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vendredi 15 septembre 2023

Je t'en foutrai, moi, des truffes magiques (1)

Résumé des épisodes précédents :

le titre ferait croire
à un tome inédit et surnuméraire 
de "Introduction
à la psychologie de Bazar"
 de Daniel Goossens, 
mais en fait pas du tout.
Alors que j'approchais de la soixantaine, j'ai voulu tester les suggestions de Michael Pollan insinuées, et on pourrait même dire inceptionnées ( en référence au film de Christopher Nolan, puisque l'Inception consiste à implanter une idée dans les rêves d'un homme) dans son livre "Voyage aux confins de l'esprit", qui postulait puis se voyait contraint de démontrer par la pratique qu'un usage raisonné des psychédéliques pouvait être de quelque utilité sur le plan spirituel. Dans ma jeunesse, les plantes et substances dites enthéogènes n'étaient pas disponibles dans mon environnement immédiat, alors qu'elles le sont devenues dans ma vieillesse, par la grâce d'Internet, du commerce mondialisé et de la dictature numérique. 
Il m'a fallu pour cela interrompre mon traitement thymorégulateur (lithium) incompatible avec les psychédéliques, ce qui se passa inexplicablement sans aucune anicroche, et aussi démarrer chaque journée par 30 minutes de méditation vipassana, histoire d'avoir un peu de recul sur ce qui se présentait à la grille du parc de la conscience. Je me disais qu'il valait mieux démarrer "clean" et éviter les remontées d'obus non explosés enfouis dans les sables du Temps pendant les séquences de psychotropes, et c'est vrai que c'était pas du luxe; tous ces préliminaires sont abondamment décrits et commentés dans une série d'articles démarrés en mars 2023
et qui m'ont mené jusqu'à fin avril,
un peu débordé par l'afflux sanguin cortical engendré par cette première expérience de microdosage répartie sur plusieurs semaines, à l'issue de laquelle j'étais redevenu un éditorialiste forcené sur le web, alors que j'avais juré de ne plus jamais tomber dans le panneau
Voici les comptes rendus de mes expériences plus récentes, à base de doses "normales". J'y suis allé très prudemment, alors que l'efficience des produits est très volatile. 
Attention, n'essaye pas de refaire ça chez toi si tu n'es pas stable psychologiquement et si tu es aussi vieille que moi, ça peut secouer. Enfin, ça dépend surtout dans quelle étagère t'erres quand t'es lucide et conscient ( à jeun, quoi...)

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compte-rendu du 26 juin 2023

(adressé au père D* du prieuré de L*)


05h30

Je rêve que tu te transformes en femme. Allons bon. Loin de résoudre nos problèmes, cette trahison subite de ton genre scandalise ma conscience onirique, d’autant plus que tu as conservé ta barbe. Ca me dégoute tellement que ça me réveille. 

La fluidité des genres, c’est comme la tolérance, y’a des maisons pour ça.


07h30

je profite de la fraicheur pour recâbler une partie du réseau d’arrosage du jardin, en remplaçant les sections de tuyaux non-poreux par d’autres, que j’espère plus poreuses. Je pense que le problème de fond vient du fait que j'attaque le réseau avec 4 bars de pression au lieu de 1.5, mais ce n'est pas cette année que je vais trouver la solution.


09h30

ça y est, ils sont tous partis bosser. 8 grammes de Pajaritos, force 3/5.


11h00

Passé un certain âge,
pour ressasser les évidences
au cyber-bistrot du coin, ah, ça, on est là.

je me sens comme dans Drunk : stabilisé à 0,5g/litre. Ecoute musicale amplifiée, et agréable. Moi aussi je voudrais que tout revienne alors que tout est passé (Souchon), enfin, entendons-nous bien, que tout revienne sans la mélancolie des réminiscences. La définition du passé, paradoxalement, c'est ce qui n'est pas passé. C'est ce qui demeure, ce qui persiste indéfiniment, comme le dit Bergson. C’est ça, être vieux et stoned ? Se rappeler de Bergson et de ses intuitions sur la récapitulation créatrice, qui permet d'éviter le ressassement ? Je me doute que c'est dans cette optique que des vieux dans mon genre prennent de la psilocybine. (je trouve ce baratin à moitié postérieurement dans une interview de Charles Pépin que j'entends à la sauvette dans ma bagnole le 11 septembre au matin, sans penser à mal ni aux Twin Towers dont ce serait pourtant le 22ème anniversaire de la disparition, s'il y avait quelque chose à fêter, mais s'être pris une branlée ne semble pas avoir rendu les Américains plus humbles)

11h30

quelques distorsions visuelles. Et j’ignorais que King Crimson avait enregistré la Traviata avec les chœurs de l’Armée Rouge. c’est joli, et quand je ferme les yeux sur mon siège de méditation, mes intérieurs semblent immensément spacieux. ça ressemble aux pétards des débuts, en fait. à part que la conscience de soi perdure.


