lundi 18 mai 2009

la chambre du fils


Mon fils a fêté ses 17 ans ce week-end.
On a été priés de lui laisser la maison, et on a émis des consignes claires :
"pas d'alcool, et les filles dorment dans une chambre séparée".
Le dimanche après-midi, il a tout rangé et nettoyé méticuleusement dans les pièces où ils avaient campé, grignoté, et un peu dormi, mais pas vomi.
La bouteille de rhum qui traînait dans un coin et qui avait l'air d'avoir subi une forte évaporation ? "oui mais j'ai dit au gars qui l'avait amenée "non" parce que vous aviez dit non. Maintenant, tu me crois si tu veux."
J'ai trouvé un filtre de tarpé consumé dans le jardin, mais n'en pas trouver m'aurait plus inquiété.
Quand je vois que sa chambre ressemble le plus souvent à une déchetterie avant l'invention du tri sélectif, et l'état dans lequel ça me mettait, je comprends que le rangement, chez lui ce n'est pas une histoire de capacité, mais de volonté. De désir.

Comme il dit "c'est MA chambre, papa." (les papas comprennent moins vite que les mamans, surtout s'ils veulent à tout prix parvenir à maîtriser le lâcher prise)
J'ai un pote aujourd'hui capitaine d'industrie, quand il était jeune il s'est retrouvé secrétaire particulier et chauffeur de Swami Ritajananda, ça l'a calmé pour un moment qui s'éternise.
Un jour, le swami a quitté l'ashram pour quelques temps, et mon pote s'est retrouvé très mal, il a compris qu'il devait le quitter s'il ne voulait pas crever de sa dépendance absolue envers lui.
Il est parti. Mais faut voir comment il parle du Swami avec un total respect, même s'il est le premier à dire qu'il n'en avait rien à battre des enseignements, il voulait juste être tout le temps auprès de lui, la contrainte émotionnelle était très forte, et à ce titre il était fort jalousé par les nombreux disciples qui n'arrivaient pas à s'immiscer ainsi auprès du maître.
Aujourd'hui, il élève depuis 16 ans un grand gaillard black qu'il est allé chercher quand il était tout pitit dans un orphelinat au Burkina Faso, et il n'a pas besoin de hausser le ton pour lui demander de ranger sa chambre.

lundi 11 mai 2009

J'ai couru trop longtemps dans des chausses vétustes

J'aime bien les vers de 12 pieds, surtout ceux qui dissimulent leur lancinante litanie sous l'apparence fourbe d'une prose anodine... et d'un seul coup, au détour du langage le plus commun, c'est comme si on venait de poser son cerveau sur une pitite mine antipersonnel, déclenchant la mininova du souvenir d'école et des récitations hésitantes...
L'alexandrin, c'est mon vice caché, encore plus grave que mes dépendances sexuelles, affectives, tabagiques, alcooliques, droguaddictes et philip caduques... enfin bref toutes celles que j'ai renoncé à assouvir tellement elles avaient la gueule d'un trou sans fond et que j'aurais beau benner dedans sans trève ni relâche des norias de bétonnières de ciment à prise rapide, ou encore des convois inhumanitaires de la nourriture qu'elles réclamaient, elles resteraient béantes.
Combler un trou noir avec des gravats, tâche dont l'évidente absurdité mène par beau temps à l'humilité.
Alors que l'alexandrin, lui, mène à Victor Hugo, qui se prenait quand même pour Victor Hugo, qui n'était guère plus qu'une fiction littéraire issue de son propre esprit auto-illusionné à force de prendre sa vessie pour une lanterne. Un peu comme johnwarsen, mais en mieux. L'époque s'y prêtait, et faisait grande consommation de victorugos. Et il fallait bien quelqu'un pour dire merde à l'empereur. L'Histoire le réclamait.
N'empêche que courir trop longtemps dans des chausses vétustes, pour ne pas dire des baskets nazes et périmées, alors que le joggueur avisé en change tous les ans, c'est pas bien malin, et ça m'a mené chez l'ostéopathe : les douleurs tout d'abord localisées dans la plante du pied mais niées par négligence, ont remonté au bas du dos, puis au cervicales et tandis que je m'obstinais à en ignorer l'origine, se sont carrément installées dans les os du crâne, j'avais l'impression de sentir mes plaques crâniennes chauffées au rouge, surtout du côté droit.
Bon, un copain a fini par me dire que ça devait venir de là, aussi, sinon je n'aurais peut-être pas trouvé tout seul. De l'utilité d'avoir des amis sur qui l'on peut compter.
La salle d'attente de l'osthéopathe est pleine de gens qui, comme moi sont venus sur le bouche à oreille autour du mythique praticien. La dernière fois que je l'avais vu pour un lumbago foudroyant, il y a trois ans, il opérait dans un quartier bien moins fameux de la ville, et son cabinet payait moins de mine. Le docteur est connu pour ne jamais dire "non" à une demande de rendez-vous même pour le jour même. Sa vocation de soulager la douleur est ainsi mise à la fois à l'épreuve et en pratique.
Il faut venir avec son tricot ou de quoi lire, parce qu'on sait qu'on va passer deux voire trois heures à attendre son tour, quelle que soit l'heure à laquelle on a pris rendez-vous. C'est le tarif. Le docteur D. se mérite, son retard chronique, aussi reconnu que sa compétence. lui est consubstantien.
J'ai amené Courrier international, dans lequel j'ai lu l'incroyable portrait de Rita Levi-Montalcini, une neurobiologiste italienne prix Nobel en 1986, qui fêtera ses 100 ans le 22 avril et qui arrache tout (hé oui, je lis des journaux un peu périmés, ça me donne du recul sur l'actualité).
Et le témoignage d'un chanteur somalien qui confirme que c'est LA destination actuelle pour les fatigués de la vie.
Au bout d'un numéro entier de l'hebdomadaire lu jusqu'au formulaire d'abonnement, et pourtant c'est écrit petit, c'est mon tour. L'ostéo grignote des gressins (bâtonnets croustillants, fins comme des crayons et pas du tout inscrits dans le plan nutrition santé) entre deux patients, vu qu'il n'a pas le temps de manger et continue de prendre des rendez-vous pour la fin de la journée alors que la salle d'attente est déjà pleine. D'abord je le suspecte d'être un saint laïque, parce que je l'entends, tout en me manipulant, donner des conseils dans le combiné qu'il a fort habilement coincé entre le cou et l'épaule, à une femme qui vient visiblement de se faire tabasser par son mari, et il lui suggère très posément d'aller déposer une main courante au commissariat, tant qu'elle a encore des marques, tout en suivant des deux mais l'étiologie de mes douleurs le long de mes vertèbres dorsales (je n'en ai pas encore de ventrales, mais j'y travaille) et je m'émerveille de cette hot-line vraisemblablement gratuite d'attention inconditionnelle, mais ensuite, il commence à me pétrir les épaules et la colonne, je ne le vois pas mais je sens ses mains qui ralentissent, ralentissent... et il s'endort. C'est pas pensable, mais c'est en train d'arriver. Pris à mon tour de compassion, je reste immobile, trente secondes, une minute... il revient à lui, dans un sursaut, et me noie d'un flot verbal d'explications techniques sur mon déséquilibre dans le pied gauche d'où me vient tout le mal. Je lui réponds poliment que ce n'est pas nécessaire, que j'ai compris qu'il a fait une micro-sieste, que ça m'arrive aussi, même au travail... il acquiesce, confesse qu'il travaille 80 heures par semaine, qu'il compense en partant souvent en vacances, parce qu'il a besoin de se recharger vu tout ce qu'il donne dans les consultations, en remettant même les blackettes d'équerre... il me proscrit le jogging pour quelques jours, j'ai bien fait de pas me vanter que je venais de désoucher un bouleau dans le jardin au prix d'un trou de 2 mêtres de diamêtre, au prix de 12 heures d'efforts étalés sur une semaine avec technique mixte à base de pioche, de bêche, de tronçonneuse et de petite pelle métallique, que ça m'avait pas arrangé le bas du dos non plus.
Je m'en vais en clopinant, revenant à regret et en marche arrière sur ma tentation de le canoniser : c'est sans doute un excellent praticien, il soulage sans compter, mais sa vie semble un chantier vivant, à l'image de ce refus de confier son planning à une secrétaire qu'il a pourtant largement les moyens d'engraisser, et ce n'est pas de la pingrerie non plus, mais il y a cette absence totale de hiérarchisation dans sa vie, et cette manie absurde de convier plus de malades qu'il ne peut raisonnablement en traiter (ou alors en s'endormant pendant les consultations ou toute autre manière que son organisme est obligé d'inventer pour récupérer.)
C'est un personnage haut en couleurs, qui mériterait un documentaire, parce que tous les aspects de sa vie débordent les uns dans les autres, en tout cas pour ce que j'en ai vu, et qu'en télé ça s'appelle un bon client. Mais se faire traiter par lui, c'est assez aléatoire.
Pendant la semaine, les douleurs dans le côté droit du crâne et le bas du dos s'estompent très lentement, et j'envisage d'aller en voir un autre, parce que j'en ai marre de couiner comme un petit vieux à chaque fois que je fais un faux mouvement, et même si j'ai plaisanté dans la salle d'attente avec les patients qui feignaient de s'indigner de l'impossibilité de savoir à quelle heure la consultation aura vraiment lieu, je n'ai pas le loisir d'hypothéquer une demi-journée par çi par là en ce moment. Je ne sais pas si c'est un effet du besoin de reconnaissance, mais il demande beaucoup de patience à ses patients.
Quelques jours plus tard, je découvre qu'une heure de dos crawlé m'apporte un soulagement durable, et je me refidélise sur la piscine du samedi matin avec ma fille qui adore ça, même si elle n'est toujours pas convaincue de l'intérêt d'apprendre à nager. Et je réduis la voilure sur les postures tendancieuses au jardin (garder le dos droit en toutes circonstances, bordel ! et penser à prendre appui sur le genou avec la pelle plutôt que de faire jouer le coccyx)
Un soir, je rêve qu'après avoir aidé à transcrire les chansons de bob dylan en français pour francis cabrel (hugues aufray ayant vulgarisé dylan dans le mauvais sens du terme), Obama venait me remercier de ce que je faisais pour la culture US. Ce qui me renvoie en me marrant à mon propre besoin de reconnaissance. Sans parler du mépris que je nourrissais pour la culture américaine, que les blockbusters en blue-ray ont rendu grotesque.
Je redéchiffre enfin en un cahier obscur que j'aurais jadis griffonné que "le refus de penser la verticalité (immanence ou transcendance) c'est pour éviter la peur d'avoir à se situer tout en bas de cette échelle, ce qui contraint à une forme ou une autre de complaisance avec cette nullité, puisque la refuser n'annule pas ses effets. Et pendant ce temps, on se noie dans l'horizontal, déprimant par manque de sens. Comme je suis en vacances chez ma soeur avec mes marmots, et que je viens de faire mon Qi QONG, je m'autorise à penser que ce refus est bien nigaud."
P'tain j'ai fait du Qi Qong moi ?

