mardi 10 décembre 2019

Rebords et soubassements (4)

 « Quand savons-nous que tout est perdu ?
Quand même ceux qui vous aiment se taisent. » 
 Albert Sánchez Piñol, "Victus"


Bonsoir, je suis tellement
conscient de moi-même
que je suis Philippe Sollers.
Putain de moine, quand j'y repense en commençant à galérer sévère pour Silence, ça coince mi-novembre, finalement, le mois dernier, grâce à l'exercice physique, la méditation et une bonne hygiène de vie consistant à éteindre l'ordinateur dès midi, j'étais enfin présent à moi-même, j'étais dans le "je suis là" (vanté par les plus grandes marques de Krishnamurtis et de Kristofandrés du siècle), et je sens bien que depuis, je suis redescendu de quelques marches dans l'escalier conscientiel et énergétique, mon état n'est plus du tout optimisé, certes l'angoisse est muselée par le lithium dont je saupoudre mes corn flakes tous les matins, bien sûr en novembre-décembre les énergies sont basses, tout le monde commence à vivre à crédit dans l'attente du solstice du 22 décembre après lequel les jours commenceront enfin à rallonger, de plus à chaque fois que ma mère meurt à nouveau dans la nuit du 19 au 20 novembre je subis une petite perturbation de l'anticyclone de mes Açores, j'ai beau prétendre que non, je vois bien que chaque année je trouve toujours un prétexte. En 2018 c'était un été indien inattendu en Corse, au cours duquel je me suis mis à imaginer des choses qui n'étaient pas, suivi d'une intervention chirurgicale en zone sensible, j'étais certain d'avoir écrit un billet là-dessus en direct du service d'urologie pour blasphémer contre mes emballements affectifs, mais en remontant dans mes archives, je semble être resté d'une discrétion exemplaire, ce qui m'étonne beaucoup, enfin bref, dès la mi-novembre je regrette amèrement ce mois d'octobre consacré au développement personnel par la réfection victorieuse de mon habitat et la respiration consciente dans les interstices, l'approche scientifique ayant porté ses fruits dans le choix et la pose d'une sous-couche sur le mur d'enceinte avant d'y appliquer du gibolin qui lui, respire consciemment à travers les interstices du mur ; en effet il y a 15 ans j'avais voulu masquer  les joints en ciment vernissé noir sur ma façade en les recouvrant de gibolin, hé bien laissez-moi vous dire que le ciment vernissé n'est pas un support propice au gibolin, qui au fil du temps a commencé à s'écailler par plaques (penser à mettre une photo ou un lien) pour laisser réapparaître l'odieux vernis; alors que là, tout a été fait sous contrôle et dans l'esprit du grand rabbin de chez Monsieur Bricolage.
Et donc, fin octobre j'ai commencé à perdre en clarté car nous sommes allés à Albi superviser le chantier de changement de linoléum chez mamie, les industriels réalisent maintenant des revêtements de sol qui imitent à s'y méprendre l'élégance et le confort du parquet flottant alors que c'est du vil plastoque, il a fallu vider et  démonter des meubles réputés inamovibles et c'était pas une légende, on a dû faire appel à des paysans tarnais tout rocailleux, aller passer une nuit au motel du coin tandis que les ouvriers réagrégaient le sol (à l'aide d'une sorte de gibolin liquide à prise rapide) par-dessus la chape de béton du salon qu'ils avaient non sans peine réussi à mettre à nu alors que des gougnafiers avaient collé l'antique lino directement dessus cinquante ans plus tôt, et j'ai brièvement croisé le démon familial - la colère - qui rôde encore autour de ma belle-famille, ou plutôt ce qu'il en reste : je me suis habitué au fait d'être le seul mec dans une dynastie féminine où tous les hommes, pour la plupart désagréables, ont disparu depuis longtemps, mais c'est toujours malaisant pour moi d'être sollicité par mamie (91 ans) ou encore pire par sa fille (60 ans, et il se trouve que c'est aussi ma femme, quelle tuile) pour du bricolage, et de me retrouver à farfouiller dans des étagères remplies d'outils dépareillés, endommagés et à l'utilité au-delà de ma compréhension, sans y trouver le tournevis cruciforme tout con qui conviendrait pour faire la réparation demandée, à chaque fois je sens le regard des morts par-dessus mon épaule, la moitié des pièces de la maison sont impraticables du fait de renoncements face à des monceaux d'objets, de meubles et d'ustensiles qui s'y sont sédimentés et dont l'usage a été abandonné et la fonction perdue, ça m'épouvante secrètement, surtout qu'il semble qu'un jour c'est moi qui vais hériter de ce merdier, et puis à un moment donné je me suis retrouvé à hurler sur ma belle-mère de 91 ans qui n'avait plus de mots dans son sac à mots pour m'expliquer qu'elle voulait que j'aille vider le sac de l'aspirateur dans le jardin et qui avait fait des gestes que j'avais interprétés peut-être un peu vite comme me signifiant mon incapacité à comprendre facilement ce qu'elle voulait me dire du fait de mon allergie fréquente à l'implicite alors qu'en fait elle maudissait sa perte locutoire, en tout cas elle m'est apparue excédée et je me suis cru à l'origine de son excession, qui n'était peut-êtr qu'un effet de sa vieillerie, à tort ou à raison mon sang n'a fait qu'un tour dans son sac et je l'ai littéralement agonie d'insultes, ce qui n'était jamais arrivé en 30 ans de fréquentation affectueuse, c'est vrai j'ai de meilleurs rapports avec elle qu'avec feu ma mère, mais là je sais pas, comme j'estimais pour ma part n'avoir que des informations tronquées sur ce que je devais faire, que je ne pouvais pas tout deviner, et qu'entre la mère, la fille et la belle-soeur c'était une belle bande de radasses sibyllines qui me disaient jamais les trucs de la façon dont j'aurais compris ce que je pouvais en faire, ça a été la colère, j'en ai eu d'un coup ras-le-cul, ça a duré 30 secondes, je suis allé me calmer au jardin en répandant le contenu du sac de l'aspirateur sur les betteraves d'hiver, après-coup je me dis que c'est peut-être moi qui suis désorienté par le chantier, en tout cas je voulais aborder l'épreuve de montage qui suivit mi-novembre, mais c'est râpé pour ce coup-ci.
Et le chantier lino s'est achevé sans autre incident notable, sinon qu'une fois de plus j'ai raté les Utopiales à Nantes comme chaque fois qu'on va chez mamie à la Toussaint.

