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mercredi 29 mars 2023

Mexico : son chanteur, ses produits du terroir (2)

le peyotl en pot :
cet obscur objet du désir
qui ne grandit que
de quelques millimètres par an.
Vous en connaissez beaucoup, 
vous, des désirs qui croissent
aussi lentement ?
Au printemps 2022, je passe plusieurs semaines à reluquer du coin de l'oeil les différents modèles de cactus et de champignons disponibles sur le marché, et à tourner autour du pot sur des sites spécialisés, aussi confus que si j'étais en rechute sur un site porno. 
Les rédactionnels sont imparables, et très bien traduits : " Il est impossible d'être accro à la mescaline. L'évolution a développé une caractéristique d'anti-addiction à cette drogue."
Voici un slogan qui tient bien compte des désirs contradictoires d’un toxicomane abstinent jusqu’à aujourd’hui (mais il n’est que 10h40) : c’est ce qu’on appelle un argument publicitaire bien pensé.
Mais quand même, je suis troublé, et je n’achète rien, il faut d’abord que je me mette au net avec ce désir de cactus sans épines. D'autant plus qu'une amie des Narcotiques Anonymes qui a goûté un bon nombre de produits exotiques dans sa  jeunesse, mais qui a aussi fait pas mal de méditation depuis, en tout cas par rapport à moi, moi qui moi-même me trahis en parle depuis quarante ans mais ne suis pas foutu de passer 15 minutes par jour sur un petit banc zen, émet un avis défavorable sur les velléités psychédéliques qui me reprennent à un âge avancé, et me suggère d'aller plutôt faire une retraite vipassana d'une dizaine de jours, que ça me remettra le disque dur à neuf bien plus efficacement qu'une omelette aux champignons rigolos. Comme c'est quelqu'un à qui j'ai transmis le message des groupes en 12 étapes il y a quelques années, ça me vexe un peu de me faire ainsi rabrouer.
Je veux bien croire que les cactus et les champis n'induisent aucune dépendance, ce que j'en ai lu chez les auteurs "sérieux" (Huxley, Michaux, Rustica, Pollan) accrédite cette idée, même si toute l'oeuvre chantée de Castaneda est un canular gigantesque dont seule la portée philosophique surnage par moments dans le potage New Age,

https://www.donjuanito.fr/2019/02/la-vie-secrete-de-carlos-castaneda.html

https://www.donjuanito.fr/2009/11/lethnologie-fiction-de-castaneda.html


Je me souviens très bien vers quels caniveaux ma soif du Divin Perçu à Travers les Modifications de la Conscience Apportées par les Substances m’a fait dériver. J'ai une structure de personnalité addictive, et si je veux tâter de l'ordalie fongique (ni un légume, ni un fruit, le champignon n'est pas une plante non plus, car il ne fait pas de photosynthèse) ou me piquer de cactus, il va me falloir une ascèse, et ne pas m'asseoir dessus. Parce que je sais bien que l'ascèse, comme le bécarre, "c'est une chaise / Qui a un air penché et pas de pieds derrière; /Alors, très peu pour moi, / Autant m'asseoir par terre" me rappelle mon bon maitre Boby Lapointe, qui touchait sa bille question addiction et sevrage.
Sinon, c'est la Highway garantie pour le mauvais trip, ça c'est sûr madame chaussure ! Ma fascination pour les plantes enthéogènes ne date pas d'hier. Comme elle a très peu été déniaisée par une pratique, peut-être que je me prépare simplement une grosse déception, à l'instar de Roland Jaccard quand il disait : " J’ai beaucoup aimé les Japonaises, jusqu’à ce que j’en rencontre une."


avec ou sans substances, un peu de déconstruction ne nuit pas,
de temps en temps. Le poison est dans la dose.

