lundi 11 mai 2009

J'ai couru trop longtemps dans des chausses vétustes

J'aime bien les vers de 12 pieds, surtout ceux qui dissimulent leur lancinante litanie sous l'apparence fourbe d'une prose anodine... et d'un seul coup, au détour du langage le plus commun, c'est comme si on venait de poser son cerveau sur une pitite mine antipersonnel, déclenchant la mininova du souvenir d'école et des récitations hésitantes...
L'alexandrin, c'est mon vice caché, encore plus grave que mes dépendances sexuelles, affectives, tabagiques, alcooliques, droguaddictes et philip caduques... enfin bref toutes celles que j'ai renoncé à assouvir tellement elles avaient la gueule d'un trou sans fond et que j'aurais beau benner dedans sans trève ni relâche des norias de bétonnières de ciment à prise rapide, ou encore des convois inhumanitaires de la nourriture qu'elles réclamaient, elles resteraient béantes.
Combler un trou noir avec des gravats, tâche dont l'évidente absurdité mène par beau temps à l'humilité.
Alors que l'alexandrin, lui, mène à Victor Hugo, qui se prenait quand même pour Victor Hugo, qui n'était guère plus qu'une fiction littéraire issue de son propre esprit auto-illusionné à force de prendre sa vessie pour une lanterne. Un peu comme johnwarsen, mais en mieux. L'époque s'y prêtait, et faisait grande consommation de victorugos. Et il fallait bien quelqu'un pour dire merde à l'empereur. L'Histoire le réclamait.
N'empêche que courir trop longtemps dans des chausses vétustes, pour ne pas dire des baskets nazes et périmées, alors que le joggueur avisé en change tous les ans, c'est pas bien malin, et ça m'a mené chez l'ostéopathe : les douleurs tout d'abord localisées dans la plante du pied mais niées par négligence, ont remonté au bas du dos, puis au cervicales et tandis que je m'obstinais à en ignorer l'origine, se sont carrément installées dans les os du crâne, j'avais l'impression de sentir mes plaques crâniennes chauffées au rouge, surtout du côté droit.
Bon, un copain a fini par me dire que ça devait venir de là, aussi, sinon je n'aurais peut-être pas trouvé tout seul. De l'utilité d'avoir des amis sur qui l'on peut compter.
La salle d'attente de l'osthéopathe est pleine de gens qui, comme moi sont venus sur le bouche à oreille autour du mythique praticien. La dernière fois que je l'avais vu pour un lumbago foudroyant, il y a trois ans, il opérait dans un quartier bien moins fameux de la ville, et son cabinet payait moins de mine. Le docteur est connu pour ne jamais dire "non" à une demande de rendez-vous même pour le jour même. Sa vocation de soulager la douleur est ainsi mise à la fois à l'épreuve et en pratique.
Il faut venir avec son tricot ou de quoi lire, parce qu'on sait qu'on va passer deux voire trois heures à attendre son tour, quelle que soit l'heure à laquelle on a pris rendez-vous. C'est le tarif. Le docteur D. se mérite, son retard chronique, aussi reconnu que sa compétence. lui est consubstantien.
J'ai amené Courrier international, dans lequel j'ai lu l'incroyable portrait de Rita Levi-Montalcini, une neurobiologiste italienne prix Nobel en 1986, qui fêtera ses 100 ans le 22 avril et qui arrache tout (hé oui, je lis des journaux un peu périmés, ça me donne du recul sur l'actualité).
Et le témoignage d'un chanteur somalien qui confirme que c'est LA destination actuelle pour les fatigués de la vie.
Au bout d'un numéro entier de l'hebdomadaire lu jusqu'au formulaire d'abonnement, et pourtant c'est écrit petit, c'est mon tour. L'ostéo grignote des gressins (bâtonnets croustillants, fins comme des crayons et pas du tout inscrits dans le plan nutrition santé) entre deux patients, vu qu'il n'a pas le temps de manger et continue de prendre des rendez-vous pour la fin de la journée alors que la salle d'attente est déjà pleine. D'abord je le suspecte d'être un saint laïque, parce que je l'entends, tout en me manipulant, donner des conseils dans le combiné qu'il a fort habilement coincé entre le cou et l'épaule, à une femme qui vient visiblement de se faire tabasser par son mari, et il lui suggère très posément d'aller déposer une main courante au commissariat, tant qu'elle a encore des marques, tout en suivant des deux mais l'étiologie de mes douleurs le long de mes vertèbres dorsales (je n'en ai pas encore de ventrales, mais j'y travaille) et je m'émerveille de cette hot-line