos, Paul Simon, Sting ou Oliver Stone, et popularisé par les films de Jan Kounen (Blueberry et D’autres mondes, 2004) et Gaspard Noé (Love, 2015). Il s’amplifie d’année en année, tant en Amérique latine, où des centres de plus en plus luxueux s’ouvrent, qu’en Occident. De nombreux curanderos se déplacent désormais pour organiser des séances sous ayahuasca en Europe et aux Etats-Unis, et viennent expliquer leurs pratiques et leur philosophie à divers colloques, comme à la sixième Conférence mondiale Ayahuasca, qui a rassemblé, du 31 mai au 2 juin, à Gérone (Espagne), de nombreux chercheurs en sciences humaines, activistes et chamans à l’initiative de l’International Center for Ethnobotanical Education Research and Service (Iceers). Sa profession de foi : « Nous envisageons un avenir où les pratiques liées aux plantes psychoactives sont valorisées et font partie intégrante de la société. Nous le faisons en abordant certaines des questions fondamentales résultant de la mondialisation de l’ayahuasca et d’autres ethnobotaniques. »

Le « néochamanisme » en débat


Qu’est-ce qui pousse ces milliers d’Occidentaux à s’intéresser aux cultures chamaniques, très éloignées des nôtres, et à consommer un puissant hallucinogène contenant du diméthyltryptamine (DMT, interdit en France), déclaré dangereux par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? Un grand débat sur ces questions agite tant les médias et les anthropologues que les spécialistes des religions, qui parlent aujourd’hui de « néochamanisme ». D’un côté, l’anthropologue Jean-Loup Amselle, directeur d’études à l’EHESS, auteur de l’enquête Psychotropiques. La fièvre de l’ayahuasca en forêt amazonienne (Albin Michel, 2013), l’analyse comme une nouvelle forme de tourisme exotique séduisant la classe moyenne occidentale en mal de voyages dépaysants et d’expériences psychédéliques. Il décrit des « chamans operators » n’exerçant plus dans leurs communautés natives, intervenant dans des « lodges entourés de palissades et de gardes armés » qui « isolent les touristes du monde social amazonien ». « Ce tourisme chamanique, assure-t-il, est promis à un bel avenir dans le cadre du déclin des grands récits et de la floraison des nouvelles spiritualités new age et des grands thèmes du romantisme naturaliste. » Critique, il parle d’« une montée de l’irrationnel », d’« un dérivatif vers un monde extra-humain », d’une inquiétante fuite narcissique, d’une forme de « dépolitisation », et évoque les dérives sexistes et sectaires de certains chamans.
L’anthropologue Barbara Glowczewski, médaille d’argent 2018 du CNRS, qui travaille depuis quarante ans avec les aborigènes, défend un point de vue très différent. Elle participe depuis trois ans au Festival du chamanisme de Genac, où elle a fait venir des délégations d’Aborigènes, de Guyanais, de Polynésiens et de Yézidis, et souligne tout l’intérêt de ces rencontres : « De passionnants débats se sont tenus, où les représentants des communautés et les chamans, dont la culture est menacée, ont pu exposer leur situation, échanger, imaginer des alliances. Le public a expérimenté leurs rituels collectifs avec bienveillance, souvent ému et enthousiaste des soins individuels qu’ils procurent. »
Auteure de Rêves en colère (Plon, 2004), qui a contribué à faire connaître le concept aborigène d’espace-temps des rêves ou « dreaming », Barbara Glowczewski a travaillé avec des chamans australiens. Elle a réalisé, en 2017, un entretien filmé avec le guérisseur Lance Sullivan, qui explique sa manière – tant physique que spirituelle – de soigner selon la tradition de son peuple, les Yalarrnga. L’anthropologue souligne qu’aujourd’hui, des chamans aborigènes, hommes et femmes, interviennent dans plusieurs hôpitaux d’Australie du Sud et sont réputés pour soigner des problèmes rénaux. Elle rappelle que de plus en plus de scientifiques reconnaissent la pertinence des savoirs des chamans sur les plantes médicinales, les énergies terrestres, les étoiles et le climat.