Dès lors, à quoi bon s'épuiser à rechercher des produits dangereux pour le psychisme et/ou l'organisme qui l'abrite, et aux effets bien hasardeux, alors qu’on peut se torcher à pas cher à la Valstar, la bière des stars ?
- en dehors des périodes où il est amoureux, et donc mû par des forces qui excèdent son égo, le toxicomane, comme l’individu lambda, est gouverné par la loi du moindre effort, et animé par le besoin d'obtenir un gain énergétique maximum pour une action minimale. Même en adhérant aux thèses de Sébastien Bohler, pour qui le premier coupable à incriminer n’est pas l'insatiabilité humaine mais un petit organe appelé striatum qui régit depuis l’apparition de l’espèce nos comportements, et qui réclame toujours plus de récompenses pour son action, c'est une bien maigre consolation.
Alors, que faire de nos envies de se droguer quand elles reviennent nous hanter ?
Y a-t'il moyen de négocier une petite excursion de temps en temps vers les sphères supérieures de l'esprit, s'approcher au bord du trou pour aller voir ce qu'il y a à voir, et puis en revenir plein d'usage et raison / vivre entre ses parents le reste de son âge, sans craindre des effets pervers ou le retour à des stratégies perdant / perdant ?


Chez moi, si je creuse un peu le terrain, il y a d’une part la vieille frustration de ne pouvoir plus tenter grand chose en termes de transgression - à part recommencer à lécher la vitre de mon iMac 27 pouces après avoir téléchargé des photos de muqueuses, mais maintenant je me lasse assez vite - mais surtout, je me rappelle que j’ai commencé à goûter l'épicerie exotique pour étudier les modifications de la conscience, me semblant éprouver pour celle-ci une curiosité légitime, même si je me suis perdu en route.
...les masques sociaux qui se délitent, et les conditionnements qui révèlent leur vraie nature trompeuse après le premier tarpé, c’est quand même magique, se dit-il quarante ans après avoir foutu ses études en l’air grâce au chichon.
Mais comme dans toutes les aventures trop frénétiques avec les produits, la magie lève vite le camp, et ça ne dure pas; néanmoins, le désir d'accéder à une conscience élargie perdure, mais c'est aussi parce qu’elle est la façade respectable, du moins présentable, de l’envie de se défoncer. Quels produits, pour ouvrir quelles portes ? au risque de ne plus pouvoir les refermer, ou de ne jamais revenir ?
Se défoncer, c’est devenir autre que ce qu’on est, ou qu’on se croit qu’on est, ce qui revient au même, surtout quand on est défoncé.
En Inde, il y a des sadhus qui carburent à l’herbe. 
So what the phoque ?

“Your head's like mine, like all our heads; big enough to contain every god and devil there ever was. Big enough to hold the weight of oceans and the turning stars. Whole universes fit in there! But what do we choose to keep in this miraculous cabinet? Little broken things, sad trinkets that we play with over and over. The world turns our key and we play the same little tune again and again and we think that tune's all we are.”

- Grant Morrison, The Invisibles, Volume 1: Say You Want a Revolution

Je ne me souviens pas d'avoir lu ça dans les Invisibles, mais c'est une bédé dont la confusion est un peu trop savamment orchestrée pour qu'on en garde un souvenir précis.
une vérité qui fout autant la gerbe qu'un trip à l'ayahuesca sans suivi médical

