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samedi 8 avril 2023

Estropiés se remettant en ordre de marche (2)

Dans l'église, pendant l'office en mémoire de la défunte, quelqu'un récite l’épître aux Corinthiens de Saint Paul, "et si je n'ai pas l'amour, je n'ai rien, et dans ce cas je ferais mieux d'aller jouer à la belote avec les copains", tu te rappelles de ce texte que tu voulais placer à l'enterrement de ta belle-mère le mois passé mais qui fut retoqué, tu n'avais pas le final cut, alors tu sanglotes convulsivement, parce que quand même, l'épitre aux Corinthiens, ça tient bien la route, depuis 2000 ans.
Et c'est vrai que si t'as pas l'amour, t'as que dalle, et tu passes un peu à côté de ta life. 
Et pourtant, maintenant que nous voici réunis sous la nef, recueillis mais un peu intimidés par le silence assourdissant devant une vie qui a atteint son terme, on s'entend penser qu'on rêve tous de vivre cet amour, si bien dépeint par l'apôtre que ça fait de lui un vrai pote, Paul, mais que beaucoup reçoivent et partagent en lieu et place un substitut bien moisi : un attachement toxique, dont on peut mesurer la nocivité à l'aide de cette règle d'or, comme si c'était un double décimètre en plastique jaune : si l'amour libère, l'attachement contraint. 
Ainsi équipés, on peut mesurer nos progrès, au centimètre près, et évaluer le succès de nos tentatives pour nous retenir aux rares touffes d'herbe et racines qui émergent du sol pendant l'interminable glissade le long du plan légèrement incliné qui mène au tombeau. 
Car, faut-il le rappeler, le lien de l'attachement pend dans le vide.


Ce dessin parle manifestement d'autre chose. Il a été détourné.
Encore que. Si ça vous scandalise, écrivez au journal, qui transmettra.
Alors ça n'interdit pas de se gargariser avec l’épître aux Corinthiens (vaut mieux que deux tuloras) de Saint Paul, ni de se le prescrire les uns les autres en suppositoires effervescents et pastilles anti-tussives, et pour les messes ça reste un must, et pour honorer les défunts en partance c'est la classe à Dallas, mais ça ne doit pas nous aveugler au point d'oublier que nous sommes peu enclins à vouloir nous libérer vraiment de nos attachements, car pour cela il faut avoir vu la nature de la prison et en avoir assez souffert pour employer des solutions radicales. 
Bien souvent, au lieu de cet effort soutenu de désenvasement de notre nature humaine, nous nous attachons à notre colère, à notre déception, notre chagrin, parce que nos émotions négatives nous tiennent compagnie quand les femmes nous la faussent, communes... et aussi parce que la sexualité est une grosse coquine qui ne tient jamais les promesses qu'on l'a entendue balbutier, un soir d'ivresse hormonale, et qu'on a failli croire sur parole, promesses d'amour, de bonheur, de partage... en réalité elle est aux ordres de la reproduction, elle roule pour la survie de l'espèce, le plaisir c'est juste le cadeau bonux, et la super-cacahouète pour le singe, la sexualité rigole en douce, quand on dort, et elle n'hésite pas à nous filouter, à nous leurrer pour parvenir à ses fins, qui transcendent franchement les nôtres. Alors que nous, enfin vous je sais pas, mais en tout cas moi, la transcendance c'était pas mon objectif premier, ce que je voulais, c'était le leurre, et l'argent du leurre... et léser la crémière. 
C'était quand même pas bien compliqué. 
A défaut d'être réaliste.

La rade de Perros, telle qu'on la voyait depuis la fenêtre de ma chambre, après qu'on ait quitté Louannec
pour s'installer dans la maison que nos parents avaient fait construire de l'autre côté de la baie.
On distingue sur la ligne d'horizon l'église romane de Louannec, avec son clocher carré.
Quand on la voit, c'est qu'il va pleuv
oir, quand on ne la voit plus, c'est qu'il pleut. 
Qu'est-ce que j'ai pu loucher sur ce putain de clocher quand j'étais petit !
Du plus loin qu'il m'en souvienne, j'ai toujours été amoureux de filles qui habitaient Louannec.  
Et pourquoi, Seigneur ? Tu aurais pu m'infliger les mêmes tourments avec des filles de Perros,
ça aurait quand même été plus pratique, et puis plus éco-responsable, aussi.

Après la cérémonie, tu es abordé par la maman de la disparue, et  une fois que tu lui as révélé ton identité secrète dans un lourd sanglot, elle se souvient très bien de toi, malgré tes quarante ans de silence radio, et elle t'accueille sans chichis avec ton petit tsunami de larmes, puis on te présente la fille de la défunte, qui a 22 au compteur, l'âge qu'avait sa maman quand vous viviez ensemble, et qui lui ressemble comme à une goutte d'eau. Tu me diras que les chats ne font pas des chiens, mais quand même, les bornes de la décence en sont un peu gondolées, et d'abord - Glarg ! pour être bipolaire, on n'en est pas moins homme, ça se bouscule un peu au portillon des émotions. Certaines sont si confuses qu'elles en retournent même prendre un ticket à l'accueil, en attente d'être inspectées.
Heureusement qu’aux enterrements, on peut pleurer comme vache qui pisse et conserver néanmoins une certaine dignité, voire y accéder un peu tard, comme dans la chanson de Brel sur les toros, quand il évoque les épiciers qui se prennent pour Montherlant au moment de la mise à mort, ou un truc du genre !
Lors de la collation qui suit, tu retrouves quelques forbans des sous-bois fréquentés dans cette vie antérieure, ex-conjoints et amis communs de la disparue, tu te choisis un tocard de bonne taille, et tu le coinces entre deux portes, tu prends un malin plaisir à évoquer son ex, celle qui avait le chic pour déstabiliser tout le monde en trois phrases, tes souvenirs sont précis et tes questions tranchantes, pour bien le mettre mal à l'aise avec ton hypermnésie, tu reprends le fil d'une conversation imaginaire, comme si 40 ans ne s'étaient pas écoulés depuis, il te lâche quelques infos déprimantes et fatales, et bat rapidement en retraite, un peu gêné, en marmonnant "à bientôt"... 
"A bientôt" ? alors qu'on s'est pas revus depuis 83, et qu'on n'est même pas certains de se recroiser vivants au prochain enterrement ? Tu sais désormais que cette formule, déclinée à l'envi autour des tombes fraîchement creusées, ne témoigne pas de l'intention de la personne de te recontacter sous peu, mais désigne plutôt (sans pouvoir le nommer) le fait qu'à votre tour, vous serez bientôt frappés du même sceau de la péremption, et finirez dans un même trou, dont on ne peut rien dire, puisqu'un trou, qu'est-ce ? sinon une absence, entourée de présence.  

Une seule réponse, toujours, à nos interrogations :
T'as qu'à croire. Ben voyons. C'est tout vu.