Dialogues Nord-Sud

Barbara Glowczewski trouve important que des habitants des pays riches qui refusent « la destruction des milieux de vie par les industries extractives et les désastres écologiques cherchent des sources d’inspiration auprès des peuples autochtones et des cosmovisions chamaniques pour lesquelles la terre et l’eau sont vivantes et les plantes “enseignantes” ». C’est justement ce qui attire les jeunes Occidentaux qui cherchent une nouvelle relation au monde, et « tentent précisément d’expérimenter le fait que nous pouvons être habités ou traversés par des entités naturelles, esprits animaux, végétaux, feu ou pluie ». L’anthropologue y décèle « l’apparition de nouvelles manières d’habiter la Terre, plus respectueuses, où les humains cherchent à retrouver des liens spirituels avec toutes les formes du vivant ». « Il ne s’agit pas d’exotisme, mais d’explorer ce que l’Occident a perdu, de se réancrer avec la mémoire des lieux », insiste-t-elle.
Ce mouvement d’échanges et de dialogues Nord-Sud, réévaluant l’apport du chamanisme à la culture mondiale et à la pensée écologique, ne date pas d’aujourd’hui, rappelle Barbara Glowczewski. Il poursuit l’évolution des conceptions de nombreux chercheurs en sciences humaines qui ont réétudié la richesse de la « pensée sauvage ou archaïque », leur manière de considérer la nature, et revisité la notion de chaman. Le mot vient du toungouse « saman ». Il signifie « remuer l’arrière-train » et désigne l’agitation du rut animal. Les Toungouses vivent en Sibérie, où ils ont longtemps pratiqué la chasse aux rennes. Animistes, ils pensent que les animaux sont dotés d’un esprit, auquel le chaman s’adresse. Pour ce faire, comme l’explique l’anthropologue Roberte Hamayon dans Le Chamanisme (Eyrolles, 2015), il se choisit une femelle renne imaginaire, qu’il séduit au cours d’une cérémonie où, jouant du tambour, portant des ramures, « il simule un renne mâle, brame, donne des coups de tête pour faire fuir les rivaux, roule des hanches ». Une danse qualifiée de « diabolique » par les prêtres chrétiens.
« Epousant » la femelle en esprit, le chaman pénètre alors l’univers des
rennes afin de s’attirer leurs faveurs, et d’apporter chance et divination aux chasseurs de sa communauté. C’est là, explique Roberte Hamayon, le rôle essentiel du chaman, au sens premier. Mais, à la fin du XIXe siècle, on découvre son rôle de guérisseur, tandis que dans les pays colonisés, les Européens observent l’action des « sorciers », des « magiciens » et autres « hommes médecines » autochtones, assistent à des séances de possession et à des cérémonies d’évocation des esprits (de la nature, des ancêtres), souvent assorties de consommation de breuvages psychotropes. Bientôt, les ethnologues du début du XXe siècle se disputent sur le rôle social, la fonction – guérisseur, prêtre, sorcier ? – de tous ces « chamans ».

Transes psychédéliques

En 1951, Mircea Eliade publie Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, la première étude comparative de ces pratiques animistes, dans laquelle il préconise de ne pas limiter la notion de chaman aux devins sibériens, mais de l’étendre à tous leurs homologues des sociétés premières. Pour M. Eliade, contredisant le mépris chrétien, le chamanisme constitue la « première mystique ». Il voit le chaman comme un « psychopompe » réalisant un « vol magique » dans un monde d’esprits, explorant des états modifiés de conscience ou « transes », grâce à des psychotropes ou à d’autres techniques (jeûnes, musiques…). Il définit le chamanisme comme l’expérience religieuse primordiale. Il l’universalise. Même si M. Eliade a été critiqué pour certaines généralisations, cette conception a réévalué le rôle spirituel du chaman et marqué l’anthropologie. C’est elle qui séduit aujourd’hui les passionnés de néochamanisme, qui veulent à leur tour « chamaniser ».
David Dupuis, anthropologue à l’université de Durham (Royaume-Uni), qui a codirigé le numéro 17 des Cahiers d’anthropologie sociale, titré « Images visionnaires » et consacré aux visions suscitées par la tabernanthe iboga, le peyotl et l’ayahuasca, avance une autre raison à cet engouement : l’histoire mouvementée de la découverte, au XXe siècle, des propriétés psychédéliques des plantes chamaniques « par des ethnologues, certains chimistes, les écrivains beatniks et nombre d’artistes pop ».
Un des pionniers de cette exploration est Albert Hofmann, chimiste de la firme Sandoz, qui teste, le 19 avril 1943, une microdose d’un alcaloïde tiré d’une moisissure de l’ergot du seigle, un champignon responsable de plusieurs cas de folie collective au Moyen Age. Il s’agit de l’acide lysergique ou LSD. Cette expérience, au cours de laquelle il ressent l’effroi – « un démon sarcastique triomphait de ma volonté » –, des visions fantastiques – « des images multicolores arrivaient sur moi, s’ouvraient en cercles ou en spirales » –, puis l’extraordinaire « impression que le monde a été recréé », le mène à s’intéresser aux effets psychoactifs des plantes utilisées dans les rituels dionysiaques grecs et les transes chamaniques.

