dimanche 6 janvier 2008

Démons (7)



Le 31 décembre 2007, l’oeil aguiché par son sticker fluo, j’ai acquis à vil prix un gigot d’agneau dans les bacs “bidoche en promotion” du Super U; il était clairement référencé comme provenant de Nouvelle-Zélande et devant être consommé dans les meilleurs délais. En l’attrapant par le manche, j’ai brièvement été en contact avec les tonnes de fuel qu’il avait fallu pour l’apporter jusqu’à si près de chez moi, aux milliers d’intermédiaires qui l’avaient élevé, transporté, vendu, mis en rayon, et dont la survie dépendait de la pérennité de cette hérésie écologique : un animal qui a vécu de l’autre côté du monde pour finir mangé en promo - je ne rappelle plus du prix exact, mais c’était autour de 20 euros le kilo et demi - et déréguler l’agriculture locale pourvu que quelques sesterces changent de poche. Mais ma conscience écolo a un prix au kilo, et puis que voulez-vous, quand on ne boit ni ne fume, que les sirènes du sexe, du rock’n'roll et de la drogue se sont tues, ou qu’on s’est enfoncé le coton tellement profond dans les oreilles pour ne plus les entendre qu’on ne peut plus les retirer, il arrive de se laisser tenter par un gigot, selon le principe entendu lors d’une retraite bouddhiste l’an passé : que nous obtenions (ou pas) ce que nous désirions, nous nous mettons alors à désirer autre chose. Il faut nous mettre en route vers autre chose que ce fluctuant et perpétuellement changeant objet de nos désirs, et tâcher de découvrir notre condition… Quant au gigot, je pensais le faire cuire dans la foulée, mais comme on rentrait de chez Mamie qui nous bourre toujours la voiture de glacières pleines de volailles, je l’ai congelé et ne l’ai ressorti que ce matin de dimanche. Mais après décongélation, et une fois sorti de son sac sous vide, il a répandu une odeur franchement excrémentielle du côté qui avait le plus chauffé (il était trop gros pour tourner dans le micro-ondes alors j’avais enlevé le plateau rotatif pour ne pas forcer le mécanisme et casser quelque chose), et même rincé, il dégageait ce fumet peu engageant d’étron humain en putréfaction, rappel judicieux de l’impermanence de toute chair qui peut éventuellement disparaitre à la cuisson, mais qui peut aussi foutre en l’air le repas dominical et plus si affinités, à l’innocent cuistot qui en a été le témoin et qui n’a pas du tout envie de prendre le risque d’en faire manger à ses gosses. Un kilo sept de gigot d’agneau zélandais est donc parti à la poubelle, sépulture peu chrétienne pour un animal qui finit si loin de chez lui, mais si je le mets sur le compost c’est ce con de chien du voisin qui va s’empoisonner. Et puis j’ai failli nourrir plein d’émotions négatives envers -le Super U, -le capitalisme, -mon manque de discernement, -ma femme, qui avait remarqué l’odeur pendant que je prenais ma douche post-jogging et qui me gâchait le plaisir de mon achat Malin à plus d’un titre, et qui me dit qu’elle échappe à ce genre d’entourloupes en n’achetant jamais ce genre d’article, -le fric honnètement gagné que je fous ainsi à la poubelle, etc…

Bref, en 2008, je mange des légumes.

