vendredi 30 janvier 2015

Arrogance & humiliation, le retour

Réflexions nées de la méditation de l’éditorial de Philippe Val, Loué soit son Saint Nom !

Je crois que je viens de piger quelque chose.
Ne riez pas.
Je vous dirai.
Bon, les Arabes, on dirait qu’ils ont un peu la modernité coincée en travers de la gorge.
Et ça ne date pas de cette triste affaire de caricatures.
La modernité, comment s’en accommoderaient-ils ?
Il faudrait rénover l’islam, mis à l’épreuve des réalités du monde contemporain qu'on a au jour d'aujourd'hui.
Je veux dire, mettez-vous à leur place : ça doit pas être évident de concilier les deux.
Takavouar ici et .
Clique, mon ami, clique ! Tu sais pas qui te cliquera !
Et pendant que leurs certitudes s’écroulent, nous on fait rien qu’à ricaner bêtement. 
Ca les énerve d’autant plus. 
La provocation obtient rarement le résultat escompté.
Sauf si le résultat escompté, c’est l'exaspération du camp adverse, jusqu'à sa réaction violente, donc peu humaine, car chaque humain sait bien au fond de lui-même que la violence est une réaction obsolète, un acte de désespoir.
En déclenchant cette réaction disproportionnée, on prouve ainsi à peu de frais le manque d'humanité de l'Adversaire.
Ca en a refroidi plus d'un par chez nous la semaine dernière. 

Ca me rappelle un oncle, un des trois frères de mon père, toujours à faire chier ses frangins.
Même goût pour la provocation, même arrogance de l’humilié…
Ah ça, on peut dire qu'il les a bien énervés, ses Arabes.
(=> ses frères Dalton)
(ah oui, avec la pensée analogique, faut s'accrocher, t’as qu’à prendre des notes…)



Les frères Dalton quand ils étaient petits...
On note à l'arrière plan la présence de Ma Dalton.
Le Prophète doit être occupé à prendre la photo.

Jusqu'où pousser mon parallèle ?
Pas très loin :  
Si l’agressivité de ses frères a isolé mon oncle et l'a marginalisé au sein de sa propre famille humaine, d'abord ils n'ont même pas de pétrole, et puis ils n'iraient pas jusqu'à zigouiller leur frangin, ils se contentent d'être fâchés à mort.
C’est l’avantage du Symbolique sur le Réel, qui permet d’économiser de précieuses vies humaines.
Y z’ont pas encore compris ça, les Arabes.
(Les vrais, pas les frères Daltoniens, ceux qui voient rouge quand on leur agite un chiffon caricatural sous le nez)
Faudrait leur écrire « Le Coran pour les nuls », pour leur permettre d'entrer dans le Royaume de la Pensée Symbolique.
(La semaine dernière, j’avais en projet d’écrire "Le Coran pour les cons », mais la fraction bête, méchante et lourdement armée de Charlie me dit que ça existe déjà, et que ça s’appelle « Le Coran »)
Bref.
Je m’égare.
D’ailleurs, c’est plutôt eux (Jack, William et Averell Dalton, pour ne pas les nommer) qui sont fâchés avec Joe, qui à l'approche de la mort aimerait bien renouer le lien, mais ça ne va pas se faire, et malgré mes velléités passées de faire entendre raison aux uns et aux autres, l’expérience m’a prouvé qu’on ne pouvait être médiateur familial dans sa propre famille.
Alors je laisse pisser, mon oncle Joe comme les Arabes, et en même temps, je me rappelle ce vieux proverbe arabe, justement : « il vaut mieux que le chameau soit dans la tente et pisse dehors plutôt que l’inverse » 
Il ne me reste plus qu'à espérer l'intervention d'une puissance supérieure, genre Batman, bien connu pour son habilité en négociations d'usage sans faire usage d'armes à feu, mais s’Il existe, il n’est pas souvent au bureau.

jeudi 29 janvier 2015

J'étais Oncle Bernard, par feu Bernard Maris

Dernier éditorial pré-mortem de Bernard Maris, dans le Charlie Hebdo n°1177, vous savez, ce fanzine de lycéens qui ne tirait qu'à 60 000 exemplaires jusqu'Allah semaine dernière.