(à suivre...)

samedi 7 décembre 2019

Rebords et soubassements (3)

 Malheureusement, mes intentions et mon destin ne suivaient pas la même direction. 
Albert Sánchez Piñol, "Pandore au Congo"   

J'ai même pas eu d'accident du chômage en tronçonnant l'arbre
que j'avais fait tomber dans le petit bois derrière chez moi.
En octobre, planque ton zob, en novembre, touche ton membre, nous suggère le proverbe inventé de toutes pièces par un paysan du bas-Berry cyberdépendant sexuel.
Plus humblement sans doute, moi, en octobre j'ai cherché du boulot et coupé du bois, parce que l'hiver sera rude et que l'arbre avait failli tomber sur la cabane des poules, mais en novembre je n'ai pas beaucoup de retombées de ces recherches d'emploi, et encore moins sur  la demande de grâce présidentielle formulée auprès de la responsable Ressources Humaines locale pour pouvoir profiter à nouveau des faveurs du planning techniciens de ce grand groupe de télévision régionale public hyper-secret auquel je suis quand même très attaché puisque c'est mon seul employeur depuis 18 mois.
A la maison, les travaux d'hiver sont achevés, le mur d'enceinte resplendit de ravalement et si rien ne se décoince avant Noël, il me reste encore  à tirer deux mois d'exil au large du business, ça va devenir plus tendu de rester serein.
Je lis et relis inlassablement « charte d’éthique de ftv » (droits et devoirs des collaborateurs) ainsi que « code de conduite anti-corruption ftv » (un thriller, un vrai) sans oublier « règlement intérieur » (plus didactique, celui-là) que quelque soldat anonyme et farceur des Ressources Humaines a cru bon de m’envoyer à mon domicile, et qui sont une source d’émerveillement perpétuel, car j’adore la science-fiction. Rien que la plaquette « charte d’éthique de ftv », c’est déjà toute une affaire : originellement publiée en quadrichromie dans un somptueux format à l’italienne, elle m’est délivrée sous forme de photocopie grisâtre sur un A4 horizontal tronqué et pas du tout homothétique, ce qui la rend à la fois illisible et disgracieuse. On y distingue sans doute les bonnes pratiques de celles qui sentent le caca, risquant d'attirer l'opprobre et les journalistes de BFMTV, mais franchement, gravés en Garamond corps 8 sur du papier pelure, ça fait pas envie, à part d'aller chez l'oculiste pour une visite de contrôle.
Je note dans mon Journal d'un blacklisté que j'ai démarré à la plume dans un cahier d'écolier à grands carreaux : " j'ai cru que FT allait finir par me rappeler, mais c'était une forme dégradée d'érotomanie (= quand on est persuadé d'être aimé de quelqu'un alors qu'il n'en est rien) professionnelle.
Ai-je été un fichu branleur pour en arriver là, à ne rien voir venir avant d'atterrir dans le mur ?
... d'abord on ne dit plus branleur, on dit personne en situation de handicap au moment du passage à l'acte ", me fait remarquer un lecteur exigeant logé dans mon lobe temporal gauche.
Pendant ce temps nécessaire de remise en cause et de recueillement, quelqu'un fait passer mon nom à quelqu'un d'autre, et un réalisateur qui habite à deux pas de chez moi me contacte pour monter rapidement deux reportages pour Silence ça pousse, émission plantophile sur la 5, dans des conditions qui me rappellent le bon temps du privé, quand j'étais parigot tête de veau.
C'est là qu'on mesure les ravages du chômage sur mon esprit affaibli : en vrai je n'ai connu aucun bon temps  du privé quand j'habitais Paris, mais le stress, l'intensité, la pression mémorables, oui, bien sûr.
D'accord, je bossais pour M6, Canal +, Arte, la 5... mais qu'est-ce que j'y ai gagné, à part faire des piges de 72 heures pendant les grandes grèves de 1995 parce qu'il n'y avait plus moyen de transport pour rentrer de Boulogne et que je m'étais engagé à livrer tout l'habillage d'une soirée thématique sur Avid on-line dont c'était les balbutiements broadcast sur des vieux Quadra 950 bi-moteurs avec des processeurs boostés à 33 Mhz ?
au final, j'ai dû m'asseoir sur une brique d'heures supplémentaires, parce que le réal, héroïnomane en sevrage, ne pouvait plus s'arrêter de modifier le montage et que seule la livraison des masters à la chaine a interrompu sa compulsion interactive.
 Sauf que là, le mec m'appelle un vendredi soir pour démarrer le lundi suivant, il veut faire ça sur Adobe Première, que je ne connais pas, les enfants viennent ce week-end et je ne veux pas le passer sur mon ordi à apprendre un nouveau logiciel, alors je lui propose de lui installer Final Cut Pro X dont je suis plus familier, même si ça fait 18 mois que je ne le pratique plus.
Il n'est guère emballé mais il accepte, je n'ai pas d'obligations de moyens mais de résultat.
Ce choix logiciel s'avère peu adapté, ou alors c'est Lovecraft qui s'est emparé de la bécane, car dès le lundi matin l’acquisition des données pédale gravement dans la semoule, certains fichiers issus de la caméra C300 ont été convertis en mov, d’autres en mxf, je n'arrive pas à comprendre pourquoi, les performances de lecture de 2 heures de rushes issus d’une FS 7 (codec XAVC Intra 422/10 Class 100) avec 8 pistes son sont très dégradées, d’accord 8 pistes son c’est beaucoup, mais quand même, même les Avid de FT y parviennent, c'est dire, et le Mac mini du réal a mouliné deux heures au ralenti avec du son saccadé pour écrire les waveforms, ces représentations graphiques des courbes de niveaux sonores, sans amélioration notable de la fluidité.
Ce qui ne nous arrange pas vraiment en termes de timing, il y a entre deux et trois heures de rushes par sujet et il faut en descendre un par jour.
Me v'là beau.