Castaneda et l’« herbe du diable »

« Il n’est pas le seul à l’époque », rappelle David Dupuis. En effet, en 1955, l’ethnomycologue Robert Gordon Wasson est le premier Occidental à participer, à Oaxaca (Mexique), à une cérémonie de prise d’un champignon sacré, supervisée par la curandera mazatèque Maria Sabina, et à éprouver une intense connexion avec la nature. En 1957, dans Mushrooms, Russia and History (Pantheon Books), Wasson révèle au grand public l’importance des champignons psychotropes – « la chair des dieux », d’après les Mayas – dans de nombreuses traditions chamaniques et religieuses autour du monde.
Parallèlement, dans les années 1950 et 1960, les écrivains beatniks William Burroughs et Allen Ginsberg partent prendre du yagé (l’ayahuasca) en Amazonie avec des curanderos, et rapportent des expériences mystiques : « J’ai commencé par ressentir ce que je pensais être l’Etre suprême, un fragment de Lui, pénétrant mon esprit comme un grand vagin mouillé », écrit Ginsberg. Entre 1968 et 1977, l’anthropologue américain d’origine péruvienne Carlos Castaneda relate, dans plusieurs best-sellers, les enseignements du chaman yaqui Don Juan Matus et de son « herbe du diable », tandis que les Beatles et le professeur de Harvard Timothy Leary popularisent les champignons psychotropes et le LSD, qu’ils considèrent comme des « amplificateurs de conscience ».
Toutes ces recherches, ces voyages, ces « trips » font qu’en 1979 un collectif d’ethnobotanistes et de mythologues américains, dont Wasson, le professeur d’études classiques Carl Ruck et le botaniste Richard Schultes, forge le concept d’« enthéogène » – du grec entheos, « être inspiré », « possédé par le divin », et genesthai, « qui vient dans l’Etre » – pour qualifier les plantes psychotropes utilisées dans de nombreuses civilisations à des fins religieuses et spirituelles. Ils avancent que les transes des Mystères d’Eleusis, en Grèce, s’expliquent par l’ergot de seigle contenu dans la boisson prise par les initiés, le kikeon. A leur suite, plusieurs anthropologues et préhistoriens (Weston La Barre, Jean Clottes, David Lewis-Williams, Michael Harner…) se sont demandé si les plantes psychédéliques n’ont pas joué un rôle décisif dans l’émergence du sentiment mystique et religieux dans l’humanité – une conception bien sûr très critiquée.

« Voie de salut »