mercredi 28 janvier 2015

[Repost] Les frères Ben Qutuz à Frustration Land 2/2

2 octobre 2012

 Et voilà, le temps que je monte la version 7 du clip de Dédé et Mireille, on était déjà demain, et il est donc temps de retrouver nos héros d'hier.






mardi 27 janvier 2015

[Repost] Les frères Ben Qutuz à Frustration Land 1/2

1 octobre 2012

En rangeant mes vieux Metal Hurlant dans le garage dans le but de les vendre, je retrouve un numéro de Ferraille Illustré dans lequel a été publiée cette histoire d'Etienne Bravo qui me suggère d'une façon originale et cruelle tout ce qu'il y à savoir sur les émeutes dans les pays arabes que ne me disent pas les médias occidentaux.
Et en plus, y'a Batman.
A part ça, Emile Bravo a écrit une très belle aventure rétrofuturiste de Spirou, mais là on est plus proche de Yvan Brun ou de Rémi Dutreix.

Clique sur les images pour les voir en grand !







lundi 26 janvier 2015

La gauche radicale a eu tort d’attaquer la prétendue islamophobie de « Charlie »

Pour Christophe Ramaux, la gauche radicale a eu tort d’attaquer la prétendue islamophobie de « Charlie »

LE MONDE | 09.01.2015

C’était finalement un testament. Dans un article de l’ensemble de sa rédaction publié le 20 novembre 2013 (dans Le Monde), Charlie s’élevait contre le procès en islamophobie intenté depuis longtemps par certains, en particulier à la gauche de la gauche. Un islamophobe, et il y en a, est un raciste. Un bouffeur de religions, et Charlie en était, n’est pas raciste. Il maudit toutes les religions et c’est bien son droit. Cibler uniquement l’islam, c’est cibler derrière lui certaines populations, les Arabes au premier chef. La rédaction de Charlie avait raison : en les accusant d’islamophobie, c’est un procès en racisme que d’aucuns s’autorisaient à son encontre. Une salissure ignoble pour ces dessinateurs et écrivains qui ont toujours eu l’antiracisme chevillé à la plume.
Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer que des dirigeants d’Attac, du NPA, des journalistes de Politis et d’autres – les uns et autres ont organisé avec les Indigènes de la République et Mediapart une Journée contre l’islamophobie le 13 décembre 2014 – aient pu alimenter cette infamie ? Comment expliquer que certains animateurs des Economistes atterrés aient rejeté la collaboration de Charb au prétexte qu’il était islamophobe ? Les Economistes atterrés – dont le spectre va bien au-delà de la gauche radicale – ont heureusement remis les pendules à l’heure et rendu ainsi hommage à Bernard Maris, leur oncle à tous. Leur collectif d’animation a décidé, après débats et contre l’avis de certains irréductibles, de publier un communiqué où il est fait explicitement mention de la laïcité.
Attac a décidé l’inverse. Son communiqué se refuse sciemment à mentionner la laïcité. On en est là : certains ont commis un précédent en accusant Charlie d’islamophobie. Après le massacre de la rédaction, ce précédent de trop appelait un sursaut. Nombreux dans la gauche de la gauche en sont conscients. D’autres s’acharnent dans l’aveuglement, en refusant de nommer la laïcité, ce pourquoi ceux de Charlie sont tombés. Ils proclament qu’ils sont « tous Charlie ». Au ciel, les principaux intéressés, fidèles à eux-mêmes, doivent en rire, mais en jaune amer. Comment expliquer cette dérive ?

Les musulmans peuvent-ils être réactionnaires ?