Annexe : l'article de Courrier international : RENCONTRE AVEC RITA LEVI-MONTALCINI • Un siècle d’avenir

Toujours très active, la célèbre neurobiologiste, prix Nobel en 1986, fêtera ses 100 ans le 22 avril. L’écrivain italien Paolo Giordano l’a interrogée sur sa vision de la vie, sur l’évolution et sur la condition féminine.
16.04.2009 | Paolo Giordano* | Wired Italia


EBRI est l’acronyme de European Brain Research Institute, Institut européen de recherche sur le cerveau. La brochure de la Fondation présente en vis-à-vis le texte ­italien et sa traduction en anglais et reproduit sur la deuxième page un beau portrait de Rita Levi-Montalcini (RLM), une main derrière la nuque et sans boucles d’oreilles. Un sourire à peine esquissé. Je l’ai longuement étudié sans me faire une conviction. Elle dit : “En 2001 j’ai eu cette idée. Je me suis demandé : dans quel domaine l’Italie a-t-elle toujours été la meilleure ? Dans les neurosciences. Au XVIIIe siècle, Galvani et Volta ont découvert l’électricité animale ; à la fin du XIXe, Golgi a inventé la coloration argentique des cellules nerveuses ; Vittorio Erspamer est parvenu à isoler la sérotonine et d’autres neurotransmetteurs et Giuseppe Levi, mon professeur, a été un des premiers à expérimenter la culture in vitro.” J’ajoute que “RLM” est l’auteur de la découverte du nerve growth factor (NGF, facteur de croissance neuronale), pour lequel elle a obtenu le Nobel en 1986. “Alors, continue-t-elle, pourquoi ne pas fonder un institut pour les neurosciences ? L’idée a pris corps. Toutes les régions italiennes se sont portées candidates et finalement c’est Rome qui a été choisie, parce qu’elle disposait des structures adaptées.” L’EBRI est un organisme public sans but lucratif. Il n’empêche qu’il est toujours en manque d’argent. A la fin de la brochure je trouve les informations sur les donations et des explications pour déduire les dons de sa déclaration de revenus.
Elle dit : “L’EBRI obtient d’excellents résultats. C’est un centre international, il est tout à fait étranger aux logiques auxquelles est soumise la recherche en Italie. Nous n’embauchons que des chercheurs excellents.”
1. Canards, pâturages et glissements de terrain
J’annonce au chauffeur de taxi “EBRI”, mais il ne sait pas ce que c’est. Je spécifie “via del Fosso di Fiorano, 64”. Il entre la destination sur son GPS et me répond que, d’après son navigateur, cette rue n’arrive qu’au numéro 10. Je lui dis d’y aller quand même. J’ai acheté des fleurs, que j’ai posées sur le siège arrière. Nous parcourons une portion de l’avenue Cristoforo Colombo puis nous bifurquons vers l’Appia antique et de là dans la via Ardeatina. Je songe alors que le massacre des Fosses ardéatines [ou les SS exécutèrent 335 personnes en représailles, en 1943] n’est qu’un des nombreux massacres que RLM doit avoir gardés en mémoire. “Ça doit être ici.” J’indique au chauffeur un bâtiment blanc. Ce n’est pas difficile à deviner, c’est le seul. Tout autour il n’y a rien, seulement la campagne. Sans répondre, il me montre l’éboulement de terrain qui barre la route. Il a beaucoup plu à Rome, ces derniers jours. Un peu au-dessus de l’éboulis, j’aperçois un troupeau de moutons, gris sous un ciel de même couleur.