David Dupuis estime que ce mouvement de recherches, tant expérimentales et anthropologiques que littéraires, a inspiré la vogue chamaniste contemporaine. Ses adeptes ne cherchent plus tant dans les drogues, comme les jeunes générations des années 1990, une plus-value ludique, festive ou sexuelle, mais une expérience enrichissante, entre la psychanalyse sauvage, le voyage spirituel et la connexion visionnaire avec la nature : une expérience « enthéogène ». Par ailleurs, ajoute M. Dupuis, avec la mondialisation, Internet et l’accélération des échanges Nord-Sud, les voyages éprouvants et solitaires des beatniks à la recherche des chamans et des magic mushrooms se sont démocratisés. Banalisés. Et commercialisés…
Plusieurs enquêtes sur la vogue néochamaniste ont été menées par l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence, sous la houlette du philosophe et sociologue Raphaël Liogier, qui l’a dirigé de 2006 à 2014. Il fait une analyse proche de celle de M. Dupuis : « Le chamanisme a tout pour plaire à des Occidentaux en perte de mythologie, inquiets des ravages du matérialisme, parce qu’il symbolise la religion non dévoyée, plus spirituelle que religieuse, non monothéiste donc non dogmatique ni moraliste, écologique car sacralisant la Terre-Mère, enfin visionnaire et extatique grâce à la prise de plantes psychotropes. »
Le chamanisme, a constaté M. Liogier, a également l’avantage de se présenter comme « une médecine holistique soignant l’esprit et le corps en même temps », et favorisant donc toutes « les pratiques spontanéistes pour se retrouver, s’exprimer, lever ses blocages ». Voilà pourquoi les festivals chamaniques se sont multipliés, où le public s’exerce « à l’ensauvagement en redevenant son animal de pouvoir, tel que l’a décrit Carlos Castaneda », s’enferme « dans les huttes de sudation des Sioux Dakota pour un vol spirituel » ou se « libère de son stress grâce à la danse de la lune noire ».
Pour le sociologue, qui publie à la rentrée un Manifeste métaphysique (LLL, avec Dominique Quessada), toutes ces pratiques n’illustrent pas une régression dans l’irrationnel, ni la nostalgie d’un monde primitif perdu, mais perpétuent au contraire « la quête radicale d’une individualité hypermoderne libérale décidée à tout essayer pour s’autonomiser et s’épanouir, pour qui le chamanisme et les enthéogènes relèvent d’une pratique de développement personnel ». Plus encore, continue M. Liogier, en se pensant « tous chamans », « les individus globalisés espèrent échapper à leur finitude et au risque planétaire en cherchant de nouveaux mythes et une voie de salut dans des expériences visionnaires inspirées par ceux qui croient encore à la puissance régénératrice de la nature et ne sont pas responsables du désastre environnemental ». Tous chamans aujourd’hui. Et demain ?

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C'est vrai, ça, et demain ? Où aller prendre de l'ayahuesca pour les fêtes ? 
Jean Castex vient de trancher : chez mamie d'Albi, mais pas entre 20 h et 6h.

vendredi 27 novembre 2020

Black Fridays (1) : Michel Fourniret, tout doit disparaitre



En plus,  c'est pas pour dire, 
mais Michel Fourniret
n'est pas du tout ressemblant.

Janvier 2003

Estelle Mouzin est enlevée, embêtée très fort puis zigouillée à mort par Michel Fourniret, au terme d'un calvaire comme seuls les enfants peuvent en endurer, car les adultes, trop douillets, en mouriraient tout de suite. Dès l'annonce de sa disparition, des gendarmes insuffisamment formés aux logiciels Adobe commettront à l'aide de grossiers trucages des portraits hideusement vieillis de la jeune victime, à partir de la même photo d'Estelle Mouzin, photocopiée jusqu'à plus soif, sur des versions  de Photoshop mal mises à jour. Depuis 17 ans, ces photos retouchées hantent les commissariats, et à chaque fois que vous allez dénoncer votre voisin qui viole quotidiennement les règles du confinement, vous les contemplez hagard dans le couloir de la gendarmerie, en attendant que le brigadier enregistre votre plainte, et elles distillent en vous un profond malaise. Grâce à l’article 24 de la proposition de loi dite de « sécurité globale », ces gendarmes vont bénéficier de l'impunité, et leurs forfaits graphiques resterons impunis. Ils seront floutés.


Le canard enchainé du 25.11.2020

Mars 2020 :

Michel Fourniret avoue, pour Estelle, c'est lui qui a fait le coup. C'est pas trop tôt. Ca fait 17 ans qu'il fait tourner les parents des victimes, les inspecteurs et les avocats en bourrique, dix-sept ans que Fourniret fait du Fourniret, pervers insaisissable et manipulateur. (Le Monde)
Et pendant ce temps, que fait la police ? 
Elle floute ses selfies en démantelant les camps de migrants. 
On est tranquilles.

