lundi 5 octobre 2009

Comment réduire sa consommation

Lu aujourd'hui sur le site du Monde :

Avec la crise financière et le respect de l'environnement, il est de bon ton d'économiser l'énergie.

"Les ménages consomment 47 % de l'énergie produite en France pour leurs besoins domestiques", selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cette énergie consacrée à l'habitat est utilisée à 65 % pour le chauffage, à 16 % pour l'énergie spécifique (lave-linge, lave-vaisselle, réfrigérateur, éclairage...), à 12 % pour l'eau chaude et à 7 % pour la cuisson.
"La consommation d'énergie varie de 1 à 4 selon le type d'habitat, explique Jean-Jacques Roux, enseignant-chercheur au Centre thermique de Lyon, CNRS. Les logements anciens consomment en moyenne 240 kilowattheures par mètre carré et par an (kWh/m2/an), contre 120 à 150 kWh/m2/an pour les plus récents et 60 kWh/m2/an pour les écologiques."
Consommation : - 30 % dans l'habitat
Trois mesures permettent de réduire de près de 30 % la consommation d'électricité dans l'habitat.
Utiliser des ampoules basse consommation. Ces lampes consomment cinq à six fois moins d'énergie que les ampoules à incandescence et ont une durée de vie sept à dix fois plus longue. Plus onéreuses que les ampoules traditionnelles, elles produisent 80 % de lumière et 20 % de chaleur contre 5 % de lumière et 95 % de chaleur pour les lampes à incandescence. A proscrire, les lampes halogènes, 50 % plus énergivores que les lampes à incandescence.
Opter pour des équipements étiquetés A, A+ ou A++, qui consomment très peu d'énergie. Un peu plus chers à l'achat, ils sont plus économiques à long terme. Dix ans après le lancement de l'étiquette énergétique (qui va de A, la plus économe, à G), les classes inférieures E, F, G ont disparu et le D est quasiment absent des rayons. Un réfrigérateur ou un congélateur classé A permet de diviser par trois la consommation. Des discussions sont en cours au niveau européen pour supprimer, en 2014, tous les appareils de froid classés A au profit des appareils plus performants notés A+ et A++.
Eviter de laisser des appareils électriques en veille en utilisant des multiprises avec interrupteur. La fonction veille, qui permet de programmer la mise en route des équipements électroménagers et audiovisuels, et la commande à distance des appareils comme le téléviseur, la radio, la chaîne hi-fi... sont un gros poste de consommation. "Cette fonction consomme presque autant d'énergie que l'éclairage dans un logement", selon une étude de Science & Décision, "Les économies d'énergie : choix ou nécessité ?", réalisée par l'université Evry-Val-d'Essonne et le Centre national de la recherche scientifique. "A l'échelle de la France, cela représente, chaque année, 0,5 % de la consommation totale d'énergie en France."
Là aussi, une réflexion est menée au niveau européen pour obliger les constructeurs à prévoir une fonction arrêt sur tous les appareils électriques - sans perdre la programmation.
Géothermie et solaire
Inépuisable et non polluante, l'énergie solaire permet, grâce à des panneaux thermiques fixés sur le toit d'un bâtiment, d'assurer une bonne partie du chauffage de la maison et de l'eau chaude sanitaire (à ne pas confondre avec les panneaux photovoltaïques réservés à des bâtiments de grande taille et des surfaces de toit importantes).
Selon la région, le rendement varie entre 50 % et 70 %. Avec 4 m2 de capteurs, un chauffe-eau solaire moyen peut fournir 50 % des besoins d'eau chaude d'un foyer à Lille, 56 % à Paris, 66 % à Bordeaux et 75 % à Marseille.
Capter la chaleur emmagasinée dans le sol, grâce à une pompe à chaleur, permet de chauffer la maison. C'est la géothermie. Cet appareil fonctionne sur le principe d'un réfrigérateur, mais produit l'effet inverse : de la chaleur et non du froid. Solution de chauffage l'hiver, la pompe à chaleur, à condition qu'elle soit réversible, permet aussi de rafraîchir la maison l'été.
Les gestes les plus simples...
Si la diminution de la consommation résulte tout d'abord de l'évolution des techniques, "certains gestes permettent de réaliser des économies importantes", déclare Vincent Fristot, chercheur et porte-parole de l'association NégaWatt, qui plaide pour un usage plus sobre et plus efficace de l'énergie.
Parmi les gestes les plus simples : éteindre les boîtiers des téléviseurs, qui consomment 10 à 20 watts/jour en veille, et installer des barrettes multiprises partout dans la maison. "La veille représente aujourd'hui 20 % de la consommation d'électricité dans les logements", ajoute M. Fristot.
Limiter le chauffage à 19 °C le jour, diminuer la température ambiante la nuit de 1 à 4 degrés, et baisser le chauffage en cas d'absence : 1 °C de moins correspond à 7 % de consommation d'énergie économisée. Et en cas d'absence prolongée, mieux vaut utiliser la fonction "hors gel".
Dans la cuisine, dégivrer régulièrement son réfrigérateur et nettoyer une fois par an sa grille évite l'encrassement, qui peut doubler la consommation électrique de l'appareil.
Adapter la puissance de l'éclairage aux différents membres de la famille : un enfant de 5 ans voit deux fois moins bien qu'un adulte de 20 ans, alors qu'un adulte de 60 ans a besoin de six fois plus de lumière qu'un jeune.