11h50

c’est tout ? ça frise la supercherie, alors je prends les 7 grammes restants, j’ai fini le ménage de la maison, j’étends la lessive, petites pertes de mémoire immédiate, mouais, j’ai déjà ça à jeun, je vois pas l’intérêt. Le passé nous oblige, sans doute, en observant nos réactions, nous sommes ses obligés. Mais il nous oblige à quoi, exactement ? J’essaye d’écouter Wish you were here, du Floyd, c’est spatial, mais je le connais par coeur, c’est trop téléphonéJon Hassell ou Sigur Ros m'emplissent d’une délicatesse ineffable, parce que j'ai moins pratiqué leurs harmonies que celles du Floyd, dont mon cerveau sait très bien précéder la perception par la projection, décevant par anticipation mon extase programmée.

Je me sens soudain plein d’une grande bienveillance envers mon pauvre chat et ses troubles cognitifs (suite à une enfance cauchemardesque en zone de guerre, il vit dans une insécurité permanente), j’essaye de lui expliquer que chez nous il n’a rien à craindre, mais il reste muet. Par contre je me sens raccord avec l’épitre aux Corinthiens de Saint Paul, c’est toujours bon à prendre, la bienveillance, c’est une direction rassurante, quand c'est pas le responsable des Ressources humaines qui se croit obligé de t'en parler. J’ai hâte d’essayer avec ma femme quand elle rentrera du travail.

quand je donne des champignons à mes poules
elles me font des Picasso de la période mauve.

13h15

note manuscrite : c’est à qui cette main de vieille, qui est en train d’écrire ça ?

après enquête, à tous les coups tu vas voir que c’est la mienne.

il faudrait être deux pour en ricaner, tout seul c’est un peu limité.


14h20

je me suis rappelé de sortir les poules, qui avaient attrapé la couvade (elles peuvent rester au nid pendant des jours et mourir de soif si je ne les fous pas dehors du poulailler puis en condamne l'accès jusqu'au soir)

et si je refaisais un peu de méditation, avant que ça se barre ?


16h00

retour à la mornale. Quelques sourires, mais globalement déçu. pas de grand bouleversement, d’irruption de Surmoi, travesti ou non, d’effondrement monopolaire… à aucun moment je ne me suis senti en difficulté, ni dans un univers qui aurait perdu sa cohérence.

le spectre diraisonnable qui m’a hanté au printemps sous microdosage était bien plus consistant. mais c’était dans la durée, et avec l’écriture comme support, ce que j’ai refusé de faire aujourd’hui.

prochaine tentative samedi, avec des Valhalla séchés la semaine dernière, force 6/5, et mon copain bluesman. Je vais lui proposer un trip champêtre à pied, je ne veux pas aborder la conduite automobile tout de suite, ni prendre le risque d’aller à la mer et d’y rester médusés.


réponse du père D* :

Quelques remarques saisies au vol comme ça en réponse à ta chronique: 

d'abord, en ce qui me concerne prendre 2 demi doses l'une après l'autre n'équivaut pas du tout a prendre une dose complète en une seule fois. Quand je prends une demi dose je trouve généralement la montée très agréable mais la descente plutôt pénible. 

Une seconde prise pendant cette phase n'adoucit pas les effets mais simplement les prolonge. Dans mon cas il y a toujours un aspect hasardeux dans la prise d'une dose complète. Je ne sais jamais à quoi m'attendre à l'avance parce que les effets varient en fonction du moment, du produit, de mon questionnement et sans doute aussi de facteurs aléatoires. Par contre, je serais bien incapable d'aller me promener dans la campagne sous une dose complète ne serait-ce que pour des raisons de coordination motrice.Tu me diras ce qu'il en est dans ton cas.


il faut dissocier la poule de l'œuf,
mais aussi de l'œuvre.

MOI :

oui, les demi-doses à la file, c’est pas super, j’ai lu ça.

c’était un peu désordonné, comme une première fois, avec une fille qu’on connait pas.

et au lieu de m’abandonner à l’invitation au silence et au recueillement, j’ai voulu « faire des trucs », parce que je suis dans une phase où je mets un frein à l’immobilisme, en essayant de mettre les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu ces 20 30 dernières années en tant que pionnier de la N.A.O (Négativité Assistée par Ordinateur) dont je me sens un peu, tu vas rire, coupable et redevable. Envers qui ? ça, je t'en cause même pas.


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expérience du 1 juillet 2023


message transmis au fournisseur


Grosse déception avec ces TRUFFES MAGIQUES VALHALLA commandées le 1 juin 2023, conservées 2 semaines au frigo, séchées au tapis chauffant Zamn*. (poids divisé par deux) conservées dans un bocal étanche et opaque, puis consommées une semaine après. Pris un sachet entier séché, aucun effet. 

L’ami avec qui j’ai expérimenté avait acheté des TRUFFES MAGIQUES ATLANTIS, consommées fraiches après 3 semaines de frigo, il n’a rien senti lui non plus.

A part qu'on a marché 17 km et qu'on a eu mal aux pieds.

détails techniques qui pourraient jouer :

- nous avons bu un peu de café avant de consommer les truffes, nous n’avons rien mangé, mais beaucoup marché. Nous avons bu une gorgée d’eau gazeuze chacun avant de nous rappeler que le gaz carbonique était nuisible, et ensuite nous sommes restés à l’eau plate.

Je ne cherche pas un remboursement, j’aimerais comprendre !