Le vrai-faux déclin de la viande
Article paru dans l’édition du Monde du 23.09.07
Enquête.
N’en déplaise à ses détracteurs, la production animale devrait doubler dans le monde d’ici à 2050. Cela impose la mise en oeuvre de pratiques d’élevage moins nocives pour l’environnement
Une bonne grosse côte de boeuf, régulièrement ? Ce plaisir sera peut-être interdit aux générations futures, tant la production et la consommation de viande font l’unanimité contre elles. Au point qu’un nombre croissant de personnes, dans les pays occidentaux, ont déjà décidé d’y renoncer.
La liste des méfaits de la viande est longue. Risques pour la santé, une surconsommation favorisant les maladies cardio-vasculaires, l’obésité ou le diabète. Mais surtout, au niveau mondial, risque de développement des épizooties et danger pour la sauvegarde de la planète. Les productions d’origine animale - viande, oeufs, produits laitiers - sont en effet extrêmement polluantes. Les milliards de tonnes de déjections qui en sont issus engendrent des rejets azotés dans les sols et les rivières. Et l’élevage, à lui seul, représente 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Soit une contribution au réchauffement climatique plus élevée que celle des transports.
Autre point noir de cette production : sa propre consommation. Les pâturages occupent 30 % des surfaces émergées, et plus de 40 % des céréales récoltées servent à nourrir non pas directement les hommes, mais le bétail. Les zones disponibles étant insuffisantes pour répondre à la demande, l’élevage peut provoquer le défrichage de forêts. Il est gourmand en matière première et en eau… En bref, la production animale pose question. D’autant plus que la Terre, d’ici à 2050, aura 9 milliards de bouches à nourrir.
Dans ce contexte, doit-on prévoir la fin de la viande pour ce siècle, ou du moins son déclin ? On serait tenté de le croire. Pourtant, cette vision est contredite par tous les prévisionnistes. Au contraire, c’est à une augmentation de la consommation mondiale qu’il faut s’attendre. De tout temps, et dans tous les pays, en effet, l’augmentation du revenu est allée de pair avec la progression de la consommation de viande. Il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement dans les pays émergents, d’où viendra l’accroissement de la population.
Entre 2007 et 2016, selon les perspectives communes FAO-OCDE, la production mondiale de viande devrait ainsi augmenter de 9,7 % pour le boeuf, de 18,5 % pour le porc et de 15,3 % pour le poulet. Principalement en Inde, en Chine et au Brésil. D’ici à 2050, la production de viande pourrait même doubler, passant de 229 millions de tonnes au début des années 2000 à 465 millions. Il en va de même pour celle de lait. Du fait de la démographie, bien sûr, mais aussi de l’augmentation des besoins en fonction de l’évolution de la population (plus jeune, plus urbaine, plus grande) et de la modification du régime alimentaire.
« Dans les pays du Sud, la difficulté est de permettre aux gens de manger. Ces trente dernières années, la consommation de viande y a diminué drastiquement, surtout en Afrique, et ce manque de protéines animales fait que les gens sont en état de malnutrition », rappelle Renaud Lancelot, chargé de mission santé animale au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Bruno Parmentier, directeur d’une école d’ingénieurs en agriculture, estime quant à lui que l’évolution de la consommation de produits d’origine animale dépend de trois grandes questions, qui montrent le lien étroit entre consommation de viande et pratiques culturelles. La religion hindoue, comme la religion catholique, va-t-elle décliner, et, dans ce cas, l’Inde va-t-elle consommer beaucoup de viande ? Les Chinois vont-ils se mettre à boire du lait si on leur propose un produit qu’ils parviennent à digérer ? Les Occidentaux vont-ils continuer à manger du porc, si ce dernier devient un réservoir pour les transplantations d’organes ?
Quoi qu’il en soit, une nouvelle répartition géographique de la consommation devrait se mettre en place, qui consistera en un double mouvement de balancier : diminution de la ration carnée dans les pays riches, où il y a excès, et augmentation dans les pays pauvres, où il y a carence. De quoi combler un peu la disparité actuelle : si l’on consomme dans le monde, selon une étude publiée par la revue médicale britannique The Lancet (datée du 13 septembre), 100 grammes de viande par jour et par personne, ce taux moyen atteint 200 à 250 grammes dans les pays développés, et plafonne entre 20 et 25 grammes dans les pays pauvres.
« Si l’on considère que la population globale va augmenter de 40 % d’ici à 2050 et si aucune réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au bétail n’intervient, la consommation de viande devra baisser à 90 grammes par jour et par personne pour stabiliser les émissions de ce secteur », affirment dans The Lancet les auteurs de l’étude. Il faudrait donc, d’ores et déjà, inciter les consommateurs des pays riches à prendre conscience des dégâts provoqués par leur consommation abusive. Et envisager au niveau mondial, non pas de produire moins, mais de produire autrement, afin de réduire les effets négatifs de l’élevage sur l’environnement.
Comment suivre les préceptes de la FAO, selon laquelle les coûts environnementaux par unité de production animale devraient « être réduits de moitié, ne serait-ce que pour éviter d’aggraver le niveau des dégâts » ? En incluant, comme le suggère son chargé des questions animales Grégoire Tallard, « le coût environnemental dans le prix des viandes », selon le principe du pollueur payeur ? En privilégiant la consommation de volailles, écologiquement moins agressive que d’autres productions ? La FAO préconise également l’amélioration des pratiques d’élevage. Une des pistes fort attendues concerne le séquençage des génomes complets des principales espèces (en cours pour la plupart), qui devrait permettre d’accélérer les sélections et de faire coïncider, par exemple, rusticité (donc résistance aux maladies) et productivité.
Les recherches se concentrent par ailleurs sur des rations alimentaires du bétail plus économes, ou encore sur le système digestif des ruminants. La fermentation entérique des bovins (productrice de méthane, lequel agit vingt-trois fois plus que le CO2 sur le réchauffement climatique) pourrait ainsi être mieux maîtrisée. Par exemple par l’utilisation d’additifs alimentaires à base d’huile végétale. Ou encore grâce à une ration plus concentrée en céréales. « Nous avons mené une expérimentation sur de jeunes taurillons et avons ainsi réussi à les faire grandir plus vite, ce qui permettait de réduire les émissions de méthane », explique Jacques Agabriel, zootechnicien à l’INRA de Clermont-Ferrand. Mais la production animale étant un système complexe, ce qui confère ici un avantage écologique entraîne là un inconvénient économique (une plus grande consommation de céréales). D’où la nécessité, pour faire émerger un système d’élevage durable, de s’orienter vers une approche globale. A l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), un groupe de réflexion sur la place des produits animaux dans l’alimentation, qui réunit sociologues, zootechniciens, économistes, nutritionnistes et agronomes, s’est déjà attelé à la tâche.
Alors qu’on parlait il y a dix ans de désintensification des systèmes de production, ce concept a été remplacé par un autre : celui d’agriculture écologiquement intensive. La question de la viande est un excellent exemple de cette quête.

Commentaires

  1. Dans ma quête de sobriété, il y a aussi une réduction importante de ma conso de viande, qui est aussi l’expression d’une résistance à l’industrialisation de l’agriculture. J’ai lu dernièrement l’Etoile de l’Aube, un roman magnifique sur les peuples Khantis, du Nord de la Sibérie. Quand je vois le cérémonial et le respect qu’ont ces hommes et ces femmes, dont la culture a été torpillée par le modernisme à tout crin et par l’alcool, pour demander l’autorisation à la nature de prélever un des siens pour se nourrir, et que je compare le spectacle de la barbaque étalée dans nos rayons de supermarché (animaux dont la mort, pour certains aura servi à remplir les poubelles), cela fait réfléchir.
    Vraiment chouettes tes chroniques, John.