(à suivre...)

jeudi 5 décembre 2019

Rebords et soubassements (2)

soubassement :
1. Partie inférieure (d'une construction…) sur laquelle porte l'édifice.
2. Socle sur lequel reposent des couches géologiques.

Dans mon plan de retour à l'emploi, pour rebondir dans le privé avec un plus gros élastique, je commence par faire un mail à la responsable Ressources Humaines de la boite en lui demandant de me requalifier comme CDD historique. Je sais, je n'aurais pas dû arpenter pieds nus les couloirs de la station l'été dernier, j'ai vu dans son regard que ça lui avait déplu, mais on ne sait jamais, mon éloquence épistolaire proverbiale peut entr'ouvrir la porte au dialogue social. 
Quand j'étais jeune, j'ai carrément séduit des filles par courrier. 
C'était y'a longtemps, je sais.
Mais je fais des efforts, la preuve : je me suis retenu de lui envoyer mon flyer d'autopromo visant à relancer ma carrière déclinante, que je réserve à des collaborateurs mieux en phase avec mon humour.
Merci à Nicolas Cage de m'avoir prété son selfie dans "Mandy" (2018)
Je lui signale sobrement que si je viens tout juste d’atteindre les 1000 jours travaillés, c'est parce qu'en 22 ans de collaboration avec FT, j'ai privilégié la multiplicité des expériences et des employeurs, jusqu'à début 2018. Ce n'est que depuis deux ans que j'ai compensé la diminution de mes contrats dans le privé en allant travailler dans les régions Centre Val de Loire et Bretagne. 
Ce que la règle des 80 jours m'interdit de faire aujourd'hui.
En plus du pot de gibolin pour m'occuper pendant mon chômage, j'ai aussi retrouvé ce paragraphe propitiatoire :
« les collaborateurs proches des seuils définis pour être reconnu collaborateur régulier n’ayant pu atteindre ces seuils du fait d’un évènement personnel exceptionnel (congé maternité, maladie longue durée…) pourront demander à faire l’objet d’un examen de leur situation par leur responsable RH afin d’apprécier l’opportunité de les intégrer à la population des CDD réguliers ».
Je ne peux certes pas faire passer ma polyvalence pour une maladie longue durée. 
Mais au vu de mon ancienneté, de ma mobilité en régions et de ma motivation dont tu as pu avoir un aperçu lors de nos entretiens, je souhaiterais intégrer la population des CDD réguliers.
A ta disposition pour en discuter
C'est sobre, non ?
Sur le moment, elle prétend vaguement qu'elle relaye ma demande jusqu'aux instances parisiennes et décideuses, puis se mure dans un silence minéral. Quelques semaines plus tard, elle est toujours muette face à mes mails de relance,  je me dis qu'elle a tout intérêt à laisser pourrir la situation, puisque quoi qu'il arrive, une fois mes trois mois de bannissement écoulés, je serai "blanchi" et à nouveau bon pour le service (jusqu'à ma prochaine accession au seuil des 80 jours...) ma carence sera finie, mon compteur remis à zéro, mon casier judiciaire à nouveau virginisé; et je n'aurai pas accumulé assez de jours travaillés ni pour prétendre à une intégration (je postule depuis 15 ans pour rentrer à plein temps dans la boite, mais je dois avoir une très forte odeur corporelle, je ne sais pas, ça ne marche jamais) ni pour les traîner devant les tribunaux prud'hommaux.
Mais ce n'est pas le sens de la question que je lui posée et à laquelle elle se garde bien de répondre : comment peut-on passer 22 ans en CDD et ne pas être reconnu collaborateur régulier ?
Les gens qui ont imaginé ce plan social de prévention des risques sur le dos des CDD, variable d'ajustement de la boutique depuis tant d'années, se prennent pour des génies du mal du droit social mais sont en fait des imbéciles. Cette mesure visant à nous empêcher (nous les CDD, obligés de ravaler leur dignité, puisqu'en France quand on te prive d'emploi ta dignité c'est la première chose qu'on te confisque) d'intenter puis de gagner des actions en justice ne peut que nous précipiter dans les bras des cabinets d'avocats spécialisés dans ce type de litige, en plus de leur créer de sévères problèmes de recrutement en fin d'année, mais ne divulgâchons pas la suite de notre programme.

Je ne sais pas si j'ai ravalé ma dignité, mais j'ai ravalé mon mur.

Ceci n'est pas un banc de méditation, c'est une photo.
Dans le même temps, je me fais un putain de programme d'action.
Le mur de la propriété à rénover.
Le chêne rongé par les termites qui s'est coincé entre deux arbres en tombant à la limite du jardin.
25 minutes de méditation par jour.
La recherche de nouveaux employeurs privés, la rédaction et l'envoi de courriers et de curriculums.
L'extinction de l'ordinateur à partir de midi tous les jours, pour prévenir tout risque de débordements cybernétiques.
Trois heures de jogging par semaine.
Des séries télé avec modération, pour me stimuler l'esprit sans le noyer sous de capiteuses fictions.
Et je retourne une fois par semaine en réunion Alcooliques Anonymes, comme au bon vieux temps des pionniers du Phare Ouest.
Ainsi, le mois d'octobre se passe comme on avait dit : je retape le mur, je parviens à abattre l'arbre et le débiter sans finir aux urgences, je fais tous les jours de la méditation de pleine conscience, et je m'adonne à la cueillette saisonnière des champignons; à la fin du mois j'encaisse en toute sérénité la moitié de mon salaire en allocations chômage, c'est la première fois depuis 30 ans que je passe un mois entier sans travailler, pensant naïvement que la société profite de mon épanouissement relatif comme individu qui refuse de se complaire dans la morbidité de son inutilité sociale temporaire, ce qui est relativement nouveau pour moi.