(à la suite de mon commentaire, le fournisseur me fait parvenir en dédommagement 6 nouvelles doses de truffes à titre gracieux, en train de périmer rapidement au frigo)


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expérience du 10 juillet 2023

Pour des vacances réussies dans les Landes, il faut : des palmes, un banc de méditation,
un sachet de truffes magiques, un sac d'ordinateur pour mettre l'iPad
plein de bouquins numériques et une brosse à dents pour l'hygiène intime de la bouche.
Pour des vacances ratées, il faut à peu près les mêmes ingrédients.
Au final, tout dépend de votre état d'esprit.


7h30 

je pars de bon matin vers la dune sacrée repérée à jeun en bordure de la forêt du Mordor, au nord de la péninsule de Contis-Plage (c'est dans les Landes). J’ai mâchouillé 15g de PAJARITOS qui ont plus d’un mois de frigo. Que Benalla me vienne en aide. La veille, sur le belvédère dunaire qui domine la plage, j’ai entendu un père dire à son fils « mon seul objectif, en tant que parent, c’est que mes enfants me dépassent en tout. » Après enquête, c’était extrait d’un épisode de Game of Thrones qu’il était en train de lui raconter, mais quand même, ça m’en a bouché un coin, faisant le rapprochement avec mon propre père, dont il m’apparait spontanément que celui-ci a tout fait pour que ses enfants ne le dépassent en rien, en tout cas les 2 ainés mâles.


8h00 

ça me vient comme ça en abordant les contreforts du la forêt du Mordor, qu'il me plait d'appeler ainsi parce que les pins y sont extrêmement rapprochés et n’ont pas été éclaircis par les exploitants de cette forêt industrielle dénoncée dès le XIXeme siècle par Félix Arnaudin, du coup ils laissent peu passer la lumière, comme papa qui a réussi à me faire détester en moi ce qu’il détestait en lui (qu’il avait peut-être appris à détester de son papounet) et qu’il choisissait de dénoncer en nous plutôt que de voir en lui : la petitesse, qu’il assimiliait à la médiocrité. C’était un jugement de valeur, s’il avait entendu parler d’humilité, on n’en serait pas là, 60 ans après le drame. ça me vient comme ça, et ça repart pareil.


selfie "j'apprends à mémé",
réalisé sous influence.
Une fois déshalluciné,
j'vois pas trop
c'qu'y a de drôle,
mais ça c'est à chaque fois pareil,
faut y être, quand on raconte
après, ça le fait moins.

Après avoir lu des vieux bouts de mon blog, Yvan C*, sans doute pernicieusement influencé par son séjour à l’ashram, m’a dit qu’il fallait s’aimer, et il a pieusement recopié dans le Dalva de Jim Harrison des phrases qui l’ont fait penser à moi : « l’auto-dénigrement haineux n’a jamais fait le moindre bien à personne » « l’étude de toutes les permutations de la chimie du cerveau et de leurs conséquences sur le comportement ne vous dispense pas d’être une victime, même si vous souffrez en sachant de quoi il retourne » « les dimensions de la souffrance paraissent excéder celles des plaisirs compensatoires », je retrouve ses post-its manuscrits dans mes poches, alors arrivé au bord de l’océan je lui fais un selfie « comme tu le vois je suis tes conseils, et j’apprends à mémé », après quoi je manque m’étouffer de rire tout seul comme un con. Le ciel au dessus de mon beau chapeau de Laurence d’Arabite a quelque chose d’extra-laiteux, renforcé par les hallucinants, et je suis surpris que mon smartphone en ait capté la texture, ou alors c’est moi qui la projette à chaque fois que je mate mon selfie (c’est pas le but)

et me revient le dialogue père-fils d’hier soir, « que tu me dépasses en tout » c’est ça que t’as pas compris, papa, d’aller dans le sens de la vie au lieu de contraindre la vie à aller dans le sens que tu voulais lui imposer (et où tu voyais tes propres enfants comme des concurrents)

je photographie la végétation dunaire comme en extase, et remercie les plantes, grâce à qui nous entendons les dieux, la nature et nous-mêmes (sans majuscule, on se tutoie et on se congratule les uns les autres)

j’ai choisi cet endroit car il y a 3 semaines j’y suis venu sous un ciel d’orage et fus saisi par la majesté du site, embrasé de teintes ardentes jetées sur la toile du Réel par des divinités courroucées : la mer turquoise virant au vineux, le ciel d’obsidienne grondant d’éclairs foudroyant l’océan au-delà de l’horizon, tout présageait d’un accès de colère liquide, que je pris d’ailleurs sur la tête au retour, heureusement, j’étais pas en sucre.


là, ça le fait moins, mais revenez il y a trois semaines, c'était terrible.

Ce matin, y’a juste une dame qui traverse mon champ visuel avec son chien, elle parcourt 200 mètres (sur les 4 km qui nous séparent de toute construction humaine des 2 côtés), elle se déshabille entièrement, fait quelques postures de yoga et va se tremper dans les vagues.

Heureusement que j’ai enlevé mes lunettes et qu’aucun détail de la scène ne me permet de me sentir voyeur; et puis je suis quand même un peu extatique, je sens que la lubricité me ferait grave redescendre.