  2. Et bien dis donc ! Vivement qu’ils inventent la vache carnivore qui atteint la taille adulte en une semaine et le steak nanotechnologique qui s’auto-développe à partir d’huile de vidange !

  3. Les Américains viennent d’autoriser la consommation de viande clonée. Ils n’ont pas dit s’ils vont réussir à clôner les pâturages. La vache omnivore qui recycle le CO2 sans produire de méthane et qui boit de l’eau de mer en la repissant désalinisée serait aussi une trouvaille utile. Si les scientifiques sont aussi forts que les auteurs de SF, on va s’amuser. Mais ça m’étonnerait.

  4. Ca t’étonnerait qu’on s’amuse ou ça t’étonnerait qu’ils soient plus forts que les auteurs de SF ? Parce que les auteurs de SF pompent tout bêtement dans ce que font les scientifiques… Et si tu jetais un coup d’oeil sur EurekAlert, Techno-Science.net ou des blogs qui suivent les dernières trouvailles, tu aurais des tas de nouvelles de SF ahurissantes toutes pondues. ;)

mercredi 2 janvier 2008

Démons (6)

Le 31 décembre, dans la journée, un mec m’appelle. En même temps que je le reconnais, j’entends bien qu’il est ivre mort. Carbonisé de chez carbonisé. La dernière fois qu’on s’est vus, il y a 5 ans, il avait essayé de me faire signer une attestation comme quoi il était bien présent aux réunions AA, dans le but d’obtenir un adoucissement de la sanction pénale qui allait lui tomber dessus, suite à récidive de conduite alcoolisée sans permis. Comme il est chef d’entreprise, il n’a pris que 6 mois de gnouf, on le laissait gérer ses 13 salariés dehors dans la journée, il ne réintégrait la prison que le soir. Et puis, plus de nouvelles… là, il prétend en prendre et essaye d’en donner, et que son entreprise va très bien, et qu’il va épouser une africaine (je l’ai connu veuf se consolant au p’tit blanc, qu’il venait siroter avec ma femme vu qu’on était voisins mitoyens fraîchement débarqués dans la région et que j’avais brisé la glace après une soirée entière passée à subir les infra-basses de “Dazed and Confused” de Led Zeppelin qu’il avait passé en boucle et qui pilonnaient la cloison pourtant fort épaisse de ce corps de ferme rénové où nous cohabitions) et qu’il écoute toujours hendrix, mais son élocution est tellement balbutiante et pâteuse, on dirait un mort-vivant combattant sa propre rigidité maxillaire, c’est aussi atroce que rigolo quand on a connu ça et qu’on en est sorti durablement, alors j’abrège ses souffrances. J’ai l’impression de m’entendre il y a 17 ans, et donc je suppose que c’est un appel au secours, et lui suggère d’aller se coucher et de me rappeler quand ça ira mieux, en essayant de ne pas le froisser. Sachant qu’il y a 50% de chances qu’au réveil il ne se souvienne pas de m’avoir appelé, et 49% qu’il en garde un souvenir tellement honteux et confus, et que l’orgueil qui l’a poussé à refuser d’admettre son problème d’alcool lui interdira tout aussi sûrement de recomposer mon numéro. Sur le moment, je lui ai demandé le sien, qu’il m’a débité avec un aplomb suspect, et qui s’est révélé évidemment faux.
Solitude, orgueil et malhonnèteté, le coquetèle des winners. A part le remercier intérieurement du sursaut de gratitude que j’éprouve déjà pour les mouvements d’abstinents, je ne vois pas ce que je peux faire pour lui. Finalement, peu de choses nous séparent : un seul verre, le premier. Et le fait qu’il a peut-être déjà couché avec une noire, l’enfoiré.

En 2008, si je ne tire pas encore sur les ambulances, je laisse la mienne au garage.



jeudi 13 décembre 2007

Démons (5)



Moebius par Moebius (© Moebius)

J’entendais récemment Moebius dire dans un documentaire à lui consacré par Arte “je suis un pépé de 67 ans, j’ai une vie banale et j’aurai une mort banale, mais à un moment donné j’aurais bien aimé être un prophète ou un Saint, bien sûr ça ne me travaille plus, mais à une époque…” c’est un gars qui n’a plus l’air de rien, mais qui a montré son inconscient à tous les passants dans ses créations des années 70… souvenirs impérissables du bandard fou, de la déviation, du garage hermétique de Jerry Cornélius

