mardi 4 décembre 2018

Délirium très mince (More than rain)

Pas d'affolement & pas d'outrage :
on n'y vendait pas de porc halal.
Je ne fréquente plus les bars depuis un certain nombre de 24 heures, comme on dit dans le mouvement, c'est pour ça que j'ignore que le café Death Porc a fermé il y a deux ans quand j'y donne rendez-vous à une jeune femme qui m'a parlé au téléphone de son désir d'arrêter de boire. Quelqu'un lui a transmis mon numéro, elle m'a appelé en me confondant avec la personne qui lui avait donné mon contact, je lui ai brièvement expliqué mon parcours à base de meetings Alcooliques Anonymes, et nous avons convenu de nous retrouver une demi-heure avant la prochaine réunion, qui a lieu ce dimanche pluvieux à 19 heures. Sauf que le café Death Porc a fermé il y a deux ans, vous êtes bouchés ou quoi ? c'est con, j'aurais bien aimé y siroter une limonade de son vivant, sur son emplacement s'érige au jour d'aujourd'hui un bistrot crépi d'écarlate qui ne me dit rien qui vaille, pas la moindre Servante entrevue à travers la vitre, et C. m'attend sous la plouie depuis 10 minutes, j'étais coincé dans un bouchon, nous nous rabattons sur le Délirium, orné d'un éléphant rose, et situé de l'autre côté des Bains Douches municipaux qui abritent aussi la maison des associations de winners anonymes tels que les AA, les NA, Prostate 44... on s'engouffre dans l'estaminet, et là, c'est le drame : ils passent Rain Dogs, un vieux Tom Waits que je n'ai quasiment pas acoustiqué depuis que j'ai posé mon verre, en '92, et rien que d'entendre le refrain de More Than Rain au début de la face B, j'ai tout qui me remonte...

It's more than rain that falls on our parade tonight
It's more than thunder 
And it's more than a bad dream now that I'm sober
Nothing but sad times...

La blague à la con sur Dieu qui marche toujours 
au début de la phase d'alcoolisation
Cette chanson qui résonne comme une ordonnance pour fanfare anémiée n’est pas vraiment une réclame pour l’arrêt de la boisson. Faut dire que sans Tom Waits, je ne serais peut-être pas devenu malade alcoolique de manière aussi rapide et  enthousiaste. Il semblait incarner une publicité vivante pour le produit, et m’a longtemps servi de prétexte et de modèle pour boire. Comme j’étais très fan, je me suis longtemps demandé, avant et après avoir cessé de consommer, si ce mec avait vraiment bu tant que ça ou si c’était du flan, et s'il était aussi sobre désormais qu'il le prétendait en '87 dans More than Rain, je n'ai jamais eu la réponse parce que c'était avant internet, et entre-temps j'ai oublié la question parce qu'elle a perdu toute espèce d'importance, Hortense, mais dans la nuit qui suit cette réunion dominicale de novembre 2018, elle me revient en tête et je pars à la pèche, je ne dors pas beaucoup en ce moment et au bout d'un temps certain je tombe là-dessus :
où Tom raconte comment sa femme l'a sauvé en l'amenant à fréquenter les AA et à poser son verre, et où il fait la part des choses.
 "I mean, one is never completely certain when you drink and do drugs whether the spirits that are moving through you are the spirits from the bottle or your own. And, at a certain point, you become afraid of the answer. That’s one of the biggest things that keeps people from getting sober, they’re afraid to find out that it was the liquor talking all along."
© Daniel Goossens
(à gauche sur la photo)
Incroyable ! ça fait 30 ans que j'espérais qu'il lui fut arrivé la même chose qu'à ouam ! Merci la programmation musicale du Délirium ! Merci à ma Puissance Supérieure !
Tom Waits est des nôtres !
il est Témoin de Gévéor comme les autres !
Je ne fréquente plus les réunions AA depuis des années, je ne bois pas, je n'ai pas soif, je n'ai pas envie d'aller m'y vanter des mérites que je ne m'attribue pas, je préfère me la péter en solitaire sur mes blogs, je n'avais pas du tout prévu de devenir dépendant de ce produit - ni d'aucun autre, d'ailleurs - j'estime avoir restauré une bonne santé qui préexistait à l'apparition du symptôme alcool et ne vois donc nulle raison de me réjouir, je ne ressens pas non plus le besoin maladif d'aller exposer en réunion AA mes vues hypo-dépressives sur l'évolution de mes apnées du sommeil spirituel en me morigénant de ne pouvoir pour aujourd'hui (comme il est dit dans Notre Méthode) appliquer le programme de rétablissement qui nous est suggéré dans d'autres domaines de ma vie, et ces idées font sans doute partie de la maladie, d'ailleurs je les expose aisément en réunion, puisque coucou, m'y revoualou.
Pourtant, après avoir accompagné C. en réunion ce dimanche sans avoir fourni d'effort particulier, lié que je suis par le serment de Toronto, j'y dénombre 2 pelés & 3 tordus anonymes mais très sympa, c’est agréable d’être accueilli aux AA quel que soit le nombre d'années d'absence, y’a pas beaucoup de groupes humains capables de cette chaleur "à froid", ça procure un attachement positif, ça prouve que le mouvement reste vraiment tourné vers le meilleur de ce « désir sincère d’arrêter de boire » et de continuer d’arrêter, et de la joie sans mélange issue de la libération de l'esclavage !
Et si je suis capable de retrouver le chemin des réunions pour quelqu'un qui a sollicité mon aide pour pousser la porte, il existe quelqu'un d'autre à qui ça ne ferait sans doute pas de mal d'y retourner s'y confronter à d'autres alcooliques plus ou moins rétablis, parce qu'il est plus qu'un peu sorti du programme de rétablissement qui lui est suggéré au cours des dernières 24 heures et de celles qui les précèdent, et dès le lendemain je me fais la réunion du lundi rien que pour moi, et je retrouve mes potes âgés qui m'accueillent eux aussi comme s'ils m'avaient vu la semaine précédente, et le jeudi j'en fais une troisième avec C. et j'y retrouve un mec que je croisais dans les meetings à Paris il y a 25 ans, et ça ne me laisse pas insensible.