Enthousiasmé par son initiative, je me dévêts à mon tour, et fais quelques pas vers les rouleaux de bord, animés d’un sac et d’un ressac indifférents, ici on dit « tu crois que tu connais l’océan, mais toi il te connait pas » et comme je sens bien que je suis sous influence et que les vagues sont quand même grosses, je me rassois prudemment, ça fait longtemps que j’ai pas été fumé à 8h du matin, je n’ai plus l’habitude, mais je suis encore assez lucide et conscient pour percevoir qu’elle est froide et inhospitalière, je n’ai amené ni palmes ni banc de méditation, il est plus sage de rester au bord de la noyade virtuelle pour aujourd'hui.

Je m’allonge sur le sable et regarde les nappes nuageuses défiler dans le ciel laiteux et y créer des figures d'interférence fluorescentes en découpant la lumière solaire, car ceux du dessous vont beaucoup plus vite que ceux du dessus. J’ignore si ce sont eux qui sont flous ou moi, et ça ne me préoccupe pas. 


9h30 

je rentre à pied par la plage (4 km pieds nus dans le sable mouillé), j’ai entendu le bas de ma colonne vertébrale faire un « krouïkk » discret, je me dis qu’il faudra être vigilant sur les lombaires. 4 jours plus tard je passerai une journée entière paralysé du dos en vomissant de douleur mes antidouleurs, j'ai sans doute fait un peu trop de sport ces derniers temps, entre la natation la marche et le jogging c'est vrai que je n'y suis pas allé très mollo, mais n'étant pas précognitif j'ignore tout de cette lombalgie à venir et suis exempté de compassion pour mon moi futur, pour l’instant je croise les premiers surfeurs de la matinée à la recherche du spot idéal, leur planche sous le bras, maxillaires serrés, traduisant l’effort et la détermination, j’ai envie de leur glisser « bonne journée au bureau ! » tellement ils ont l'air de ne pas être là pour rigoler, mais je m’abstiens en ravalant mes gloussements.

Je ne voudrais pas épiloguer, si tôt dans la journée, mais pour l’instant, c’est aussi décevant que Deauville sans Trintignant, ça ressemble juste à de l’auto-analyse sauvage, quarante ans trop tard, madame Placard.

Le jour où je vais prendre une dose efficace, ça va me faire bizarre.


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expérience du 29 juillet 2023


6h30

Café, biscuit, 15 g de truffes Tempanensis, dans le frigo d'un ami provençal, que je suspecte d'être un peu périmés. Je pars avec mon banc de méditation démontable dans le sac à dos, en direction de la crête de L*. Question illuminations, on va voir ce qu'on va voir, l'infini n'a qu'à bien se tenir.


7h10

après être allé au bout du chemin des Evêques, je me trouve une petite grotte de méditation, en fait un abri sous un pin, d'où je vois le soleil se lever derrière la vallée de la D*.


il est pas beau mon ermitage ? on dirait un packshot publicitaire pour mon banc de méditation.


7h20

Vertige, fatigue, bâillements, légère nausée. 


8h00

Fourmillements assez désagréables. Incapable de rester sur le siège, je m'allonge avec mes nouveaux amis fourmis. Quelques visions, mais je me sens assez peu concerné, comme si elles parvenaient à quelqu'un d'autre. Un abîme s'entr'ouvre, un mec passe la tête "ah, c'est vous ? désolé, il y a erreur sur la personne, c'est pas votre jour." Et la fenêtre se referme. Il faut que je mange moins de melon et plus de yaourt, ma flore intestinale n'est pas super florissante.


9h00

Il ne me reste plus qu'à redescendre au village avec les intestins un peu secoués. C'est l'occasion de me réjouir du paysage, et de me rappeler ce mantra amérindien :

Avec la Beauté devant moi, je marche,

Avec la Beauté derrière moi, je marche,

Avec la Beauté au-dessus de moi, je marche,

Avec la Beauté en-dessous de moi, je marche,

Avec la Beauté tout autour de moi, je marche,

La Beauté est partout,

Puissions-nous tous marcher dans la Beauté.

Avec les champignons, ça serait peut-être encore plus beau, mais c'est une question d'intensité, pas de nature. J'en déduis que ce rendez-vous raté avec le produit ne l'a pas été tout à fait avec moi-même. Et tac.


Sinon, j'ai fait pas mal de jogging sur la crête de L*, mais l'inconvénient majeur
c'est que tous les chemins de randonnée descendent dans la vallée, 
et qu'après il faut tout remonter à pied.

lundi 10 avril 2023

Estropiés reprenant le train en marche (4)