(à suivre...)

mercredi 4 décembre 2019

Rebords et soubassements (1)

Je retrouve un gros pot de gibolin, vieux de 15 ans mais à peine entamé, dans l'appentis au fond du jardin. Je l'ouvre : à vue de nez, il en reste bien 10 litres. A la surface, une mince pellicule s'est formée, sans dégénérer en l'infâme croûtasse solidifiée qui nous fait foutre en l'air les pots de peinture conservés trop longtemps dans l'attente d'éventuels raccords.
Les composants chimiques s'en sont un peu désémulsionnés, mais ça se touille, ça se tente. Le commercial de la boite de ravalement m'avait tellement vanté les vertus de cette résine acrylique avant de m'en tartiner la façade, que j'appelle ça du gibolin, autant par dérision que par hommage aux vertus réelles du produit; car le gibolin reste étanche en toutes saisons, mais permet les échanges thermiques entre l'intérieur et l'extérieur de la maison, et aussi aux murs de respirer.
Le gibolin, le vrai, avait été imaginé par les Deschiens au milieu des années 1990, ils en buvaient comme fortifiant, dégrippaient des pièces de moteur en les faisant tremper dedans, l'utilisaient comme détachant, en mettaient dans des bouillottes, etc...
Après travaux, il me reste bien 5 litres de gibolin.
Je vais les mettre sur Le bon coin.
Sur le couvercle du pot y'a marqué "soubassements", ça doit être la teinte qu'ils ont utilisée pour faire le bas de la façade, très hydrofuge, légèrement plus foncée, dans les tons chair malade, cireuse. Ca ira bien : mon projet du jour consiste à reboucher les fissures du mur d'enceinte de la propriété, qui a tendance à se lézarder, comme beaucoup de murs dont certains sont pourtant mes amis, puis à l'enduire de ce gibolin pâteux, perdu puis retrouvé, prodiguant à l'ouvrage maçonné un rafraîchissement inattendu à peu de frais, dont tout le quartier se moquera éperdument mais moi ça m'occupe, la route est passagère et par mauvais temps les camions maculent les façades que beaucoup de riverains laissent partir en sucette. Ca me coûte juste l'effort de mémoire qu'il m'a fallu fournir pour me  rappeler où j'avais entreposé les restes du chantier de ravalement de la façade, suite à une remarque de ma femme qui trouvait le mur crado.
Je suis stupéfait que le produit ait si peu souffert après 15 ans de stockage dans cette cabane de jardin pas du tout isotherme, où les vélos accusent le coup en se piquetant doucement de rouille, et je n'y stocke rien de sensible.
Par ailleurs, je sais en moi des richesses & résolutions discrètement entreposées depuis une durée au moins aussi longue, et dont je n'ai pas fait grand chose pour l'instant (je dis ça en comparant les résultats attendus à l'époque à ceux obtenus réellement) et dont je peux craindre qu'elles aient beaucoup moins bien encaissé l'écoulement du temps.
Si j'en retouille le pot, quand je l'aurai retrouvé, pourrai-je les remettre en branle pour m'en tartiner la façade, une décennie et demie plus tard ?
Rien n'est moins sûr, madame Chaussure.
Fin provisoire de la parenthèse métaphorique.


Un des nombreux tutoriels de bricolage de Daniel Goossens
qui m'ont bien aidé à rénover ma maison.
En ciment/maçonnerie je me trouvais assez nul, mes ponts sur le Bosphore s'effondraient les uns après les autres, mais un jour je suis tombé sur le bon tutoriel, et depuis, j'enduis mes murs de ciment pur au lieu de faire un mortier avec du sable, ça tient mieux au corps. Bon, j'en ai quand même quarante mètres linéaires à reboucher &repeindre, mais c'est pas un problème, j'ai été mis à pied pour trois mois par mon employeur unique, un grand groupe de télévision publique régionale pour lequel je suis vacataire depuis 22 ans, et qui applique une nouvelle règle discriminante envers les CDD, pour interdire à ceux-ci d'attaquer leur employeur aux Prud'hommes pour abus de recours à l'intermittence : soit t'es labellisé "CDD historique" et reconnu comme collaborateur régulier, auquel cas tu peux continuer à bosser, mais attention les conditions d'admission au club sont assez strictes : 
les intermittents, cachetiers, pigistes ayant effectué 120 jours travaillés sur chacune des 3 années 2015 à 2017 ou 500 travaillés sur la période 2013/2017 en ayant travaillé au cours du second semestre 2017 (...) tous les collaborateurs pouvant attester de plus de 1000 jours payés avec FT au 1er septembre 2018 et ayant travaillé avec FT au cours du 1er semestre 2018. »
...soit tu ne l'es pas, et alors, quand tu as travaillé 80 jours dans l'année civile pour la boite, on te fout dehors remercie cesse de t'appeler jusqu'à l'année prochaine. C'est pour pas que tu deviennes dépendant d'un employeur unique, tu comprends ? ça t'encourage à chercher d'autres employeurs, et à rebondir dans le privé.
Mon cul. De l'aveu même des responsables de planning, c'est pour t'interdire de pouvoir prétendre à l'intégration en exhibant un trop grand nombre de jours travaillés. L'hypocrisie du prétexte invoqué ne trompe pas même les responsables Ressources Humaines de la boite.
Un copain m’écrit : «  J'aime beaucoup l'expression CDD historique. Vu le nombre d'année de CDD que tu cumules, tu dois frôler le CDD pré-historique. Ils devraient inventer la catégorie du CDD Paléontologique à ton intention. »
A défaut d’avoir du boulot, c’est chouette d'avoir un bon copain.
Cette année la sanction m'a touché fin septembre.
Du jour au lendemain, mon contrat en cours est annulé, sans sommations.
Et je suis banni des plannings pour trois mois.