Sur le même sujet



Sur le Web :

- ademe.fr
- negawatt.org
- science-decision.fr


lundi 24 août 2009

Ma vie sans Internet 4/4


Etre ou ne pas être cyberdépendante ?
LEMONDE.FR | 27.08.09 | 08h08 • Mis à jour le 28.08.09 | 08h11

Un grand soleil d'été inonde la cour intérieure de l'hôpital Sainte-Anne. Il est 15 heures. Une dizaine de patients en pyjama discutent sous les marronniers en fleurs. J'ai rendez-vous avec le docteur Dervaux. Psychiatre plutôt costaud dans sa blouse blanche, il est spécialiste en addictologie. Grâce à lui, je vais peut-être enfin comprendre ce qui m'arrive.

• Mission n°4 : Savoir diagnostiquer son état

A peine assise, je déballe tout : ma frustration, mon ennui et mon sentiment de déprime naissante. Lui écoute, les mains croisées sur le ventre. J'insiste. Mes propos n'ont pas l'air de le surprendre. Quand j'ai fini, il hausse les épaules, laisse échapper un sourire. "Vous voyez cette ligne, mademoiselle. – Oui – Sur une échelle de 1 à 10, vous seriez plutôt là : au niveau quatre. – C'est-à-dire ? – C'est-à-dire qu'Internet fait partie intégrante de votre environnement socio-professionnel, mais son usage n'a pas d'impact sur votre entourage. – Donc ? – Vous n'êtes pas cyberdépendante."
Oubliée, la toxicomanie numérique. D'après le docteur Dervaux, seuls 0,5 % à 2 % de la population souffre réellement d'addiction à Internet. "Les vrais accros passent plus de cinquante heures par semaine sur le Web en dehors de leur vie professionnelle. Ils sont rares, à peine 6 % des usagers." Leur dépendance, ou plutôt leur maladie, se traduit par une envie intense, obsessionnelle et irrésistible de se connecter. Le plus souvent, elle se dissimule derrière une addiction à la pornographie, aux chats ou aux jeux vidéo en ligne.
Difficile pourtant de dégager un profil type de l'internaute cyberdépendant. "Autrefois, il s'agissait majoritairement d'hommes âgés de 25 à 35 ans (…). Maintenant, il semble y avoir une certaine parité entre les hommes et les femmes", observe le psychologue canadien Jean-Pierre Rochon. Dans son ouvrage sur Les Accros à Internet, le créateur du site psynternaute.com précise que les adolescents sont proportionnellement plus nombreux à souffrir de troubles obsessionnels que les adultes.
Malgré cela, rares sont les études consacrées exclusivement à la cyberdépendance. Les plus sérieuses, publiées en Asie et aux Etats-Unis dès le milieu des années 1990, se fondent sur le résultat de tests, généralement accessibles en ligne. Le premier de ces questionnaires, mis au point par le docteur Kimberly Young en 1994, se présente sous la forme d'un questionnaire à choix multiples (QCM) en vingt points. Alain Dervaux accepte de m'y soumettre. Avec un résultat de 57 sur 100, je me classe dans la catégorie des usagers abusifs, mais curables.
"Le problème de ces tests, c'est qu'ils s'appuient sur des critères trop larges pour évaluer précisément la cyberdépendance d'un individu", tempère mon docteur. Pour la plupart des internautes, et j'en fais partie, le Web agit plutôt comme une drogue douce. Socialement obligatoire mais rarement néfaste pour la santé, c'est avant tout un instrument de liberté.
Dans le pire des cas, il agit comme un accélérateur de narcissisme. Comme le précise mon docteur, "tout en offrant l'anonymat, Internet permet de diffuser une projection de soi contrôlée, valorisée, sculptée et optimale. Rompre avec ce miroir, c'est se couper de la meilleure partie de soi-même. Un processus d'autant plus douloureux, narcissiquement, qu'on s'exclut de la communauté des internautes". Mais Alain Dervaux en est convaincu, "ce sentiment de frustration dont vous m'avez parlé finirait par se dissiper si vous prolongiez l'expérience".
J'en conclus donc que la consultation est terminée. En quittant l'hôpital, le cœur un peu plus léger, je croise le long des arbres une jeune fille en habit bleu. Elle a le regard vague et les cheveux en bataille. "Vous avez du feu ?" Je crois, oui. Je cherche, farfouille, renverse mon sac, m'excuse. La jeune fille sourit. "Vous êtes hospitalisée ?", me demande-t-elle. Non, juste un peu déconnectée.
Pour en savoir plus :
- Lire La Cyberdépendance en 60 questions, de Jean-Charles Nayebi (Retz, 2007).
- Les Accros d'Internet, de Jean-Pierre Rochon (Libre Expression, 2004).
- Ces dépendances qui nous gouvernent. Comment s'en libérer ?, du Dr William Lowenstein (Le Livre de Poche, 2007).
- Une étude belge sur la cyberdépendance, pédagogique et complète.