"A bientôt", donc, oké, moi comprendre la blague, mais le plus tard possible, alors. 
Un cyberpote abonde, quelques jours plus tard, quand tu deviens volubile autour de la disparue, auprès de personnes qui ignoraient jusqu'à son existence avant qu'elle fut soustraite aux yeux de tous sur ce plan d'existence  : Elle avait l'air cool comme meuf. L'avantage avec la mort c'est qu'on y passe tous. Du coup impossible d'être tristes trop longtemps.
Tu n'ai jamais pris le risque de renouer avec la morte de son vivantsentant que dans ton cas le désir de renouer c'était sans doute pour te rependre, tu l'ai déjà expliqué, mais t'aimes bien la formule, alors tu la repasses discrètement. Tu découvres simplement, en même temps que la partie de l'histoire que tu n'as pas captée en temps réel et que tu assimiles en accéléré en léger différé, qu'elle n'est pas aussi triste que la version que tu en avais déduite sur comment elle avait géré sa vie post-toi. Ou alors elle l'est beaucoup plus, mais au moins elle dit quelque chose d'authentique sur ceux qui l'ont vécue.
Bref, vive le réel 😁 tantpistanmieux, c'est pour ça que tu es venu, non ? pour réaffirmer après bien des années d'errance le primat du réel, et désamorcer ton imaginaire, feu d'artifice à mèche longue.
L'amie qui t'a accompagné te tient la main tout du long, même si tu l'inquiètes un peu, avec ton expérience en cours de micro-dosage de psychédéliques et ton imitation du brâme du veuf inconsolable, alors que tu tu es juste... quoi, inconsolable ? Après 40 ans de silence, mimant une indifférence, au mieux polie ? Qui va te croire ? Et tu ne lâches ni sa main, ni la tienne, sinon adieu Berthe, tu prends même un moment privilégié pour lui faire découvrir les splendeurs de la côte de granit rose, sous un crépuscule un peu éteint et tourmenté de nuages bas, mais quand même ça a de la gueule, il faudra revenir par beau temps...
La transe hypomaniaque te porte encore à errer sur le rivage un mois de plus. Tu testes le donormyl, somnifère sans ordonnance qui ne marche qu'un soir sur deux. Tu commences à écrire sur l'aventure de l'homme qui tombe à pic juste un poil trop tard, ce qui entretient ton état, voire l'aggrave un peu, sans ostentation bien sûr. 
Tu sais que si tu ne peux maitriser la réaction en chaine dont tu es le siège, tu peux cesser de l'alimenter en combustible, ça finira bien par l'éteindre ; mais tu veux d'abord tirer les leçons de l'expérience. Il est encore tôt.

(à suivre...)

mardi 4 avril 2023

Estropiés se remettant dans le sens de la marche (1)

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Louis Aragon , "Est-ce ainsi que les hommes vivent"

Dans la Légende des Siècles rapportée plus tard par vos deux familles, on raconte que dans votre enfance vous viviez dans le même lotissement de la banlieue de Perros, cette petite voisine avait deux ans de plus que toi, et elle t'apprit à marcher dans le quartier. Presque soixante ans plus tard, tu tangues un peu en prenant appui sur ta béquille, mais enfin, tu marches à nouveau, et tu apprécies ce début d'autonomie retrouvée, en te dirigeant à l'estime vers le cimetière inondé d'un soleil printanier et équanime, qui prodigue lumière et chaleur aux morts comme aux vivants endeuillés. 
C'est pas le moment d'en jubiler sous cape, ça foutrait par terre ta couverture de VRP du chagrin qui revient de loin, du haut des décennies qui te séparent de la dernière fois où tu crois l'avoir vue vivante. La disparue. Qui n'a jamais été aussi présente dans ton esprit, depuis bien longtemps.
Dans ton dernier souvenir de votre interaction, elle n'était pas de très bonne humeur. 
La rupture n'était pas sereine. 
La relation non plus. 
Sinon, vous ne vous seriez pas séparés.
Et tu te dis qu'à nouveau, elle guide tes premiers pas, après cette nouvelle naissance, cet accident bête dont tu te relèves, après une maladie plus grave et plus sérieuse, il t'a fallu apprendre sa mort pour te remettre debout pour de bon, tu aurais bien aimé savoir ce qu'elle était devenue, tu caressais l’idée de reprendre contact, pas de te rendre à son enterrement après en avoir appris la bien triste nouvelle, comme on dit dans ta famille. 
Des fois ça part en live, des fois ça part en death. On choisit pas toujours.
D'ailleurs, sur ce coup-là, si j'avais le choix, il ne serait pas funéraire.
Tu reconnais que tu ne maitrises pas grand-chose, tu peux seulement moduler un peu tes réactions face à ce que la vie te propose, y compris quand c'est l'option dernier hommage, non négociable.
Tu sentais que tes motivations étaient troubles, tu n’avais pas encore trouvé de prétexte crédible pour l'appeler, alors tu n’as jamais vraiment tenté de renouer, une fois votre histoire finie, sachant que pour toi, dépendant affectif de classe IV, renouer c'était prendre le risque de te rependre, et qu'il te semble aujourd'hui préférable de défaire les noeuds émotionnels, énergétiques, existentiels, tous ces noeuds générés en t’agrippant aux autres pour assouvir tes besoins contradictoires d’intensité, de paix, de sécurité, de folie, d'harmonie, de sagesse et de souffrance. Et comme le disait une amie, rien de tel pour dénouer les nœuds que de le faire sur la corde où ils ont été faits. T'es là pour ça, en fait. Alors merci qui ?
Parti à l'heure où blêmit ta compagne, tu es arrivé au bled en fin de matinée, et comme le rendez-vous pour la sépulture est à 14 heures à l'église, tu passes à la plage, celle avec laquelle tu as un lien fort, que tu ne t'expliques pas, tu t'allonges sur le banc blanc qui claque sous le soleil de Mars, et tu toques à sa portes, et tu talkes à la morte. 

Trestrignel pour moi tout seul, et toi en direct live, ou c'est tout comme.
Que demander de plus ? ah si, que la température de l'eau s'élève au-dessus de 15°.
Sans vouloir abuser de Votre Bienveillance, ni du réchauffement climatique.

Comme elle n'est plus géolocalisée dans son corps, elle est un peu partout, et tu n’as plus besoin d’intermédiaire pour échanger avec elle. En principe. Et surtout pas d'une relation médiatisée par les pingouins sacerdotaux qui t'attendent tout à l'heure avec leurs rituels et leurs fumigènes.
Fais gaffe, quand même : Quand un homme parle à Dieu, on dit qu'il prie. Mais si Dieu lui répond, on pose le diagnostic de schizophrène. Thomas Szasz a dit ça dans Ouest-France, entre deux horaires de marée d'équinoxe. Mais parler à une humaine, morte ? Tu feras quoi si elle te répond ? tu reprendras du lithium ? tu pondras un article sur ton blog de gros tocard ?

nature morte : 
la disparue
Je suis venu te laisser partir // avec mes regrets // De n'avoir pas su t'aimer mieux // on est tous passagers de l'A320 de Germanwings // que le copilote dépressif va écraser sur la montagne // Merci pour ton amour // tu n'y es pas allée de main morte // c'était y'a longtemps mais ça sent avant-hier // ma période sex and drugs and rock'n'roll // suivie en toute logique de ma période "porno partout, désir nulle part", Fraternités de 12 étapes et dark ambiant // tanpistanmieux // Sans déconner, ce coup-ci, je suis vraiment venu te dire adieu // Dans mon bureau de la pièce du fond, où je m'enivre encore à la fumée noire de ta combustion lente // en brûlant des quartiers de chêne humide // dans cette cheminée qui contrairement à nous // n'a jamais bien tiré même quand elle était jeune // j'ai ton photomaton de 82 qui m'accroche l'oeil, mais sur la cheminée y'a aussi une photo de ma femme et de mon fils // ils m'attendent à l'étage // peut-être ont-ils l'oeil moins vif que sur les agrandissement que j'ai fait retirer en grand pour tes parents // mais ils sont vivants // et s'inquiètent pour ma santé.//


nature morte :
femme au foyer
avec enfant
Et que viens-tu faire à son enterrement ? De ce que tu en sais, elle n'a pas eu par la suite une existence très facile, mais elle laisse le souvenir d'une battante. Même si tu traines la pénible impression de chialer sur toi-même et sur ta jeunesse qui va être inhumée là, sans préavis, que tu te sens englué comme un cormoran mazouté dans ce retour vers le passé, auquel nul ne te demandait de participer, ça va sans doute te passer, dès que tu iras au-devant des vivants, des survivants, tu es venu rendre un dernier hommage à la défunte, et tu en profites pour faire u
n peu de rééducation fonctionnelle, et émotionnelle. 
Respire, puisque ça t'est encore possible.
Au départ, une sœur de la disparue s'est exclamée "on a oublié de prévenir John", son propos t'a été rapporté, ça t'a un peu mis le feu aux poutres : si tu le voulais, tu avais une place dans l'histoire, et une lente alchimie s'est amorcée en toi, comme une levure (de bière !) qui fermente et qui gonfle, tu aimerais qu'elle finisse par ranimer la morte, en même temps ça serait un peu flippant, tout le monde affiche un petit air de sépulcre et y va de sa larme, une résurrection miraculeuse ferait foirer la cérémonie...
Tu reconnais que le risque est minime.