Dans la durée, le plus dur, pour les dépendants, qui se sont agrippés à des produits qui n'étaient pas faits pour ça, c’est de voir à travers le « monde de merde » de la normalité et des 35 heures, qu’est-ce qui peut valoir d’avoir renoncé à la défonce, et qui vaille surtout d’être vécu sobre. Et dans l’humilité. Parce que si c'est pour se la péter parce qu'on a la plus grosse abstinence continue du tiéquar, pitié, os court. 
En acceptant que c'est ce foutu désir d'évasion qui a mené tout droit à la prison de l'addiction, étant entendu que le problème n'est pas le produit ou l'objet, mais le comportement. En soi, l'alcool, le sexe, la bouffe, le cannabis (abstraction faite des aspects légaux), le tabac ne sont ni mauvais ni bons. C'est la relation ou l'utilisation que nous développons avec l'objet qui peut devenir une addiction. De ce point de vue, même la bouffe peut alors devenir toxique.
Être addicté ce n'est pas faire quelque chose de particulier mais faire quelque chose de façon particulière, i.e. la quantité et le niveau d'investissement dans l'activité, lorsque cela entraîne des conséquences dommageables pour la personne ou pour ceux qui l'entourent. C'est lorsqu'on devient esclave de l'objet. A ce tarif-là, c'est bien mon désir de cactus qui est l'épine, et peut-être bien que sans elle, c'est-à-dire sans lui, tout irait bien. En Chine, on dit, la nénergie, en principe, c'est bon. Mais comment lâcher prise ? Taraudé, hésitant, bientôt obnubilé par ces sushis, j'en viens à oublier mon mot de passe sur Zamnésia, le site multi-chnouffe en ligne. Elle est pas rigolote, celle-là ? Comme ils disent aux experiencers, Assurez-vous qu’il y ait une personne sobre dans votre entourage qui puisse s’occuper de vous.
En 2012 j'étais shooté au Seroplex®, qui a failli me faire rater le virage maniaque, en 2021 je me suis pris 6 mois de corticoïdes, pour pallier les effets secondaires de mon traitement anti-cancer; effets secondaires du prednisone® : gonflement du visage ; agitation, insomnies ; début d'hypertension. Je me suis laissé faire par la médecine, même si j'avais l'impression d'être rendu plus malade par le traitement que par le crabe. Alors ça va bien, hein, maintenant, c'est à moi de jouer, je reprends la main. Je ne nie pas le côté farce de la pharmacologie post-moderne, mais bon...
dans Voyage aux confins de l’esprit, je tombe en arrêt sur ce passage :

Psychiatre spécialiste de l’addiction à l’hôpital Bellevue, à New York, Stephen Ross a dirigé une série d’études pour la Faculté de médecine de NYU et observé les effets de la psilocybine sur le traitement des angoisses de mort chez les patients atteints de cancer – sujet sur lequel je reviendrai plus loin. Il s’est ensuite intéressé au traitement de l’alcoolisme par les psychédéliques, lequel a sans doute constitué l’un des domaines de recherche clinique les plus prometteurs des années 1950. Il y a quelques années, un collègue de NYU lui a appris que le LSD avait été utilisé pour traiter des milliers d’alcooliques au Canada et aux États-Unis (et que Bill Wilson, le cofondateur des Alcoholics Anonymous [Alcooliques anonymes, AA], avait essayé d’introduire la thérapie par le LSD dans son programme dès les années 1950). 

Ross, qui avait alors la trentaine, a mené quelques recherches et a été «sidéré», en tant que spécialiste de l’alcoolisme, par la somme de connaissances dont il ignorait l’existence et dont personne ne lui avait jamais parlé. Il a découvert que son champ d’expertise possédait une histoire secrète.

«Je me sentais un peu comme un archéologue découvrant des trésors de connaissances oubliées, m’a-t-il dit. Au début des années 1950, les psychédéliques ont été utilisés dans le traitement de toute une série de pathologies», parmi lesquelles l’addiction, la dépression, les troubles obsessionnels-compulsifs, la schizophrénie, l’autisme et la détresse existentielle de fin de vie. «Quarante mille personnes ont pris part à ces essais, et il existe plus d’un millier de rapports cliniques! L’Association américaine de psychiatrie a organisé des séminaires entièrement consacrés au LSD, qui passait alors pour un traitement miracle.» Les psychédéliques ont en effet fait l’objet de six congrès scientifiques internationaux entre 1950 et 1965. «Certains des meilleurs spécialistes en psychiatrie ont très sérieusement étudié ces substances afin de mettre au point des modèles thérapeutiques, le tout financé par l’État.» Et c’est au milieu des années 1960, à la suite du rejet des psychédéliques par l’establishment psychiatrique et la culture dominante, que ces recherches ont été abandonnées, purement et simplement, comme si elles n’avaient jamais existé. 