Pendant ces 22 ans de collaboration régulière non-reconnue comme telle et sans doute franchement irrégulière, j'ai toujours eu de multiples employeurs et activités, il n'y a que depuis 18 mois que FT est devenu mon seul employeur. D'où cette déconvenue à me retrouver enfermé dehors, alors que j'ai même pas rien fait pour mériter ça, plaquette Vapona.
Pour éviter de me calimériser, je songe que l'an dernier la mesure avait touché Carole M. (à l'époque j'étais "jeune CDD migrant" en Corse et j'avais autre chose en tête) et je n'avais rien dit, je n’étais pas Carole M. (et je ne le suis toujours pas à l’heure qu’il est, 13h46, mais la journée est loin d’être finie.) Et quand ils sont venus me chercher cette année pour faire un exemple, Carole M. n'a rien dit, elle bossait moins que moi et mon absence du planning allait lui ouvrir un boulevard... le temps qu'elle atteigne elle aussi les 80 jours d'espérance de vie, un peu comme dans L'âge de Cristal, quoi. 
En apprenant ma mise à pied, alors que je mettais les bouchées doubles cette année encore pour prouver ma mobilité en allant bosser dans d'autres régions et leur démerder le coup en faisant l'ambulance pour les vacances et les week-ends, je me dis qu'il faut que je sois hyper-vigilant pour que l'inactivité forcée ne me fasse pas retomber dans mes pires travers de porc, le téléchargement illégal, la pornographie en ligne, signes de radicalisation sur internet et de déni du réel, et pire si affinités.
J'ai suggéré à mes collègues CDI de lancer une pétition de soutien genre « Ca nous rendra pas Steve mais ça nous rendra peut-être Warsen », je voyais déjà les cases à cocher au bas du tract :
Je manifeste mon soutien à cette noble cause en donnant :
- 100 000 €
- une clé de douze
- un organe de mon choix mais pas trop vital quand même
mais il n'y a personne de moins mobilisable qu'un salarié qui a le ventre plein et qui n'a pas lu l'Entr'aide de Paolo Servigne. Pour l’instant, je ne me plains pas de cette carence, et me débrouille pour n’être pas oisif, car l’oisiveté est mère de tous les vices.
Mais à mon âge et vu mon poids, pour rebondir dans le privé, il va me falloir un plus gros élastique.

(à suivre...)

dimanche 1 décembre 2019

Le diable probablement

D’abord j'ai un moment d'absence devant mon ordinateur, et quand je reprends conscience, trop tard, je suis déjà en train d'errer sur des blogs de vieux, je veux dire, de gens qui ont mon âge :
"To rip or not", la question mérite d'être posée.
Pour des artistes morts, pas de scrupules, on rippe. Leurs enfants n'ont qu'à trouver un métier honnête, plutôt que de vivoter des droits d'auteur de leurs parents, des CDs.
Nonobstant, d'avoir contemplé l'abyme grouillant du nombre de titres d'Henri Salvador que je méconnais, celui-ci se met à me regarder aussi, et allume souterrainement la mèche de la bombe à fragmentation de la fièvre collectionneuse.

Alors je commence à jouer du clavier, et j'atteins d'abord ceci :
Woualou, voilà plein de titres inconnus de feu le père Henri, ça a l'air sympa mais il faut s'inscrire auprès de usenet, qui m'a tout l'air d'une foutue bande dématérialisée de malfaiteurs à but lucratif et de détrousseurs de cadavres, puisqu'ils empochent tes sous sans reverser rien du tout, ni à qui de gauche, ni à Michel Droit. Et donc au final raquer à de telles cyber-raclures pour télécharger, non merci, je préfère encore acheter les imports japonais sur Amazon (Henri Salvador is big in Japan, à n'en pas douter).
Mes recherches clandestines me mènent ensuite en terrain légal, chez Born bad records.
Alors là bravo, j'ai dit ailleurs et pas plus tard qu'hier tout le bien que je pensais de Born Bad Records et de leur politique d'exhumation de trésors enfouis, vraiment s'ils sont mal nés, la résilience s'est ensuite emparée d'eux au fil des ans, c'est incroyable le bien qu'ils font au paysage culturel, mais concernant Henri, il n'y a qu'un titre de lui sur cette compilation, en plus je le connais par coeur, donc je ne m'attarde pas, je repars vers le côté obscur avec http://losslessbox.do.henri_salvador_2_cd/13-1-0-2013 mais la compilation n'est plus en ligne, dommage, par contre si je veux télécharger 48 albums de Nils Petter Molvaer c'est sans problème.
C'est bien joli, mais où trouverai-je le temps de les écouter ? Comme à chaque fois que je cherche un truc sur le net, l'offre recommence à excéder ma demande. Je fais des recherches de plus en plus frénétiques, j'admets connaitre des wagons de fournisseurs douteux, chez israbox y'a beaucoup d'albums de Salvador mais maintenant il faut les choper sur isracloud et comme je ne suis qu'un goy c'est devenu payant, Qobuz fait une offre moins minable que iTunes mais y'a quand même pas de quoi se pâmer comparé à ce qu'on trouve sous le manteau que Jésus a partagé avec un pauvre, et finalement, je trouve des curiosités à un prix décent chez des amoureux de vieilleries, un espèce de Born Bad Records pour Ecroulés, Vioques & Baveux (le pendant français aux Brawlers, Bawlers & Bastards de Tom Waits)
Les Frémeaux (j'imagine aisément des frangins complices comme les Coen) ont commencé à éditer une intégrale avec plein de choses inconnues et a priori affriolantes, par exemple ça :

 Achète-moi

ou ça :


... mais pour finir, la meilleure compile pirate d'Henri Salvador, je la trouve chez un certain John Warsen, parce que j'avais oublié que c'est là que je l'avais mise, ce qui me fait penser que dans mes activités mélomaniaques sur Internet je ressemble de plus en plus à Bob Arctor dans Substance Mort de Philip K. Dick, et c'est pourquoi j'ai cessé d'y aller la plupart du temps, comprenant l'inanité de ma quête, qui m'embarque toujours vers des cybercuites sans lendemain.
Le diable probablement.
Le mot de la fin de cette mésaventure de lèche-vitrines, je le trouve chez un fondu, un passionné d'Henri qui collecte toutes les galettes de sa vedette favorite, dans la liste des raisons pour lesquelles il s'est lancé dans la collection des oeuvres de Salvador :
2/ parce qu'il est très difficile de trouver ses disques ( sa carrière discographique a commencé à la fin des années trente avec l'orchestre de Ray VENTURA et même avant en jouant du jazz ).
3/ parce que je ne connais pas grand monde qui s'intéresse à ce chanteur au point d'en faire une collection.
7/ parce que SALVADOR  est avant tout un provocateur et un Jean-foutre de première, comme moi !
11/ parce que grâce à son répertoire (et pas le meilleur), je me suis amusé comme un fou lors de soirées familiales, publiques et autres à faire le con.