Dans ton beau pyjama froissé de fantôme sorti trop tard du placard, tu ne te sens pas très légitime, mais pas vraiment déplacé non plus, tu reconnais certains visages, même artificiellement vieillis par le logiciel du Temps manipulé par Chat_GPT3 ou une autre entité démente à l'humour un peu noir, d'autres sont méconnaissables, et toi tu es juste surnuméraire. 
Les jeunes sexagénaires arborent les stigmates des expériences qu'ils se sont infligées pendant des décennies, tentant de se soigner par l'auto-médication et par des produits aux effets secondaires parfois pires que la mélancolie qu'ils prétendaient combattre. Pas la peine de t'être préparé d'arrache-pied une mine d'enterrement, comme on dit au Cambodge : pour renouer avec tes fantômes, pas de doute, tu es en terrain connu.
Le beau temps se maintient tout l'après-midi. C'est important, car si des funérailles pluvieuses ou venteuses semblent convenir au chagrin funéraire, le soleil persistant nous suggère que la vie peut, et doit, continuer; que parfois la vie doit s'arrêter avant de pouvoir repartir. Tu sembles mûr pour inventer de nouveaux proverbes frappés au coin du bon sens, qui fleuriront le calendrier des marées dans l'almanach du marin breton.

l'église de Saint-Juéry-le Haut
n'est pas très engageante.
Elle est pourtant chaleureuse,
une fois qu'on a poussé la porte.
C'est toujours pareil, 
c'est le premier pas qui coûte.
Tu te dis que quand même, tu progresses : le mois dernier, tu étais en fauteuil roulant dans l'église glaciale de Saint-Juéry (81) pour la messe de funérailles de ta belle-mère, et tu n'en es même pas ressorti avec des pneus neufs. Le seul miracle fut le burn-out poignant du curé, qui prit les vivants à partie par dessus le cercueil de mamie d'Albi, témoignant qu'il était désormais le dernier curé du Tarn, le dernier de son espèce, en chaire et en os, plus que déçu par le refus implicite des participants de partager avec lui le miracle de la transsubstantiation. Seules deux ou trois grenouilles de bénitier s'avancent dans l'allée pour communier par le pain et le vin, alors que cinq minutes plus tôt, tout le monde a chanté les psaumes de bon coeur. 
Enfin, ceux qui s'en rappelaient encore les paroles. 
Il propose alors un amendement à la règle ancestrale jamais dépoussiérée par Vatican II, celle qui stipulait qu'on ne pouvait communier sans s'être confessé avant. Pas d'effet notable. Tu ne te sens pas concerné, tu n'es pas baptisé, t'aimes bien le Christ, tu souhaites ardemment son avènement 2.0, mais tu n'appartiens pas à cette confession. 

l'église de Saint-Juéry-le Bas,
par contre, est passée du côté obscur :
on y célèbre un culte hideux
à des entités cosmiques oubliées.
Ça te donne juste envie de revoir Fleabag, la série anglaise dépressive et si émouvante, avec sa folle perdue et son curé en chaleur, et sa galerie de monstres existentiels, qu'elle apprivoise avec une empathie peu commune dans la fiction contemporaine. 
C'est quand même autre chose que mon curé chez les Thaïlandaises Albigeoises, qui se dit maintenant prêt à endosser les erreurs récentes de l'Eglise, si les paroissiens voulaient bien retrouver le chemin de la messe. Nul ne peut qualifier le silence attentif qui s'ensuit, mais personne ne se précipite non plus pour s'étouffer sur le champ avec des hosties consacrées.
Heureusement que Jankélévitch n'était pas là, sinon il aurait sorti sa blague sur le pardon qui est mort dans les camps de la mort, et ça aurait un peu cassé l'ambiance.

la blague sur le pardon de Jankélévitch
(nombre minimum de joueurs : 2)


Ensuite, le curé revient aux figures imposées par la liturgie : « le Seigneur nous l’a donnée, le Seigneur nous l’a reprise. » ...aah ça, pour se mettre une grosse tôle à base d’un bouquet fané d’émotions tristouilles et branchées regrets, pertes et deuils, on est là. Faut pas nous en promettre. Ton fils, qui est venu spontanément aux funérailles de sa grand-mère, malgré la distance et une logistique compliquée par des grèves récurrentes à la SNCF, t'avait jadis déclaré, fier de sa trouvaille : "je sais ce que t'es, papa, t'es un regretteur." Il t'avait bien capté, ce jour-là. Aujourd'hui, tu ne regrettes rien. Pourvu que ça dure. Et on sort en rangs, pour aller au funérarium, et l'église redevient une coquille vide et froide. 

nous réconcilier ? on n'était pas fâchés.
C'est inutile de se fâcher avec la mort, 
elle a toujours le dernier mot.
En principe.
Presque un mois plus tard, dans les jours qui précédent l'inhumation annoncée de ton ancienne compagne, avec qui tu partageas une vie littéralement antérieure tellement ça te semble ailleurs et concerner d'autres personnes, une fois é-mu au point que s'impose à toi l'inquiétante évidence d'aller rendre un dernier hommage à la disparue, tu as trouvé au dernier moment un CDD disponible pour te remplacer au bureau le jour où tu devais reprendre pied vers le plein emploi, après deux mois et demi de convalescence dans ton canapé, à parler à tes télécommandes, à ton ordinateur plein d'amis imaginaires et bourré ras la gueule d'images de choses qui ne sont pas ces choses, quand l'inspiration te contraignait à descendre l'escalier qui mène à ton bureau sur les fesses, parce que tu as testé les béquilles dans les escaliers, et c'était pas concluant. Sauf à vouloir en finir, en faisant peur au chat et un barouf du diable, mais pas au point de réveiller les morts, qui le sont pour la vie. 
Maintenant, tu parviens à n'écrire que quand tu t'y trouves contraint, pour abréagir la douleur, et c'est tant mieux. Même si au passage tu ne peux sans doute t'empêcher d'en remettre une petite dose. Le chagrin, c'est ta came, quand même, tu l'admets, à force de remuer ton doigt dans ton oeil à propos de cette femme qui fut tienne, même si c'était dans une autre galaxie, fort lointaine, tu te rends compte à quel point la tristesse, c'est ton carburant de base, et même si c'est la seule promesse que la vie tient toujourscomme c'est toi le dealer, la peur du manque te pousse à la surproduction. Et quand un dealer ne produit sa came que pour pouvoir la consommer, c'est pas bon pour le commerce...
Seul un producteur de porno t'avait jadis placé un argument aussi faible sur le plan logique, prétendant tourner ses films pour maitriser sa conso, et éviter ainsi de devenir accro... 
C'était n'importe quoi, et ça l'est resté. Pauvre John B.Root, et pauvre de toi. Mais pas de pitié pour les camés : au fond, tu sais bien que dans ton effort malsain pour tutoyer la mort, instaurer avec elle une certaine familiarité, tenter de l'amadouer par une morbidité joyeuse, et t'en faire une copine, tu ne vises qu'à dévaloriser les craintes que tu en éprouves, depuis qu'on t'a alerté, bébé, sur ta finitude. C'est de cette angoisse que te vient tout le mal.
Alors tu vas prêchant que la mort n’est qu'un passage, et non un état. Blah-blah blah.
Tu serines à ta cousine Séverine qu'à ta conne essence, la vie n’a pas de contraire, et qu'il s'agit de bien voir comment ça marche, et qui coulisse dans quoi. Que pour l'instant, aucun mort n'est venu infirmer ta théorie. Tu replaces dès que tu peux le fragment de Saint Francis qui t'est comme un mantra secret, et qui selon toi révèle la nature égotiste de ta crainte devant la chose, crainte qui n'est pas non plus la chose mais qui la recouvre d'un voile d'inconnaissance, comme le ferait une bâche goudronnée sur le piano du salon. Ça serait dommage : par beau temps, on peut y jouer du Chopin, amer remède à la mélancolie. 
le fragment de Saint Francis : « être conscient, c'est être conscient de ce qui est maintenant, et pas être à l'affut de ce qui était hier ou sera demain ou dans cinq minutes ou quand on va mourir (snif, je me manque déjà). »