Si les Doors de la perception avaient été montées de traviole, 
on aurait plus de mal à les ouvrir.
Et on n'arriverait guère à les refermer.

By jove ! si je comprends bien, et si Timothy Leary n'était pas venu foutre sa zone, à un poil près, on bouffait un acide à chaque réunion AA ! trop ballot ! heureusement que je n'appartiens pas à la fraternité Narcotiques Anonymes, que je suis juste aux AA, que je n’ai pas juré de m’abstenir de produits modifiant le comportement. Je n'ai à priori aucune promesse à parjurer. Le problème de prendre du peyotl, c’est d’abord :
- comment savoir si ce que j’achète ça en est,
- comment le faire pousser ?
- avec qui en prendre, et pour quoi en faire ?
puisque ce sont des drogues sacramentelles, à l'usage ritualisé.
Ce qui me stupéfie par avance, et m'émerveille en direct, bien que je n'en sois encore nulle part entre mon désir et ses épines, c'est que grâce au réchauffement climatique et à la mondialisation, je peux potentiellement acheter et faire pousser sur mon balcon des cactées jadis réservées aux indiens Huichols du Nord du Mexique dans leurs pratiques spirituelles incluant la consommation de plantes enthéogènes. 
Est-ce un progrès, ou une déchéance ? Pour eux ? et pour moi ?
Finalement, pour ne pas mettre tous mes yeux dans le même pavé, entre deux ruptures de stock chez Zamnesia, je commande peyotl + torche péruvienne + San Pedro, réputées riches en mescaline, à faire pousser chez soi, sur ce site hollandais hybride irrésistible de capitalisme tardif et de prosélytisme hallucinogène.

menus travaux de jardinage, mai 2022.

Je me dis que les cactus mexicains, ça ne pousse pas comme ça, surtout sous nos climats, j'ai le temps d'affiner mon approche, de tester l'ablation du lithium, d'éteindre l'ordi et de refaire de la méditation pour me préparer en amont, comme Marcel.
Tout cela dans une semi-clandestinité de façade, puisque je m'ouvre quand même de mes projets à long terme au psychiatre qui me suit depuis plus d'une décennie, ainsi qu'à ma femme à qui j'impose mes cactées sur la fenêtre du salon orientée sud.
Ils râlent de concert, mais me laissent faire. 
A quoi bon s'opposer à ce rêve imbécile et tardif, qui s'effondrera sur lui-même, de lui-même, en lui-même, comme un bon vieux trou noir des familles dysfonctionnelles ?
Malgré l'été exceptionnellement chaud de 2022, les monstruosités gavées d'alcaloïdes ne prennent que quelques centimètres au garrot. Par contre, pendant ce temps les chambres des enfants se lézardent grave, du fait que la maison est bâtie sur une couche argileuse, que la sécheresse fait un peu bouger et s'émouvoir, au mépris du confort de ses résidents. Anxiété indicible. Elle aurait été bâtie sur un ancien cimetière indien, ça serait pas pire.

mes plafonds ravagés préfigurent-ils le délabrement prochain de mon psychisme,
si je le livre aux hallucinogènes, même microdosés ? 

Après un moment d'épouvante, je sors de l'apathie, prends conseil, contacte un bureau d'étude gros oeuvre, fais réaliser un diagnostic, me vois préconiser des solutions, commence à les mettre en oeuvre. Agir, c'est assez radical contre les angoisses, en fait. A condition d'avoir un peu réfléchi avant, et si possible dans le bon sens.
En parallèle, j'ai convaincu un ami de longue date de lire le très Saint Livre de Michael Pollan répandant la Bonne Nouvelle du Retour en Grâce des Psychédéliques. Contre toute attente, celui que je nomme parfois le Sage du Sud-Est, sans me moquer, et qui me traite parfois de Pas Sage du Nord Ouest, en se moquant mais gentiment, s'enthousiasme à son tour pour le récit du journaliste, et décide d’expérimenter, tout d'abord le micro-dosage de psilocybine, car nous sommes déjà bien avancés en âge, et on n'a pas que ça à fiche de s'exciter sur des mots qui parlent de choses, mais qui ne sont pas la chose, car nous jouons désormais au mieux le dernier tiers du temps imparti, et pas franchement le meilleur, au dire des Anciens qui nous ont précédés dans la soixantaine et au-delà.