La réponse est dans le testament de Charlie. Sa rédaction s’interrogeait : au nom de quoi « la religion musulmane […] devrait, elle, être épargnée. Pourquoi diable ? Quel est le rapport, autre qu’idéologique, essentialiste au fond, entre le fait d’être arabe par exemple et l’appartenance à l’islam ? » C’est bien là le cœur du problème. Sans craindre le racisme pervers qui se niche ici, certains ne conçoivent pas que des musulmans, des immigrés ou enfants d’immigrés puissent être totalement réactionnaires, et même fascistes, au même titre que certains catholiques, protestants, juifs ou agnostiques. Plus de mille départs en Syrie, cela devrait alerter ceux qui n’ont pu envoyer que quelques dizaines de guérilleros en Amérique latine ou ailleurs.
Ceux-là continuent néanmoins à nier qu’une frange extrêmement minoritaire, mais signifiante, de la jeunesse trouve sa cause dans le fascisme djihadiste. Nommer la chose serait favoriser « l’islamophobie ». Comme si la masse des musulmans n’avait pas besoin d’être soutenue dans la lutte sans merci de « tous ensemble » contre le fascisme vert. Selon Edwy Plenel, grand contempteur de l’islamophobie, la question qu’il convient de poser est « pourquoi notre société produit-elle ces enfants-là » ? Juste question de prime abord. Oui le capitalisme néolibéral, l’austérité, engendre comme toujours, chômage, précarité et désespérance sociale. Mais cela ne suffit pas. La politique ne peut être rabattue sur l’économie et la sociologie. Elle a son autonomie, sa consistance propre. Les mêmes conditions sociales ne produisent pas les mêmes trajectoires. Les êtres humains ont d’abord une tête, vivent de représentation. Ils ont leur autonomie, leur responsabilité.
Dénier la responsabilité de ceux qui adhèrent à l’intégrisme radical, n’est-ce pas les nier un peu plus ? Et n’est-ce pas un narcissisme lui aussi pervers que de laisser entendre que « nous » sommes « aussi » responsables de cela ? La dite « société » n’est-elle qu’à accabler ? Aussi perfectible soit-elle, et elle l’est grandement, ne doit-elle pas aussi être défendue dans ses fondements mêmes – les valeurs républicaines dont la laïcité justement – face à ceux qui la violentent ? Au rassemblement de mercredi soir à Paris seuls « Charlie, Charlie » et « liberté d’expression » ont percé le silence de l’effroi. Quels seront les mots d’ordre des prochaines manifestations ? « Non à tous les fascismes dont celui des djihadistes » : c’est la seule trame susceptible de rendre véritablement hommage à la profondeur du combat de Charlie.
Contre le fascisme brun donc, mais aussi – et explicitement – contre le fascisme vert, car le déni de ce dernier nourri le premier. La gauche radicale reprendra-t-elle cette trame ? Espérons-le. Il y aura bien d’autres chantiers à défricher pour elle ensuite : celui du rapport à l’Etat, à la nation, à la démocratie y compris représentative, au pouvoir justement, à l’intérêt général, à la société même.
Il est minuit moins le quart pour la « génération » de mai 68. Charlie a été l’étendard le plus échevelé de cette génération. Qui l’eut cru ? Qui eut cru que ce soit par Charlie que cette « génération » fasse enfin le deuil de ses impasses ? Qui eut cru que Charlie soit élevé au rang de cause nationale, de deuil national, que résonnent par lui la rose et le réséda ? L’histoire prochaine de notre pays sera-t-elle aussi facétieuse que Charlie l’était ? Nous sommes peut-être « minoritaires » indiquait tragiquement le testament de Charlie. Pas sûr…

Christophe Ramaux, membre du collectif d’animation des Economistes atterrés, Université Paris-I


dimanche 25 janvier 2015

La peur d’une communauté qui n’existe pas

"La peur d’une communauté qui n’existe pas"

Par Olivier Roy, chercheur spécialiste de l’islam

LE MONDE | 09.01.2015 

L’émotion qui a saisi la France après la tuerie de Charlie Hebdo est plus qu’une réaction d’horreur ou une manifestation de solidarité : elle est un fait de société. Car cet acte terroriste est lui aussi plus qu’un crime : c’est un événement politique, non pas parce qu’il est l’attentat le plus meurtrier commis en France depuis 1961 ou parce qu’il touche à la liberté d’expression et à celle de la presse (des attentats, il y en a eu et il y en aura encore, sous quelque drapeau que ce soit, et la liberté d’expression a connu et connaîtra bien d’autres menaces), mais parce qu’il transforme un débat intellectuel en question quasi existentielle : s’interroger sur le lien entre islam et violence conduit à s’interroger sur la place des musulmans en France.