vraisemblablement gratuite d'attention inconditionnelle, mais ensuite, il commence à me pétrir les épaules et la colonne, je ne le vois pas mais je sens ses mains qui ralentissent, ralentissent... et il s'endort. C'est pas pensable, mais c'est en train d'arriver. Pris à mon tour de compassion, je reste immobile, trente secondes, une minute... il revient à lui, dans un sursaut, et me noie d'un flot verbal d'explications techniques sur mon déséquilibre dans le pied gauche d'où me vient tout le mal. Je lui réponds poliment que ce n'est pas nécessaire, que j'ai compris qu'il a fait une micro-sieste, que ça m'arrive aussi, même au travail... il acquiesce, confesse qu'il travaille 80 heures par semaine, qu'il compense en partant souvent en vacances, parce qu'il a besoin de se recharger vu tout ce qu'il donne dans les consultations, en remettant même les blackettes d'équerre... il me proscrit le jogging pour quelques jours, j'ai bien fait de pas me vanter que je venais de désoucher un bouleau dans le jardin au prix d'un trou de 2 mêtres de diamêtre, au prix de 12 heures d'efforts étalés sur une semaine avec technique mixte à base de pioche, de bêche, de tronçonneuse et de petite pelle métallique, que ça m'avait pas arrangé le bas du dos non plus.
Je m'en vais en clopinant, revenant à regret et en marche arrière sur ma tentation de le canoniser : c'est sans doute un excellent praticien, il soulage sans compter, mais sa vie semble un chantier vivant, à l'image de ce refus de confier son planning à une secrétaire qu'il a pourtant largement les moyens d'engraisser, et ce n'est pas de la pingrerie non plus, mais il y a cette absence totale de hiérarchisation dans sa vie, et cette manie absurde de convier plus de malades qu'il ne peut raisonnablement en traiter (ou alors en s'endormant pendant les consultations ou toute autre manière que son organisme est obligé d'inventer pour récupérer.)
C'est un personnage haut en couleurs, qui mériterait un documentaire, parce que tous les aspects de sa vie débordent les uns dans les autres, en tout cas pour ce que j'en ai vu, et qu'en télé ça s'appelle un bon client. Mais se faire traiter par lui, c'est assez aléatoire.
Pendant la semaine, les douleurs dans le côté droit du crâne et le bas du dos s'estompent très lentement, et j'envisage d'aller en voir un autre, parce que j'en ai marre de couiner comme un petit vieux à chaque fois que je fais un faux mouvement, et même si j'ai plaisanté dans la salle d'attente avec les patients qui feignaient de s'indigner de l'impossibilité de savoir à quelle heure la consultation aura vraiment lieu, je n'ai pas le loisir d'hypothéquer une demi-journée par çi par là en ce moment. Je ne sais pas si c'est un effet du besoin de reconnaissance, mais il demande beaucoup de patience à ses patients.
Quelques jours plus tard, je découvre qu'une heure de dos crawlé m'apporte un soulagement durable, et je me refidélise sur la piscine du samedi matin avec ma fille qui adore ça, même si elle n'est toujours pas convaincue de l'intérêt d'apprendre à nager. Et je réduis la voilure sur les postures tendancieuses au jardin (garder le dos droit en toutes circonstances, bordel ! et penser à prendre appui sur le genou avec la pelle plutôt que de faire jouer le coccyx)
Un soir, je rêve qu'après avoir aidé à transcrire les chansons de bob dylan en français pour francis cabrel (hugues aufray ayant vulgarisé dylan dans le mauvais sens du terme), Obama venait me remercier de ce que je faisais pour la culture US. Ce qui me renvoie en me marrant à mon propre besoin de reconnaissance. Sans parler du mépris que je nourrissais pour la culture américaine, que les blockbusters en blue-ray ont rendu grotesque.
Je redéchiffre enfin en un cahier obscur que j'aurais jadis griffonné que "le refus de penser la verticalité (immanence ou transcendance) c'est pour éviter la peur d'avoir à se situer tout en bas de cette échelle, ce qui contraint à une forme ou une autre de complaisance avec cette nullité, puisque la refuser n'annule pas ses effets. Et pendant ce temps, on se noie dans l'horizontal, déprimant par manque de sens. Comme je suis en vacances chez ma soeur avec mes marmots, et que je viens de faire mon Qi QONG, je m'autorise à penser que ce refus est bien nigaud."
P'tain j'ai fait du Qi Qong moi ?

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