“Bien sûr nos miroirs sont intègres / Ni le courage d’être juif / Ni l’élégance d’être nègre / on se croit mèche, on n’est que suif” nous rappelle le poète, qui s’est frotté aux mêmes écueils, et la vieillesse venant a ramené notre héros à plus d’humilité.
Dans le film, Jodorowsky dit ne connaitre que l’artiste et se méfier de l’individu Moebius, et de sa part il faut prendre l’avertissement très au sérieux… si un mec comme ça s’est pris à rêver d’être autre chose que ce qu’il était, alors que pour beaucoup de lecteurs c’était déjà un dieu vivant, et que seules ses erreurs et leurs conséquences l’ont ramené à la raison (il semble s’être fait un peu empapaouter par un gourou douteux dans les années 80 et a fini par être la risée de la profession avec ses dessins de cristaux babzamort), alors rien d’étonnant à ce que nous soyons squattés par de fantasques entités qui prétendent nous affubler de leurs prétentions et faire leur beurre sur notre dos…
Il m’est évident aujourd’hui que si j’étais fasciné par la création et la fantaisie, c’est parce que je m’en sentais légèrement tout à fait dépourvu moi-même, et ne pouvais que m’injecter celle des autres pour donner le change, et me donner ainsi une chance d’être accepté. Par qui ? ça, je cherche encore…
Engloutissant tout Jules Verne, le journal Spirou, puis Fluide Glacial, Métal hurlant, la SF, le rock… j’étais surtout un lecteur remarquable, n’aspirant qu’ensuite, les gonades dégoupillées, à me faire sauter remarquer… j’aurais voulu être un artiste parce que j’étais intoxiqué de ça, ivre de la création des autres dont je prenais des surdoses massives… ça s’est dégradé plus tard, avec la goinfrerie (celle qui est stigmatisée plus bas par Saint Murat ) qui dissout l’attention dans la multiplicité et la contingence de ses objets, ce qui fait qu’on finit quand même par se douter de quelque chose et que les ballonements intestinaux nous ramènent à la raison…
Seuls les besoins ne manquent pas, et la Beauté ne se mange pas en salade; incomplets axiomes, et une question à la Henri Michaux : lorsqu’il y a jouissance, QUI jouit ?
Le besoin de reconnaissance n’est pas incompatible avec le besoin de vérité, mais il est plus chronophage… et je suis animateur socio-cul sur un forum pornodep pour sans doute encore un bon moment.

lundi 10 décembre 2007

Démons (4)

Finalement j’ai pris cette option 8 méga à 29,90€/mois à france télécom : pour l’instant ce fournisseur me délivrait fourguait 1 méga pour le même prix. Je n’ai pas eu la patience d’attendre de leur demander ce qui se serait passé si je n’avais pas cliqué sur oui : sans doute auraient-ils continué à percevoir mon règlement mensuel en échange d’un débit brusquement obsolète. Alors que comme ça, quand mon fournisseur d’accès internet me dénoncera auprès du ministère de l’information pour télé*chargement illé*gal, je pourrai me retouner contre lui pour incitation, ce qui donnera lieu à un procès retentissant qui engloutira des sommes considérables, on assistera à des orgies de mauvaise foi de la part de milliers d’avocats attirés par l’odeur du sang, procès au terme duquel le jugement fera jurisprudence… non, là c’est l’égo qui se fait un film, l’hypothèse la plus vraisemblable est que les hackers vont trouver une nouvelle parade, mais j’ai la flemme d’aller lire les forums.

Un fournisseur d’accès plutôt affectueux (© Moebius )

C’est un peu la schizophrénie, cette histoire de dénonciation à la Kommandantur par les FAI des contrevenants au téléchargement : tous les constructeurs de DVD arborent fièrement l’étiquette “DivX” sur leurs lecteurs, et où peut-on acheter des films encodés dans ce format ? les industriels favorisent ainsi des formats de diffusion dont on ne trouve de catalogue que sous le manteau ! que les auteurs et les industriels aient des intérèts divergents, alors qu’ils étaient jusqu’à récemment complémentaires, c’est inquiétant; je songe aussi à la difficulté d’acquérir honnètement “Dream Theory in Malaya” du trompettiste Jon Hassell (accompagné au bouzouki de l’arabe dément Abdul Al-Hazred), les vieux Terje Rypdal, Bill Frisell, Bill Laswell, Steve Roach, ailleurs que sur tombésducamion.com… bien sûr, faudrait pouvoir leur envoyer des mandats postaux ou acheter leurs disques dès que l’occasion se présente pour ne pas se sentir en dette (et de fait, on l’est.) C’est un peu un cercle vicieux : les rapines se généralisent et se massifient, provoquant l’érosion des ventes, ce qui endommage les circuits de diffusion, et fragilise par capillarité les moyens de production… Sans parler de tous les comics de la mort qu’on trouve en VO sur le net alors que les éditeurs français lambinent à nous traduire la suite de Ex Machina. On trouve partout l’illisible et esthétisante merdouille de Grant Morrisson “Seven Soldiers”, mais personne pour traduire son chef d’oeuvre “les Invisibles”.

Un mélomane aux prises avec son manque d’éthique (© Moebius )

Il n’y a pas que le commerce culturel qui en souffre : après avoir formé Fredo (qui a inventé John Warsen sans faire exprès, un jour qu’il lui fallait emprunter la tronçonneuse de John, ou Arsène, ses voisins immédiats) à DVD Studio Pro, les ports Firewire 400 de mon disque externe sont brutalement décédés. J’ai fait le tour des revendeurs d’informatique nantais, mais pas moyen de trouver un câble FireWire 800/400 (mon pouvoir d’achat suivant l’érosion salariale de ma profession, mon ordinateur est de 2001, l’odyssées de mes spasmes, et n’a que des ports FW 400, alors que mon disque externe plus récent en possède à 800). Le facteur humain défectueux fait que, après l’avoir commandé deux fois par téléphone dans une officine nantaise sans résultats, j’ai fini par le commander sur le net, et je l’ai obtenu en 3 jours.