Soumission à rebours

L’enjeu, au-delà d’une dimension purement sécuritaire qui est parfaitement gérable (non, il ne s’agit pas du 11-septembre français, – un peu de tenue et de retenue !), est celui de la présence musulmane en France. Cet enjeu se posait bien avant l’attentat contre Charlie Hebdo, mais dans des termes politiquement « localisés » : l’obsession populiste anti-immigration, les angoisses civilisationnelles d’une droite conservatrice se réclamant d’un christianisme identitaire, ou bien la phobie antireligieuse d’une laïcité venue de la gauche, mais qui s’est elle aussi transformée en discours identitaire attrape-tout récupéré par le Front national (FN).
Désormais, l’inquiétude au sujet de l’islam et des musulmans de France est devenue un thème plus diffus, moins marqué politiquement, qui va au-delà des familles idéologiques, et donc qui n’est plus sensible à un traitement moralisateur ou culpabilisant (l’antiracisme ou les appels creux et donc vains au vivre-ensemble). Rien ne sert de cibler le FN, les thèmes qu’il a développés sont désormais dans le domaine public et le petit jeu de savoir qui est responsable n’a plus guère de sens. La parole s’est libérée et l’on se confronte aujourd’hui à l’islamophobie de l’honnête homme, au moment même où chacun a, par ailleurs, un honnête et bon copain musulman.
Pour simplifier (mais tout est simplification aujourd’hui), deux discours se partagent l’espace public. Le discours désormais dominant (même s’il prétend toujours s’opposer au « politiquement correct », alors qu’il est devenu « le » politiquement correct) considère que le terrorisme est l’expression exacerbée d’un « vrai » islam qui se ramènerait en fait au refus de l’autre, à la suprématie de la norme (charia) et au djihad conquérant, même si ces choix se font plus par défaut et par ressentiment que par certitude de détenir la vérité. En un mot, tout musulman serait porteur d’un logiciel coranique implanté dans son subconscient qui le rendrait, même modéré, inassimilable, à moins, bien sûr, de proclamer haut et fort sa conversion publique à un improbable islam libéral, féministe et « gay-friendly », si possible sur un plateau télé sous les coups d’un journaliste pugnace et intransigeant, lequel pourrait se rattraper de ses complaisances envers les grands « chrétiens » de ce monde. Cette demande de « soumission » est désormais récurrente (« pourquoi vous, les musulmans, ne condamnez pas le terrorisme ? »). Et c’est sans doute par antinomie que Michel Houellebecq invente la soumission à rebours.
Le deuxième discours, minoritaire et qui a du mal à se faire entendre, est celui que je qualifierais d’« islamo-progressiste », mis en avant par des musulmans plus ou moins croyants et par toute la mouvance antiraciste. Not in my name, « pas en mon nom ». L’islam des terroristes n’est pas « mon » islam, et ce n’est pas l’islam non plus, qui est une religion de paix et de tolérance (ce qui pose un problème d’ailleurs pour nombre d’athées d’origine musulmane, qui oscillent entre la surenchère dans la condamnation du fondamentalisme et la nostalgie d’un islam « andalou » qui n’a jamais existé). La vraie menace, c’est l’islamophobie et l’exclusion qui peuvent expliquer, sans l’excuser, la radicalisation des jeunes. Tout en participant au chœur du grand récit de l’union nationale, les antiracistes ajoutent un bémol : attention à ne pas stigmatiser les musulmans.
La juxtaposition de ces deux discours conduit à une impasse. Pour en sortir, il faudrait d’abord prendre en compte un certain nombre de faits, têtus, qu’on ne veut pas voir et qui montrent que les jeunes radicalisés ne sont en rien l’avant-garde ou les porte-parole des frustrations de la population musulmane, et surtout qu’il n’y a pas de « communauté musulmane » en France.
Les jeunes radicalisés, s’ils s’appuient bien sur un imaginaire politique musulman (la oummah des premiers temps), sont en rupture délibérée tant avec l’islam de leurs parents qu’avec les cultures des sociétés musulmanes. Ils inventent l’islam qu’ils opposent à l’Occident. Ils viennent de la périphérie du monde musulman (à savoir l’Occident : la Belgique fournit cent fois plus de djihadistes pour Daech que l’Egypte, proportionnellement à la population musulmane présente sur le territoire), ils se meuvent dans une culture occidentale de la communication, de la mise en scène et de la violence, ils incarnent une rupture générationnelle (les parents désormais appellent la police quand leurs enfants partent en Syrie), ils ne sont pas insérés dans les communautés religieuses locales (mosquées de quartier), ils pratiquent l’autoradicalisation sur Internet, recherchent un djihad global, et ne s’intéressent pas aux luttes concrètes du monde musulman (Palestine). Bref, ils n’œuvrent pas à l’islamisation des sociétés, mais à la réalisation de leur fantasme d’héroïsme malsain (« J’ai vengé le Prophète », clamait un des tueurs de Charlie Hebdo). La grande proportion de convertis parmi les radicaux (22 % de volontaires qui rejoignent Daech, selon la police française) montre bien que la radicalisation concerne une frange marginale de la jeunesse en général et non le cœur de la population musulmane.