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==> pour ceux que ça intéresse, le microdosage est une pratique qui consiste à prendre des doses extrêmement légères d’un médicament ou d’une substance. Elle est couramment utilisée pour profiter des bienfaits potentiels de substances psychédéliques telles que les champignons/truffes magiques et le LSD tout en minimisant les effets plus intenses et potentiellement indésirables de ces substances.
La quantité exacte d’une substance qui constitue une microdose varie selon votre poids et la substance consommée en particulier. Cependant, pour le microdosage, la règle générale est de prendre à une fréquence régulière (par exemple tous les trois jours) une dose entre 1/10 et 1/20 de la force d’une dose récréative.

Quand mon peyotl aura poussé de 10 cm, vers 2035 d'après leur vitesse de croissance actuelle, je te reparlerai de ce besoin de clean intégral, que je ressens comme préliminaire à un trip à la mescaline ou à la psilo; d’ici là, j'éteins mon ordinateur, sauf pour l'administratif, j'instaure enfin un vrai moratoire sur le cyber, et je passe tout l'automne 2022 à observer mes pensées, une heure par jour sur mon petit banc de méditation. J'ai une vue imprenable sur mes égouts, et fin décembre je me casse le pied sur le port, ce qui met brusquement fin au séminaire.

(à suivre...)

lundi 27 mars 2023

Mexico : son chanteur, ses produits du terroir (1)

Souvenons - nous, c'était hier :
A vingt ans, je lis tout Castaneda, d'un coup, sans respirer, comme beaucoup d'aspirants hippies de ma génération, nés juste un peu trop tard pour tester les psychédéliques exotiques et faire des expériences en communauté. On est au début des années 80, et je trouve chez un bouquiniste du marché aux Puces de Montpellier un exemplaire du fameux incunable "LE PEYOTL La plante qui fait les yeux émerveillés." 
je l'ai retrouvé sans problème
l'an dernier sur Amazon;
il me semble qu'à la lecture,
il a pris moins de rides que moi.
C'est un fac-similé, régulièrement republié chez Tredaniel, d'un ouvrage écrit par un botaniste français dans les années 20. Fier de ma trouvaille, je prête mon exemplaire à l'arabe dément Abdul-Benalla-Akbar, qui s'enfuit avec, dans un mauvais  rire d'impunité parlementaire, et je ne le revois plus. 
Pour me consoler, je lis Huxley, Michaux, et tutti quanti. Faut croire que ça ne marche pas terrible, puisque je deviens en même temps consommateur régulier de chanvre indien, cet opium du peuple, qui me déçoit beaucoup parce que je suis programmé par mon éducation pour me décevoir encore et encore, en tentant vainement de tenir la posture, trop intense pour mes frêles épaules, telle que décrite par Aragon dans son poème "Est-ce ainsi que les hommes vivent" :

À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.