A l’entrée de l’EBRI, les deux gardiens me dévisagent, l’air étonné, peut-être à cause du bouquet. Ils m’indiquent le chemin. Je suis reçu par Elisabetta Balestrieri, qui a la tâche ingrate de trouver des financements pour les recherches de l’institut. “Madame la professeure n’est pas encore arrivée.” Je me dis que, pour Rita Levi-Montalcini, “Professeure” doit s’écrire avec une majuscule. J’attends dans le couloir. Enfin elle arrive. Un homme l’accompagne, mais elle marche sans aide, à petits pas. Si j’étais un réalisateur, je filmerais la scène exactement comme je la vois, à une certaine distance, sans déplacer la caméra, sans le son. Je ne couperais pas un seul photogramme de la Professeure progressant sur la ligne médiane du ­couloir blanc. La lenteur et l’obstination avec laquelle cette dame pleine de grâce – le mot “grâce” me tourne dans la tête pendant tout le temps de notre entretien et ­continue encore après – s’avance vers moi ferait une séquence parfaite pour raconter ses cent ans.
Cent.
Ans.
La voici devant nous. Nous nous présentons. Elle sourit – moi, je lui souris depuis tout à l’heure. Je lui offre les fleurs, elle me remercie. Nous nous installons dans son bureau, dont les murs sont ornés des tableaux hypnotiques de sa sœur Paola. Madame la Professeure prend la parole, comme pour dissiper mes doutes : “Dans ma vie, tout m’a été facile. Les difficultés ont glissé sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard.” Voilà donc son secret.

2. Deux cerveaux
En ce moment, RLM écrit un nouveau livre. C’est la première surprise. Pour nous, il semble évident que, lorsqu’on a 100 ans, on porte sur son dos plus de passé que d’avenir, mais la vie de Madame la Professeure ne commence pas après la guerre, ni avec le prix Nobel ni avec son séjour aux Etats-Unis. Elle commence avec le livre qu’elle est train d’écrire. Elle dit : “Je ne sais pas s’il plaira aux lecteurs autant qu’il me plaît. Je vous le raconte brièvement. Beaucoup de gens ignorent que notre cerveau est constitué de deux cerveaux. Le ­premier, archaïque, constitué par le système limbique, n’a pratiquement pas évolué depuis trois millions ­d’années. Celui de l’Homo sapiens ne se différencie guère de celui des mammifères inférieurs. C’est un cerveau petit mais qui possède une puissance extraordinaire. Il contrôle tout ce qui se passe en matière d’émotions. Il a sauvé l’australopithèque quand celui-ci est descendu des arbres, lui permettant de faire face à la férocité du milieu et de ses agresseurs. L’autre cerveau, beaucoup plus récent, est celui des fonctions cognitives. Il est né avec le langage et, au cours des 150 000 dernières années, il s’est développé de manière extraordinaire, en particulier grâce à la culture. Il se trouve dans le néocortex. Malheureusement, une bonne part de notre comportement est encore gouvernée par notre cerveau archaïque. Toutes les grandes tragédies – la Shoah, les guerres, le nazisme, le racisme – sont dues à la primauté de la composante émotive sur la composante cognitive. Or le cerveau archaïque est tellement habile qu’il nous porte à croire que tout est contrôlé par notre pensée, alors que ça ne se passe pas du tout ainsi.”
Je tente d’objecter que – si j’ai bien compris – le mal n’est pas seul embusqué dans le cerveau archaïque, mais qu’on devrait y trouver aussi l’amour, la passion, l’affection. RLM accueille ma remarque avec une certaine froideur. Cela n’a pas l’air de l’intéresser beaucoup. Elle dit : “D’accord, la composante émotive n’est pas uniquement négative.”

3. L’avenir ?
RLM a des problèmes de vue – c’est de son âge – mais elle regarde constamment son interlocuteur quand elle parle. Elle cligne des paupières à une fréquence qui est la moitié, peut-être le tiers de la mienne, comme si son temps à elle s’écoulait un peu plus lentement. “Le cerveau archaïque a sauvé l’australopithèque, mais il va mener l’Homo sapiens à l’extinction. La science a mis entre les mains de l’homme des armes de destruction très puissantes. La fin est déjà à notre portée.”
Elle est assise devant moi, très digne. Elle porte une robe tout à fait dans son style – inimitable – , une robe noire élégante qui lui descend aux chevilles. Les épaulettes saillantes semblent accompagner l’ondulation de sa chevelure, partagée en deux hémisphères. Elle a greffé sur sa poitrine une broche en or aux formes compliquées. Impossible de ne pas la croire lorsqu’elle prédit la fin.
J’essaie d’approfondir : “Supposons que tout aille pour le mieux et que nous subsistions pendant quelque temps encore, qu’adviendra-t-il après l’Homo sapiens ?” RLM se rétracte : “Je ne suis pas futurologue. Je peux seulement voir ce qui se passe aujourd’hui. Le passé, je le connais. Quant à l’avenir… gardons espoir.” Elle fait alors une pause, se penche vers moi : “Paolo, ­comment vois-tu ton avenir ?”

4. Trop de cerveaux
RLM : Il faudrait l’expliquer aux jeunes d’aujourd’hui, cette affaire des deux cerveaux. Quand ils s’imaginent qu’ils pensent, ils se font des illusions. Le langage et la communication leur donnent l’illusion qu’ils sont en train de raisonner. Mais le cerveau archaïque est malin, et il sait aussi tricher. Il se camoufle derrière le langage, en imitant le cerveau cognitif. Il faudrait le leur expliquer.
Moi : Avez-vous une idée…
RLM : Paolo, je préfère que tu me tutoies, sinon…
J’essaie, et je reprends.
Moi : As-tu une idée de la raison pour laquelle les jeunes ont une telle sensation de menace face à ­l’avenir ? A bien y regarder, il y a eu des périodes historiques bien plus dramatiques que celle que nous vivons, y compris parmi celles que tu as connues.
RLM : Plus que la menace, ce qu’ils ressentent, c’est la précarité dans tous les domaines. Il est difficile de prendre conscience que notre comportement est très complexe, que notre cerveau est fait d’une infinité de composantes. Il est tout aussi difficile de voir dans toute catastrophe la possibilité d’un retournement. Peut-être suis-je une optimiste innée, mais je pense qu’il y a toujours quelque chose qui nous sauve. Les lois raciales, en 1938, en ce qui me concerne, ont été une chance parce qu’elles m’ont contrainte à aménager un laboratoire dans ma chambre à coucher. C’est là que j’ai commencé les recherches qui m’ont conduite par la suite à la découverte du facteur de croissance neuronale.

5. Hypatia
Hypatia vécut à Alexandrie d’Egypte, entre le IIIe et le IVe siècle après Jésus-Christ. Elle inventa l’astrolabe et le planisphère, et enseigna la philosophie sur les places et dans les rues de sa cité. Elle devint si populaire et si aimée qu’elle éveilla la jalousie de l’évêque Cyrille, qui la fit assassiner par une bande de chrétiens fanatiques. Hypatia fut mise en pièces – littéralement, puisqu’elle fut déchiquetée avec des tessons de poterie – et les lambeaux de sa chair furent brûlés sur la place publique.
Tout cela, je l’ai découvert après.
Mais quand j’ai demandé à RLM si la situation des femmes dans le domaine de la recherche est toujours aussi désastreux aujourd’hui que celle qu’elle avait décrite dans les années 1980 dans Elogio dell’imperfezione (“Eloge de l’imperfection”, éditions Garzanti), elle me parle d’Hypatia, en tenant pour évident que je connaissais l’histoire de la mathématicienne d’Alexandrie.