Prions donc pour que les démons de la prétention & vacuité grognonnesque de mon blog m’en détournent. De toute façon je vais pas me réveiller fondamentalement différent pendant les 5 prochaines années, alors autant mettre les bouchés doubles si je veux sortir de mes obscurités.

mercredi 5 décembre 2007

Démons (3)

J’ai trop recopié de conneries sur mon blog hier, et c’est pas parti pour s’arranger aujourd’hui, du coup je ne me souviens pas de mon rève de cette nuit, juste de son sens global, comme si j’en lisais la critique dans Télérama : j’y obtenais la preuve irréfutable que les Fatals Picards étaient bien un groupe de connards de droite, alors qu’ils font tout pour passer pour des connards de gauche; c’est ma femme qui m’a mis la puce à l’oreille en les taxant de réactionnaires à la première écoute (faut dire qu’elle dispose de La Vue ) et en les prenant immédiatement en grippe. Si je fais des rèves qui accréditent son opinion, est-ce que ça signifie que je suis plus amoureux qu’il n’y parait ? Pourtant, leur chanson sur Bernard Lavilliers est rudement bath dans le genre méchanceté gratuite à bout portant sur une ambulance. Font et Val avaient eu la décence de taquiner Nanard quand il était encore en état de se défendre, avant que son côté Corto Maltese subisse tous ces glissements de terrain… Inextricabilité des opinions, proliférant sur le terreau des “impressions” sédimentées (mais pas assez longtemps pour qu‘elles soient transformées en hydrocarbures.)
Trouvé sans chercher hier soir une mignonnette de 3cc de whisky Clan Campbell (“bienvenue sur les terres du”) dans le placard de la chambre de mon fils, qui accomplit actuellement son stage de 3eme en entreprise à remplir les minibars des clients d’un Novotel. Le pauvre, il ne peut rien transgresser sans qu’on soit tout de suite au courant, n’ayant aucune aptitude à la dissimulation. Sans colère, je lui ai interdit de boire de l’alcool dans sa chambre et de boire tout seul, m’avisant ensuite qu’il pouvait prendre cela pour une invitation à picoler au collège avec ses potes; ce matin, en amenant ma femme à la gare, j’entendais à la radio les pouvoirs publics s’émouvoir d’une alcoolisation de plus en plus précoce des jeunes, au lycée voire au collège, ils citaient le cas d’un gamin qui s’était descendu un litre de vin blanc avant d’aller tout dégueuler en cours de français et concluaient au “cri d’alarme” de ce jeune. C’est vrai qu’avec des trublions comme ça, la viticulture est mal barrée. Le proviseur du lycée estimait que si l’Education Nationale était ainsi empéchée de remplir sa mission, du fait que les élèves n’étaient pas en état d’apprendre, il était urgent de botter en touche vers les parents. Et un psychiatre sortait son “addiction”, le gros mot qui dit tout et qui ne résoud rien, que je me garde évidemment d’employer face à ce qui n’est pour l’instant que des conneries d’ado et qui ne demande qu’à le rester, en tout cas l‘avenir nous le dira.
Ensuite j’ai amené mon chat se faire castrer chez le véto, parce qu’il met de telles branlées à sa mère que c’est pas pensable. Solidarité masculine oblige, c’est une décision que j’ai actée avec difficulté (j’ai fait grief à un journaliste la semaine dernière d’utiliser ce verbe affreux, mais c’est vrai qu’il est bien pratique) on verra si ça lui dégage les bronches. L’assistante du vétérinaire m’a dit que je n’étais pas seul dans ce cas, et a manifesté tant d’empathie que je me suis senti obligé de la faire sourire vu qu’il n’était que 7 heures du matin, et que me revenait mal à propos cette blague de paysan « bon ben maintenant que j’ai amené ma vache au taureau, je vais amener ma femme au Mammouth ».
Hier soir je me suis arrêté sur ça, toujours dans Le Monde : « Les nouvelles bornes de la pudeur »
“Site phare de partage de vidéos en ligne, YouTube a jusqu’à présent résisté à la tentation d’offrir à son réseau des images à caractère pornographique. « YouTube n’est pas destiné à la pornographie ni au contenu sexuellement explicite », précise le site dans ses « conditions d’utilisation ».
Autre site « participatif » en vogue, Dailymotion prévient que « par respect pour les sensibilités de chacun, il appartient à l’utilisateur de conserver une certaine éthique quant aux vidéos et/ou commentaires mis en ligne et, notamment, de s’abstenir de diffuser tout contenu à caractère violent ou pornographique ». Une « chaîne sexy » y est cependant proposée, où les vidéos peuvent être censurées (pour lutter notamment contre la pornographie enfantine) ou étiquetées « contenu explicite ».
Néanmoins, l’industrie pornographique générant un chiffre d’affaires conséquent sur le Net, les sites X de partage de vidéos se sont multipliés, depuis un an, sur ce créneau du « monde adultes » en surfant sur des noms au marketing bien calibré (youporn, pornotube, etc.) entraînant une fréquentation exponentielle. Dernier en date, Mypornmotion devait s’ouvrir au public samedi 1er décembre.
Fortement squattés par les professionnels du porno qui y trouvent un débouché promotionnel à leurs clips (souvent tournés dans les conditions d’un pseudo amateurisme), ces sites permettent à tous, aux internautes, à vous et moi, un exhibitionnisme (ou un voyeurisme) total, une plongée sans limite dans leur intimité. L’étape ultime de la télé-réalité.
Dans le cyberespace, tout devient possible. Le zoom prononcé sur le coït d’autrui, la mise en ligne de la fellation sur soi-même, le téléchargement des orgasmes feints ou très réels. Tout se vaut, tout se côtoie. Il suffisait de deux clics (deux liens), jeudi 29 novembre, pour passer, sans avertissement, des annonces du président de la République sur les 35 heures à une masturbation filmée par webcam : c’est-à-dire de la « une » du Monde.fr proposant un lien vers une notule présente sur LePost.fr (appartenant au groupe Le Monde) relatant les pratiques sexuelles d’un jeune footballeur argentin. Une page qui renvoyait elle-même à la vidéo en question.
« Il existe dans la culture moderne une préoccupation générale concernant la sexualité », énonce le sociologue britannique Anthony Giddens, observateur de la transformation de l’intimité. Pour avoir été longuement séquestrée, privatisée (notamment par la religion), la sexualité a envahi l’espace public, inondé la communication sociale. L’émergence des sites de partage de vidéos à « contenu explicite » achève cette quête de sexualité hyper-exposée dans un monde où le désir de consommation, à bien des égards, s’apparente au désir sexuel.
Le cyberexhibitionnisme serait-il cependant la marque ultime de la destruction de l’espace public par l’individualisme triomphant ? Pas si sûr. Le passage d’une intimité hier du secret à une intimité aujourd’hui du dévoilement, de la révélation (sur les blogs, les forums, MySpace), témoigne plutôt d’une évolution des frontières.
Jadis, la pudeur, la discrétion, l’intime, étaient collectivement définis par la morale. La séparation entre ce qui relevait du public et ce qui restait cantonné au privé était acceptée volens nolens par le plus grand nombre - même si elle pouvait varier selon les époques. Aujourd’hui, les confidences sont médiatisées, les émotions exprimées au grand jour. Résultat : « Chacun place les bornes de la pudeur là où sa propre histoire et ses propres valeurs le suggèrent, explique Dominique Mehl, sociologue («Confessions sur petit écran», in L’Individu contemporain, Editions Sciences humaines). La distinction entre vie privée et vie publique n’est pas abolie, elle est devenue subjective et individuelle. »
Coïts, fellations, cunnilingus, sodomies, sont à portée de clic, en permanence. Chacun devant faire avec sa conscience, construisant sa propre morale. »