Elise Barthet

lundi 17 août 2009

Ma vie sans Internet 3/4

Tant qu'il est en ligne l'article est

Le téléphone sonne. C'est la première fois depuis deux jours. La mélodie me tire d'un état de douce hébétude. E., au bout du fil, manque de s'étrangler. "C'était la projection des filles ce soir. T'étais où ?" Moment d'absence. Nulle part. Ça fait des heures que je tue le temps en jouant au Spider Solitaire, que j'écluse des tisanes. J'ai complètement oublié le documentaire d'A. et C. "L'invitation est quelque part dans ma boîte mail, mais…" Inutile de s'expliquer. E. enfonce le clou. "Tout le monde était là, sauf toi."

• Mission n° 3 : Lutter contre l'ennui

Pour éviter la tentation, je n'ai prévenu personne de ma soudaine déconnexion. Mes amis IRL ("in real life", à savoir dans la vraie vie) sont tous plus ou moins accros au Web. La plupart de nos communications, de nos états d'âme et de nos fous rires passent par la Toile. Pas un jour sans que je ne chatte avec l'un d'eux sur Gmail ou MSN. Pas une semaine sans que je ne visite leur page Facebook. Des parties de Questions pour un champion online au visionnage compulsif des meilleurs clips de Kate Bush, Internet a même envahi nos soirées pour devenir une pratique collective. Impossible de l'éviter. Alors, par peur de la tentation ou par manque évident de volonté, j'ai préféré me calfeutrer.
Mais cet isolement me pèse. Je me demande ce qu'ils font tous. Où se trouve L. ? Quand revient V. ? Je les imagine vautrés devant un film piraté ou pendus à Spotify. Le plus étrange, c'est que je ne pense même pas à les appeler. Habituée à les contacter par mail, j'ai perdu le sens du combiné.
Dans ma chambre, le temps s'est comme figé. L'air est immobile et les heures se dilatent. Pas un bruit ne résonne dans l'escalier. Pas un tintement de clé. Sans connexion, je me sens comme écrasée, abrutie par le vide. Je vis dans un demi-sommeil, prostrée devant mon écran. Le corps engourdi et l'esprit embué. La radio crachote. J'ai l'impression que la lassitude a pris le pas sur la frustration.
Je n'ai pas le cœur à lire. Je n'ai pas de télé. Pas question d'aller au cinéma. Il me faudrait au moins deux séances pour retrouver un semblant de joie de vivre, et mes finances ne valent pas mieux que mon moral. Par dessus le marché, ma chaîne hi-fi est cassée. Ça fait des lustres que je me promets de la faire réparer.
D'après Don Tapscott, auteur de Grown Up Digital, l'usage d'Internet a profondément transformé la façon dont fonctionnent nos jeunes cerveaux. Qu'il s'agisse de notre aptitude à accomplir plusieurs tâches en même temps ou de notre culture du Réseau, nous, "natifs numériques", avons l'habitude de vivre sous stimulation permanente, avec une perfusion digitale. Privée de ces distractions, je m'ennuie à mourir.
Besoin de penser à autre chose, de penser tout court, combler le vide. Je me souviens : les VHS, le rembobinage manuel des cassettes audio, les ondes courtes, les joysticks, les annuaires, les atlas, les bippers, le sacro-saint journal de 20 heures... Je me rappelle les piles de disquettes, le premier ordinateur familial, le bruit strident du modem. Et ma toute première boîte de réception Caramail. Le temps d’attente avant le chargement des pages. Les fils qui couraient sur le parquet. Les connexions interrompues, chaque fois que quelqu’un décrochait le téléphone. Et mon père qui hurlait "Racroooooooche !"
Et dire qu'hier, j'ai failli tout laisser tomber. Je venais d'arriver au bureau. L'ordinateur était allumé. Sans réfléchir, mes doigts ont glissé sur la souris. Une fenêtre s'est ouverte, vite vite, j'ai voulu pianoter. C'est le genre d'envie qui vous vient comme une démangeaison. J'étais sur le point d'y parvenir, quand quelqu'un s'est assis. J'ai tout refermé.
Besoin de partir, de m'aérer. Je nous ai traînées, ma mauvaise conscience et moi, jusqu'à la bibliothèque. Malgré la fin des examens, les allées bruissaient encore du frottement sec des copies doubles et du glissement des semelles sur les moquettes usées. L'étage était plein. J'ai pris place entre une vieille femme passionnée d'art grec et une étudiante en médecine. Devant moi, oublié, un livre au titre évocateur : L'Ennui, d'Alberto Moravia.
"L'ennui, écrit Moravia, consiste principalement dans l'incommunicabilité". C'est comme une gangue épaisse qui vous rend imperméable aux choses. Il "ressemble à l'interruption fréquente et mystérieuse du courant électrique dans une maison : à un moment tout est clair et évident, ici les fauteuils, là les divans, plus loin les armoires, les consoles, les tableaux, les tentures, les tapis, les fenêtres, les portes : le moment d'après, il n'y a plus qu'obscurité et vide."
C'est exactement ça. Privée d'Internet, je suis comme anesthésiée. Aboulie complète. Il faudrait peut-être aller consulter.
Pour en savoir plus :
- Les Nouvelles Addictions, du Pr Michel Lejoyeux (Points, 2009).
- Grown Up Digital. How the Net Generation is Changing Your World (Enfants de l'ère numérique. Comment la Net génération change votre monde), de Don Tapscott (MacGraw-Hill, 2008).
- L'Ennui, d'Alberto Moravia (Flammarion, 2003).
Elise Barthet