Cliché

Inversement, si l’on peut dire, les faits montrent que les musulmans français sont bien plus intégrés qu’on ne le dit. Chaque attentat « islamiste » fait désormais au moins une victime musulmane parmi les forces de l’ordre : Imad Ibn Ziaten, militaire français tué par Mohamed Merah à Toulouse en 2012, ou le brigadier Ahmed Merabet, tué lorsqu’il a tenté d’arrêter le commando des tueurs de Charlie Hebdo. Au lieu d’être cités en exemple, ils sont pris en contre-exemple : le « vrai » musulman est le terroriste, les autres sont des exceptions. Mais, statistiquement, c’est faux : en France, il y a plus de musulmans dans l’armée, la police et la gendarmerie que dans les réseaux Al-Qaida, sans parler de l’administration, des hôpitaux, du barreau ou de l’enseignement.
Un autre cliché veut que les musulmans ne condamnent pas le terrorisme. Mais Internet déborde de condamnations et de fatwas antiterroristes. Si les faits démentent la thèse de la radicalisation de la population musulmane, pourquoi sont-ils inaudibles ? Pourquoi s’interroge-t-on autant sur une radicalisation qui ne concerne que les marges ? Parce qu’on impute à la population musulmane une communautarisation qu’on lui reproche ensuite de ne pas exhiber. On reproche aux musulmans d’être communautarisés, mais on leur demande de réagir contre le terrorisme en tant que communauté. C’est ce qu’on appelle la double contrainte : soyez ce que je vous demande de ne pas être. Et la réponse à une contrainte ne peut être qu’inaudible.
Si, au niveau local, celui des quartiers, on peut constater certaines formes de communautarisation, il n’en est rien au niveau national. Les musulmans de France n’ont jamais eu la volonté de mettre en place des institutions représentatives et encore moins un lobby musulman. Il n’y a pas l’ombre du début de la mise en place d’un parti musulman (désolé pour Houellebecq, mais il a l’excuse de la fiction) ; les candidats à la vie politique qui sont d’origine musulmane se répartissent sur l’ensemble du spectre politique français (y compris à l’extrême droite). Il n’y a pas de vote musulman (ce que le PS découvre à son détriment).
Il n’y a pas, non plus, de réseaux d’écoles confessionnelles musulmanes (moins de dix en France), pas de mobilisation dans la rue (aucune manifestation sur une cause islamique n’a rassemblé plus de quelques milliers de personnes), presque pas de grandes mosquées (lesquelles sont presque toujours financées de l’extérieur), mais un pullulement de petites mosquées de proximité. S’il y a un effort de communautarisation, il vient d’en haut : des Etats, et non des citoyens. Les prétendues organisations représentatives, du Conseil français du culte musulman à la Grande Mosquée de Paris, sont tenues à bout de bras par les gouvernements français et étrangers, mais n’ont aucune légitimité locale. Bref, la « communauté » musulmane souffre d’un individualisme très gaulois, et reste rétive au bonapartisme de nos élites. Et c’est une bonne nouvelle.
Et pourtant, on ne cesse de parler de cette fameuse communauté musulmane, à droite comme à gauche, soit pour dénoncer son refus de vraiment s’intégrer, soit pour en faire une victime de l’islamophobie. Les deux discours opposés sont fondés en fait sur le même fantasme d’une communauté musulmane imaginaire. Il n’y a pas de communauté musulmane, mais une population musulmane. Admettre ce simple constat serait déjà un bon antidote contre l’hystérie présente et à venir.