une blague un peu éculée sur le sujet

Et justement, pendant ce temps, dans le réel, à la maison, à force d'évoquer ton amour de jeunesse à table, devant ta légitime dont tu partages la vie depuis bientôt 35 annuités non remboursables, celle-ci a fini par déclencher une grève surprise du ramassage des poubelles émotionnelles, tu l'as bien cherché, et tu as été prié d'aller bricoler ton unfinished business ailleurs.  Du travail pas fini, tu ne sais pas vraiment s'il y en a, peut-être que tu te prends juste les pieds du cœur pas lavés dans ton passé troubleu. 

ma belle-mère m'a toujours caché
que quand elle était jeune, sa soeur
n'était pas mal non plus.
Il a fallu que je trouve sa photo
au fond d'un placard
pour m'en apercevoir.
Elle craignait peut-être que je remonte
dans le passé pour épouser Elvire.
Comment lui en vouloir ?
Anyway tu peux bien mimer l'affliction, puisqu'elle est en partie réelle, ce que tu ne peux pas faire c'est recoudre l’irrémédiable, et c'est pas non plus la peine d'envenimer une situation familiale déjà tendue par tes prises de risques en cours, ta tentative de reconnexion à ton émotionnel, l'arrêt du lithium suivi d'un test grandeur nature de microdosage de psychédéliques, et qui t'a mené à ce qui commence à ressembler à une bonne grosse murge émotionnelle, bien que tu ne sois pas vu franchir la ligne rouge que tu t'étais fixée comme garde-fou, mais avec tous ces dépôts d'ordures sauvages en train de cramer doucement aux quatre coins de la baraque, alourdissant l'atmosphère déjà accablée du deuil précédent, cette belle-maman qui était en fin de vie depuis si longtemps qu'on ne croyait plus vraiment à son départ imminent, va savoir si tu y vois encore quelque chose à travers la fumée noire. 
Tu as donc pris ton unfinished business et ta béquille sous le bras, et ta voiture de l'autre main, et tu as roulé 300 km vers le nord, jusqu’à ce petit village d'Armorique peuplé d’irréductibles Gaulois qui résistent encore à l'envahisseur romain et aux fraternités de rétablissement en 12 étapes. Ce village dont tu es aussi issu, tu t'en souviens maintenant que tu arrives sur le port, ça te fait des zigouigouis partout, comme un retour chez soi, alors que tu l'as quitté en 1979. 
Au début du voyage, voulant t’extirper des embouteillages qui paralysaient le périphérique nantais, et qui te faisaient rouler au pas vers l'Armor, tu as pris un projectile inconnu dans ton aile avant gauche, tu as perçu un bruit avant coureur tugudunn tugudunn Schpofffhh !! un missile anonyme tiré d'un angle mort t’a atteint, sans doute un caillou tombé d’un camion. T'arrêtant sur la première aire pour constater les dégâts, ton aile est toute pétée, n’empêche même que, l’aile avant gauche, sans déconner, ça t’a fait sourire, la symbolique du corps, les organes moteurs n’étaient pas touchés, simplement tu partais le coeur à nu…

T'en auras bien pour 700 € de carrosserie, mais quand on aime on ne compte pas...

Tu repenses à ce que tu as manqué avec l'amie défunte, comme avec d'autres, et qui est suggéré dans cet aparté de Flo, qui te revient hanter à marée haute quand la manie de faire des phrases s'empare des marins restés trop longtemps à quai regarder les enseignes des troquets se décrocher du mur par vent fort...
"C’est très simple d'ouvrir le cœur, pas besoin du kamasutra. Il suffit de regarder l’autre comme une fin en soi, et non comme un moyen (pour reprendre l’expression de Kant). De le voir comme un individu, comme une totalité, au lieu de le voir comme le moyen d’obtenir quelque chose pour soi (de la reconnaissance, des sous, du plaisir…). C’est d’ailleurs pour cette raison que les nanas sont frustrées. Elle sont là comme des huîtres et c’est les mecs qui doivent les ouvrir. Dès ce moment, le mec est considéré comme un moyen (le couteau qui va ouvrir l’huître), donc ça ne risque pas de marcher. D’où la frustration. On a juste pété le bord de la coquille, mais l’huître est toujours fermée. Si l’huître pouvait voir qu’elle a en face d’elle un individu, un vrai, ça irait beaucoup mieux. Et vice-versa. Si les mecs arrêtaient de voir les nanas comme des poubelles où déverser leur frustration, ça irait mieux aussi.


rédigé, raclé & repeint en mars / avril 2023
en écoutant à donf tomber la neige 
sur les lunettes de Jan Bang et Eivind Aarset, 
jusqu'à en pleurer des phalanges,
transi dans mon K-Way.
Grâces leur soient rendues.

(à suivre...)

vendredi 10 juin 2022

Comment utiliser des toilettes en gravité zéro

Dans The Expanse, un feuilleton télévisé de science-fiction qui a récemment raté ses adieux au music-hall, ils expliquent bien comment faire l'amour avec un Mormon dans l'espace, mais ils passent sous silence les problèmes qui surviennent quand on tente d'assouvir d'autres besoins naturels (tout aussi légitimes et parfois plus impérieux) en gravité zéro. 
Et pourtant ils passent leur temps à se tirer la bourre entre la Lune, Mars, et la ceinture d'hémorroïdes astéroïdes de Jupiter, donc ça doit bien leur arriver d'aller au petit coin, c'est pas des surhommes. Alors, à force de rechercher obsessionnellement, compulsivement et désespérément un vieux dessin de Daniel Goossens sur une exposition d'art nazi (dans un cimetière) dans mes vieux Fluide Glacial, j’ai retrouvé ce mode d'emploi d'un mini-wc portatif, que j’avais punaisé dans les cabinets d'aisance jouxtant alors la salle de bain dite "des Arabes" que nous appelions ainsi car nous entassions plein de bazar dedans, dans le vaste appartement de la rue Roudil où j'habitai jadis au sein d'une famille unie par de très nombreux goûts communs, dont celui de la scatologie. 
Cette gravure ancienne peut être considérée comme une sorte d'ancêtre à la science des toilettes en gravité zéro.