lundi 10 août 2009

ma vie sans internet 2/4

LE MONDE | 25.08.09 | 17h39 •


Privée d'Internet, je passe un temps fou à parcourir les quotidiens, à feuilleter les magazines et à dévorer les féminins, sous les regards outrés des kiosquiers. En dehors des sempiternelles couvertures consacrées aux régimes miracles et aux vacances des politiques, une question semble obséder une partie de la presse : Internet nous a-t-il rendus plus bêtes ?
Mission n° 2 : Essai d'appréhension critique de sa propre bêtise
De toute évidence, l'usage quotidien d'Internet a bouleversé nos manières de penser. Le cerveau est un organe éminemment adaptable. Investi par le Web, il a sans aucun doute changé. Mais comment ? Sommes-nous vraiment plus sots que nos aînés ? Internet nous a-t-il transformés en zappeurs compulsifs ? Avons-nous troqué le savoir vrai contre l'illusion fallacieuse de l'immédiateté ? Plus nombrilistes, sommes-nous devenus plus médiocres ? Autant de questions que j'ai désormais largement le temps de me poser.
Depuis la parution en 2008 dans The Atlantic d'un article de l'essayiste et blogueur américain Nicholas Carr, la polémique n'en finit pas de rebondir sur la Toile. "Le Net, écrit Nicholas Carr, diminue apparemment ma capacité de concentration et de réflexion. Mon esprit attend désormais les informations selon la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s'écoulant rapidement. Auparavant, j'étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski."
Pourtant, le QI, dans tous les pays qui le mesurent, est en hausse constante depuis les années 1930. A en croire les résultats de ces tests, nos facultés cognitives fondamentales, comme notre aptitude à penser de manière logique et critique ou nos capacités d'analyse et de raisonnement, n'ont pas été affectées par l'apparition du Réseau. Elles s'en trouveraient même améliorées.
D'après Dan Tapscott, auteur de Grown Up Digital, les enfants du Net possèdent des compétences que leurs parents n'ont pas. "Les natifs numériques" sont plus aptes à travailler en commun, "plus malins, plus rapides et plus ouverts à la diversité". Il relève également que "les habitués des jeux vidéo remarquent plus de choses" et "ont des compétences spatiales très développées, utiles aux architectes, aux ingénieurs et aux chirurgiens".
N'étant pas une fervente adepte de "World of Warcraft", le jeu en ligne le plus en vue, et distinguant péniblement ma droite de ma gauche, je ne me prononcerai pas sur ce dernier point. En revanche, je sais repérer les effets bénéfiques d'Internet sur mon rapport au savoir. Loin d'annihiler ma curiosité, la Toile l'a nourrie et amplifiée. Je peux passer des heures à me documenter sur un événement, un auteur ou une question de société. A force de naviguer, mon cerveau a gagné en plasticité. Je ne mémorise qu'une infime partie de ces informations, mais j'ai appris à les trier.
"Mon esprit, reprend notre blogueur polémiste, ne disparaît pas, je n'irai pas jusque-là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu'avant. C'est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. (…) Désormais, ma concentration commence à s'effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m'agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire."
Enfant de la télé, avant d'être une enfant du Web, j'ai toujours eu la zappette facile. Sans nuire directement à ma réflexion, cette manie affecte évidemment mes capacités de concentration. J'ai du mal à écrire quatre heures d'affilée sans consulter mes mails ou la "une" du Monde.fr. L'extension de Twitter sur Firefox s'affiche constamment au bas de mon écran. Je suis sans arrêt tentée de cliquer, perpétuellement distraite. Pis, je peux regarder trois fois de suite sans me lasser la parodie sur YouTube du clip de Bonnie Tyler, Total Eclipse of the Heart, qu'un ami a eu la mauvaise idée de me montrer.
Pourtant, aussi distractives soient-elles, je ne crois pas que ces pratiques de navigation nuisent à mes habitudes de lecture. En tout cas, elles ne m'ont pas empêchée de dévorer Dostoïevski, d'adorer Duras, Hesse ou Saint-Exupéry. Je parcours quotidiennement des dizaines de journaux en ligne et imprime chaque semaine (au grand désespoir de mes amis écologistes) des pages entières du New Yorker. Bien sûr, ce n'est pas la même chose de naviguer sur le Web et de s'oublier dans un livre. Peut-être faut-il croire Mark Bauerlein – professeur de littérature à l'université d'Emory aux Etats-Unis et auteur de La Génération la plus bête – lorsqu'il dit que les enfants du Net sont moins cultivés que la génération précédente. Il avance que leurs connaissances sont moins assises, leur attention diminuée. Cela n'en fait pas pour autant des ânes. Car, pour nous, Internet agit à la fois comme un poison et un remède. Il nous distrait autant qu'il nous stimule.
Les partisans fervents du 2.0 et les apôtres de la lecture "à l'ancienne" peuvent donc continuer à s'écharper. Ni la radio, ni la télé n'ont tué le livre et je doute qu'Internet m'ait rendue plus bête. Ce qui est sûr, c'est que le fait de m'en priver ne me rend pas plus heureuse.
Pour en savoir plus :
- Grown Up Digital. How the Net Generation is Changing Your World (Enfants de l'ère numérique. Comment la Net génération change votre monde), de Don Tapscott (MacGraw-Hill, 2008).- Le mensuel Books a consacré un numéro spécial cet été à la question : "Internet nous rend-il encore plus bêtes ?"- Un article de Télérama traite également du sujet dans l'édition du 22 juillet.
Elise Barthet