Olivier Roy est professeur à l’Institut universitaire européen, où il dirige le Programme méditerranéen. Spécialiste de l’islam internationalement reconnu, il est notamment l’auteur de L’Islam mondialisé (Le Seuil, 2002), Le Croissant et le chaos (Hachette 2007), La Sainte Ignorance (Le Seuil, 2008) et d’En quête de l’Orient perdu, entretiens avec Jean-Louis Schlegel (Seuil 324 p., 21,00 €).

samedi 24 janvier 2015

« Ma génération choisissait l’extrême gauche, eux le djihad »

LE MONDE | 09.01.2015 

« Ma génération choisissait l’extrême gauche,
eux le djihad »

Par  Cécile Chambraud

Ils sont parfois très jeunes, tantôt ­convertis, tantôt de famille musulmane, ruraux ou urbains, issus de milieux en difficulté ou des classes moyennes et parmi eux des jeunes filles, des couples avec enfants… Les Européens sont pris de vertige en découvrant dans les médias, semaine après semaine, le nouveau visage de leurs enfants qui, par centaines et même par milliers, partent en Syrie s’enrôler dans les rangs de l’insurrection djihadiste – ou en éprouvent la tentation. « Nos capacités ont atteint leurs limites », s’est récemment alarmé le procureur général d’Allemagne, Harald Range, devant le nombre d’enquêtes ouvertes. En France, les services de l’Etat évaluent à un millier le nombre de personnes qui sont parties ou revenues de la « guerre sainte ».
Que signifie cet engouement à rejoindre des combattants dont la majeure partie de l’opinion ne retient que des têtes tranchées, des otages exécutés et des localités entières martyrisées ? Comment comprendre ce qui convainc des jeunes, parfois jugés bien insérés, d’aller risquer leur vie – et même de vouloir mourir – pour une cause à laquelle, parfois, rien ne semblait les prédestiner ? Comment interpréter la vitesse à laquelle ces jeunes semblent se décider, comme en témoignent des parents atterrés et impuissants ?

Ce sont les convertis à la religion musulmane qui, pour le chercheur Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, livrent une première « clé de compréhension » du phénomène. « Leur fort pourcentage (20 % à 25 %) montre qu’il ne s’agit pas de la radicalisation d’une partie de la population musulmane, observe-t-il. C’est une constante depuis quinze ans. Il y en avait la même proportion dans le gang de Roubaix », composé pour la plupart d’anciens membres de milices défendant la cause musulmane pendant la guerre de Bosnie, au milieu des années 1990.
« Le phénomène dépasse largement les communautés musulmanes, approuve le sociologue Farhad Khosrokhavar, auteur d’un livre intitulé Radicalisation (Maison des sciences de l’homme, 2014). Depuis un an et demi, il est beaucoup plus global. Il touche maintenant la tranche des 15-17 ans, les classes moyennes. » « Daech, analyse Olivier Roy, n’est pas l’expression d’une culture traditionnelle musulmane. Ses membres se posent comme seuls détenteurs du savoir, comme seuls vrais musulmans et considèrent tous les autres comme des hérétiques. »
Comment expliquer cette vague d’enrôlement ? Pour Olivier Roy, ces jeunes seraient pris dans un « mouvement générationnel », marqué par une forme de nihilisme. « Dans les messages que certains laissent, ils disent : “J’avais une vie vide, sans but.” La vie telle qu’ils l’appréhendent dans leur famille “ne vaut pas d’être vécue”. Ma génération choisissait l’extrême gauche, eux le djihad, car c’est ce qu’il y a sur le marché. »