Je reconnais là un fan, un frère. Moi aussi je trouve Salvador mauvais, carrément, ouvertement et en pleine conscience, il s'est livré aux pires excès de l'avariété, n'a renoncé à aucune posture poujadiste dans le corps de chansons écrites par-dessus-la-jambe, et je vois en lui un précurseur du punk bien avant l'heure du punk... il a écrit au dos de la pochette d'un de ses disques " SI CE DISQUE NE VOUS PLAÎT PAS, ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! " Moi aussi, quand je serai grand, j'écrirai un article où je vous suggérerai d'ALLER TOUS VOUS FAIRE ENCULER !", et ça sera trop la classe, mais je n'en suis pas là... par contre je n'ai jamais pu faire le con avec Salvador en famille, tant ils méprisaient ouvertement la culture populaire et la "variété" (qui en manque singulièrement, disais-je avant que ma femme me rééduque) française.
On m'a encouragé à faire le con avec Boby Lapointe, certes, et j'ai appris tout son répertoire à la guitare sommaire avant mes 16 ans, mais finalement, Lapointe c'est un mec désespéré, qui essayait de faire rentrer au chausse-pied une quantité de mots impossible dans chacune de ses chansons, et pour y dire quoi ? toute son oeuvre, là, pointe le tragique de l'existence humaine, alors que Salvador c'est plutôt "faut rigoler pour empêcher le ciel de tomber".
Au final, le ciel y tombe quand même, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise.

vendredi 11 octobre 2019

Adieu tonton

J'ai des tontons qui durent, et d'autres qui ne font pas long feu.
J'ai donc démarré une nouvelle carrière littéraire dans l'eulogie au Crématorium de Bégard (22).
Ecriture plus sobre, plus dépouillée, en un mot plus reposante, parce qu'apaisée.
J’ai eu un petit succès, malgré un débit un peu rapide, parce que si je ralentissais, je savais que j'allais me mettre à pleurer, et c'était pas le but.
Ce qui m’a stimulé, c’est l’épouvante sourde que je ressens depuis des années à l’idée de faire un de ces jours l’oraison funèbre de papa, car comme le dit ma dulcinée quand je lui en parle, «au fait, c’est vrai, qu’est-ce qu’on pourrait dire de positif sur ton père ? »
Et je ne voulais pas voir se reproduire ce qui s’était passé à la mort de mon oncle précédent, après laquelle personne n’avait pris la parole lors de cette cérémonie dans une petite église de Dordogne pourtant charmante, et j’avais trouvé ça bien triste comme début de post-vie.
Là, les enfants de tonton m’avaient fait comprendre qu’ils ne pourraient pas parler au Crématorium, trop d’émotion, et j’avais une relation chaleureuse avec Jean-Pol.
Donc je m’y suis collé, comme à un mal nécessaire, mais c’est venu quasiment tout seul.
L’eulogie est pour moi un genre littéraire tout neuf, et promis à un bel avenir dans ma famille vieillissante; bien sûr si tu regardes dans les angles, ça relève de la fiction, car la vraie vie de tonton serait un roman à faire passer Houellebecq pour Guy des Cars, je ne pouvais pas partir des faits, que de mon ressenti; de toute façon, sur le plan fictionnel, on peut se lâcher : il est rare que le destinataire, sagement étendu à l’arrière-plan, vienne nous contredire.
Il s’agit avant tout d’exalter les vertus du défunt en faisant croire aux survivants qu’elles se diffusent doucement vers eux en fines gouttelettes pendant la lecture, à mi-chemin entre le brouillard d’huiles essentielles et le crachin breton.
L’exercice est donc bien balisé, et j’ai trouvé ça intéressant, en plus d'être utile aux autres.


Quelques mots inspirés par Tonton Jean-Pol, et qui n’engagent que moi.
Brassens chantait : « Il est toujours joli, le temps passé
Une fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types »

…c’est pas pour faire mentir Brassens, mais je n’ai jamais rien eu à pardonner à Tonton Jean-Pol. Et pourtant, dans ma famille, c’est pas pour me vanter, mais on s’offense assez facilement, alors qu’on pardonne assez peu, et le plus tard possible. C’est parce qu’on cherche à avoir raison, et qu’on a du mal à se remettre en cause, sauf moi qui vous cause, évidemment.

Et Tonton Jean-Pol, qui avait été miraculeusement épargné par le dogmatisme.

Tonton Jean-Pol, il a été présent à tous les âges de ma vie, et franchement, pour moi il a toujours incarné la bienveillance. C’était un oncle incarné, quoi.

Quand on était petits, avec mon frère et ma soeur, qui ne sont pas là mais que je représente moyennant un cachet d’intermittent du spectacle très raisonnable, Jean-Pol et Françoise venaient nous voir à Perros, avant qu’ils aient des enfants, et ils nous apportaient toujours des cadeaux. Mes autres oncles aussi, d’ailleurs ils nous ont vraiment gâtés pourris et je sais pas comment on a fait pour pas devenir infects, tellement on a reçu de cadeaux non mérités, simplement parce que mon père était le premier des quatre Dalton à avoir des gosses, alors tout le monde faisait des cadeaux aux gosses d’Averell en attendant d’en avoir, des enfants, pour pouvoir leur en faire, des cadeaux, mon père qui n’est pas là non plus mais que je représente pour un autre cachet d’intermittent du spectacle tout à fait exorbitant, mon père qui a failli venir et qui vous prie de bien vouloir l’excuser de ses empêchements majeurs et mineurs, en tout cas tonton Jean-Pol on était toujours content de le voir, parce qu’avec ou sans cadeaux il était tout le temps gentil et bienveillant, d’une gentillesse qui ne triche pas, qui ne demande rien sinon d’être à la bonne hauteur pour la recevoir. 