Elle dit : “Depuis l’époque d’Hypatia jusqu’à nos jours, on a dit que, dans le domaine scientifique, l’homme est génétiquement supérieur aux femmes, mais il n’en est rien. Génétiquement, hommes et femmes sont identiques. Mais ils ne le sont pas du point de vue épigénétique, c’est-à-dire en ce qui concerne leur développement, car celui de la femme a été volontairement freiné. Dans mon livre Le tue antenate [“Tes ancêtres”, éditions Gallucci], je présente soixante-dix portraits de femmes qui furent des génies, en commençant par Hypatia. Elles ne sont pas nombreuses, c’est vrai, mais autrefois la culture n’était accessible qu’à une élite restreinte et aux femmes juives, parce que chez les Juifs la culture était tenue en telle estime qu’elle passait avant les différences de sexe.” Et aujourd’hui ?

Elle dit : “Aujourd’hui, la situation est meilleure. Pas comme je le voudrais, mais elle est meilleure. Seulement, hélas, dans cette partie du monde que nous appelons ‘civilisé’. En Afrique, il y a des milliers de femmes intelligentes qui n’ont pas la possibilité d’utiliser pleinement leur cerveau. L’instruction est la grande tâche à laquelle je me suis attelée en Afrique [à travers la Fondation Rita Levi-Montalcini]. En quelques années, nous avons distribué 6 700 bourses d’études, qui couvrent les dépenses, de l’enfance à la formation postuniversitaire. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà quelque chose. Quand j’avais 20 ans, je voulais aller en Afrique soigner les lépreux. Quand j’y suis allée, j’étais déjà vieille, c’était pour soigner l’analphabétisme, qui est bien plus grave que la lèpre.” Dans les pages de la brochure de l’EBRI et en parcourant les couloirs de la Fondation, j’ai vu surtout des noms de femmes. La plupart de celles que j’ai rencontrées sont très jeunes. Je demande s’il est facile pour elles de concilier leur vie de chercheuses et leur vie – que je n’arrive à définir que par cet adjectif, horriblement précis : familiale.
Elle dit : “Ce sont toutes des femmes extraordinaires. Certaines sont mariées, d’autres divorcées, d’autres vivent en union libre. Cela n’a aucune importance. Toutes sont excellentes. Et pourquoi donc ? Parce que les femmes ont été entravées pendant des siècles. Quand elles ont eu accès à la culture, elles ont été comme des affamées. Et la nourriture est bien plus nécessaire à l’affamé qu’à celui qui est déjà rassasié.”
On raconte qu’un jeune élève d’Hypatia en devint amoureux. La philosophe lui montra alors un tissu taché du sang des menstrues. Elle lui dit : “C’est donc cela que tu aimes, mon jeune ami. Cela n’a rien de beau.”

6. Longue vie au nerve growth factor
Elle dit : “Nous avons découvert que le NGF est présent aussi dans l’ovocyte et dans le spermatozoïde. Il est présent à toutes les phases de la vie. Nous avons montré que, si on administre un anti-NGF à des cobayes avant leur naissance ou immédiatement après, ils ne survivent qu’un très bref laps de temps. Le NGF est bien plus qu’une protéine à l’activité intense. C’est une molécule vitale. Sans elle, la vie s’arrête.”
La salle des cobayes est à l’étage inférieur. Les ­souris blanches, avec leurs cerveaux aussi petits que nécessaires, tournent en rond dans leurs cages, grimpent les unes sur les autres. Je demande à RLM comment faire comprendre aux gens l’importance des études sur le NGF. Elle dit : “Nous avons déjà démontré à partir des expériences sur les souris que l’administration de NGF bloque la progression de l’Alzheimer. Le NGF pourrait également se révéler utile dans le traitement d’autres maladies neurodégénératives, telles que la maladie de Parkinson et la sclérose latérale amyotrophique. Mais produire du NGF de synthèse coûte affreusement cher, et les laboratoires pharmaceutiques ne le feront pas tant que nous n’aurons pas prouvé son efficacité.”

7. Cent ans d’avenir
Moi : En lisant tes livres, je me suis rendu compte que tu as une vision panoramique de la science, et que tu possèdes des compétences dans d’autres domaines, comme la physique et les mathématiques. Aujourd’hui, cela ne paraît plus possible.
RLM : Ce n’est pas un siècle qui s’est écoulé depuis ma naissance, mais tant de siècles ! Un développement technologique tel que celui d’aujourd’hui était impensable il y a cinquante ou soixante ans. Pourtant, la technique ne suffit pas. Il faut voir les choses plus largement. Les jeunes ont certainement de grandes capacités aujourd’hui, mais leur niveau culturel est assez bas.

Moi : L’âge, les responsabilités, et la reconnaissance des plus grandes instances n’ont-ils pas amoindri ta soif de découverte ?
RLM : Au contraire. Ils l’ont accrue. J’ai d’excellents rapports avec les jeunes qui travaillent ici, parce qu’ils sentent que je peux ajouter une chose fondamentale qui manque à leur formation : l’intuition.
Moi : C’est comment la vie, quand on a 100 ans ?
RLM : Ma vue a un peu baissé, et l’ouïe bien davantage. Pendant les conférences je ne vois pas bien les projections, et je n’entends pas très bien. Mais ma pensée est plus active maintenant que lorsque j’avais vingt ans. Que le corps fasse ce qu’il veut. Je ne suis pas mon corps. Je suis mon esprit.
Moi : Et quand le corps meurt ? RLM : Quand le corps meurt, ce que l’on a fait nous survit, le message que l’on a porté. Pause.
RLM : Paolo, comment vois-tu ton avenir ?
Moi : …
RLM : ...
Moi : Je voulais encore te poser une question, sur ta manière de t’habiller. Ou trouves-tu ces vêtements si élégants que tu portes en toutes occasions ?
RLM : C’est mon point faible. Je n’ai jamais essayé de dissimuler mon âge : j’ai des rides et je ne les cache pas. Mais j’ai gardé cette pointe de vanité. Parfois, j’en souffre.
Elle rougit légèrement.
J’en jurerais.


Biographie

• 22 avril 1909 Naissance à Turin.

• 1936 Termine ses études de médecine.

• 1938 Emigre à Bruxelles à la suite des lois raciales fascistes.

• 1947 Entre à l’université Washington de Saint Louis, où elle reste jusqu’en 1977.

• 1951-52 Découvre le facteur de croissance neuronale (NGF).

• 1986 Reçoit le prix Nobel de médecine avec le biochimiste américain Stanley Cohen.

• 2001 Nommée sénateur à vie.

lundi 4 mai 2009

Cthulhu ! Cthulhu ! Chapeau pointu !

Ca a commencé par la lecture que je pensais anodine d'un article qui fleure bon le n'importe naouak de tabernak adolescent québécois de la désencyclopédie : Comment invoquer Belzébuth ?
"
(...)Est-ce que j'ai vraiment envie d'invoquer Belzébuth ? Ah, bien sûr, il ne faut pas invoquer le démon de la pourriture, des excréments, de la sodomie et du viol sans raison. En effet, une fois que Belzébuth est chez vous, il ne partira pas avant que vous ayez un truc à lui faire faire. J'ai un ami qui l'a appelé pour rigoler une fois, eh ben ce sale squatter est resté chez lui pendant un mois à inviter ses potes, à boire de la bière et à pousser les voisins de son immeuble dans les escaliers. Il a trouvé assez tard un service à lui faire faire (en l'occurrence, la vaisselle) avant que Belzébuth ne se barre. Réfléchissez bien auparavant (sinon, prévoyez des bières)."