Ca c’est la conclusion qui tue, comme hier avec le journaliste embarqué en compagnie de « l’intellectuel postmoderne, l’état du monde et le désespoir » : s’il y a un domaine dans lequel la morale a foiré, c’est bien par rapport à la sexualité.
L’appétence au porno met plutôt en évidence chez l’homme ce que dans l’industrie automobile on appelle un défaut constructeur. Si la moitié des véhicules mis en circulation quitte la route au premier virage, on peut incriminer la DDE, mais il est aussi intéressant de se retourner - sans animosité - vers le concepteur de l’auto. Avec humilité, patience, honnêteté et course à pied.
Quant à vouloir triompher des démons de l’égoïsme, mwa ha ha…

Commentaires

  1. Comme le dit Amma, on est en train de basculer dans l’abîme. Quoique… 1) je crois qu’on a déjà basculé 2) les chaînes nous reliant les uns aux autres sont moins solides qu’elles en ont l’air, ou du moins si on met un polochon à sa propre place et qu’on se tire personne ne verra la différence.

  2. d’abord j’ai ri, ensuite je me suis demandé pourquoi… si c’est une métaphore, tu peux développer ? parce que si c’est au sens littéral, j’ai essayé, ça marche pas :-(

  3. En fait c’est un peu ce que dit Castaneda, si tu files à l’Aigle ce qu’il demande, tu n’es pas obligé d’y aller toi-même. Ici c’est la même image. Les gens, la société etc (l’égrégore) semble s’accrocher à nous, mais en fait si on leur laisse un fake, une copie, un double, ça marche, et ils nous foutent la paix. Cela suppose qu’on a identifié ce qu’ils veulent. Par exemple, JP que tu as rencontré, n’a pas identifié la chose, il a essayé de se barrer sans laisser de fake, autrement dit il est poursuivi par la vindicte populaire, qui sent qu’il essaie de se tirer dans une terre pure en les laissant dans la merde.
    En fait, la vraie analogie de Castaneda, c’est l’histoire du masque. Chepa en parle aussi. Avoir l’air totalement normal, donc ne pas se sentir supérieur, et ne pas vouloir laisser les autres dans la merde en se sauvant soi-même. Etrangement, c’est le résultat inverse qui est obtenu. On peut se barrer et personne ne voit rien.

  4. ça semble paradoxal, mais nombre de tes suggestions le sont aussi à première vue puis se révèlent “marcher” à l’usage. Je note néanmoins que pour tester celle-ci, il faut s’être désidentifié de pas mal de choses, (à commencer par le polochon) ce qui est loin d’être mon cas.

  5. et traduit dans un langage que je puisse pratiquer, ça voudrait dire quelque chose comme faire semblant d’être vivant au lieu de faire semblant d’être mort. Je me demande, si de tels moyens m’échoyaient, si ça ne serait pas plus simple de ne plus faire semblant.

  6. Non, le plus simple est de faire semblant. Tu n’as qu’à regarder tous ces apprentis gourous qui se la pètent en prenant l’air inspiré, ou méditatif, ou que sais-je encore quand ils sont à table. Tout ce qu’ils arrivent à faire, c’est à se faire remarquer, et pas dans le bon sens, ce qui j’en suis maintenant certaine pourrit leurs pratiques à un certain niveau. C’est normal, ils affirment qu’ils sont supérieurs à tout le monde, le monde leur fait payer, et c’est normal. Il est bien plus simple de respecter la bienséance en répondant normalement aux gens qui nous parlent et en ayant l’air normal plutôt qu’en prenant une mine de yogi sévère et auto-conscient. La vacuité n’est pas différente de la forme, se la jouer en société prouve simplement qu’on est tombé dans cette hérésie. Ne pas se la jouer revient de facto à assumer l’image d’un polochon, bien que paradoxalement, il n’y ait pas quelqu’un d’autre derrière qui puisse se dire libre. Comme qui dirait, notre nature est la toile de fond dans laquelle évolue le polochon. Le polochon est enchaîné, mais l’espace dans lequel il apparaît est forcément libre, avec quoi donc pourrait-on l’enchaîner ? En tous cas, il n’est pas correct d’affirmer qu’on est l’espace en supprimant le polochon pour que tout le monde voie bien l’espace qu’on prétend être… car ça veut dire qu’il y a un fantôme là au milieu, et les gens vont trouver le moyen de le coincer c’est sûr…