Les filles de l'époque sont dissemblables et rigolotes, mais l'interaction finit souvent en expériences d'attachement affectif douloureuses, suivies de ruptures qui le sont tout autant, avec en bonus l'accablement de la perte et du deuil, qui est alors devenu une seconde nature, une ombre qui me suit pas à pas, et un terreau fécond pour une tendance fortement dépressive en gestation; à part les filles, je teste d'autres produits 😂, plus compliqués à trouver sur le marché 😈, car je suis très curieux des effets des psychotropes sur la conscience, ce qui dix ans plus tard, de fil de pêche en aiguille à couture, une chose en amenant une autre, finit par m'ouvrir les portes, non pas de la perception, mais des Alcooliques Anonymes, dans le sens de l'entrée, qui deviendra pour moi une sorte de classe de maternelle de la spiritualité vivante, où je retrouve un semblant d'unité intérieure, à condition d'observer une abstinence continue du produit modifiant le comportement; c'est dans les premiers temps un pari risqué, puis un pacte quotidien avec moi-même, renouvelé chaque jour que Dieu fait, sans présumer du lendemain, qui anyway n'arrive jamais, car dans la méthode de rétablissement qui nous est suggérée, le seul horizon vécu se limite aux bordures d'aujourd'hui. Ça peut sembler encore plus con qu'une bite en action, ou même au repos, mais n'ayant plus grand chose à perdre, sinon ma famille (car nous venons d'avoir un premier enfant avec ma compagne), mon honneur perdu et mon travail, je teste, dans la durée, et ça marche.
D'autres addictions viendront plus tard, moins pittoresques dans leurs manifestations mais pas dans leur violence ni dans leur durée, je changerai de symptôme et de produit, et serai tardivement dépisté comme porteur de tendances bipolaires, à l'occasion d'un burn-out fin 2011.
Sous des dehors un peu fantaisistes,
le site de ce psy "rockologue" est une mine 
d'informations sur les pathologies mentales
(et comment faire avec, à défaut de s'en débarrasser)
https://igorthiriez.com/ 

==> pour ceux que ça intéresse : plus précisément, suite à un virage carabiné de l’humeur induit par un antidépresseur, révélateur d'un rouble bipolaire de type 3

Face aux ratés & rechutes dépressives de mes premiers contacts avec les "médicaments" psychotropes, je suggèrerai finalement à mon psychiatre d'essayer le lithium, devant lequel il avait jusqu'ici reculé, du fait sans doute que c'est souvent un traitement "à vie", qu'il voulait peut-être m'épargner, je ne sais pas, je ne suis pas psychiatre, mais patient. 
On est alors en 2015, et la météo s'améliore, la navigation aussi, adieu les ciels plombés, le mal de mère et l'enclume des jours. 
Je découvre un certain confort de marche grâce à cette béquille chimique, qui me permet d'évoluer au sein de la RRR (Réalité Réelle Ratée, un concept malicieux que m'a vendu à prix coûtant sur son lit de Maure mon ami et compagnon d'infortune Louis-Julien Poignard) sans me ramasser la gueule par terre ni tenter compulsivement de remonter les caniveaux à contre-courant en ouvrant la bouche et en fermant les yeux (alors que c'est l'inverse qu'il faudrait faire) si d'aventure je me retrouvais dans une position aussi défavorable. Mon humeur se stabilise, rares sont les moments où je me prends à nouveau les pieds dans mes poubelles existentielles quand j'ai oublié de les sortir, de les vider, de les rincer. Ou quand j'ai nié leur toxicité, pour mieux replonger dans leurs remugles capiteux, 
dans l'espoir souvent déçu de dénouer d'anciens noeuds sans me rependre avec, et de faire du déchet une ressource. Toutes ces aventures sont sédimentées et versionnées en long, en large et en traviole par votre serviteur, sur ce putain de blog, alors me faites pas chier avec ça et reportez-vous aux dates et prescriptions d'emploi dans la nomenclature. 
(Et puis surtout / N'oubliez pas de me faire envoyer la liste / Des erreurs constatées au F 756 du 72 03 10 😜😝)