Quelqu’un a dit un jour Le monde est l’endroit dont nous prouvons la réalité en y mourant. 
Tu as déjà replacé cette formule percussive trois articles plus haut, mais tu t'en lasses pas, toi qui es professeur d'explications en CDI à mi-temps, et je parie que tu sais de qui émane cet aphorisme : il a été caché / noyé dans des torrents de réalisme magique par  Salman Rushdie dans les Versets Sataniques. C'est d'ailleurs tout ce qu'il t'en est resté. Tu gagnes donc les fiches-cinéma de ce Blasphémateur, par ailleurs grand Saint de l'Islam ! Ah là là, Akbar !
Concernant la mort, pour une fois tu serais assez d’accord avec le marin Shadok, qui naviguait en Absurdie, et qui disait « mieux vaut regarder là où on ne va pas que là où on va, parce que, là où on va, on saura ce qu'il y a quand on y sera ; et, de toute façon, ce ne sera jamais que de l’eau. »
Pardonnez-moi toutes ces questions sur l’eau de là, et vaudra-t-elle l’eau d’ici.
Elles se penchent vers moi, quand je salue cette fille. Qui était avec moi.
Bref. On va essayer de sortir de ce petit tumulus par le haut.
Voici un destin généreux en rédemptions et retournements, qui vient d’être scellé, et une dépouille mortelle mise au frais et à l'ombre dans une cave du Trégor, en attendant le Jugement Dernier, qui doit prochainement fusionner administrativement avec la Saint Glinglin, afin que les Français ne bénéficient plus que d’une seule journée fériée au lieu des deux que ces évènements engendraient précédemment, dans le cadre de la réforme des retraites et de la recherche d’une performance économique toujours croissante, puisqu’indexée sur le coût de la vie, qui ne faiblit pas, et le prix des cercueils d’occasion ne baisse pas beaucoup non plus chez les hard discounteurs de la Death Valley. 
A ce titre, c'est vrai qu'en mourant à l'ancien âge légal de partir en retraite, alors que tu n'avais encore trouvé le temps de prendre la tienne, tu envoies vraiment un message fort au gouvernement. Et comme l'écrivait un pote âgé lors du décès d'un être cher,
"j'en ai voulu à mon frère parce que putain, l'enfoiré, ça fait mal. Mais à la réflexion je dois le reconnaitre, c'est d'une grande élégance de mourir à soixante ans. Mourir sans s'accrocher, avant d'avoir surconsommé les ressources déjà presque épuisées : énergie, eau, terres rares, places de stationnement sur le parking de l’hôpital ; ressources que, devenu improductif, nous serions bien en peine de rendre. D'ailleurs, quels exemples ! Mozart est mort à 35 ans. Raphaël à 37 ans. Caravage et Chopin à 39 ans. Quand à Beethoven, il s'est éteint à moité fou et complètement sourd à 57 ans. Non, vraiment, on devrait tous avoir cette légèreté : mourir avant de dépasser les soixante ans. Tous, sauf moi pour citer Francesca."
Je pourrais pas mieux dire. C'est pour ça que je recopie bêtement. Pour accepter ton passage, ta transmigration, j'avais juste besoin d’en parler, avec ceux qui t’ont connue, et alors les fantasmes et les cauchemars préconçus ont laissé la place aux réalités, en ronchonnant un peu, mais ils savent bien qu’ils ne peuvent occuper le même espace en même temps. Je t’en recauserai avec un plaisir j'espère partagé dès je te rejoindrai dans un paradis light et politiquement correct, inclusif et respectueux de toutes les minorités, où nous serons espionnés par des essaims d’anges émasculés, pour ne pas exciter les vieux archanges de service, nous y boirons de la Tourtel et fumerons du CBD. 
Ce sera le bon temps.
Version éternel retour.
Rassure-toi, je suis pas pressé.
Et je reste très partagé sur les pouvoirs de l’écriture, puisque j'en use tantôt pour y voir plus clair et tantôt pour m’embrouiller la tête et m’enivrer de mots (empruntés à crédit sur le compte courant de la vie) pour compenser le manque à être de l’existence que je me suis néanmoins construite dans ma vie post-toi.
J’écris à tes parents, j’essaye de les remercier pour leur accueil lors de ta sépulture, sans les pousser au suicide après m’avoir lu, c'est un peu périlleux comme exercice, c'est pas dans mon style habituel, je cherche ce qui aiderait à réparer les vivants, les survivants, comme un thanatopracteur en chaleur, puisque les retrouvailles trop tard, si ça peut servir à kekchoze, c’est bien à ça. Quand t’arrives au cimetière, tu t’aperçois qu'il est bien tard pour changer le passé, et des fois il faut que la vie s’arrête pour qu’elle puisse repartir. 
D’autres y sont passés avant nous et n’ont pas fait autant de chichis.
Je peux trouver bien d’autres prétextes pour me pleurer sur la nouille, si c’est vraiment ça que je cherche. Ce ne fut pas si terrible que ça, de t'enterrer, pour moi c'était un enterrement buissonnier,  je n’étais pas sur la liste, tout était prêt et je n’eus qu’à mettre ma béquille dans la porte de l’église pour pénétrer de plein pied dans l’évènement; ce qui fut délicat, et qui l’est encore par moments, ce fut de t’exhumer, et de te compter les os, pour dénouer les noeuds faits sur la corde, il y a longtemps, certes, mais quand même pas dans une autre galaxie, et de procéder ainsi à une sorte de toilette intime et pas du tout mortuaire, pour faire de toi « ma » morte, au même titre que les invités officiels. Relire notre parcours ensemble, puis assimiler en accéléré les 40 dernières années de l’existence qui te fut proposée. 
"On absolutise les créatures (fascination), on oublie Dieu, et le résultat, c’est la colère, car la créature est vide en soi, même si, d’une certaine manière, Dieu ne réside pas en dehors d’elle. Adorer l’apparence à la place de l’absolu est une erreur, mais croire que l’absolu réside en-dehors de l’apparence est aussi une erreur." (Flo)
Une nuit d'insomnie, quelques semaines après tes funérailles, je suis happé par le film Babylon, de Damien Chazelle. Une belle déclaration d'amour au cinéma. Ah non, pardon, c'est Leos Carax qui fait des déclarations d'amour au cinéma depuis quarante ans, Damien Chazelle, lui, fait des films, depuis moins longtemps, même s'il se regarde parfois filmer, au risque de tomber du vélo.
Dans ce gloubi-boulga on peine à trouver du sens : s'il est indubitable qu'on parle ici du passage du muet au parlant, on cherchera en vain une profondeur psychologique dans l'évolution des personnages, une émotion dans les relations les liant les uns aux autres, ou un approfondissement de thématiques qui l'auraient pourtant mérité (le temps qui passe, la place des Noirs dans les débuts du cinéma, les évolutions technologiques et économiques de ce Hollywood des origines, l'amour contrarié, l'instabilité psychologique).
Je me fais songer à Manuel, le personnage de l'ultime scène du film, qui se reconnecte avec ses émotions dans une salle obscure où il assiste à la projection d'un film racontant le passage du cinéma muet au parlant, ça raconte son histoire à lui par le biais de la fiction, il pleure à chaudes larmes, alors que c'est du pur mensonge babylonien qui passe sur l'écran, mais c'est pas grave, ça lui déclenche un gros chagrin, alors que jusque-là, il a traversé des trucs super-durs pendant tout le film, et il n'a jamais flanché. Le support est faux, l'émotion est vraie.
Faut que je me sorte les doigts du blog.
Je pourrais me remettre à lire, par exemple l'Aller Simple de Carlos Salem dont la régie me signale par de grands gestes hors-champ l'extrait suivant, à lire en plateau :
"J'ai inventé la mémoire sur mesure ! Vous savez quel est le problème de notre époque ? C'est que les gens ne savent pas ce qu'ils veulent, et quand ils le savent, c'est trop tard ! Bien sûr, tu peux toujours mentir, et dire que dans ta jeunesse tu étais le buteur de ton équipe, ou que les femmes te couraient après ; mais au fond de toi il y a cette voix qui te dit que tout est faux et, putain, à quoi ça sert de convaincre les autres si toi-même tu n'est pas convaincu ?
Il continua à parler de sa méthode et d'après ce que je réussis à comprendre, cela consistait à rembobiner la mémoire jusqu'au point où le sujet se trompait de chemin."
Sinon, comme vous avez pu le constater, mon illustrateur fait lui aussi la grève du ramassage de mes poubelles émotionnelles. Je suis vraiment entouré d'incapables. Il est temps que ça se termine, et que je prenne des vacances de mon congé-maladie.