C'est censé faire rire, mais ça m'a paru chargé d'une gravité insoupçonnée, et j'ai observé que la plupart de mes actes, paroles, pensées, ressemblaient à, (et se comportaient in fine comme) des invocations, pas forcément sataniques, mais tout de même : chaque acte, pensée, parole étant sous-tendu par une motivation et une certaine quantité d'énergie, quand même il faut faire attention de oùsqu'on met les pieds sur à quoi on pense et comment on l'fait parce qu'après, c'est pas une fois qu'on se retrouve avec des entités innommables plein sa tête (bien qu'on les visualise parfois dans son salon, leur habitat psychique se situe bien dans notre cerveau) qu'y faut se demander si on a assez d'essence pour aller leur acheter des bières au Super U.

A postériori j'ai relié ça avec les enseignements bouddhistes, par exemple Sogyal Rinpoche : "si une relation d'interdépendance nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles et actions aura de réelles répercussions dans l'univers entier. Tout est inextricablement lié. Nous en viendrons à comprendre que nous sommes responsables de chacun de nos actes, de nos paroles et de nos pensées, responsables en fait de nous-mêmes, de tous les êtres et de toutes les choses, ainsi que de l'univers entier. Il est important de ne jamais oublier que la portée de nos actions dépend entièrement de l'intention et de la motivation qui les anime, et non de leur ampleur ."

Mais sur le moment ça m'a surtout donné envie de relire Lovecraft, et comme j'étais à Montpellier, je me suis tapé le pélerinage à la librairie Sauramps, insurpassable Babel du Languedoc, une pyramide à pan coupé de 6 ou 8 niveaux de labyrinthiques entresols reliés par d'escheriens escaliers, dans un apparent désordre en fait méticuleusement entretenu par des hordes d'érudits moines magasiniers, dont le titanesque labeur est savamment ruiné par leurs assistantes à mi-temps, de lascives étudiantes moldoslovaques à l'accent chantant et à la désarmante incompétence, poussant des norias de chariots débordants de nouveautés inclassables, mais il faut bien leur trouver une place alors on n'a qu'à les benner là.
Sans parler des clients se consumant visiblement pour la chose livresque, errant désorientés, encombrés de leur corps en semi-vie ployant sous le fardeau de leur néo-cortex en surcharge, et courbant l'échine d'une terreur sacrée devant les choix inouïs qui s'offrent à eux.
Sans parler de la difficulté à trouver une caisse.


J'ai pris le tome 1 des oeuvres complètes de Lovecraft dans la collection Bouquins parce que l'an dernier aux Utopiales j'avais craqué pour le tome 2 mais j'étais tombé sur des nouvelles qui m'avaient paru verbeuses et infantiles, en un mot indignes de mon souvenir... c'était sans doute des fonds de tiroir... Las, en m'attaquant au tome 1, il m'est arrivé la même chose qu'à Maurice Levy : Les défauts et les limites de Lovecraft lui apparaissent maintenant plus nettement. Après trente ans, il a trouvé sa lecture plutôt décevante, l'étonnement provoqué par sa première lecture ayant disparu. L'écriture de Lovecraft comporte trop de clichés, de "scléroses", pour ne pas avoir mal vieilli. Ses monstres horribles sont maintenant concurrencés et supplantés par les monstres cinématographiques, autrement plus convaincants. D'une "effrayante banalité", les "pires imaginations de Lovecraft font triste figure" et l'auteur aujourd'hui paraît dépassé.
Enfin, c'est pas vraiment qu'on puisse comparer cinéma et littérature, ou que les monstres de cinéma puissent se substituer aux trouvailles du génial scribe de l'innommable et de l'indicible, qui se gardait bien de donner trop de corps à ses créatures, se contentant d'incendier l'imagination de l'innocent lecteur, alors qu'au cinéma, plus je t'en montre et moins tu as peur, mais c
'est vrai que par rapport à la vie quotidienne à Mogadiscio ou aux films de chtrouille, les lovecrafteries apparaissent aujourd'hui stéréotypées, pâlichonnes, et son style prévisible, surchargé, excessif et hyperbolique.

Mais il s'est quand même accouché, à l'instar d'un Tolkien, au cours d'une existence qui ressemble elle-même à une sorte de cauchemar autogène, de toute une mythologie moderne, aussi désuète fut-elle aujourd'hui, et c'est peut-être pourquoi, tout comme on ne peut plus lire le Seigneur des Anneaux depuis que la bédé et le cinéma ont épuisé Tolkien en recyclant son imagerie jusqu'au dégoût, on ne peut plus lire ou relire Lovecraft, après avoir franchi les nouvelles frontières du cinéma d'épouvante contemporain (postures fièrement antipathiques traînant leurs petites brocantes terroristes à la Gaspard Noé) sans avoir un voile sépia devant les yeux.

L'auteur lui-même condense autour de sa figure réelle ou fantasmée les pires clichés du geek : éducation rigoriste, parents fous, sexualité à la ramasse... de plus il semble avoir été hanté toute sa vie par de méphitiques muses qui lui déversaient de bonnes rasades de leur pus nauséabond dans les oreilles pendant son sommeil.
Aujourd'hui, il contemplerait sur Internet des abysses autrement inquiétantes que ses spéculations cucul, (l'éventail est large, du porno aux conspirationnistes en passant par les pandémies et autres Damoclès environnementaux qui nous pendent au nez... et il est aussi le père involontaire de l'intox et de la supercherie médiatique avec le Necronomicon) et aurait une carrière à la Houellebecq. Qui a d'ailleurs écrit un livre sur lui.

Par contre, la partie historico-biographique de Francis Lacassin et les documents non-fictionnels de Lovecraft (correspondances, articles sur l'écriture) sont passionnantes.
A la librairie Sauramps, j'ai aussi découvert que tout Castaneda avait été réédité en livre de poche, et j'en ai pris un, parce que même si c'est de l'initiatique imaginaire c'est quand même autrement inspirant que les flips du père Lovecrade, avant de me rappeler que je les avais achetés ici-même dans la collection Robert Laffont au début des 80's alors que j'avais le pouvoir d'achat d'un étudiant malade subventionné par des parents abusifs et complaisants, et que je les avais prêtés à une salope velléitaire qui ne me les a jamais rendus.


La Fiancée de Cthulhu.
Alerté trop tard, le Comité de préservation de la faune sous-marine n'a pu intervenir.

lundi 27 avril 2009

UNE PLONGÉE DANS L’ENFER SOMALIEN, le pays le plus dangereux du monde

Hé ben ça fait quand même plaisir : il reste des journalistes qui ne sont pas en train de se branler sur la prochaine pandémie, et des endroits où la réincarnation est problématique.
(article récent de Courrier International, le journal qui voit tout, mais d'ailleurs.)
Au-delà des malédictions propres au pays et à son histoire, on méditera sur le running gag de l'interventionnisme américain, auprès duquel les Bidasses en Folie n'étaient que de tristes amateurs du comique de répétition.


La Somalie avait connu une brève période de paix avec l’arrivée au pouvoir des islamistes, en 2006. Mais, depuis que les Américains les en ont chassés, le pays sombre à nouveau dans l’horreur.

Le premier formulaire à remplir en arrivant à l’aéroport international de Mogadiscio vous demande votre nom, votre adresse et… le calibre de votre arme. De quoi vous plonger immédiatement dans l’ambiance. Sans plus attendre, on découvre, dès la sortie de l’aérogare, un des spectacles les plus effarants de la planète : des kilomètres de rues bordées d’immeubles incendiés et éventrés. Jadis considérés comme les joyaux architecturaux de la région, les bâtiments construits par les Italiens [du temps de la colonisation, entre 1889 et 1941] ont été réduits en tas de briques déchiquetées à la mitrailleuse.