  7. Je n’ai jamais dîné aux côtés de Eckart Tolle, ou D’Orval, Harding, Jourdain ou tous les auto-libérés® (par contre je me rappelle que le bassiste de Tuxedomoon qui m’avait pris en affection après que je lui aie posé une question de geek sur la sonorité de son instrument qui ne pouvait d’après moi être dû qu’à l’utilisation d’un médiator en métal, se mettait des langoustines dans le nez, en contradiction totale avec la lancinante tristesse de sa musique) mais je suppose qu’ils rotent et pêtent comme tout le monde, encore qu’il faudrait faire des sous-classes avec les Renz, les Parsons… un peu comme tu en as établi une récemment sur ton blog dans “le Gange passe aussi à Paris” après, je pense qu’on est tous pris dans des couches de pétage, y compris avec le fait de ne pas se la péter… moi c’est avec l’auto-addiction, toi avec la dénonciation des faux gourous…parce que tant qu’on n’est pas à la nième terre, nous avons besoin de compensations, de consolations. Je voulais faire un couplet sur Baker Street sur le fait que ces gens-là promettent le royaume des cieux pour pas cher, c’est certain, mais qu’ils parlent un langage qui peut être profitable (générer un mieux-être, moins de souffrance) à certaines personnes qui feraient tout de suite des blocages ou des vues erronées sur d’autres discours, en particulier les traditions spirituelles. Comme une maternelle où on pourrait choper quelques outils de base pour s’élever de quelques centimètres par rapport à sa propre merde (par rapport à quoi d’autre s’élever ?) Eckart Tolle en particulier cultive cette voie “pratique” en proposant des choses très simples, accessibles sans background et qu’il est difficile de rejeter, même au titre de leur inocuité, tout ce qui tourne autour de la PP.
    Je n’ai pas pondu ce couplet sur le forum parce que ça aurait mis un peu trop d’animation dans l’escalier de l’immeuble, mais là, bien au tiède dans mon cocon, je tente ;-) mais je crois que ce que tu veux me pointer, c’est la monnaie de la pièce qu’ils se chopent en retour, sous forme de tous les tarés de la terre qui viennent leur pourrir leurs réunions avec leurs mines de polochons dépressifs…

mardi 4 décembre 2007

Notre-Dame des Motherfuckers



J’ai enfin compris la notion de traces karmiques à force d’observer l’étrange éclosion de champignons en forme de bite et pleins d’une poussière brunâtre tout cet automne sous la fenètre de mon bureau, que l’hygrométrie anormalement élevée n’expliquait pas de façon probante.
Heureusement que je suis pas en état de me sentir “humilié” par le rappel des désordres passés (bien que je n’y sois pas inapte, on va dire que c’est le rappel de ma misère passée qui vient me conforter dans mes choix actuels, qui contribue à me maintenir dans une bonne forme spirituelle)
Un dépendant sexuel observe : “quand on se masturbe devant des photos de femmes nues, on ne sort pas d’une exacerbation infinie du désir (…) l’objet du désir restant indéfiniment - du moins fantasmatiquement - à portée de la main, mais sans que rien s’accomplisse. Tout ça rappelle diablement le supplice de Tantale, mais conçu ici comme une source de jouissance. L’absence de jouissance comme source de jouissance, on a vu plus simple comme rapport au réel, non ?” C’est une façon pittoresque mais exténuante de mesurer combien le lien de l’attachement pend dans le vide, comme je le rappelais dans le post précédent avant d’aller pendouiller mollement au-dessus de la Grande Frugalité Floconneuse sur un télésiège pyrénéen.
Et quoi de mieux pour combattre l’obscénité sinistre des voeux de nouvel an que notre imp(r)udence à revendiquer l’aspiration au bonheur comme légitime, après nous être vautrés dans des océans de fange qui ne reflétaient dans leurs remous opaques que notre propre opacité, dévisagés par l’abyme que nous scrutions inquiets sans y découvrir guère plus que le mélange de fascination/répulsion, l’attachement à notre propre néant et l’impuissance à l’accepter ? dit comme ça, on dirait les épîtres du maire de Champignac-en-Cambrousse à Notre-Dame des Motherfuckers, mais on est tellement nombreux à bramer pour la délivrance que même si elle n’existe pas, ça va finir par la faire naître.
Donc, Bonne Année à Tou(te)s.

les dessins sont ©Xavier Gorce/Le Monde.fr

Commentaires

Warf ! super le dessin ! Mort de rire ! les affres des prises de tête (de noeud?) de l’ego face à la triste réalité quotidienne : il arrive un moment où on fait chier son monde et il ne reste plus qu’à éteindre la lumière…
Bonne année John !