dimanche 9 avril 2023

Estropiés faisant vachement gaffe à la marche (3)

Pour faire du potager pieds nus,
attention de bien être à jour
de votre rappel anti-t'es Thanos
Après toute cette rééducation sur La Voie du Cimetière, ton pied va mieux. Tu peux à nouveau te déplacer librement dans la maison, prendre ta voiture, aller faire les courses, à manger, le ménage, défiler avec la CGT-FranceTV dans les manifs contre la réforme des retraites en laissant ta béquille dans la voiture pour qu'elle ne soit pas confondue par les CRS avec une arme par destination, et préparer ton jardin pour la campagne de printemps. 
Comme on t'a suggéré d'aller en bord de mer marcher dans le sable pour accélérer ta convalescence, tu mets au point une méthode innovante de renforcement de la voûte plantaire, en retournant le potager pieds nus; tu lances aux poules les grasses larves de hannetons que tu exhumes entre 10 et 20 cm de profondeur, et qui semblent des créatures imaginées par David Cronenberg, dans la terre meuble que tu enrichis ensuite avec le fumier récupéré il y a des années chez ta belle-mère albigeoise, celle qui a passé l'arme à gauche il y a deux mois. 
Tu sens que tu te remuscles sous le pied de façon très rapide, l'exercice est presque aussi puissant que quand tu prends la posture sur ton pied cassé de Jésus-Christ sur une croix gammée pour faire marrer le kinésithérapeute, il ne te vient pas à l'idée d'en faire un tutoriel sur youtube pour les gens qui habitent loin de la mer, mais il te semble que le microdosage de psychédéliques t'apporte un gain substantiel de créativité, comme annoncé dans les brochures, que tu ne penses pas pouvoir mettre sur le dos de l'effet placebo, et si la liberté consiste à faire tout ce que permet la longueur de la chaine, tu sens que tu viens de lui ajouter quelques maillons, et ta life en profite, malgré le manque de sommeil accumulé depuis début février. 
Et tu minimises les désagréments et variations d'humeur de ces dernières semaines, parce que tu ne désirais interrompre l’expérience qu’en cas de franchissement de ligne jaune, en même temps, par rapport aux débordements passés, y’a pas eu trop de casse jusqu’à aujourd'hui, à part l'aile avant gauche de ta bagnole fatiguée et la plaque pectorale de ton coeur d'artichaud, malgré la lassitude perceptible des proches devant ce qu'ils prennent pour une fantaisie saisonnière pas indispensable, y'a pas eu de compulsion, pas d'effondrement dépressif, et par rapport à ton objectif premier - te rebrancher sur tes émotions - c'était intense, mais tu peux dire que t’en as eu pour ton argent. Tu as surréagi au départ de ton ancienne amie, c’est clair. Mais tu avais du unfinished business avec elle (que tu n'as pas étalé ici, c'est bien, tu progresses, baisse la tête et t'auras l'air d'un bloggueur de fond, ce que tu admets être, at last & in fine) que tu n’aurais peut-être pas entrepris de travailler sans cette curieuse conjonction astrale avec l'arrêt du régulateur d'humeur, le microdosage de psilo et la marée d'équinoxe à Perros-Guirec.