clique sur l'image, sauve un jipègue, imprime-le et punaise-le dans les cabinets.
Des heures de rire en perspective.
Les amateurs de figuration narrative reconne étron sans pen le style pipi cafka d'Edika, le frère maudit de Carali. Si on avait archivé les œuvres de ces deux scribes égyptiens aux profils pas très grecs dans la bibliothèque d'Alexandrie, les Chrétiens n'y auraient jamais foutu le feu, comme ils le font avec une noire allégresse dans Agora, Mists of Time, le péplum philosophique hispano-maltais réalisé par Alejandro Amenábar en 2009, qui érige une stèle filmique à Hypatie d'Alexandrie, la célèbre philosophe et mathématicienne héllène (célèbre depuis hier soir, quand j'ai regardé le film) qui s'apprête à faire une avancée majeure dans la compréhension du cosmos (en réhabilitant le modèle héliocentrique d'Aristarque et en ayant l'intuition de l'orbite elliptique des planètes) lorsque la situation politique prend un tour dramatique avec la conversion de l'empereur au monothéisme, et elle finit massacrée en l'an 415 de notre ère par un groupe de moines enivrés de christianisme.
la tache sur la conscience de l'Eglise
n'est pas plus Hypatie au lavage
que celle sur la robe de Rachel Weisz,
qui pourtant lave plus blanc.
En principe.
Elle incarnait tout ce qu'ils exécraient : elle était femme, elle était libre, elle était belle et côtoyait les hommes de pouvoir tout en étant femme d'influence, son monde n'était pas peuplé de dogmes édictés par un dieu jaloux à partir de "vérités" préétablies, elle allait aux cabinets quand ça lui chantait. 
Et si ça se trouve, elle avait pressenti les Mystères des Toilettes en gravité zéro, irrémédiablement perdus dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie.
Le film est courageux, mais un peu chelou, et prend beaucoup de libertés avec la vérité historique. Oncle Wiki rappelle en tirant sur sa cyber-pipe que Hypatie a été massacrée de façon bien plus cruelle que ne le montre le film. On peut retrouver le récit de sa mort dans le livre septième de l'Histoire de l’Église écrite par Socrate le Scolastique. Jean de Nikiou au viie siècle apr. J.-C. écrit : « Et ils (les chrétiens menés par Pierre le Lecteur) déchirèrent ses vêtements et la firent traîner dans les rues de la ville jusqu'à ce qu'elle mourût. » Le film ne dit pas que ce lynchage est resté une tache sur la conscience de l'Église, comme l'ont écrit des théologiens chrétiens dès cette époque.
C'est bien triste. Et beaucoup plus tard, dans mes cabinets du boulevard de Belleville, j’ai longtemps affiché le dessin de Charb "Non à la légalisation du cannabis" paru dans Charlie Hebdo au début des années 90. C'était de mon âge. D'autant plus que j'étais en train de devenir malade alcoolique, et qu'à chaque fois que je fumais un pétard, je prenais cosmiquement conscience de ma dépendance croissante à l'alcool, alors j'avais cru prendre une décision d'adulte en m'interdisant tout à fait les cigarettes mal roulées.

clique sur l'image, sauve un jipègue, imprime-le et punaise-le dans les cabinets.
Et va plutôt t'acheter un pied de peyotl chez Zamnesia.
Evidemment, Edi(pipica)ka, le chantre de l'obscénité politiquement correcte, est toujours vivant, alors que Charb, qui aimait bien mettre de l'huile sur le feu, voire transformer les bouteilles d'huile de Rachid en cocktails molotov, couic. Ou plutôt Vrououf. Victime des fondamentalistes monothéistes, comme Hypathie.
Alors maintenant, dans les cabinets, j’ai une pile des derniers numéros de Téléramadan, comme papi et malou, et je gagne un temps précieux en lisant toutes les critiques des films et des séries télé dont je pourrais ainsi parler sans les avoir vus si j’avais des amis.

"Sans mentir, l'ange Gabriel il en avait une grosse comme ça"
J'essaye de provoquer les fondamentalistes de Télérama,
pour déclencher une guerre sainte en reprenant les recettes les plus éculées de Hara-Kiri,
mais ils me voient venir, et ne réagissent pas.
Mon style parodique est définitivement has been.
Et tout cela ne nous dit pas quelles précautions prendre pour utiliser des toilettes en gravité zéro. Mais au fait, ça me revient maintenant, c'était là, sous nos yeux, en évidence dès le début, ce truc qui manque dans The Expanse et qu'il y avait sous forme de gag très sérieux dissimulé en plein écran à la vue de tous par Stankey Lubrik dans 2001, l'Odyssée de l’espace.

dans une séquence de 2001, l'Odyssée de l'espace, le Dr Haywood Floyd lit très attentivement
les instructions affichées avant d'utiliser des toilettes à gravité zéro.
C'est vraiment de la science-fiction, car les humains ne lisent jamais les avertissements
ou les modes d'emploi avant utilisation. Surtout dans des toilettes.
Ce commentaire est insultant (les geeks lisent tout ce qui leur tombe sous les yeux), et erroné : je me souviens très bien avoir lu il y a bien longtemps, dans une autre galaxie et dans les toilettes en gravité 1 de la Rockfabrik de Stuttgart un truc en allemand qui disait sur le côté de la chasse d'eau "appuyez ici, et si possible avec la main". On pouvait y jouer de l'air guitar en bois, et pisser partout dans les toilettes, à condition d'appuyer ensuite avec la main. On se serait alors cru dans une bédé d'Edika.

La Rockfabrik de Stuttgart était en fait à Ludwigsburg, mais elle a fermé ses portes en 2019.

Concernant le tutoriel (qui peut s'avérer si précieux dans le futur) pour se soulager en gravité zéro, une bande de geeks a bien sûr exhumé l'intégralité des instructions dissimulées à la vue de tous dans le photogramme du film de Kubrick.
https://boingboing.net/2021/08/17/instructions-for-the-zero-gravity-toilet-in-2001.html
En voici une traduction automatique assez fidèle :