Depuis l’effondrement du gouvernement central, en 1991, la Somalie est ravagée par la violence. Dix-huit ans et quatorze tentatives de constitution d’un gouvernement plus tard, la mort continue sa moisson à coups d’attentats suicides, de bombes au phosphore blanc, de décapitations et de lapidations dignes du Moyen Age. Des soldats adolescents dopés au qat, la drogue locale, passent leurs journées à se tirer dessus. Des missiles de croisière américains s’abattent parfois du ciel. En mer aussi, c’est la mêlée générale. Les pirates menacent de bloquer l’une des routes maritimes les plus stratégiques du monde, le golfe d’Aden, traversé chaque année par 20 000 navires. Ces flibustiers armés jusqu’aux dents ont attaqué plus de 40 bateaux en 2008 et raflé un butin de 100 millions de dollars. La plus grande épidémie de piraterie des temps modernes.

Après plus d’une douzaine de voyages en Somalie – effectués en deux ans et demi –, j’ai dû revoir ma définition du chaos. J’ai connu des situations très inquiétantes en Irak ou en Afghanistan, mais nulle part je n’ai eu aussi peur que dans la Somalie d’aujourd’hui, ce lieu où vous pouvez être kidnappé ou abattu d’une balle dans la tête en moins de temps qu’il ne vous en faut pour essuyer la sueur de votre front. Depuis les mangroves à la végétation touffue, parfaites pour les embuscades, qui s’étendent dans le Sud autour de Kismaayo, jusqu’au labyrinthe létal de Mogadiscio, en passant par le repaire de pirates de Bossasso, sur le golfe d’Aden, la Somalie est tout simplement l’endroit le plus dangereux du monde. Ce pays est devenu un vivier de chefs de guerre, de pirates, de preneurs d’otages, de fabricants de bombes, d’insurgés islamistes fanatiques, de bandits free lance et de jeunes désœuvrés pleins de colère, dépourvus d’éducation mais disposant de beaucoup trop de munitions.

Ici, il n’y a pas de Zone verte [nom donné à un quartier hautement sécurisé de Bagdad], pas de forteresse où courir en dernier recours si vous êtes blessé ou si vous avez des problèmes. En Somalie, vous êtes seul. Les hôpitaux ont à peine assez de gaze pour panser les blessures. Et la folie dévastatrice déborde aujourd’hui les frontières du pays, provoquant des tensions et des désordres au Kenya, en Ethiopie et en Erythrée. Les insurgés islamistes liés à Al-Qaida se répandent dans tout le pays, transformant la Somalie en un aimant pour l’islam radical qui, comme l’Afgha­nistan, attire des combattants extrémistes du monde entier. Un jour, ces hommes rentreront chez eux et propageront leur idéologie meurtrière.

Le gouvernement de transition somalien – une création approuvée par l’ONU mais condamnée à l’échec dès sa naissance, il y a quatre ans – est sur le point de rendre l’âme. Un épilogue qui provoquera peut-être l’envoi d’une nouvelle mission de sauvetage internationale, tout aussi promise à l’échec que les précédentes. Abdullahi Yusuf Ahmed, vieux chef de guerre devenu président, qui était soutenu par les Etats-Unis, a fini par démissionner en décembre 2008, après une longue et âpre bataille contre le Premier ministre, Nur Hassan Hussein. Leur différend portait prétendument sur un accord de paix avec les islamistes et sur quelques ­portefeuilles ministériels. Cette dispute laisse ­perplexe, car ce gouvernement ne contrôle plus ­grand-chose. Il n’exerce son pouvoir que sur un territoire limité à deux ou trois pâtés de maisons, alors que le pays est aussi grand que le Texas [plus que la France métropolitaine].

En Somalie, même quand on a l’impression que les choses ne peuvent pas aller plus mal, elles s’aggravent. En plus de la crise politique, tous les facteurs d’une famine généralisée – la guerre, les déplacements de population, la sécheresse, la hausse vertigineuse du prix des aliments et l’exode du personnel des organisations humanitaires – sont à nouveau réunis, comme au début des années 1990, quand des centaines de milliers de Somaliens étaient morts de faim. En mai 2008, je me suis retrouvé sur le seuil d’une hutte dans le centre du pays, un coin complètement sec, à regarder un petit garçon malade blotti contre sa mère mourante. Ses vêtements étaient moites. Sa respiration était à peine perceptible. Elle n’avait rien mangé depuis des jours. “Elle va certainement mourir”, m’a dit un ancien du village avant de se détourner.

La Somalie est dans un état critique, mais le monde ne sait pas quoi faire après ces deux décennies d’anarchie débridée. Les interventions extérieures ont si mal tourné que plus personne ne veut s’y frotter. De tous ceux qui ont tenté de fourrer leur nez dans les affaires somaliennes, les Etats-Unis ont certainement été les plus maladroits : leur armée a combattu les chefs de guerre pillards, puis soutenu certains de ces mêmes chefs de guerre au mauvais mo­ment ; et elle a invariablement mal évalué le poids des paramètres claniques et religieux. Résultat : son action a radicalisé la population, accru l’insécurité et poussé des millions de personnes au bord de la famine.

La Somalie est un paradoxe politique : c’est un pays uni en surface, mortellement divisé en profondeur. C’est en effet l’un des Etats-nations les plus homogènes de la planète. Il compte entre 9 et 10 millions d’habitants qui non seulement parlent quasiment tous la même langue (le somali), mais ont tous la même religion (l’islam sunnite), la même culture et la même appartenance ethnique. Mais tout, ici, repose sur les clans : les Somaliens se divisent en une quantité ahurissante de clans et de sous-clans, avec des allégeances mouvantes et des intrigues compliquées qui ont toujours semé la plus grande confusion dans l’esprit des étrangers.

A la fin du XIXe siècle, les Italiens et les Britanniques se sont partagé la majeure partie du territoire somalien, mais leurs efforts pour imposer un ordre légal à l’occidentale n’ont jamais vraiment abouti. Les querelles étaient le plus souvent réglées au sein des clans par les anciens. Avec la dissuasion comme principe régulateur : “Tue-moi et le courroux de mon clan tout entier s’abattra sur toi.” Les régions où les coutumes locales ont été le moins perturbées, comme le Somaliland britannique, semblent s’en être mieux sorties à long terme que celles où l’administration coloniale italienne a tout fait pour enlever leur rôle aux anciens. La Somalie a acquis son indépendance en 1960, mais, la guerre froide aidant, elle est rapidement devenue l’objet de convoitises à cause de son emplacement stratégique dans la Corne de l’Afrique. Les Russes ont été les premiers à y envoyer des armes, suivis par les Américains. Ce pays pauvre, à la population quasi ­illettrée et majoritairement nomade, est ainsi devenu un entrepôt de munitions prêt à exploser. Le gouvernement central a toujours eu le plus grand mal à tenir en main l’ensemble du pays. Dans les années 1980, le général Mohamed Siyad Barré – le ­dictateur capricieux qui a gouverné de 1969 à 1991 – était de façon moqueuse surnommé “le maire de Mogadiscio”, parce qu’une grande partie du pays échappait déjà à son contrôle.