Ca m'est arrivé d'être en déplacement (en France mais aussi en principe à l’étranger), d'aller à une réunion AA et de m’y sentir chez moi. Le mois dernier, une journaliste m'avait spontanément filé un contact à Ajaccio pour y aller, ça aurait été rigolo, mais je suis resté collé à un autre CDD plombier polonais continental subjugué comme moi par l'insularité locale.

En quête d’un minimum d’honnêteté sinon c’est pas la peine de venir, lorsqu’on me passe la parole en réunion je dois reconnaitre que je traverse une période un peu perturbée, j’ai chopé un attachement là où je ne m’y attendais pas, il était sans doute là en germe, attendant les circonstances favorables pour s’épanouir, et maintenant l'obsession est là pour que je m'en éloigne, en attendant c'est inconfortable. Heureusement la philosophie AA aurait tendance à me ramener aux fondamentaux. Et puis grâce aux meetings j’irrigue mon cerveau en faisant des choses nouvelles, l'autre soir j’étais ravi d'arpenter ces quartiers de la ville dont je ne suis pas familier, j'adore marcher, d’ailleurs je me suis paumé grave pour retrouver la réu, mais sans alcool, rien n’est vraiment grave. 

Accompagner C. à ses premières réus c’est juste transmettre un peu de ce que j’ai reçu, et c’est précieux. Et je ne veux pas interférer avec ses débuts en AA, je trouve ça déjà génial qu’elle soit venue et revenue aux réunions cette semaine et qu’apparemment ça lui fasse de l’effet, ça veut dire que les AA, ça marche encore (j’ai parfois des doutes, dont je lui fais part, pas pour moi, je vis sur mes acquis, mais pour les nouveaux) et je n’ai pas d’autre intention / prétention que d’être un passeur, comme J. l’a été en lui filant mon numéro, et je ne voudrais pas paraitre insistant, l’attrait vaut mieux que la réclame dit-on chez nous même si ce slogan date un peu, plus personne n’utilise le mot réclame depuis la mort de la mère Denis.

C. me parle de son envie de capituler, j’essaye de l’aider à distinguer entre abandonner la lutte (contre la soif) et lâcher prise (admettre sa défaite devant le produit et passer à autre chose)  (et pas à un autre produit, si possible)
Je lui souffle qu'en étant attentive en réunion, y'a quand même beaucoup de matos qui est déballé, et les gens qui ont de la bouteille dans le mouvement expliquent bien comment ils ont procédé, c’est instructif et distrayant. J’admets que oui, les addictions un peu lourdes comme l’alcool, quand on cesse de se destroyer avec, mettent à nu le manque, et qu’il faut s’en occuper. Sinon, les blessures secrètes que tu traitais par l'alcool, elles vont revenir s'occuper de toi, et elles vont pas faire semblant. J’ai fréquenté pas mal de psys, de différentes écoles, j’ai appris des trucs, mais au final, c’est quand même à moi de faire le taf. Heureusement, d’ailleurs, sinon je resterais un assisté, un infirme spirituel.
Bon ça y est, je recommence à ne plus pouvoir dormir plus de 3 heures d'affilée sans neuroleptiques, la reprise est bien là, tu l'as voulue tu l'as eue. 
C'est quand même c’est moins grave que si c’était pire.