L’attrait de l’abcès syrien

Pour comprendre cet engagement de génération, il faut revenir à l’origine, c’est-à-dire à la révolte syrienne contre le régime de Bachar Al-Assad. Car on oublie qu’avant ce moment-clé, comme l’explique Samir Amghar, chercheur à l’université du Québec à Chicoutimi, « on était dans une phase de déclin du djihadisme ». La mort d’Oussama Ben Laden, l’emprisonnement de nombreux cadres, la réinsertion d’autres par des régimes du Golfe se conjuguaient pour que le mouvement s’étiole. « Les “printemps arabes” lui ont donné un second souffle, résume le chercheur, notamment avec la libération de nombreux djihadistes emprisonnés, comme en Tunisie et en Libye. Et la Syrie est venue fournir une zone de conflit, une nouvelle utopie. »
Le changement, confirme Mohamed-Ali Adraoui, auteur d’un essai intitulé Du Golfe aux banlieues, le salafisme mondialisé (PUF, 2013) a précédé l’avènement de l’Etat islamique (EI). « Beaucoup sont partis se battre contre Assad. C’est la clé, cela en a convaincu un bon nombre. »
Le fait que les Occidentaux aient renoncé à intervenir militairement contre le régime de Bachar Al-Assad à l’été 2013, après qu’il eut fait usage d’armes chimiques, a pu renforcer la révolte contre le sentiment d’abandon de l’opposition syrienne. « Il n’y a pas eu une seule autocritique là-dessus » chez les Occidentaux, relève Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris. « Il y a quelques mois, en France, tout le monde était d’accord pour renverser Assad, note Olivier Roy. Eux tentent de le faire aujourd’hui. »
Pour décrire ce qui fait l’attrait si puissant de l’abcès syrien, au point que certains soient prêts à tout abandonner pour le rejoindre, Mohamed-Ali Adraoui fait un parallèle à première vue audacieux avec la capacité de mobilisation d’une organisation non gouvernementale. Une ONG « fonctionne à la mondialisation et à l’utopie, explique-t-il. Lorsqu’une catastrophe se produit quelque part, des personnes animées par l’esprit de solidarité partent sur ce théâtre ». Cette catastrophe, c’est le conflit syrien, avec ses images d’enfants tués, de civils pris pour cible ou empoisonnés à l’arme chimique.
Dans les motivations de ceux qui sont partis ces derniers mois, affirme aussi Farhad Khosrokhavar, « il y a une réinterprétation de l’humanitaire. Une bonne partie d’entre eux ne sont pas dans le djihad comme l’était Mohammed Merah. Il y a un mélange d’humanitaire et de néocommunautaire. Ils sont prédjihadistes. Une fois sur place, avec l’endoctrinement, ils peuvent se transformer ». La facilité d’accès aux scènes de guerre contribue aussi à faire du phénomène une vague sans précédent, selon Jean-Pierre Filiu. « On part de Paris le matin, on y arrive le soir. »
Depuis la première guerre d’Afghanistan jusqu’à la Syrie et à l’Irak aujourd’hui, en passant par la Tchétchénie, la Bosnie, le Cachemire, des non-musulmans d’origine se sont impliqués dans des conflits. « A condition que les théâtres soient accessibles, nuance Mohamed-Ali Adraoui. Ce n’est pas le cas par exemple de la Palestine ou de la Chine, pays où le djihad demeure endogène. » L’Algérie des années 1990, cadre d’un très sanglant affrontement entre l’Etat et les islamistes, représente aussi un contre-exemple instructif. En dépit des liens entre ce pays et l’Europe, et singulièrement la France, il n’avait pas eu un tel effet d’appel sur de jeunes Européens. C’est, explique Farhad Khosrokhavar, que contrairement au drame syrien il ne s’inscrivait pas dans le contexte d’espérance collective des révolutions arabes.
Le chercheur discerne aussi une dimension proprement européenne à cette tentation djihadiste. D’abord parce que de nombreux pays du continent sont touchés à une même échelle, bien davantage, proportionnellement, que les Etats-Unis. « Il y a un malaise européen. La nation, au cœur de la construction européenne, est en crise. L’Europe ne parvient plus à donner un horizon d’espérance à sa jeunesse », analyse-t-il.
Auteur de L’Apocalypse dans l’islam (Fayard, 2008), l’historien Jean-Pierre Filiu insiste sur l’importance de la dimension apocalyptique, associée au territoire sur lequel l’EI étend son emprise. Le « Cham », l’équivalent du Levant avec, au centre, le continuum syro-irakien, est affilié dans la tradition musulmane à des prophéties eschatologiques sur fond de bataille de la fin des temps. Elles sont au cœur du discours des djihadistes et participent, aux yeux de ces spécialistes, à la « séduction » exercée par ce champ de bataille. « Moins la culture musulmane des candidats au djihad est forte, plus elles ont d’emprise », souligne Jean-Pierre Filiu. « Cette dimension est liée à la fascination de la violence, à la culture gore que l’on retrouve partout, estime Olivier Roy. C’est un phénomène profondément moderne et générationnel. La dimension apocalyptique est dans notre culture. On ne veut pas voir que Daech est un produit de notre modernité », affirme-t-il.