Ce qui s’est passé lorsque les chefs de faction l’ont chassé du pouvoir, en 1991, n’a pas surpris grand-monde. Les seigneurs de la guerre ont mobilisé la formidable puissance de feu qu’ils avaient emmagasinée au fil des années pour se battre contre leurs rivaux. Ils se sont disputé les moindres ports, terrains d’atterrissage, pontons de pêche, le moindre poteau téléphonique – bref, tout ce qui pouvait rapporter quelque chose. On tuait des gens pour quelques centimes. On violait impunément les femmes. Le chaos a engendré de nouvelles sortes de parasites, qui se nourrissent de la guerre : des trafiquants d’armes, des vendeurs de drogue, des importateurs d’aliments pour bébés périmés (et souvent avariés), bref, des individus qui avaient tout intérêt à ce que la pagaille dure. La Somalie est devenue ce qui, dans le monde moderne, ressemble le plus à l’état de nature de Hobbes, un lieu où la vie est vraiment dure, violente et courte. Il serait même trop positif de qualifier ce pays d’“Etat en faillite”. La république démocratique du Congo est un Etat en faillite. Le Zimbabwe aussi. Mais ces nations ont au moins une armée et une administration nationales, même si elles sont terriblement corrompues. Plutôt qu’un Etat, la Somalie est un territoire sans loi ni gouvernement.

En 1992, le président George H. W. Bush a voulu aider le pays et a envoyé des milliers de marines pour protéger des convois de vivres. Nous étions au début du “nouvel ordre mondial” de l’après-guerre froide, et beaucoup croyaient que les Etats-Unis, débarrassés de toute superpuissance rivale, pouvaient donner au cours des événements mondiaux une direction nouvelle, bonne et juste. La Somalie s’est avérée un très mauvais départ. Bush et ses conseillers n’ont pas su voir le paysage clanique et n’ont pas compris jusqu’où pouvait aller la loyauté des Soma­liens envers leurs chefs de clan. Si la société somalienne se divise et se subdivise fréquemment lorsqu’elle est en proie à des querelles internes, elle fait très vite corps face à un ennemi extérieur. Les Etats-Unis l’ont appris à leurs dépens lorsque leurs soldats ont tenté d’arrêter le général Mohamed Farah Aïdid. Le résultat, tristement célèbre, a été la “chute du Faucon noir” en oc­tobre 1993. Des milliers de miliciens somaliens chaussés de tongs ont envahi les rues avec leurs grenades autopropulsées. Ils ont abattu deux hélicoptères Black Hawk et tué 18 soldats américains, dont ils ont triomphalement traîné les corps dans les rues de la capitale. Ainsi s’est achevé le premier acte de l’intervention des Etats-Unis en Somalie.

Humiliés, les Américains se sont retirés, et le pays a été abandonné à son sort. Pendant la décennie qui a suivi, l’Occident a préféré ignorer cette zone du globe. Mais des organisations arabes, principalement basées en Arabie Saoudite, et des adeptes du wahhabisme, un courant rigoriste de l’islam sunnite, y ont posé leurs valises sans faire de bruit. Ils ont construit des mosquées et des écoles coraniques, et mis en place un système d’action sociale, favorisant ainsi un renouveau islamique. Début 2000, les anciens des clans de Mogadiscio ont créé un réseau informel de tribunaux de quartier pour instaurer un minimum d’ordre dans une ville qui en avait désespérément besoin. Ils ont arrêté des voleurs et des assassins, les ont enfermés dans des cages en fer et ont organisé des procès. La loi islamique, ou charia, acceptée par les différents clans, a été appliquée. Les anciens ont baptisé leur réseau Union des tribunaux islamiques.

A Mogadiscio, il y a des seigneurs de la guerre et des seigneurs de l’argent. Pendant que les premiers dévastent le pays, les seconds, qui possèdent les principales entreprises, assurent un minimum de cohésion sociale en offrant bon nombre des services habituellement fournis par le gouvernement, comme les soins de santé, les écoles, l’alimentation en électricité ou les services ­postaux. Ces seigneurs de l’argent ont même donné un coup de pouce à la politique monétaire de la Somalie, et le shilling somalien a été plus stable dans les années 1990 – avec une banque centrale hors service – que dans les années 1980, lorsqu’il y avait un gouvernement. Mais ces profits se sont accompagnés de risques très élevés, dont l’insécurité chronique et le vol. Les islamistes offraient une solution pratique : ils fournissaient une forme de sécurité sans exiger d’impôts et une administration sans qu’il y ait de vrai gouvernement. Les seigneurs de l’argent se sont mis à leur acheter des armes.

En 2005, la CIA a jeté un œil sur ce qui se passait en Somalie et a encore une fois mal interprété les choses. Dans le monde de l’après-11 septembre, la Somalie était devenue une grande source d’inquiétude. On craignait que le pays ne devienne une usine à djihad, à la façon de l’Afghanistan, où Al-Qaida avait préparé sa guerre mondiale contre l’Occident pendant les années 1990. A ce moment-là, il n’y avait pas grand-chose pour justifier de telles craintes, mais cela n’avait manifestement aucune importance. Quelques analystes militaires occidentaux ont dit aux responsables politiques que le chaos qui régnait en Somalie était insupportable. Le gouvernement de Bush a alors décidé d’éradiquer les islamistes sans envoyer de troupes. La CIA a chargé les chefs de guerre, ces mêmes bandits qui s’en prenaient à la population depuis des lustres, de combattre les islamistes. Un seigneur de la guerre m’a raconté en mars 2008 que deux agents américains répondant aux noms de James et David avaient débarqué à Mogadiscio avec des valises bourrées de billets de banque. “Servez-vous de ça pour acheter des armes, avaient-ils dit. Et si vous avez des questions, envoyez-nous un e-mail.” Le chef de guerre m’a montré l’adresse : (no_email_today@yahoo.com).

Mais cette stratégie s’est retournée contre les Etats-Unis. Car les Somaliens aiment parler. Le bruit a rapidement couru que ces seigneurs de la guerre que plus personne n’aimait étaient maintenant à la solde des Américains, ce qui a rendu les islamistes encore plus populaires. En juin 2006, ils avaient chassé les derniers chefs de guerre de Mogadiscio. Puis une chose incroyable est arrivée : on aurait dit que les islamistes avaient apprivoisé la bête. Je l’ai vu de mes propres yeux : lorsque j’ai atterri à Mogadiscio, en septembre 2006, des employés ramassaient les détritus et des enfants se ­baignaient à la plage. Pour la première fois depuis des années, aucun coup de feu ne venait déchirer la nuit. Les islamistes avaient réuni des clans rivaux sous la bannière de la religion et désarmé une bonne partie de la population, avec, bien entendu, le soutien des clans. Ils avaient même sévi contre la piraterie en utilisant leurs connexions dans les mêmes clans pour dissuader les villes côtières d’aider les pirates. Lorsque cela ne suffisait pas, ils prenaient d’assaut les bateaux détournés. Selon l’International Maritime Bureau de Londres, il n’y a eu que dix attaques de pirates au large de la Somalie en 2006.

La brève période de paix qui a marqué le règne des islamistes devait constituer les seuls six mois de calme que la Somalie ait goûté depuis 1991. Car faire front pour renverser les seigneurs de la guerre est une chose, décider de ce qu’il faut faire ensuite en est une autre. Une faille s’est rapidement creusée entre les islamistes modérés et les radicaux, déterminés à faire le djihad. L’un des groupes les plus extrémistes était une milice armée dénommée Al-Shabab, qui réunissait divers clans d’obédience wahhabite. Ses membres sillonnaient les alentours de Mogadiscio dans de gros pick-up noirs et battaient les femmes qui montraient leurs chevilles. Même les autres islamistes armés avaient peur d’eux.