Violences policières : pour le Black Friday, une achetée, une offerte.
Ou alors, les flics ont beaucoup progressé sur Photoshop.


Enfin, presque tous.

Fourniret a été condamné deux fois à perpétuité - en 2008 pour avoir tué sept jeunes femmes, en 2018 pour l’assassinat d’une huitième. Il pourrait faire autre chose que des blagues pourries : en 2005, il écrivit à Eric Mouzin, le père d'Estelle. Il souhaitait lui dire qu’il n’était pas impliqué, mais qu'il avait quand même des choses à lui dire « de père à père, raconte Me Seban. C’est d’une perversité absolue : se mettre au même niveau que celui dont on a causé le malheur. » L'entrevue n'aura finalement pas lieu. En 2007, c’est au parquet général de Reims (Marne) qu’il écrivait pour demander « la jonction de trois dossiers » de disparitions de jeunes filles à son procès, prévu l’année suivante : Marie-Angèle Domece (disparue en 1988), Joanna Parrish (1990), et Estelle Mouzin. Requête rejetée car trop tardive, le procès ayant déjà été audiencé. En 2018, finalement entendu dans le cadre des affaires Domece et Parrish, Fourniret avait formellement avoué ces deux meurtres, et avait déclaré « ne pas nier être impliqué » dans l’affaire Mouzin. « Des aveux en creux », pour les avocats du père.

La confusion aura été entretenue de bout en bout par cet alibi : un coup de téléphone passé à son fils depuis la Belgique, à une heure qui rendait impossible sa présence à Guermantes au moment des faits. Le 21 novembre 2019, l’alibi disparaissait : Monique Olivier, ancienne épouse condamnée à perpétuité elle aussi, racontait à Sabine Khéris qu’elle avait passé ce coup de téléphone à la demande de son mari, absent ce jour-là. Placé dans une position intenable, Michel Fourniret livrait une semaine plus tard ce début d’aveu déroutant, à la Fourniret : « Si cette petite-là avait croisé mon chemin, je vous le dirais. Mais je n’en ai pas souvenance. Dans l’impossibilité où je suis de vous dire “oui, je suis responsable de sa disparition”, je vous exhorte à me considérer comme coupable. »
« Il n’aime rien tant que le rapport de force, décrit Me Seban. Sa perversité, c’est de dire : je ne parlerai que si vous travaillez. Je suis Fourniret, je fais des choses extraordinaires, donc je ne réponds qu’à des enquêteurs extraordinaires capables de découvrir ce que j’ai fait. » Lui qui se décrit comme « un joueur d’échecs » fera ce compliment à Sabine Kheris : « Jouer avec un partenaire tel que vous, ça en vaut la peine. »
L'article dont j'ai extrait ce paragraphe est bourré d'autres blagues narcissiques émanant du désopilant « tueur en série français le plus abouti », comme le décrit l’expert-psychiatre Daniel Zagury.

Michel riait beaucoup
à ses propres blagues
(photo d'archives)

Novembre 2020 :

Michel n'est pas très en forme. Fin octobre, il a dit à la justice avoir enterré Estelle Mouzin aux alentours du château du Sautou, son ancienne propriété dans les Ardennes. Mais l’homme de 78 ans n'est plus le fringant psychopathe, à l'oeil vif et au silence pétillant qu'on a connu : il a été retrouvé inanimé dans sa cellule de Fresnes (Val-de-Marne) vendredi matin 20 novembre, et hospitalisé à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Son état de santé, qui s’est beaucoup dégradé cette année, ralentit l'enquête. En octobre, il avait beaucoup baladé la juge d’instruction Sabine Kheris pour réactiver ses souvenirs sur la disparition d’Estelle. Monique Olivier, son ex-femme s'en était agacée face à lui : « Mais si, souviens-toi, tu m’avais dit que tu l’avais mise là. » 
Un peu comme dans la chanson de Reggiani "Arthur, où t'as mis le corps ?"  