Les toilettes sont du type standard à gravité zéro. Selon les besoins, il est possible d'utiliser le système A et/ou le système B, dont les détails sont clairement indiqués dans le cabinet de toilette. Lors de l'utilisation du système A, appuyez sur le levier et un éliminateur de dalkron en plastique sera distribué par la fente immédiatement en dessous. Lorsque vous avez fixé la lèvre adhésive, fixez le raccord marqué par le grand tuyau de sortie “X”. Tournez l'anneau argenté d'un pouce sous le point de connexion jusqu'à ce que vous sentiez qu'il se verrouille.
Les toilettes sont maintenant prêtes à l'emploi. Le nettoyant Sonovac est activé par le petit interrupteur sur la lèvre. Lors de la fixation, remettez l'anneau dans son état initial, de sorte que les deux lignes orange se rencontrent. Déconnectez-vous. Placer l'éliminateur de dalkron dans le réceptacle à vide à l'arrière. Activez en appuyant sur le bouton bleu.
Les commandes du système B sont situées sur le mur opposé. L'interrupteur de déverrouillage rouge place l'uroliminator en position ; il peut être ajusté manuellement vers le haut ou vers le bas en appuyant sur le bouton bleu de déverrouillage manuel. L'ouverture est autoréglable. Pour sécuriser après utilisation, appuyez sur le bouton vert qui active simultanément l'évaporateur et ramène l'uroliminator dans sa position de stockage.
Vous pouvez quitter les toilettes si le voyant de sortie vert est allumé au-dessus de la porte. Si le voyant rouge est allumé, l'une des installations sanitaires n'est pas correctement sécurisée. Appuyez sur le bouton d'appel « Hôtesse de l'air » à droite de la porte. Elle sécurisera toutes les installations depuis son panneau de contrôle à l'extérieur. Lorsque le voyant de sortie vert s'allume, vous pouvez ouvrir la porte et partir. Veuillez fermer la porte derrière vous.
Pour utiliser la Sonoshower, commencez par vous déshabiller et placez tous vos vêtements dans le portant. Mettez les pantoufles velcro situées dans l'armoire juste en dessous. Entrez dans la douche. Sur le panneau de commande en haut à droite en entrant, vous verrez un bouton “Joint de douche”. Appuyez pour activer. Un feu vert s'allumera alors juste en dessous. Sur le bouton d'intensité, sélectionnez le réglage souhaité. Appuyez maintenant sur le levier d'activation Sonovac. Baignez-vous normalement.
Le Sonovac s'éteindra automatiquement au bout de trois minutes, sauf si vous activez l'interrupteur de neutralisation "Arrêt manuel" en le retournant vers le haut. Lorsque vous êtes prêt à partir, appuyez sur le bouton de déverrouillage bleu “Joint de douche”. La porte s'ouvrira et vous pourrez partir. Veuillez retirer les chaussons velcro et les placer dans leur contenant.
Si le voyant rouge au-dessus de ce panneau est allumé, les toilettes sont en cours d'utilisation. Lorsque le feu vert est allumé, vous pouvez entrer. Cependant, vous devez suivre attentivement toutes les instructions lors de l'utilisation des installations lors d'un vol en roue libre (Zero G). À l'intérieur, il y a trois installations : (1) le Sonowasher, (2) le Sonoshower, (3) les toilettes. Tous les trois sont conçus pour être utilisés dans des conditions d'apesanteur. Veuillez respecter la séquence des opérations pour chaque installation individuelle.
Deux modes pour Sonowashing votre visage et vos mains sont disponibles, le mode « serviette humide » et le mode nettoyeur à ultrasons « Sonovac ». Vous pouvez sélectionner l'un ou l'autre mode en déplaçant le levier approprié sur la position “Activer”.
Si vous choisissez le mode “serviette humide”, appuyez sur le bouton jaune indiqué et retirez l'article. Lorsque vous avez terminé, jetez la serviette dans le distributeur sous vide, en maintenant le levier indiqué dans la position “active” jusqu'à ce que le voyant vert s'allume… indiquant que les rouleaux ont complètement passé la serviette dans le distributeur. Si vous désirez une serviette supplémentaire, appuyez sur le bouton jaune et répétez le cycle.
Si vous préférez le mode de nettoyage par ultrasons « Sonovac », appuyez sur le bouton bleu indiqué. Lorsque les panneaux jumeaux s'ouvrent, tirez vers l'avant par les anneaux A & B. Pour le nettoyage des mains, utilisez dans cette position. Réglez la minuterie sur les positions 10, 20, 30 ou 40… indiquant le nombre de secondes nécessaires. Le bouton à gauche, juste en dessous de la lumière bleue, a trois réglages, bas, moyen ou haut. Pour une utilisation normale, le réglage moyen est suggéré.
Une fois ces réglages effectués, vous pouvez activer l'appareil en basculant sur la position “ON” l'interrupteur rouge clairement marqué. Si pendant l'opération de lavage, vous souhaitez modifier les réglages, placez l'interrupteur de dérogation "arrêt manuel“ en position ”OFF". vous pouvez maintenant faire le changement et répéter le cycle.

C'est quand même d'une autre envergure que la blague d'Edika sur le mini-wc portatif; mais attention (lire attentive ce que ici-en bas) :

De toutes façons, quel que soit le degré de sophistication des blagues de cabinet en gravité zéro, c'est un peu l'ironie du désespoir, car je nous sens collectivement assez mal engagés pour aller essaimer, et donc déféquer, dans l'espace. Ou alors, une petite élite ultra-nantie, comme Elon Musk et ses happy few à la fin de Don't Look up
Tant qu'on reste le chainon manquant entre le Singe et l'Homme, on est une espèce assez nuisible, pour elle-même comme pour la planète, et on risque de suffoquer sous nos propres déjections d'ici peu, qu'elles flottent autour de nous en apesanteur ou qu'elles gisent au sol.

Sinon, pour se chier dessus en partant dans l'espace, y'a aussi les plantes enthéogènes.
Grâce à la mondialisation, j'ai planté Peyotl et San Pedro sur ma fenêtre,
mais tant qu'il ne fait pas 50° en permanence, la chair des dieux n'y pousse que très lentement.
Dans l'attente du réchauffement climatique, je suppose que cela fera l'objet d'un prochain épisode.

[EDIT] : quelques semaines plus tard, je m'aperçois qu'écrire sur ce blog, pendant 15 ans,
ça a vraiment été une expérience assez proche de la défécation en gravité zéro. 
No comment.

mardi 14 décembre 2021

Les fils qui se touchent (2) : la réalité historique du fait religieux

« Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse »
(1 Corinthiens 1:22-24)


Cette histoire de fils de Marie qui se laisse toucher trouvée dans une petite église de Mayenne la semaine dernière, ça m'a intrigué, quand même. Est-ce que c'était un curé bien intentionné qui avait voulu dire que si on priait, on était entendu par Jésus ? Ou autre chose ? J'ai rentré la phrase ambigüe dans un moteur de recherche; bingo.
En plein dans l'apparition de la Vierge Marie survenue le 17 janvier 1871 dans le petit village de Pontmain, en Mayenne. A la suite de quoi le culte de Notre-Dame de Pontmain se répand, et en 1920, l'évêché obtient du Vatican la création d'un office et d'une messe spécifique. 
Lors de l'évènement surnaturel, le pays était alors envahi par les Boches. 
Les apparitions mariales, c'est souvent dans des périodes de grande difficulté pour le pays, donc on ne devrait plus tarder à la voir se radiner à nouveau face à la menace zemmouro-pandémique, sans parler de la diabolisation du foie gras de canard vegan pour Noël.
"Sept enfants au total déclarent voir « une belle dame », mais seuls les trois plus âgés seront reconnus officiellement par l’Église lors de la reconnaissance officielle de l'apparition. L'apparition débute vers 18 h, et va durer environ 3h. Elle regroupe progressivement les habitants du village, qui ne voient rien, sauf quelques enfants qui décrivent les évolutions de la vision au cours du temps, au rythme des prières de l'assemblée. Dès le lendemain le curé du village interroge les enfants et note un premier récit avant d'en informer l'évêque. Très vite une enquête canonique est ouverte, et un an plus tard, le 2 février 1872, Mgr Casimir Wicart reconnaît officiellement l'apparition de la Vierge de Pontmain, et autorise sa dévotion."
Cette grosse pute laïque et mécréante de wikipédale occulte l'essentiel :
La Vierge Marie est apparue dans le Ciel, puis des mots se sont "affichés" par la suite au dessous d'elle:
MAIS PRIEZ MES ENFANTS
DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS
MON FILS SE LAISSE TOUCHER

Heureusement qu'il existe d'autres sources d'info, moins sujettes à controverse :


Et voilà. C'est quand même pratique, internet, pour éviter de blasphémer à tort et à travers. Rappelons que les apparitions mariales n'engagent que ceux qui y assistent, et ceux qui les croient. Et ceux qui croient y avoir assisté à partir du récit qu'on leur en a fait.
Sur le sujet, j 'aimerais bien voir le film "L'apparition" de Xavier Giannoli, mais je suis un peu au taquet.

jeudi 10 décembre 2020

Le boum du tourisme chamanique

Publié dans Le Monde le 02 août 2019

ENQUÊTE Rassemblements, conférences et études se multiplient en Occident, et les voyages en terres chamaniques se banalisent.

La France aussi a ses passionnés de chamanisme. Du 28 août au 1er septembre, la première Université d’été du chamanisme ouvrira ses portes à Cogolin (Var). Elle sera animée par « des scientifiques, des chercheurs, des anthropologues, des écrivains et des représentants de traditions celte, néo-zélandaise, maori, shintoïste, congolaise et mexicaine », nous dit-on au Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales, qui a déjà orchestré du 25 au 28 avril à Genac (Charente) le douzième Festival du chamanisme. L’événement, alternant débats, évocations de la « Terre-Mère » et cérémonies coutumières, a accueilli « 180 chamans et femmes ou hommes médecines » venus des cinq continents, et attiré quelque 4 000 visiteurs.
Cet engouement pour le chamanisme, considéré par certains anthropologues comme la religion originelle de l’humanité, se manifeste en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada depuis une quinzaine d’années. Rassemblements, conférences, cursus universitaires se succèdent, et des milliers d’Occidentaux se rendent régulièrement en Amazonie pour participer avec des chamans guérisseurs (curanderos, de l’espagnol curar, « soigner ») à des rituels de prise d’ayahuasca (du quechua aya, « défunt », « esprit », « âme », et huasca, « corde », « liane »), une boisson indigène médicinale hallucinogène à base de plantes macérées. D’après le médecin et historien équatorien Plutarco Naranjo, auteur de Mitos, tradiciones y plantas alucinantes (Université Simon Bolivar, 2012, non traduit), l’ayahuasca est utilisée depuis 2000 à 4000 ans par les Amérindiens, qui la surnomment « la liane de l’âme ». M. Naranjo reproche d’ailleurs à Claude Lévi-Strauss d’avoir sous-estimé l’importance des plantes psychoactives dans les civilisations précolombiennes.