lundi 3 août 2009

ma vie sans internet 1/4

LE MONDE | 24.08.09 | 17h39 •

La rédaction du Monde.fr
Regardez bien cette salle. C'est la rédaction du Monde.fr. Une forêt d'écrans, de gens qui vivent Web, parlent Web, respirent Web ; des êtres constamment connectés, à l'affût de la dernière information, à l'écoute du Réseau. D'ordinaire, je suis comme eux : habituée à sentir battre le monde depuis mon écran. Mais aujourd'hui, tout cela m'est interdit. J'ai commencé une diète : ma semaine sans Internet. Et comme mon rédacteur en chef goguenard se tue à me le répéter : "pour que l'expérience fonctionne, tu n'as pas le droit au moindre écart !"

Au départ, c'était une idée simple, banale. On se demandait en riant "comment c'était, avant ?" Avant ou plutôt hier, il y a 15 ans à peine. Comment vivait-on sans Internet ? Comment travaillait-on quand on était journaliste ? Comment faisait-on pour être en contact avec ses amis ? Qu'est-ce qu'on inventait quand on s'ennuyait ? Plutôt que de demander à d'autres, j'ai décidé de jouer le cobaye. De passer une semaine sans connexion. Ça a l'air idiot, on en rêve tous quand on est en vacances. On veut se couper du monde et de ses objets aliénants : l'ordinateur ou le téléphone portable. Mais pour une jeune journaliste de 23 ans, nourrie aux mamelles du numérique, c'est l'enfer, une plongée dans un monde sans lien, lent, fragmenté.