Merci pour ça, Tonton Jean-Pol.

Plus tard, pour mes 20 ans, tonton m’a offert mes premiers jobs d’été, comme aide-cuistot et plongeur dans les jolies colonies de vacances de la CCAS. C’était super, ça me changeait de mon milieu petit-bourgeois intello de gauche, en plus des fois je faisais la plonge dans de jolies monitrices des jolies colonies de vacances de la CCAS. (oeuvres sociales EDF)

Merci pour ça aussi.

[Même la fin d’été où je me suis fait braquer tous les sous que j’avais gagné dans les colonies CCAS par deux voyous à qui je voulais acheter du shit en gros et demi-gros, le fait de me retrouver avec un flingue sur le ventre et un cran d’arrêt sous la gorge, ça m’a rapidement et définitivement convaincu que je ne ferais pas carrière dans le trafic de stupéfiants, ce fut une expérience très pédagogique, et ça c’est encore à tonton que je le dois. Trop fort, tonton.]

(passage enlevé à la demande de ma dulcinée, qui a trouvé que ça parlait plus de moi que de tonton)

Encore plus tard, en 1986, tonton m’a hébergé plusieurs semaines à Rennes où j’avais décroché un stage dans une société d’images de synthèse. Et toujours cette générosité et cette prévenance, alors qu’il venait de subir un drame familial terrible qui avait largement de quoi le rendre fou, dépressif, aigri, alcoolique ou un subtil mélange des quatre. 

Que dalle. Il est resté droit dans ses bottes.

S’il avait un côté obscur, et qui n’en a pas, c’est pas à moi qu’il l’a montré. 

Je ne l’ai jamais vu.

Et toujours cette simplicité, ce langage du coeur qui gouvernait nos échanges, dont il est un peu tard pour me vanter, mais si tu m’entends tonton, tu le sais bien que c’est vrai que quand on se voyait on allait droit au but.

La dernière fois qu’on s’est croisés, au mois d’aout, j’ai cru comprendre que pour cette vie-là, dans ce corps-ci, t’avais eu ta dose, on t’avait sévèrement trafiqué le moteur, enlevé des pièces, bricolé d’autres, et il en résultait pour toi un inconfort qui ne justifiait pas de jouer les prolongations plus que nécessaire. 

Inquiet, j’étais repassé le lendemain, dans l’idée de t’en mettre une couche en direct de la cellule de prévention du suicide, et tu m’avais rassuré, tu t’étais déjà repris, m’affirmant que tu récupérais petit à petit et que tu allais te bouger pour répondre à cette vie qui s’offrait encore à toi.

En fait, je crois que tu étais déjà en paix, que tu avais réglé tes affaires, fait tes valises, et que tu te tenais prêt à partir. 

Tu m’as bien roulé, Tonton Jean-Pol.

Tu ne seras jamais un petit vieux. Je n’ai rien contre les petits vieux, j’ai de très bons amis petits vieux, mais c’est un truc qui ne t’a jamais intéressé. 

Je t’embrasse et je te salue. 

Merci pour tout.

mardi 1 octobre 2019

L'avocat du diable


extraits de mails
Objet: question
Date: 24 septembre 2019 à 11:40:23 UTC+2
À: b**@byronmetcalf.com

Hello
I’m a french fan of your works and owe many CD’s of yours
I dare ask a maybe dumb and overanswered question but could’nt find the answer by myself.
I was watching the TV Show « Hannibal » 
a bad and sick TV Show indeed, about people having codependent relationships.


Anyway, during the third season, a character from the novel « Red Dragon » appeared, and pretended to be « Byron Metcalfe, Hannibal Lecter's lawyer ».
It made me smile, because I thought the screenwriter took the character's name from yours, a crooked joke like a tribute from evil to virtue. (Everyone is very ill, spiritually speaking, in the show)

screen capture from the TV Show
But I found the same name in the original novel (1981).
Which seems anterior to your career’s beginning.
So my question is : did you take your pseudonym from Thomas Harris’s books ? It’s not a big thing, but i’m actually a bit disturbed by this discovery.
Does it mean anything to you ?
Thanks in advance
Christophe

Le 25 sept. 2019 à 17:24, Byron Metcalf a écrit :
Hi Christophe,

My music career actually began in the early 60's so no I did not borrow the name as a pseudonym.

I'm so sorry, Lord Byron ;-)
I read that info on your P.al site "Starting in 1988, Byron began focusing his musical talents toward the healing arts, creating musical sequences for Holotropic Breathwork workshops,… » so I took it for real.

I recall reading Red Dragon right after it was released and was pretty freaked out when I got to 'my' name!

I feel guilty enough for watching the macabre opera Bryan Fuller created from Thomas Harris novels, so I won’t try to reread Red Dragon for knowing what fascinated me long ago, and what you’re doing in there. 
Your name, erupting like reality into fiction. 
Same impression you must have had when you read your name in the book. 
Like if you’ve been caught into the Necronomicon without giving any consent.
Lovecraft beaten by Harris !
and it’s no coincidence  (or a strange one) that you act in the world of « healing » music, because it’s no mystery Hannibal Series Soundtrack musicians work in the spheres of sick & unwell sounds, which are another kind of industry and need to be rebalanced.
(Dark ambient is not allowed as a response)
https://youtu.be/7Ow8ne4iD8Y

Interestingly you are the only person to ask me about this which is surprising given the popularity of the Hannibal Lecter character. Silence of the Lambs is one of my all time favorite films.