Je fumerais bien une clope, tiens.
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échangé avec C. :

" Je n'y croise pas beaucoup de jeunes, dans ces réus, et les rangs me semblent bien clairsemés par rapport à la décennie précédente, je n’en fais pas une maladie, mais je me mets à la place d’un(e) jeune qui franchit la porte pour la première fois et qui débarque dans un groupe où la moyenne d’âge est sensiblement élevée… comment va-t-il s'identifier pour accrocher l'abstinence ? je ne vois pas bien comment enrayer le phénomène - j’ignore s’il y a un réel « déclin » en nombre de membres, mais j’ai trouvé que les groupes qu’on a faits ces 2 dernières semaines n’étaient pas particulièrement fournis.
- Oui ben c’est peut être à nous de les fournir !! Dommage que tu ne veuilles pas animer en plus toi qui aimes parler !

- Merci, ça me rappelle l’histoire du mec qui se tourne vers Dieu parce qu’il voit un gamin crever dans la rue, et il entre alors dans une Sainte colère :
« Dieu, espèce de salaud ! cet enfant est en train de mourir, et tu ne fais rien ! »
et Dieu lui répond :
- Comment ça, je ne fais rien ??? Je t’ai fait, TOI ! »
(racontée sur le bon ton, cette histoire te garantit peut-être une limonade gratuite au Délirium avant la réu)
L’essentiel, c’est qu’on aille bien, les autres on s’en fout !
;-))))))
Pour ce qui est d'animer, j’en suis à essayer de freiner une perturbation, en cessant de l’alimenter.
C'est pas évident, surtout après avoir passé un mois à essayer de faire sauter une porte avec ma volonté déchainée du fait que j'arrivais pas à l'ouvrir avec le coeur (encore un concept AA ma foi bien utile)
Donc pour ce qui est de modérer les réunions,  la première urgence c’est de parvenir à redevenir modéré.
Ensuite on verra.
Et je n’aime pas parler, ou alors de moi, mais ça me saoule vitement.
J’aime bien écrire, parce que écrire c’est radoter, et avoir toujours raison dans son discours tant qu'on reste seul ou entouré de ses amis imaginaires…
... c'est un peu naze, parce qu’au moins, quand j’ai tort, j’ai la chance d’apprendre quelque chose de nouveau et d’utile.
...je noircis le tableau, mais y’a de ça.

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La semaine suivante au Délirium, en attendant C. devant ma limonade, c'est pas Tom Waits qui passe dans le poste mais un groupe de rock sixties, la curiosité me pousse à demander au barman ce qu'on entend, ça fait combien de siècles que j'ai pas discuté avec un barman ? et nous voilà partis à causer musique, ça devient vite pointu, il m'évoque son goût pour les reprises françaises des années 60-70 du rock américain et les traductions littérales des expressions idiomatiques qu'on trouve dans ces chansons, le pire des yéyés pour lui c'est Eddy Mitchell qui a massacré "No Particular Place to go" de Chuck Berry par des paroles particulièrement détournées et ridicules, je me détourne du comptoir pour voir si on n'est pas filmés, car j'ai écrit deux jours avant un article sur le sujet... ça veut dire quoi, que l'extérieur reflète l'intérieur ? c'est dingue, quand même...



« Coïncidence : Tu ne faisais pas attention à l’autre moitié de l’événement. »
Chad C. Mulligan, Lexique de la Déliquescence
cité par John Brunner dans Tous à Zanzibar

Le Délirium : l'endroit idéal pour écluser un godet entre alcooliques 
sympathisants non pratiquants juste avant la réunion AA.

Epilogue : 

1/ au bout de deux semaines C. me libère de mon engagement en me disant que c'est bon, maintenant je vole de mes propres ailes... c'est bien cool, je vais pouvoir redéployer les miennes.
2/ pendant les finitions de cet article beaucoup trop boursouflé pour être honnête, j'ai éconduit les fâcheux téléphoniques habituels : la Fondation de France, les tristes enculés des chiens d'infidèles soit-disant d'aveugles de l'UNADEV. Allez pourrir ailleurs. J'ai mes oeuvres.

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