Cet intérêt occidental pour le chamanisme amazonien et « l’expérience ayahuasca » a été initié par des personnalités comme Tori Amos, Paul Simon, Sting ou Oliver Stone, et popularisé par les films de Jan Kounen (Blueberry et D’autres mondes, 2004) et Gaspard Noé (Love, 2015). Il s’amplifie d’année en année, tant en Amérique latine, où des centres de plus en plus luxueux s’ouvrent, qu’en Occident. De nombreux curanderos se déplacent désormais pour organiser des séances sous ayahuasca en Europe et aux Etats-Unis, et viennent expliquer leurs pratiques et leur philosophie à divers colloques, comme à la sixième Conférence mondiale Ayahuasca, qui a rassemblé, du 31 mai au 2 juin, à Gérone (Espagne), de nombreux chercheurs en sciences humaines, activistes et chamans à l’initiative de l’International Center for Ethnobotanical Education Research and Service (Iceers). Sa profession de foi : « Nous envisageons un avenir où les pratiques liées aux plantes psychoactives sont valorisées et font partie intégrante de la société. Nous le faisons en abordant certaines des questions fondamentales résultant de la mondialisation de l’ayahuasca et d’autres ethnobotaniques. »

Le « néochamanisme » en débat


Qu’est-ce qui pousse ces milliers d’Occidentaux à s’intéresser aux cultures chamaniques, très éloignées des nôtres, et à consommer un puissant hallucinogène contenant du diméthyltryptamine (DMT, interdit en France), déclaré dangereux par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? Un grand débat sur ces questions agite tant les médias et les anthropologues que les spécialistes des religions, qui parlent aujourd’hui de « néochamanisme ». D’un côté, l’anthropologue Jean-Loup Amselle, directeur d’études à l’EHESS, auteur de l’enquête Psychotropiques. La fièvre de l’ayahuasca en forêt amazonienne (Albin Michel, 2013), l’analyse comme une nouvelle forme de tourisme exotique séduisant la classe moyenne occidentale en mal de voyages dépaysants et d’expériences psychédéliques. Il décrit des « chamans operators » n’exerçant plus dans leurs communautés natives, intervenant dans des « lodges entourés de palissades et de gardes armés » qui « isolent les touristes du monde social amazonien ». « Ce tourisme chamanique, assure-t-il, est promis à un bel avenir dans le cadre du déclin des grands récits et de la floraison des nouvelles spiritualités new age et des grands thèmes du romantisme naturaliste. » Critique, il parle d’« une montée de l’irrationnel », d’« un dérivatif vers un monde extra-humain », d’une inquiétante fuite narcissique, d’une forme de « dépolitisation », et évoque les dérives sexistes et sectaires de certains chamans.
L’anthropologue Barbara Glowczewski, médaille d’argent 2018 du CNRS, qui travaille depuis quarante ans avec les aborigènes, défend un point de vue très différent. Elle participe depuis trois ans au Festival du chamanisme de Genac, où elle a fait venir des délégations d’Aborigènes, de Guyanais, de Polynésiens et de Yézidis, et souligne tout l’intérêt de ces rencontres : « De passionnants débats se sont tenus, où les représentants des communautés et les chamans, dont la culture est menacée, ont pu exposer leur situation, échanger, imaginer des alliances. Le public a expérimenté leurs rituels collectifs avec bienveillance, souvent ému et enthousiaste des soins individuels qu’ils procurent. »
Auteure de Rêves en colère (Plon, 2004), qui a contribué à faire connaître le concept aborigène d’espace-temps des rêves ou « dreaming », Barbara Glowczewski a travaillé avec des chamans australiens. Elle a réalisé, en 2017, un entretien filmé avec le guérisseur Lance Sullivan, qui explique sa manière – tant physique que spirituelle – de soigner selon la tradition de son peuple, les Yalarrnga. L’anthropologue souligne qu’aujourd’hui, des chamans aborigènes, hommes et femmes, interviennent dans plusieurs hôpitaux d’Australie du Sud et sont réputés pour soigner des problèmes rénaux. Elle rappelle que de plus en plus de scientifiques reconnaissent la pertinence des savoirs des chamans sur les plantes médicinales, les énergies terrestres, les étoiles et le climat.

Dialogues Nord-Sud

Barbara Glowczewski trouve important que des habitants des pays riches qui refusent « la destruction des milieux de vie par les industries extractives et les désastres écologiques cherchent des sources d’inspiration auprès des peuples autochtones et des cosmovisions chamaniques pour lesquelles la terre et l’eau sont vivantes et les plantes “enseignantes” ». C’est justement ce qui attire les jeunes Occidentaux qui cherchent une nouvelle relation au monde, et « tentent précisément d’expérimenter le fait que nous pouvons être habités ou traversés par des entités naturelles, esprits animaux, végétaux, feu ou pluie ». L’anthropologue y décèle « l’apparition de nouvelles manières d’habiter la Terre, plus respectueuses, où les humains cherchent à retrouver des liens spirituels avec toutes les formes du vivant ». « Il ne s’agit pas d’exotisme, mais d’explorer ce que l’Occident a perdu, de se réancrer avec la mémoire des lieux », insiste-t-elle.
Ce mouvement d’échanges et de dialogues Nord-Sud, réévaluant l’apport du chamanisme à la culture mondiale et à la pensée écologique, ne date pas d’aujourd’hui, rappelle Barbara Glowczewski. Il poursuit l’évolution des conceptions de nombreux chercheurs en sciences humaines qui ont réétudié la richesse de la « pensée sauvage ou archaïque », leur manière de considérer la nature, et revisité la notion de chaman. Le mot vient du toungouse « saman ». Il signifie « remuer l’arrière-train » et désigne l’agitation du rut animal. Les Toungouses vivent en Sibérie, où ils ont longtemps pratiqué la chasse aux rennes. Animistes, ils pensent que les animaux sont dotés d’un esprit, auquel le chaman s’adresse. Pour ce faire, comme l’explique l’anthropologue Roberte Hamayon dans Le Chamanisme (Eyrolles, 2015), il se choisit une femelle renne imaginaire, qu’il séduit au cours d’une cérémonie où, jouant du tambour, portant des ramures, « il simule un renne mâle, brame, donne des coups de tête pour faire fuir les rivaux, roule des hanches ». Une danse qualifiée de « diabolique » par les prêtres chrétiens.
« Epousant » la femelle en esprit, le chaman pénètre alors l’univers des
rennes afin de s’attirer leurs faveurs, et d’apporter chance et divination aux chasseurs de sa communauté. C’est là, explique Roberte Hamayon, le rôle essentiel du chaman, au sens premier. Mais, à la fin du XIXe siècle, on découvre son rôle de guérisseur, tandis que dans les pays colonisés, les Européens observent l’action des « sorciers », des « magiciens » et autres « hommes médecines » autochtones, assistent à des séances de possession et à des cérémonies d’évocation des esprits (de la nature, des ancêtres), souvent assorties de consommation de breuvages psychotropes. Bientôt, les ethnologues du début du XXe siècle se disputent sur le rôle social, la fonction – guérisseur, prêtre, sorcier ? – de tous ces « chamans ».