« Amateurisme » et « théâtralisation »


Cet univers s’illustre à travers certains des documents, notamment vidéo, mis à disposition des candidats au djihad sur Internet. Dounia Bouzar et le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam étudient depuis des mois ce que des jeunes tentés par un départ regardent sur le Web. La chercheuse note une sophistication récente de la propagande djihadiste, qui présente maintenant « des offres individualisées » pour se couler dans « les univers de référence » variés de ces jeunes. Certains mettent en avant des « valeurs humanistes » et altruistes, d’autres empruntent à l’univers des jeux vidéo (notamment d’Assassin’s Creed), d’autres insistent sur la « communauté de substitution » que des jeunes ayant du mal à trouver leur place rechercheraient dans cet engagement. « Au départ, relève Dounia Bouzar, ils sont captés sur Internet par des choses qui n’ont parfois rien à voir avec l’islam, notamment des théories du complot, des récits de manipulations… »
La chercheuse décrit aussi longuement dans son rapport « les techniques des dérives sectaires » utilisées par les « recruteurs » du Net : isolement puis rupture avec les proches, dépersonnalisation, théories du complot. Cette approche est critiquée par certains. La théorie de l’emprise sectaire « est un refus de comprendre, selon Olivier Roy. C’est nier à quelqu’un la raison de son action. Ces jeunes sont volontaires. Ce sont eux qui vont chercher sur des sites ».
La Toile serait-elle donc le premier agent recruteur du djihad ? Samir Amghar en doute : « Internet est un lieu de socialisation, d’alphabétisation djihadiste. Mais ce n’est pas Internet qui incite à partir. C’est plutôt un copain, une rencontre, un leader charismatique. » Le Web et les réseaux sociaux, quoi qu’il en soit, servent puissamment une autre dimension dans l’engagement de ces jeunes qui a trait à la construction de soi. Désormais, ceux qui partent font parfois profiter les internautes de leur parcours en postant photos et vidéos de chaque étape. Ils s’affichent avec une kalachnikov, un drapeau noir, même s’ils n’ont jamais combattu. « La personne se transforme, résume Jean-Pierre Filiu. Elle devient chevalier. Maxime Hauchard, [un Français qui apparaît sur des vidéos de décapitations] devient Abu Abdallah Al-Faransi, il porte des explosifs, des armes. La transformation physique aussi est impressionnante. Ils finissent par ressembler à Al-Baghdadi », le chef de l’Etat islamique.

L’« amateurisme » de ces nouvelles recrues va de pair avec la « théâtralisation » de leur engagement, selon Samir Amghar. « C’est une esthétisation de l’islam. On rejoint moins la Syrie pour combattre Assad que pour montrer qu’on est capable de partir. C’est une posture. Ces jeunes sont le produit d’une société occidentale où l’image est centrale et où il est difficile de vivre dans l’anonymat. Même sans trop de talent, on peut devenir une vedette. » Et jouer avec la mort.