Soudain, nous voici fin mai 2022, et mon voisin jaillit tout bronzé de la haie de conifères qui sépare nos deux propriétés : il rentre de 8 jours au Mexique. Et moi qui le croyais dans sa résidence secondaire, en Vendée. Il me détrompe avec bonhomie, et me demande si j'ai trouvé une poule pour égayer la solitude de la mienne. Car elles étaient deux, et puis l'autre est morte de sa belle mort, elle avait mal à une patte, elle ne pouvait plus ni marcher ni gratter, je la portais dans la pelouse le matin et la rentrais dans le poulailler le soir, une poule d'ornement au sens littéral du terme, et un matin, crac, je la trouvus toute raide dans sa cabane, la pauvrette, j'étais vraiment allé aussi loin que je pouvais dans le soin palliatif, et maintenant il fallait encore la laisser partir. 
Je l'attrapis donc par une patte, j'allas vers le bois, et hop, lancer franc vers le Bartàs, (ancien occitan barta “buisson, broussaille”). 
https://www.etymologie-occitane.fr/2011/07/bartas/

mes poules prenant un bain de soleil sans remarquer les paparazzi,
qui ne prend pas de s au pluriel, au printemps 2020.

La messe est dite, silencieuse mais attentivement suivie par les yeux des renards des fourrés, accablés de compassion active, qui pullulent dans cette partie reculée du Wyoming. Entretemps, la grippe aviaire s'est étendue dans tous les Pays de la Loire, désignant d'un index vengeur les élevages industriels comme vecteurs privilégiés de maladie : il faut voir la promiscuité de ces pauvres bêtes, alors que les deux miennes disposaient de 1000 mètres carrés de verdure et n'étaient jamais malades. Donc, plus moyen de trouver une poule vivante, la volaille se retrouve au mieux confinée, au pire génocidée en masse dans les élevages et en tout cas aussi interdite à la vente que de vulgaires champignons hallucinogènes mexicains.
Elle est pourtant nettement moins psychédélique, et bien plus nourrissante.
"On peut encore se ravitailler dans les Deux-Sèvres", me glisse discrètement mon voisin par dessus la haie, et il propose gentiment de me dépanner, il voit son beau frère ce week-end, ça m'éviterait de relancer la filière albigeoise, ou d'aller dans le Morbihan, puisque la Prohibition ne frappe pas la Bretagne limitrophe, terre de liberté sur laquelle y'aura toujours un con avec un drapeau breton, mais faut pas être trop gourmand, on peut pas tout avoir  tout le temps non plus.
on raconte qu'il existe sur le darkweb
une version parodique
du film de Richard Pottier,
dans laquelle John Warsen,
complètement high au Seroplex®,
interprète tous les rôles du film,
à l'aide d'un maquillage outrancier,
et de trucages approximatifs.
Il faut que je pense à regarder 
s'il a reçu des critiques positives sur alluciné.
Sur ce, il m'abandonne pour tondre sa pelouse, qui fait bien 3 cm, et le soir même il l'arrose, pour qu'elle repousse et qu'il puisse la retondre. Il est comme ça, mon voisin, un peu hyperactif, il faut qu'il s'occupe, en permanence, de préférence avec des trucs à moteur qui font du bruit, mais c'est pas par méchanceté, il craint juste que l'oisiveté soit mère de tous les vices. Il est démuni d'aptitudes à la contemplation, qui serait même assez anxiogène, si jamais il se risquait un jour à participer à mes séminaires de méditation et toucher rectal, dont j'évite de bourrer sa boite aux lettres de mes flyers photoshoopés, car au fond, je le comprends et ne lui en tiens nulle rigueur.
En même temps, je ne puis m'empêcher de jalouser hyper-secrètement cet Hilarion Lefuneste de retraité à l'empreinte carbone hideuse, car moi si j'allais au Mexique, ça serait pas pour aller boire de la téquila avec le Commandant Marcos aux frais de Nouvelles Frontières et des tour operators du Chiapas, d'abord je rendrais visite à Alfonso, l'ami mexicain rencontré aux AA qui m'a bien aidé à surmonter ma déprime et les effets secondaires des antideps en 2012, et puis je me chercherais un chaman sud-amérindien pour tâter du peyotl et de la mescaline... 