Maybe you’re not popular at all, except in my neighborhood ?
;-)))
I often see details and coincidences others don’t see (but I also often miss the Big Picture). 
Unconveniences of geek culture.
Or maybe the people who read Thomas Harris don’t listen to Byron Metcalf.
Anyway, I was curious to see if the TV show would build a theoretical justification for Hannibal’s behaviors. 
It does'nt : in the show, Lecter kills and eats people thats displeases him by their vulgarity.
His own intelligence and refinement are self-consumed and justify at his own eyes his predator’s instincts, and he feels really satisfied with that, so it’s maybe terrifying metaphorically speaking upon Ego strategies, but the character appears hopefully absurd and artificial to me, despite lttle jokes on empathy. 
Will Graham : « Extreme acts of crualty require a high degree of empathy ».
Bedelia Du Maurier (answers) : « You just found religion. Nothing is more dangerous than that. » 
Ha ha.
If Thomas Harris see things like this, it’s hopefully harmless and far less credible than what others novel writers theorize upon evil, from Nick Tosches (in Trinities) to Russell Banks.
The idea of your name, emerging as a fragile counterpoint to the torrents of insanity and madness which oozed from the 39 episodes, is precious (and a bit hilarious too, because I endured the three seasons of the show without knowing why I was doing it, until I saw your name on the screen)
So if you don’t know why Thomas Harris borrowed your name and turned it into « the devil’s attorney » you should perhaps ask him quickly, he’s turned 78.
He’s smart : “ I don’t make anything up. So look around you,” he says. “Because everything has happened.
He said he’s been inspired by Ted Bundy, and his relationship with Robert Keppel, an American former law enforcement officer who wrote many books wich gave birth to « Mindhunter », a TV show from David Fincher much more impressive than Hannibal, where detectives are confronted with real serial killers.
(Pardon my french) 
(I’m French)
and pardon my bla-bla, i’ve rare opportunities to exchange in english with people I listen carefully the music to.

Sincerely Yours
Christophe


De: Byron Metcalf
Objet: Rép : question
Date: 27 septembre 2019 à 17:50:56 UTC+2
À: Christophe P.

Thanks Christophe! Your 'rant' put a big smile on my face. You're a good writer! 👍


Le 27 sept. 2019 à 18:02, Christophe P. a écrit :

If I didn’t read your name in Hannibal, there would have been no rant, so thanks for your music ! 
I’m just listening right now to your last album with Eric Wollo.
My rant is under control, and my psychiatrist is hopefully vegan
;-)))
Christophe

---------------

Bon. Si l'intéressé lui-même n'est pas au courant, c'est râpé pour comprendre pourquoi le Byron Metcalf réel s'est trouvé aspiré dans le vortex littéraire de Thomas Harris et ses déclinaisons audiovisuelles. Quant à savoir pourquoi j'ai regardé 3 saisons de cette chose glauque, cauteleuse et hypnotique, c'est tout aussi insondable. Si ça vous tente de siroter 35 heures de Madds Mikkelsen en psychiatre cannibale, roi de l'emprise et de la manipulation mentale, petit maitre de la jouissance par le meurtre gastronomique et baronnet des plaisirs raffinés, vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus. Le plus terrifiant dans la série, c'est bien la soumission presque joyeuse de tous les personnages secondaires à la volonté d'Hannibal, qui tord littéralement l'univers autour de lui, comme un petit trou noir sans poil autour car il a sans nul doute l'anus aussi lisse que le visage.
https://youtu.be/AucdcgZsUb4
Alors, il y a l’horreur « folklorique » de Hannibal, la charge s'exerçant à coups redoublés sur la psychanalyse, et dont le scénario pourrait avoir été écrit par un patient trop longtemps baladé par un psy qui a décidé de s'en venger dans les grandes largeurs, avec outrance et délectation, puisque tous les psys de la série sont aussi détraqués que les malades qui la hantent, et il y a l’horreur "psychologique" un peu plus réaliste des relations d'attachement/dépendance qui engluent les protagonistes de la série. 
C’est à ce titre que je trouvais la présence fantomatique de Byron Metcalf, auto-canonisé chamane guérisseur sur son site holotropique, plus que justifiée par la noirceur de l'univers fictionnel déployé.
Comme si le Diable avait besoin d'un avocat !


Déçu par Hannibal, je me tourne alors vers Midsommar, réputé gorgé d'horreur folklorique suédoise.
Hélas, il y a beaucoup de Grand-Guignol dans ce clip institutionnel profondément désobligeant envers les cultures païennes, commandité à ce qu’il reste des Monty Python par le ministre du tourisme suédois pour débarrasser définitivement le pays des touristes américains, d'ailleurs dépeints en termes assez grossiers.
Le résultat est profondément émouvant : Terry Gilliam n'avait pas été aussi acide depuis "Brazil". Et le suicide d'Eric Idle se jetant de la roche Tarpéienne en mimant le stoïcisme d'Edward G.Robinson dans "Soleil vert" me laisse tout vibrant d'émotion contenue.
Mais cet épandage sauvage de culture cinéma ne fait pas un bon film de trouille.
C'est le sous-texte sur l'emprise, le délitement de la culture moderne et la tentation du collectif comme substitut à la famille, qui est intéressant.


Mais bon, question horreur suédoise,  le réalisme de Greta T. bat tous les imaginaires, et c'est en elle que le Réel met une grosse ratatouille au cinéma d'épouvante.
Elle est la Byron Metcalf des effondrologues, car elle nous dit que nous pouvons éviter l'apocalypse annoncée en mettant un frein à l'immobilisme, dans ce monde où nous sommes tous convaincus de la nécessité d'adopter des comportements plus vertueux au volant de notre nouveau SUV.
En plus, l'avantage de Greta sur Byron, c'est qu'il n'y a même pas besoin d'acheter son disque pour que ça marche.
D'accord, pour l'instant, la pythie nous saoule de bande-annonces de désastres attendus, elle nous joue le pitch du film catastrophe qui enterrera tous les autres parce que là ça sera pas pour de rire, mais son scénario (haut et bas, mais les experts du GIEC parient plutôt sur le haut) est prêt à tourner, et son cliffhanger a l'air bien au point.

L'effet "inéluctable" de la courbe n'apparaitra qu'aux petits-enfants de nos petits-enfants.
Pas de quoi en faire une maladie.