Transes psychédéliques

En 1951, Mircea Eliade publie Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, la première étude comparative de ces pratiques animistes, dans laquelle il préconise de ne pas limiter la notion de chaman aux devins sibériens, mais de l’étendre à tous leurs homologues des sociétés premières. Pour M. Eliade, contredisant le mépris chrétien, le chamanisme constitue la « première mystique ». Il voit le chaman comme un « psychopompe » réalisant un « vol magique » dans un monde d’esprits, explorant des états modifiés de conscience ou « transes », grâce à des psychotropes ou à d’autres techniques (jeûnes, musiques…). Il définit le chamanisme comme l’expérience religieuse primordiale. Il l’universalise. Même si M. Eliade a été critiqué pour certaines généralisations, cette conception a réévalué le rôle spirituel du chaman et marqué l’anthropologie. C’est elle qui séduit aujourd’hui les passionnés de néochamanisme, qui veulent à leur tour « chamaniser ».
David Dupuis, anthropologue à l’université de Durham (Royaume-Uni), qui a codirigé le numéro 17 des Cahiers d’anthropologie sociale, titré « Images visionnaires » et consacré aux visions suscitées par la tabernanthe iboga, le peyotl et l’ayahuasca, avance une autre raison à cet engouement : l’histoire mouvementée de la découverte, au XXe siècle, des propriétés psychédéliques des plantes chamaniques « par des ethnologues, certains chimistes, les écrivains beatniks et nombre d’artistes pop ».
Un des pionniers de cette exploration est Albert Hofmann, chimiste de la firme Sandoz, qui teste, le 19 avril 1943, une microdose d’un alcaloïde tiré d’une moisissure de l’ergot du seigle, un champignon responsable de plusieurs cas de folie collective au Moyen Age. Il s’agit de l’acide lysergique ou LSD. Cette expérience, au cours de laquelle il ressent l’effroi – « un démon sarcastique triomphait de ma volonté » –, des visions fantastiques – « des images multicolores arrivaient sur moi, s’ouvraient en cercles ou en spirales » –, puis l’extraordinaire « impression que le monde a été recréé », le mène à s’intéresser aux effets psychoactifs des plantes utilisées dans les rituels dionysiaques grecs et les transes chamaniques.

Castaneda et l’« herbe du diable »

« Il n’est pas le seul à l’époque », rappelle David Dupuis. En effet, en 1955, l’ethnomycologue Robert Gordon Wasson est le premier Occidental à participer, à Oaxaca (Mexique), à une cérémonie de prise d’un champignon sacré, supervisée par la curandera mazatèque Maria Sabina, et à éprouver une intense connexion avec la nature. En 1957, dans Mushrooms, Russia and History (Pantheon Books), Wasson révèle au grand public l’importance des champignons psychotropes – « la chair des dieux », d’après les Mayas – dans de nombreuses traditions chamaniques et religieuses autour du monde.
Parallèlement, dans les années 1950 et 1960, les écrivains beatniks William Burroughs et Allen Ginsberg partent prendre du yagé (l’ayahuasca) en Amazonie avec des curanderos, et rapportent des expériences mystiques : « J’ai commencé par ressentir ce que je pensais être l’Etre suprême, un fragment de Lui, pénétrant mon esprit comme un grand vagin mouillé », écrit Ginsberg. Entre 1968 et 1977, l’anthropologue américain d’origine péruvienne Carlos Castaneda relate, dans plusieurs best-sellers, les enseignements du chaman yaqui Don Juan Matus et de son « herbe du diable », tandis que les Beatles et le professeur de Harvard Timothy Leary popularisent les champignons psychotropes et le LSD, qu’ils considèrent comme des « amplificateurs de conscience ».
Toutes ces recherches, ces voyages, ces « trips » font qu’en 1979 un collectif d’ethnobotanistes et de mythologues américains, dont Wasson, le professeur d’études classiques Carl Ruck et le botaniste Richard Schultes, forge le concept d’« enthéogène » – du grec entheos, « être inspiré », « possédé par le divin », et genesthai, « qui vient dans l’Etre » – pour qualifier les plantes psychotropes utilisées dans de nombreuses civilisations à des fins religieuses et spirituelles. Ils avancent que les transes des Mystères d’Eleusis, en Grèce, s’expliquent par l’ergot de seigle contenu dans la boisson prise par les initiés, le kikeon. A leur suite, plusieurs anthropologues et préhistoriens (Weston La Barre, Jean Clottes, David Lewis-Williams, Michael Harner…) se sont demandé si les plantes psychédéliques n’ont pas joué un rôle décisif dans l’émergence du sentiment mystique et religieux dans l’humanité – une conception bien sûr très critiquée.

« Voie de salut »

David Dupuis estime que ce mouvement de recherches, tant expérimentales et anthropologiques que littéraires, a inspiré la vogue chamaniste contemporaine. Ses adeptes ne cherchent plus tant dans les drogues, comme les jeunes générations des années 1990, une plus-value ludique, festive ou sexuelle, mais une expérience enrichissante, entre la psychanalyse sauvage, le voyage spirituel et la connexion visionnaire avec la nature : une expérience « enthéogène ». Par ailleurs, ajoute M. Dupuis, avec la mondialisation, Internet et l’accélération des échanges Nord-Sud, les voyages éprouvants et solitaires des beatniks à la recherche des chamans et des magic mushrooms se sont démocratisés. Banalisés. Et commercialisés…
Plusieurs enquêtes sur la vogue néochamaniste ont été menées par l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence, sous la houlette du philosophe et sociologue Raphaël Liogier, qui l’a dirigé de 2006 à 2014. Il fait une analyse proche de celle de M. Dupuis : « Le chamanisme a tout pour plaire à des Occidentaux en perte de mythologie, inquiets des ravages du matérialisme, parce qu’il symbolise la religion non dévoyée, plus spirituelle que religieuse, non monothéiste donc non dogmatique ni moraliste, écologique car sacralisant la Terre-Mère, enfin visionnaire et extatique grâce à la prise de plantes psychotropes. »
Le chamanisme, a constaté M. Liogier, a également l’avantage de se présenter comme « une médecine holistique soignant l’esprit et le corps en même temps », et favorisant donc toutes « les pratiques spontanéistes pour se retrouver, s’exprimer, lever ses blocages ». Voilà pourquoi les festivals chamaniques se sont multipliés, où le public s’exerce « à l’ensauvagement en redevenant son animal de pouvoir, tel que l’a décrit Carlos Castaneda », s’enferme « dans les huttes de sudation des Sioux Dakota pour un vol spirituel » ou se « libère de son stress grâce à la danse de la lune noire ».
Pour le sociologue, qui publie à la rentrée un Manifeste métaphysique (LLL, avec Dominique Quessada), toutes ces pratiques n’illustrent pas une régression dans l’irrationnel, ni la nostalgie d’un monde primitif perdu, mais perpétuent au contraire « la quête radicale d’une individualité hypermoderne libérale décidée à tout essayer pour s’autonomiser et s’épanouir, pour qui le chamanisme et les enthéogènes relèvent d’une pratique de développement personnel ». Plus encore, continue M. Liogier, en se pensant « tous chamans », « les individus globalisés espèrent échapper à leur finitude et au risque planétaire en cherchant de nouveaux mythes et une voie de salut dans des expériences visionnaires inspirées par ceux qui croient encore à la puissance régénératrice de la nature et ne sont pas responsables du désastre environnemental ». Tous chamans aujourd’hui. Et demain ?

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C'est vrai, ça, et demain ? Où aller prendre de l'ayahuesca pour les fêtes ? 
Jean Castex vient de trancher : chez mamie d'Albi, mais pas entre 20 h et 6h.