Mission n° 1 : Ecrire un article
Le problème commence ici. Jamais je n'ai travaillé sans navigateur ni onglets. Il faut réapprendre les fondamentaux. Comment trouver un sujet ? Je prends les journaux. Mes collègues sont hilares. "Il s'est passé des trucs au Groenland ce week-end, jette un œil." Effectivement : les habitants de la "terre verte", sous férule danoise depuis trois cents ans, ont célébré, dimanche 21 juin, leur nouveau statut d'autonomie élargie. Si j'arrive à grappiller quelques éléments de contexte et à joindre deux spécialistes, je pourrais m'aventurer à écrire quelque chose.
Le hic, c'est que la rédaction ne possède aucun annuaire. Il n'y en a même jamais eu. A quoi bon s'encombrer de livres quand on a sous la main un moteur de recherche. En temps normal, je taperais "autonomie du Groenland" dans Google. Après un passage express sur Wikipedia, je traînerais sur quelques-uns des milliers de sites consacrés à l'île arctique, ses habitants, son artisanat et son sous-sol, potentiellement riche en hydrocarbures. J'absorberais une quantité effroyable d'informations – dont certaines inutiles – de manière concentrée. Mais aujourd'hui, je suis seule et mon cerveau est en manque. Un collègue m'encourage : "Tu n'as pas le choix, file au journal".
Le temps de prendre un café, un bus et de traverser le 13ème arrondissement de Paris, j'émerge, mal réveillée, boulevard Blanqui. Heureusement, la maison mère a gardé le goût des vieux imprimés. Le long des murs du service de documentation s'étalent des centaines de dossiers classés. J'espère trouver mon bonheur au milieu de ces milliers de pages consciencieusement dépouillées, mais j'ai beau chercher, le Groenland fait rarement les gros titres de l'actualité. Direction le sous-sol.
"Ici, m'explique la documentaliste, c'est l'antre du journal, sa mémoire vive." Mis à part quelques habitués, rares sont les journalistes à y pénétrer. Nous longeons les armoires coulissantes. Quatre niveaux entiers sont consacrés à Jacques Chirac, mais pas la moindre trace de l'île nordique. Je commence à perdre espoir quand la documentaliste extrait une fine pochette d'un vieux dossier cartonné. A l'intérieur, une cinquantaine de coupures jaunies. Je tiens mon trophée, ma dose d'info.
Trois étages plus haut, un collègue a pris soin de débrancher mon ordinateur. "Comme ça, dit-il, tu ne seras pas tentée". Mais je suis bien trop absorbée par mon sujet pour penser à me connecter. Des premières missions polaires emmenées par Paul-Emile Victor aux reportages de Robert Guillain et Robert Pommier au-delà de Thulé, station la plus au nord, j'explore les moindres recoins du pays esquimau.
En deux heures, j'ai emmagasiné suffisamment d'informations pour cerner un peu mieux mon sujet. Reste à en discuter avec les personnes concernées : experts, marchand de pétrole ou simple Groenlandais. Commence une longue série de coups de fils aux renseignements. Je vous épargne la retranscription fidèle de ces entretiens calibrés avec les agents du 118 xxx. Tout ce qu'il en ressort, c'est qu'il n'y a personne à l'ambassade du Danemark, personne à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), personne à Thulé.
La marque du combiné s'est profondément imprimée sur ma joue et je n'ai toujours rien pour commencer mon papier. Partagés entre l'hilarité et la compassion, mes collègues tentent de me remonter le moral. "Il ne se passe rien sur Twitter. Rien qui vaille vraiment le détour…" D'autres ironisent : "C'est un bizutage ? Ils veulent te punir au Web ?" Je ne relève pas. Il serait tellement plus simple de pianoter un nom ou de me rendre sur le site d'une publication spécialisée. Au lieu de ça, je traîne ma cécité de répondeurs saturés en standards occupés.
Je dégotte enfin un numéro au Groenland. Mon interlocuteur est censé plancher sur les questions énergétiques au sein du gouvernement autonome. Bref instant d'excitation. Je me lance. "Bonjour, je souhaiterais parler à Ioan Skolnielsen." Réponse glaciale : "je suis en réunion, rappelez demain". Trois appels et deux messages plus tard, Yves Mathieu décroche. Il travaille à l'Institut français du pétrole. La discussion dure une trentaine de minutes. J'ai des chiffres, quelques citations à placer, un embryon de perspective. Reste à écrire le papier.
Dehors, une douce lumière de fin de journée berce le boulevard Blanqui. Le métro recrache par vague son lot de messieurs cravatés. Des jeunes filles pendues au téléphone trottinent sous les arbres en fleurs. Je suis restée seule à la rédaction avec mes clopes, mon carnet de notes et mes sept cafés. Les mots ne viennent pas. J'ai perdu un temps fou (trois heures, peut-être quatre) à pêcher des contacts. Le sentiment d'avoir passé la journée à me battre contre des moulins. Et tout ça pour quoi ? Un article que personne ne lira jamais. Je n'ai pas réussi à le finir à temps.
(Demain, mission numéro 2 : essai d'appréhension critique de sa propre bêtise)

Elise Barthet

lundi 20 juillet 2009

Internet rend-il bête ?

NOUVELLES TECHNOS -
Comment notre cerveau s'adapte-t-il au Net ?
Certains craignent l'avènement d'une pensée zapping et la mort de la lecture “à l'ancienne”.
Un scénario que d'autres estiment alarmiste.

Télérama / Le 23 juillet 2009 à 10h00


« Ces dernières années, j'ai eu la désagréable impression que quelqu'un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Je ne pense plus de la même façon qu'avant. C'est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. [...] Désormais, ma concentration commence à s'effilocher au bout de deux ou trois pages. [...] Mon esprit attend désormais les informations de la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s'écoulant rapidement. Auparavant, j'étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski. s» En écrivant ces lignes dans un article du magazine The Atlantic de juin 2008, l'essayiste et blogueur américain Nicholas Carr a déclenché un immense débat, qui n'en finit pas de rebondir sur la Toile et à la une des magazines. Son article s'inspirait de son expérience personnelle de lecteur, pourtant averti, à l'ère de la révolution numérique. Peut-on généraliser cette expérience ? Sommes-nous en train de devenir des obèses mentaux, gavés d'informations, au sens où notre cerveau serait en train de subir les mêmes effets que nos corps déformés par la surconsommation et la malbouffe ?
On objectera qu'à chaque révolution technologique ressurgissent les mêmes questions : avant Internet, l'invention de l'écriture avait, déjà, soulevé les craintes des penseurs. Ainsi, dans le Phèdre de Platon, le personnage de Socrate se livre à une attaque en règle de l'écriture. Il reconnaît bien sûr que celle-ci présente l'avantage de faciliter la remémoration. Mais il craint que l'on se repose de plus en plus sur les mots écrits, sur la masse de ces informations « stockées » sur le papier comme substitut à la connaissance réelle. C'est ce que Platon appelle un pharmakon : c'est-à-dire à la fois le poison et le remède, le problème et la solution. Le spécialiste des technologies de l'écrit Alain Giffard a justement entrepris d'évaluer, loin des querelles entre pro- et anti-Internet, ce nouveau pharmakon qu'est le Web, et a livré ses conclusions dans un vivifiant chapitre du recueil Pour en finir avec la mécroissance.