Devant l'église qui jouxte le cabinet de ton psy, 
la municipalité fait aussi la grève
des poubelles émotionnelles, comme ta femme.
Que Jésus-Christ amen lui-même la benne !
Tu as même convaincu le psychiatre qui t'accompagne depuis 12 ans de ne pas reprendre le lithium pour le moment. Je ne veux pas vous ramasser à la petite cuiller, t’a-t-il dit, et il te connait bien, et il accepte quand même de partager ta prise de risque, donc c’est globalement positif, tout ça, à part le fait que ça nous rendra pas la défunte, bien sûr. 
Anyway, toi, ça fait longtemps que tu l'avais perdue, malgré toute cette belle énergie pour te faire croire que tu l'as retrouvée. Entre vous deux, c'est un peu comme dans la chanson de Vincent Delerm, « Fanny Ardant et moi » : 
"On écoute du chant grégorien
Elle parle à peine et moi je dis rien
On a une relation comme ça
Fanny Ardant et moi (..)
Elle est posée sur l’étagère
Entre un bouquin d’Eric Holder
Un chandelier blanc Ikea
Et une carte postale de Maria"

De toute façon, quand on est up, tous les prétextes sont bons pour rester là-haut, et profiter de la vue. Ta cure de psilocybine se termine, tu espères maintenant redescendre doucement dans la vallée, en évitant les précipices, au fond desquels la présence d'ascenseurs n'est jamais certaine, comme le dit ce poète du bas-astral que tu réécoutes un peu trop ces jours-ci pour être tout à fait chelou, ou alors, si, en fait
De savoir que tu es allé à son enterrement sous champis, même microdosés, ça aurait bien fait marrer ta copine, enfin, telle que tu l'as connue dans ton segment temporel interrompu en 83, en tout cas. C'est avec elle que tu en prenais, les rares fois où tu y as goûté. Il te faut maintenant laisser le soufflé émotionnel retomber, tu en as réussi un bien gratiné sur le dessus, c'est vrai, retrouver un sommeil régulier, et patienter quelques semaines pour capter ce que t'as réellement retiré de l'expérience. avant de te demander vers où tu veux maintenant aller, avec ou sans psychédéliques. 
C'était quoi, ce trip ? As-tu fait l'amour avec un fantôme, dans ta tête ? 
As-tu enfin donné une sépulture décente à ta jeunesse ? 
As-tu pris une grosse murge émotionnelle pour rien, sur ton blog, cette perche à selfies dont tu te croyais sevré ? 
As-tu découvert l’ingrédient mystère de la recette de la pâte à tartiner les regrets éternels, avec un enthousiasme non feint ?… tu crois avoir vécu ce que Castaneda, Ignace de Loyola et Flopinette de la Croisette appelaient une récapitulation, ou « examen de conscience » chez les AA; elle s’agrémente d’une évaluation « est-ce que j’ai été bon, mauvais, neutre ? » dans une version assez reposante, puisque personne ne te juge, même pas toi-même. C'est pas banal. C'est pas ton genre.

fragment de tutoriel portant sur la récapitulation
retrouvé dans une poubelle, devant l'évéché.
Attention, n'essaye pas de refaire ça chez toi,
sinon finie la garantie !

De plus, les circonstances ont nimbé l'évènement d'un halo de synchronicité vaguement miraculeuse, des coïncidences heureuses, petites et grandes, se produisent depuis le début de la randonnée, tu évites de t'évanouir de joie à chaque fois que tu les remarques, car sinon cela signifierait que tu en es la source et que tu t'auto-intoxiques avec ton up, tu les prends juste comme des signaux positifs te confortant dans l'idée que c'était une bonne décision de venir, même si tes raisons étaient loin d'être sans mélange, tout s'est bien enquillé, c'est ma foi vrai, comme si l'esprit de l'Univers t'avait fait confiance et voulait te dire des trucs sympas, qu'il pensait vraiment, tout en soustrayant ton amie du monde sensible, mais n'en fais pas une affaire personnelle, il a fait un temps splendide, et franchement ce fut une très belle journée, mais ma p'tite soeur qui est tombée de la falaise et il va falloir que je vous quitte ce soir messieurs dames... 
et demain, ça s'ra vachement mieux !
Tu as conservé les yeux ouverts au milieu des vagues de chagrin quand elles te submergeaient, tu n’as ni toussé ni craché. Même pas mal.
Et encore plus mieux, tu as pu comprendre par les témoignages de ses proches, qu'elle avait finalement accédé à une certaine forme d’accomplissement, dans sa destinée de prof de français adorée par ses élèves, dont l'amour l'avait soutenue jusqu'au bout de sa longue maladie.