les gendarmes de plus en plus forts (sur Photoshop, en tout cas)
"Arthur, où t'as mis le corps
S'écriaient les inspecteurs
- Bah j'sais plus où j'l'ai foutu, les mecs
- Arthur, réfléchis, nom de d'là
Ça a une certaine importance
- Ce que j'sais, c'est qu'il est mort
Ça, les gars, j'vous l'garantis
Mais, bon sang, c'est trop fort
J'me rappelle plus où que j'l'ai mis"

Le château du Sautou, et ses quinze hectares de parc, est un lieu fondateur dans la trajectoire criminelle des époux Fourniret. Deux victimes y ont été retrouvées : Elisabeth Brichet et Marie-Jeanne Desramault. 
Le chateau de Sautou vous accueille toute l'année
pour vos mariages et vos bar-mitzvahs, 
mais surtout pour vos inhumations 
(envoi de documentation sur demande, sous pli discret)

Une troisième, Céline Saison, non loin, au bout d’un sentier forestier qui mène au Sautou.
Cet édifice du XIXe siècle est aussi le fruit d’un des épisodes les plus invraisemblables du parcours du tueur en série. Car le Sautou est indissociable de l’histoire du trésor du « gang des postiches ».
En 1987, Michel Fourniret partage sa cellule de Fleury-Merogis (Essonne) avec un braqueur de haut vol, Jean-Pierre Hellegouarch, un « beau mec », comme disent les policiers de l’époque. Il est proche du groupe d’extrême gauche Action directe, et a eu comme codétenu un Italien, qui a été incarcéré avec un ancien du « gang des postiches », lequel lui a confié un secret : une partie du butin de cette équipe de braqueurs grimés avec des perruques serait enterrée dans un cimetière de la région parisienne. Jean-Pierre Hellegouarch transmet l’information à son épouse, Farida Hammiche. Mais la jeune femme est effrayée de déterrer, seule, un trésor dissimulé à côté d’une tombe. Le braqueur pense alors à son ancien compagnon de prison, qui vient d’être libéré. « C’était un terrassier avec ses grandes mains, quelqu’un de l’autre monde, du monde du travail, pas du monde des voyous, je lui faisais confiance, raconte Jean-Pierre Hellegouarch, en évoquant Michel Fourniret. Je me suis bien trompé. »
Oui, c'est quand même un manque d'éthique assez gênant dans la carrière jusqu'ici classieuse de Michel.

Si le gang des postiches avait eu
des clés à molette, on n'en serait pas là
Le couple Fourniret et Farida Hammiche exhument une caisse à outils pleine de lingots et de louis d’or. Celui qui n’est pas encore un tueur en série décide de garder la quarantaine de kilos de métal précieux pour lui, et d’assassiner la femme de Jean-Pierre Hellegouarch. Ce meurtre crapuleux, il le qualifiera de « transfert de propriété » en audition. Il lui permet surtout de financer la suite de ses activités criminelles. En 1989, à l’aide d’un notaire véreux, il achète en liquide – pour 1,2 million de francs – le château du Sautou. Alors que Michel Fourniret joue au châtelain, à 250 kilomètres de là, la brigade criminelle du 36 quai des Orfèvres, soupçonne Jean-Pierre Hellegouarch, libéré depuis, de financer Action directe. Une perquisition est lancée à son domicile.
« On trouve une carte topographique, avec un emplacement entouré dans les Ardennes, le château du Sautou, raconte Jean-Louis Huesca, ancien inspecteur à la Crim’. C’est à côté de la frontière franco-belge, et on se dit qu’Action directe pourrait bien se servir d’un endroit comme ça comme lieu de passage. On demande au SRPJ de Reims de faire des surveillances. » Lequel transmet la requête à la police aux frontières, qui écrit en août 1989 : « La surveillance du château est globalement assez difficile du fait de son isolement, de la proximité de la frontière, de la présence des chiens et des accès privés… Des allées et venues ont pu être observées à l’approche du château et il n’est pas exclu que des personnes y habitent en permanence. »