Entre les mails, les alertes, le relevé de nos fils RSS…,
nous sommes bel et bien entrés dans l'ère
de la distraction perpétuelle.

C'est un fait : lorsque nous sommes connectés au Web, nous lisons. Mais de quelle lecture s'agit-il ? Certainement pas de celle entendue comme exercice spirituel préparant à la méditation, telle que Sénèque la décrit dans la Lettre 84 à Lucillius, où il conseille de recopier sur des tablettes des extraits des textes lus, de les classer, de bien les digérer, afin de les faire passer « dans notre intelligence, non dans notre mémoire ». Il ne s'agit pas non plus d'une simple consultation comme sur un écran de distributeur d'argent pour contrôler des opérations, mais d'une lecture d'un genre nouveau, qu'Alain Giffard nomme « lecture numérique ». Votre­ lecture se fait alors avec un temps plus long consacré à la navigation, à la lecture « en diagonale », non liné­aire, à base de liens hypertextes, plus sélective et parfois en interaction avec d'autres lecteurs. Une lecture qui est aujourd'hui assistée par de nombreux petits logiciels, filtres ou agrégateurs de nouvelles (Netvibes, Google Reader). Une lecture où vous pouvez mettre en commun vos marque-pages et vos notes.
Or, chacun d'entre nous en a fait le constat : entre les mails, les alertes et, pour certains, le relevé de nos fils RSS et des messages sur les sites de partages sociaux (Twitter, Facebook...), nous sommes bel et bien entrés dans l'ère de la distraction perpétuelle. La lecture ayant une influence déterminante sur les structures d'activité dans notre cerveau, on ne peut alors s'empêcher de se demander : est-ce grave, docteur ?
« Plus que tout autre organe, le cerveau est conçu pour évoluer en fonction de l'expérience - une fonctionnalité appelée la neuroplasticité », rappelle Roland Jouvent, qui dirige le Centre émotion du CNRS, à la Salpêtrière, et qui vient de publier Le Cerveau magicien. De même qu'il s'est adapté à l'arrivée de la radio, du cinéma, de la télévision, il se modifie sous l'effet de nos pratiques de lecture en ligne. On sait généralement que les capacités d'apprentissage sont spectaculaires chez l'enfant, mais elles peuvent l'être tout autant chez l'adulte. Une étude récente réalisée chez des chauffeurs de taxis londoniens a montré que les zones de leur cerveau qui contrôlent la représentation de l'espace sont particulièrement développées. C'est que, pour obtenir leur licence, ces chauffeurs doivent passer un examen très sévère afin d'évaluer leur connaissance des milliers de rues de la ville. En ce qui concerne Internet, nous disposons déjà d'une étude pilotée en 2008 par Gary Small, de l'université de Californie. Selon le centre de recherche sur la mémoire et l'âge, la lecture et la navigation sur le Web utilisent le même mode de mémorisation et stimulent les mêmes centres d'activité du cerveau. Mais la recherche sur Internet stimule également des secteurs liés à la prise de décision et au raisonnement complexe. Ce qui constitue à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle : avec l'âge, surfer sur la Toile vous aidera à entretenir et à aiguiser vos capacités cognitives, un peu comme les mots croisés.

Les sollicitations par le biais du Web - une information
par e-mail ici, une vidéo sur YouTube là, un twitt ailleurs -
nous permettent de cliquer toute la journée à la poursuite
des meilleures récompenses...

