lundi 9 avril 2012

Journée du 24 novembre 2010

Les conjoint(e)s et enfants des uns et des autres nous ont rejoints pendant le week-end, faisant passer la population de l'appartement légèrement au-dessus du seuil critique d'un Noël en famille.
Certains vont visiter la morte, d'autres préfèrent conserver l'image de mamie vivante, et ils ont bien raison.
L'intendance encaisse, le Super U est tout proche, mais faudrait pas que le flux des immigrants s'accroisse, les lits vont manquer.
Le délai maximum de conservation du corps ayant été atteint, (4 jours) il faut se résoudre à clôturer le stage.
Le funérarium de Montpellier est situé sur le domaine de Grammont, au sortir d'un chaos de zones industrielles et commerciales. Dans les environs se tenait jadis un complexe culturel dont le nom m'échappe, où j'assistai à un concert mythique de Tuxedomoon en compagnie de Vincent E.
Dès l'entrée, nous sommes saisis par la ressemblance avec 1 aérogare au moment des grands départs.
Des aiguilleurs du ciel à casquette réglementaire tentent de regrouper les familles en lançant des noms propres à la cantonade.
C'est l'usine.
Il faut dire que les usages ont bien changé.

Nous avons préparé un repas pantagruélique, et nous traversons comme des erreurs de casting ce hall de gare encombré de familles affligées; nous ployons dignement sous le poids de sacs Leclerc dégueulant de bouffe, de pinard et de vaisselle jetable, pour disposer notre pique-nique dans le salon de convivialité mis à notre disposition par les services funéraires, sous le regard indifférent de ces groupes d'anonymes prostrés dans leur chagrin.
On fait tache, c'est sûr.
Et alors ?
Maman était une païenne convaincue, et nous lui devons bien ce rituel d'adieu qu'elle n'aurait pas désavoué.
Le salon de convivialité est une pièce froide dont les baies vitrées donnant sur le jardin inondé de soleil sont fermées à clé, et qui pue la mort et le renfermé. 
Ca ne va pas du tout. 
Eric parvient à les faire ouvrir par un employé municipal et les mauvaises odeurs se dissipent.
Nous disposons nos offrandes sur les tables basses. 
Nous refaisons rapidement la déco, à base d'aquarelles peintes par la morte au temps où elle ne l'était pas, et d'une photo prise trois mois plus tôt lors des cinquante ans de mariage, qui nous arrache d'incoercibles sanglots  depuis 4 jours que nous l'avons choisie pour la cérémonie lors d'un vote à main levée. 
Le patron des pompes funèbres avec qui nous avons fait affaire, débarquant à l'improviste alors que nous sommes occupés à accueillir les invités, commence à décrocher les tableaux,  pensant qu'il s'agit des restes de la noce précédente. Malheureux ! Je le détrompe poliment, mais c'est dur de rester zen.
Nous craignons que nos cakes, nos tartes aux légumes et notre vin blanc nous restent sur les bras, mais après avoir donné l'exemple, la soixantaine de personnes qui a été conviée fera finalement honneur à notre buffet froid.
Papa a interprété son texte déicide dans une version soft amendée par nos soins, sa vraie nature de curé laïque se révèle une fois de plus. 
Il faut dire que notre patronyme désigne en breton le recteur de la paroisse.
La vidéo comportant la faute d'accord du participe passé n'a outré personne, tandis que les écrans vidéo retransmettaient en direct l'image du cercueil de maman à l'entrée du four, avant un miséricordieux fondu au noir.
Des représentants éloignés de la famille sont venus de Corse, de Paris, de Pau. 
Des amis proches brillent par leur absence, il paraît qu'ils viennent enterrer leur belle-mère, ils sont crevés. 
Le seul frère de papa qui a fait le déplacement, vu qu'ils est fâché avec les deux autres, me dit ignorer que maman était garée à la maison depuis quatre jours, alors que papa m'a soutenu qu'il avait été empêché de venir.. C'est bizarre, mais c'est leurs histoires.
Après la cérémonie, les seize élus pour le repas déjeunent rapidement dans un restaurant bondé et bruyant. 
Un cessez-le-feu implicite a été déclaré, et les belligérants de longue date profitent de cette trêve pour échanger des civilités. 
Puis nous nous dispersons rapidement dans l'ordre et le calme, échangeant des promesses mensongères de nous revoir rapidement à des occasions moins funestes.
Dans l'après-midi, papa change les draps du lit conjugal avec ma soeur, ce lit qui vient d'héberger son épouse défunte pendant quatre jours. 
Il a décidé de redormir dans leur chambre qui va devenir la sienne sans attendre, il se dit que s'il ne le fait pas dès maintenant, après ça sera fichu. 
Faut avoir la santé. 
Chapeau.

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