A vingt ans, on croyait que le cul et l'herbe
pouvaient être le ciment du couple.
Ils ne cimentèrent que son caveau.
Le risque de lui nuire s'est éteint avec elle. Pour lui parler, ne serait-ce que pour la féliciter de son parcours, tu n’as plus besoin d’aucun intermédiaire. 
Tu l'appelles quand tu veux. 
Même si l'idée maîtresse, maintenant, c'est de la laisser partir. Elle l'a bien mérité, son repos éternel. Son photomaton de 1982, sur lequel tu as louché pendant une bonne quinzaine, ayant compris le pouvoir mortifère qu’il exerçait sur ton cerveau en surchauffe, est magnifié par sa disparition, mais il montre aussi qu'il ne faut pas trop s’attacher aux apparences, sinon, on se prépare d'atroces souffrances, puisque tout change tout le temps. Le seul organe qui se bonifie, tandis que beaucoup d’autres fatiguent et flanchent, et nous font des mauvaises blagues, c’est le coeur : lui seul est doté du pouvoir de guérison, et de se régénérer, et de gagner en maturité, s’il a de la chance dans ses aventures. 
Les images sont donc à la fois vraies et piégeuses, transformant la vérité d’un instant passé en une petite éternité : celle de notre regard. Elles interrogent notre rapport au temps, à la mortalité. Le reflet pâli de l’être aimé, qui resplendit de vie à partir d’un petit photomaton noir et blanc, peut nous briser le coeur, ou alors nous rappeler au devoir d’essayer de vivre à la hauteur des combats menés; même si le départ définitif semble une défaite, et même si l’impression qui domine pour l’instant est celle de l’accablement devant la perte.

Quand j'ai fait faire chez U des agrandissements de mon photomaton de 82 de la disparue,
j'ai bien revécu mes émotions avec leur intensité originelle, alors que j'aurais préféré une péridurale,
mais  je n'ai pas bien capté toutes les implications, qui ne me sont apparues qu'hier, 
en allant à la mer et en découvrant le chemin de la Culée, du côté de Saint-Jean-de-Monts.
Je vais peut-être rédiger une version franchement ordurière pourle site Complots Faciles,
 parce que là c'est encore un peu tangent.

Je suis sous le coup d’une émotion que je crois saine.
Les deuils, les pertes, sont des moments où l’on peut lâcher les vannes, et laisser couler ce qui doit être « libéré », afin que la personne disparue puisse elle aussi partir, ne pas être retenue par notre chagrin bien souvent aggravé par le sentiment de ce qui était perfectible, de l’idée pernicieuse et égotiste qu’on aurait pu mieux s’y prendre, et ainsi parvenir à une vie meilleure. C’est là qu’il faut faire gaffe à pas se prendre les pieds dans le tapis, aveuglé par les larmes quand même bienvenues, puisque comme le rappelle un lama qui n’est pas Serge« Il est des souffrances inévitables, et d'autres que nous nous créons. Trop souvent, nous perpétuons notre douleur, nous l'alimentons mentalement en rouvrant inlassablement nos blessures, ce qui ne fait qu'accentuer notre sentiment d'injustice. Nous revenons sur nos souvenirs douloureux avec le désir inconscient que cela sera de nature à modifier la situation - en vain. Ressasser nos maux peut servir un objectif limité, en pimentant l'existence d'une note dramatique ou exaltée, en nous attirant l'attention et la sympathie d'autrui. Maigre compensation, en regard du malheur que nous continuons d'endurer. »
Je l'aimais beaucoup, j'ose espérer qu'elle aussi, elle a beaucoup compté pour moi, avec sa fantaisie, sa générosité et sa confusion, on a vécu une relation houleuse, on pensait que la liberté consistait à faire ce qui nous plaisait, et l’apprentissage des responsabilités de la vie d’adulte, et des épreuves qui attendent les gens qui prétendent imprudemment se mettre « en couple » nous intéressait bien moins que d’expérimenter des trucs et des machins, quitte à se faire mal et à en tirer des leçons de vie, mais pas toujours. A tel point que nous ne pûmes nous pardonner certaines erreurs, et dûmes nous séparer. Ce furent nos compagnons d’après qui en récoltèrent les bénéfices, si l’on omet pudiquement l’épisode Pascale G., encore plus violent.
M. est évidemment l’antithèse de M., ce qui en dit aussi long sur elles que sur moi et mes choix de vie. C’est ça qu’est chouette, dans la vie, finalement : on fait ses choix, et quand on se trompe, on peut en changer.
Tant que la vie met longtemps à devenir courte.
Alors que quand on est mouru, tout se fige sous le vernis satiné de l’irrémédiable.
Écrire, pour moi c'est mettre à distance, donc j'écris le moins possible, et surtout pas plus, et uniquement quand je n'arrive pas à l'exprimer à l'oral. Ce qui reste rare, en fait.
Je t’embrasse.
(extraits d'une lettre à mon papounet, qui s'inquiétait de mon état, et à laquelle il n'a pas répondu) 

une nuit, j'ai confectionné sous Photoshop un ex-voto où je me la pète un peu.
Mais si je me la pète pas un peu, qui va me la péter ?


(à suivre...)