Il y a deux ans, pendant Confinement_1, alors que la cueillette des girolles était interdite et la confection de l'omelette rituelle rendue impossible par la maréchaussée, en cherchant des images pour un article de blog plutôt ironique sur la question des psychédéliques, j'ai accidentellement découvert "Voyage aux confins de l’esprit", un livre de Michael Pollan qui retrace leur histoire et l'état de la recherche, et j'ai été séduit par tous ces récits de dépressifs et d'addicts qui semblent se trouver mieux sur le long terme après avoir tâté des psychotropes sauvages (LSD, psilocybine, mescaline) et y avoir connu ou reconnu des expériences d’émerveillement durable, mais c'est sans doute pas pour tout le monde. Ma condition de porteur de tendances bipolaires n'est-elle pas contre-indiquée pour une telle thérapeutique ?

le titre ressemble à du Goossens,
mais pas le contenu.
« Chez les sujets sains, les psychédéliques – en introduisant davantage de bruit ou en augmentant l’entropie dans le cerveau – peuvent nous faire sortir de nos schémas de pensée habituels («lubrifier la cognition», selon les termes de Carhart-Harris) afin d’améliorer notre bien-être, nous rendre plus ouverts et stimuler notre créativité. Selon Gopnik, ces substances peuvent aider les adultes à accéder à la pensée fluide, qui est une seconde nature chez l’enfant, et à élargir le champ des possibilités créatives. Si, comme elle l’estime, «l’enfance est un moyen d’injecter du bruit – et de la nouveauté – dans le système de l’évolution culturelle», les psychédéliques pourraient en faire de même chez l’adulte.
Quant aux malades, les patients qui ont le plus à gagner sont ceux qui souffrent des troubles mentaux dus à une rigidité mentale, comme l’addiction, la dépression et l’obsession.
Il existe tout un ensemble de problèmes et de pathologies chez l’adulte, comme la dépression, causés par le ressassement et une focalisation trop étroite liée à l’ego, explique Gopnik. On bute sur la même chose et on ne s’en sort pas, on devient obsessionnel, voire accro. Il me semble tout à fait plausible que l’expérience psychédélique puisse nous aider à nous sortir de ce type d’état en nous donnant la possibilité de récrire les vieilles histoires qui nous définissent.»

Comment résister au puissant attrait que cette réclame exerce sur des gars comme moi ? avec toutes les valises que je traine dans mes casseroles ? c'est vraiment difficile. Avec en plus la nostalgie de n'avoir pas testé ces trucs quand c'était de mon âge, et plus à ma portée.
Le chemin sera tortueux : avec mon traitement régulateur d’humeur, assez efficace ma foi, je n'ai pas du tout l’impression de prendre un médicament, ni ne ressens d’effets secondaires, et cela fait déjà quelques années que je jouis à nouveau de la liberté de choisir mes pensées, au prix d’une sobriété émotionnelle, certes, qui finit par m'inquiéter.
Ne suis-je pas en train de faire du surplace dans ma life ? mais est-ce que tout cela est bien compatible ? et raisonnable ? ne cherchè-je pas plutôt à me créer de nouveaux ennuis, lassé du manque d'intensité procuré par les anciens ? 
J’ai eu la présence d’esprit de taper lithium + mescaline dans Google, histoire de vérifier la sécurité du voyage du 3eme âge, lithium + mescaline c’est beau comme une chanson inédite d’Hubert-Félix Thiéfaine avant qu'il renonce aux Narcotiques, mais j’éprouvis alors une légère déconvenue : l’interaction entre le médicament et les psychédéliques était réputée désastreuse, puisque les 2 substances agissent sur les récepteurs de la sérotonine, on risquait le syndrome sérotoninergique, pas bon du tout même pour les psychonautes les plus aguerris.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_s%C3%A9rotoninergique
Bref, il fallait éviter coûte que coûte la catastrophe industrielle. 
Et donc, commencer par se passer du lithium, au risque d'en déclencher une autre.

La catastrophe industrielle, débouchés et applications, figure 1.


(à suivre...)