En décembre 2006, une partie des habitants a commencé à les voir d’un mauvais œil, parce qu’ils avaient interdit l’usage de leur cher qat, ces feuilles légèrement stimulantes que les Somaliens mâchent, comme d’autres du chewing-gum. La rumeur s’est répandue que les chefs shabab travaillaient avec des djihadistes étrangers, y compris des terroristes d’Al-Qaida dont la tête avait été mise à prix. Le département d’Etat américain a fini par désigner Al-Shabab comme une organisation terroriste et a affirmé que les shabab cachaient les cerveaux des attentats commis en 1998, contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie. La Somalie avait peut-être hébergé quelques individus peu recommandables, mais elle était loin d’être le foyer de terrorisme que beaucoup craignent qu’elle ne soit devenue aujourd’hui. En 2006 s’est présentée une occasion de débarrasser les islamistes modérés des shabab et de leurs semblables, et certains Américains, comme le député démocrate Ronald M. Payne, président de la sous-commission de la Chambre des représentants sur l’Afrique, ont essayé de la saisir. Payne et d’autres émissaires ont rencontré les islamistes modérés et les ont encouragés à négocier un accord de partage du pouvoir avec le gouvernement de transition. Mais l’administration Bush a encore préféré faire ­parler la poudre. Etant donné qu’envoyer un grand nombre de soldats aurait été considéré comme une folie, les Etats-Unis ne pouvaient pas se battre en ­per­sonne. A la place, ils ont désigné un mandataire : l’armée éthiopienne. Le troisième acte pouvait ­commencer.

L’Ethiopie est l’une des meilleures amies des Etats-Unis en Afrique. Son gouvernement a soigneusement cultivé une image de rempart chrétien dans une région où couve l’extrémisme islamiste. Et il a dit au gouvernement Bush ce qu’il voulait entendre : que les islamistes étaient des terroristes et qu’ils menaceraient toute la région. Le gouvernement éthiopien se battait alors contre plusieurs groupes insurgés, dont un très puissant appartenant à une ethnie somalienne, et il craignait qu’une Somalie islamiste ne devienne une tête de pont de l’insurrection sur son palier. Les Ethiopiens avaient également peur que les islamistes somaliens ne s’allient avec l’Erythrée, leur ennemie jurée. C’est exactement ce qui a fini par arriver.

Certains à Washington n’ont pas avalé les bobards des Ethiopiens. La situation des droits de l’homme dans le pays est catastrophique et l’armée est accusée de violences envers ses propres soldats. Mais, en dé­cem­bre 2006, le gouvernement Bush a donné le feu vert à l’Ethiopie pour envahir la Somalie. Les soldats éthiopiens – accompagnés de quelques membres des forces spéciales américaines – ont franchi la frontière par milliers (beaucoup étaient cachés en Somalie depuis plusieurs mois) et n’ont eu besoin que d’une semaine pour mettre les soldats islamistes en déroute. Les Etats-Unis ont également lancé des raids aériens pour débusquer les leaders islamistes et ont continué avec des missiles de croisière qui visaient des suspects de terrorisme. La plupart ont raté leur cible, tué des civils et alimenté l’antiaméricanisme latent. Les islamistes sont entrés dans la clandestinité et le gouvernement de transition est arrivé à Mogadiscio. Il y a eu quelques hourras et beaucoup de huées. Quelques jours plus tard, l’insurrection a repris de plus belle . Le gouvernement de transition était généralement considéré comme une coterie d’ex-chefs de guerre, ce que, au fond, il était. Il s’agissait de la quatorzième tentative d’instauration d’un pouvoir central, depuis 1991. Aucun des efforts précédents n’avait abouti. Il est vrai que certains des opposants étaient des profiteurs de guerre et étaient tout simplement résolus à torpiller n’importe quel gouvernement. Mais une grande partie du problème réside dans ce que le gouvernement a fait, ou n’a pas fait. Il a rapidement perdu le soutien des clans importants de Mogadiscio, à cause des moyens violents (et infructueux) qu’il employait pour écraser l’insurrection et à cause de sa dépendance vis-à-vis de l’armée éthiopienne. L’Ethiopie et la Somalie se sont déjà livré plusieurs guerres pour le contrôle de l’Ogaden, revendiqué aujourd’hui par l’Ethiopie. Cette région est majoritairement d’ethnie somalie, et l’alliance avec l’Ethiopie était donc considérée comme une trahison.

Les islamistes ont exploité ce sentiment : ils se sont présentés comme les vrais nationalistes somaliens et se sont attiré à nouveau la sympathie générale. Il en est résulté de sanglantes batailles de rues entre les rebelles islamistes et les soldats éthiopiens, au cours desquelles des centaines de civils ont été tués. L’armée éthiopienne a bombardé sans discernement des quartiers entiers (conduisant l’Union européenne à ouvrir une enquête pour crimes de guerre) et, selon les Nations unies, a même utilisé des bombes au phosphore blanc, qui font littéralement fondre les corps. Des centaines de milliers de personnes ont fui Mogadiscio et se sont réfugiées dans des camps, qui sont devenus un terrain de choix pour la maladie et le ressentiment.

La mort frappe plus souvent et aveuglément que jamais. J’ai rencontré un homme à Mogadiscio qui était en train de parler au téléphone avec sa femme lorsqu’elle a été coupée en deux par un obus de mortier perdu. Un autre m’a raconté qu’il était sorti se promener et s’est retrouvé pris dans une fusillade. Il a reçu une balle dans la jambe et a dû passer sept jours à attendre, en se nourrissant d’herbe, que l’affrontement prenne fin afin de pouvoir ramper hors de sa cachette.

Les journalistes courent également des risques inouïs. Rares sont les reporters étrangers qui se rendent en Somalie aujourd’hui. Le kidnapping est une véritable hantise. Des amis qui travaillent pour les Nations unies au Kenya m’ont prévenu que j’avais à peu près 100 % de chances de me retrouver dans le coffre d’une Toyota ou d’être tué (ou les deux) si je n’engageais pas des miliciens pour me protéger. Maintenant, dès que j’atterris, je prends dix hommes armés à mon service.

A la fin du mois de janvier, le territoire contrôlé par le gouvernement de transition était une enclave de plus en plus réduite dans Mogadiscio, protégée par un petit contingent de soldats des forces de maintien de la paix de l’Union africaine. Aussitôt après que les Ethiopiens se sont retirés de la capitale, une bataille féroce a éclaté entre les divers groupes islamistes désireux de combler le vide de pouvoir. Il n’a fallu que quelques jours aux islamistes pour reprendre au gouvernement la troisième ville du pays, Baidoa, et instaurer la charia. Les shabab ne sont pas follement populaires, mais ils sont redoutables. Pour le moment, ils disposent d’une milice motivée et disciplinée, de centaines de combattants implacables et probablement de milliers de bandits armés qui leur prêtent main-forte. La violence n’a montré aucun signe de fléchissement, même depuis l’élection du nouveau président, un islamiste modéré, qui – ironie de l’histoire –, a été l’un des chefs de l’Union des tribunaux islamiques en 2006 [ceux-là mêmes que les Américains et leurs alliés éthiopiens avaient chassés du pouvoir].

23.04.2009 | Jeffrey Gettleman

lundi 13 avril 2009

Apocalypse molle & autres occis morts

La poulpeuse Brenda


Rien de tout cela : je ne suis pas là, occupé à une expérience de survie pascale sans ordinateur (et sans Pascale), visitant des parents âgés aux quatre coins de l'hexagone en attendant que ce soit mon tour, mais par la magie de la programmation et du léger différé, je publie cette notule ridicule qui stipule que j'ai parcouru deux articulets intéressants dans la catégorie "problèmes de riches :
Les Geekeries se cachent pour vieillir
et les hadopitreries de la semaine :
"Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème".
et le bouquin de l'auteur sur l'information, entre bien commun et propriété.
merci à Plouf.