D'un autre côté, les multiples prises de décision que ce surf implique consommeront une partie de votre énergie mentale... Un épuisement qui peut être renforcé par la dimension potentiellement addictive du Net : on le décrit souvent comme une « boîte de Skinner », conçue dans les années 30 par le psychologue du même nom pour mettre au jour les mécanismes de la dépendance. Ce dispositif montrait que les plus irrésistibles des récompenses ne sont pas celles qui reviennent invariablement, mais celles qui arrivent au hasard. Les sollicitations par le biais du Web - une information par e-mail ici, une vidéo sur YouTube là, un twitt ailleurs - nous permettent donc de cliquer toute la journée à la poursuite des meilleures récompenses... Katherine Hayles, professeure de littérature à la Duke University, en Caroline du Nord, a constaté, il y a quelques années, qu'elle ne parvenait plus à faire lire un livre de Faulkner à ses étudiants. Elle en a fait un article - longuement commenté par le philosophe Bernard Stiegler dans son livre Prendre soin de la jeunesse et des générations -, dans lequel elle distinguait l'attention approfondie de « l'hyperattention », caractérisée par des changements soudains d'objectifs et de tâches, une préférence pour les flux multiples d'informations, la nécessité d'un haut niveau de stimulation et une faible tolérance de l'ennui. Elle préconisait de construire un pont entre l'hyper­attention et l'attention approfondie, et tente depuis de l'expérimenter en s'appuyant sur certains jeux vidéo, qui nécessitent de faire cohabiter ces deux types d'attention.
A tous les Cassandre du Net annonçant l'effondrement total de l'attention et l'avènement de la pensée morcelée, il suffirait donc de rappeler la nécessité d'apprendre à bien diriger et à moduler son attention. Mais en sommes-nous vraiment les maîtres ? Une nouvelle donnée est venue bouleverser le paysage ces dernières années : vous n'en avez peut-être pas pris conscience, mais la lecture est devenue une industrie. Et c'est avec ce nouvel environnement, « l'espace des lectures industrielles », qu'il faut aujourd'hui compter, explique Alain Giffard. Un espace régi par le modèle économique de Google, lequel repose ni plus ni moins sur la commercialisation des actes de lecture et permet le financement du Web par la publicité. « Le moteur de recherche est une machine de lecture automatique, quasi universelle, qui pratique une double lecture : lecture des textes et lecture des lectures. » Grâce aux cookies implantés sur les ordinateurs des internautes, il peut enregistrer les parcours de lecture et constituer automatiquement des profils individualisés qu'il peut revendre aux annonceurs. Ainsi, son service de publicité contextuelle AdSense se caractérise par sa proximité non seulement avec le texte, mais aussi avec le type de concentration spécifique à l'activité de lecture. On se souvient de la célèbre expression de Patrick Le Lay : « Nous vendons du temps de cerveau disponible. » Aujourd'hui, la lecture commercialisée devient elle aussi le support d'orientation du temps de cerveau disponible. Mieux : elle vend du temps de cerveau actif. Sur le Net, ce qui vaut de l'or, ce n'est pas votre disponibilité, mais votre attention. A partir d'informations sur vos lectures, Google tire des informations sur vous, lecteurs, qu'il échange contre de la publicité. Dans cette logique, chaque acte de lecture est considéré comme un « hit » : c'est la quantité qui produit la qualité. De la sorte, une majeure partie de la concurrence entre les grandes entreprises présentes sur le marché Internet a pour enjeu la rapidité du flux d'informations, nous amenant à cliquer plus pour penser moins.

Les plus jeunes, qui ont grandi devant un ordinateur,
risquent de prendre la lecture industrielle
comme lecture de référence.

Il se trouve que la lecture de consommation est compatible avec la lecture d'information, cette lecture non linéaire, fragmentée. La lecture d'étude chère à Sénèque, par contre, présente peu d'intérêt commercial. N'est-elle pas de ce fait menacée ? Pour Alain Giffard, les lecteurs numériques confirmés continuent d'aimer la lecture « à l'ancienne », tout en aimant la singularité de cette expérience nouvelle, individuelle et collective, où des sociétés de lecteurs se constituent autour de la publication et de l'échange de lectures : « Ils ont appris à suspendre la navigation et à clôturer un texte pour se con­centrer. Ils savent imposer des détournements de la technique permettant de reconstituer la lecture d'étude. »
Mais la situation est bien différente pour le lecteur débutant, même si l'on manque de recul pour mesurer les conséquences de ce phénomène. Les plus jeunes, qui ont grandi devant un ordinateur, risquent de prendre la lecture industrielle comme lecture de référence, ce qui devrait entrer directement en conflit avec les exigences de l'école. Pour prévenir ce danger, Alain Giffart, Bernard Stiegler et toute la communauté qui s'est formée autour de l'association Ars Industrialis - une « association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit » - en appellent à l'intervention de la puissance publique. Pour l'instant, les politiques se sont limitées à favoriser l'accès à Internet et à offrir des débits de connexion toujours plus importants. Mais pour quoi faire ?

Sophie Lherm

A lire :
Pour en finir avec la mécroissance, Quelques réflexions d'Ars Industrialis, de Bernard Stiegler, Alain Giffard et Christian Fauré, éd. Flammarion, 20 euros.

The Shallows, Mind, memory and media in an age of instant information, de Nicholas Carr, (à paraître à l'automne).
Le Cerveau magicien, De la réalité du plaisir psychique, de Roland Jouvent éd. Odile Jacob, 23 euros.

Numéro spécial juillet-août de la revue “Books”, “Internet rend-il encore plus bête ?”
Le blog d'Alain Giffart : http://alaingiffard.blogs.com/