Black friday :
tout doit disparaitre.
Bon, ça, c'est fait.
« Les surveillances n’ont rien donné, explique Jean-Louis Huesca, au bout de quelques mois, on décide de fermer la porte comme on dit dans les enquêtes et d’aller sur place pour perquisitionner. » Il raconte au Monde : « Il y a donc ce château d’apparat et à droite le pavillon de chasse, occupé puisqu’on y trouve le gardien des lieux. C’est un petit monsieur sans importance, un peu passe-partout, surpris de nous voir. On est arrivés à six policiers de Paris, plus deux de Reims, il s’inquiète de voir tout ce beau monde. Mais très vite, il comprend qu’on ne vient pas pour lui. Il nous dit qu’il s’appelle Michel Fourniret, qu’il est le gardien, qu’il n’y a pas de propriétaire parce que le château est en vente, et qu’il fait les visites. Il y a là aussi une femme plus grande que lui, très effacée, qui laisse son mari parler. Je vais entendre ce monsieur. Il va m’indiquer qu’il est connu des services de police pour des affaires de mœurs, mais qu’il s’est rangé des voitures et qu’aujourd’hui il travaille comme gardien. » La brigade criminelle enquête sur des présomptions de financement du terrorisme, elle ne recherche pas quelqu’un condamné pour viol ou agression sexuelle.
Ainsi, les policiers ont marché sans le savoir sur les cadavres de Marie-Jeanne Desramault et d’Elisabeth Brichet. L’adolescente, enlevée le 20 décembre 1989, a été enterrée au Sautou alors même que les lieux étaient sous surveillance. Jean-Louis Huesca, l’ancien inspecteur de la Crim’, ne découvre qu’une vingtaine d’années plus tard, après l’arrestation et les aveux de Michel Fourniret, que le faux « gardien du Sautou » est un tueur en série. De nouvelles fouilles sont prévues au château le 7 décembre, là où il affirme désormais avoir caché le corps d’Estelle Mouzin.

Aah non, là c'est pas lui.
Faut pas voir le mal partout.
Je vais aller mater de vieilles plaidoiries de Dupont-Moretti pour voir si je peux pas bricoler un truc pour faire amnistier Fourniret pour décrépitude raisons médicales, en profitant de la confusion qui accompagne les agapes du Black friday, de la fin du confinement et du moratoire sur les violences policières courageusement adopté par Darmanin, manin et demi. 
Quitte à faire flouter Michou.
Hier soir, quelqu'un me reprend, après que j'aie prétendu avoir assisté à l'incinération d'un ami : 
"ah non, attention, l'incinération est un terme qu'on doit réserver aux ordures, quand c'est un humain on parle de crémation. 
- D'accord, mais les humains qui sont des ordures ? 
Elle a ri. Que pouvait-elle faire d'autre ? 
Et encore, je ne lui ai pas fait la blague de Fourniret : 
« C'est un méchant homme, un pédophile invétéré et enfiévré, qui entraine sa jeune et future victime dans les bois, la nuit tombe, il y a des bruits étranges, ça craque à chaque pas, le petit garçon pleurniche : « j'ai peur ! » alors l'homme lui répond, agacé : « tais-toi ! moi aussi, j'ai peur, et en plus après, il faudra que je rentre tout seul, dans le noir..... ! » Je crois bien l'avoir lue dans un livre d'Emmanuel Carrère, lui qui citait récemment, dans Yoga, l'Evangile "Good copte, bad copte" de Thomas : « Si tu fais advenir ce qu’il y a à l’intérieur de toi, ce que tu fais advenir te sauvera. Si tu ne fais pas advenir ce qu’il y a à l’intérieur de toi, ce que tu n’auras pas fait advenir te tuera »

Quand ils sont petits, les pédophiles ont peur du noir.
Comme tout le monde.
Je vais pas lui jeter l'Abbé Pierre, tant que je prends mon lithium, tout va bien, mais quand même, il y a des choses à l’intérieur de moi qu’il vaut mieux ne pas faire advenir.
J'en parlerai sans doute ces prochains jours, puisque j'ai l'air si décidé à entonner le cantique de la racaille. Ca sera pas pire que quand je bavais sur Breivik. Plus instructif, sans doute : le trombinoscope des fugitifs les plus recherchés d'Europe. Comme les champignons, sachez les reconnaitre, pour ne pas en ramasser de vénéneux. Là encore, tout doit disparaitre, et c'est pas la peine de les ramener au commissariat, si vous voyez ce que je veux dire.