Démons (2)

En continuant prudemment mes travaux d’archéologie autour des fondations de la table basse du salon, j’ai exhumé un autre penseur du postmodernisme1 qui ne le cède en rien à Jean-Louis Murat : Fredric Jameson. Imaginez un gars qui combine les démarches de Deleuze, de Barthes et de Foucault, dont il s’inspire, ainsi que de Sartre et d’Adorno, aussi à l’aise dans l’interprétation de Hegel que dans le commentaire du Blade Runner de Ridley Scott, ou d’une installation de Nam-June Paik… j’espère qu’il en a une toute petite, sinon c’est trop injuste pour les pauvres en esprits, et du reste je sens que vous l’aimez déjà. Condensons l’article trouvé dans Le Monde des Livres : “Contre les néo-positivistes pour qui le développement de la société de l’information et la mondialisation faisaient accroire que notre époque avait atteint une phase «postindustrielle», et que le capitalisme était désormais dépassé, pour Jameson, au contraire, nous nous situons au coeur d’un capitalisme plus puissant que jamais. Un capitalisme du «troisième stade» ou «tardif», qui se caractérise par une nouvelle division du travail mondial, «l’émergence des yuppies», de nouveaux types d’interrelations médiatiques, le triomphe de la «société du spectacle», etc… Cette configuration, qui se met en place au début des années 1970, demeure pour Jameson un «paysage» de cauchemar. Toute la culture postmoderne dans laquelle nous sommes embarqués exprime en effet une nouvelle vague de «domination américaine» qui a pour envers «le sang, la torture, la mort et la terreur». Alors que l’état du «mode de production» en est à la mise en réseau et à la saturation du monde humain par le marché, notre intuition de ce phénomène demeure confuse. Cela explique que ce règne soit de plus en plus perçu sur le mode de la conspiration mystérieuse, et c’est le thème central de “La totalité comme complot”. On aimerait y lire ce qu’il écrit sur le Vidéodrome de David Cronenberg (1983), à l’heure de la colonisation (Cronenberg aurait parlé de contamination) définitive de la vie sociale par la marchandise, mais ici c’est le Raideur’s Digest et cette chronique littéraire vivote déjà sur un tout petit crédit.

Avec “L’Archéologie du futur”, paru en 2005, Jameson s’interroge sur l’avenir de l’«élan utopique» dans une époque marquée par l’abolition de toute distance entre culture et marché, mais aussi de toute distance critique propre à forger un autre monde possible - ce dont l’anti-intellectualisme contemporain est selon lui la traduction. Cette fois, c’est l’évolution de la science-fiction qui lui sert de terrain. Jameson se demande pourquoi ce genre ancien porteur d’utopie, florissant dans les années 1960, a été peu à peu remplacé soit par un imaginaire dominé par la magie et la nostalgie médiévale (qui culmine avec le succès de Harry Potter), soit par le Cyberpunk. Il y voit le symptôme d’une idéologie qui évacue toutes les alternatives au capitalisme et par là même mine notre «puissance d’agir». C’est à la préserver que tend cette oeuvre, dont la richesse montre que le désespoir n’est pas encore à l’ordre du jour. Aussi postmoderne soit-il, l’intellectuel peut toujours l’interpréter. Mais aussi rêver de le transformer.”

C’est ce que je kiffe dans ce genre d’articles : une débauche de mots et d’effets spécieux plus sombrissimes les uns que les autres, faisant appel aux mânes des Grandes Lignées d’Intellos du Pléiostène pour justifier et mettre en garde contre le Crépuscule T’amer des Consciences qui s’Annonce, ambiance “la fin du monde a commencé avant-hier et j’y étais”, puis abruptement une phrase de conclusion toute platounette comme même France 3 n’ose plus en pondre à la fin de ses reportages, ” mais tout cela n’est pas grave, avec un peu d’entrain et deux doigts d’huile de coude, on s’en sortira” ou, comme le psalmodiait rageusement l’autre soir dans les couloirs d’une rédaction régionale un reporter saisi par le virus du cynisme, “devant l’ampleur de la catastrophe, une cellule psychologique a été mise en place !”

Ca donnerait presque envie de jouer les Cassandre anti-Cassandre, mais avec qui et dans quel but ? Serais-je en train de succomber aux sirènes de l’anti-intellectualisme décriées dans l’article ? Quand on coupe la tête d’un intellectuel, il meurt, la cause est entendue. Et ceux qui le lisent ne sont pas à l’abri d’une migraine persistante, pour ne rien dire de ceux qui se le cognent en pension. D’un autre côté, nous sommes tous construits par des croyances inconscientes pas plus retorses mais pas moins faciles à déboyauter (verbe inventé par ma fille pour décrire ce que le chat de la maison fait subir aux souris du quartier) que celles énoncées ici. Hier, il m’a fallu plus d’une heure et demie de course à pied pour réaliser à quel point j’étais persuadé que rien ne pouvait se faire par le corps. Sans cortex, j’aurais été bien embété pour en prendre conscience. Zblwux.

Ceci dit, le journaliste, peut-être dans un sursaut d’humour désacralisant, a écrit “l’intellectuel postmoderne peut l’interpréter, et rêver de transformer le monde” et non “peut transformer le monde”. Tiens, non, je croyais qu’il parlait du monde, et en relisant mieux, il ne parle que du désespoir, qui étant une posture à priori ne dit rien du monde, le journalisme postural répondant alors à la littérature éponyme.

Dans un monde où la productivité a pris le mors aux dents, Tintin et Milou se soulagent comme ils peuvent sur le monsieur de France Télécom qui venait leur proposer une connection 8 Mo (allégorie)

1le philosophe Jean-François Lyotard, prenant acte de la disparition des « grands récits » de la modernité (progrès, nation, sujet, oeuvre…) estimait en 1979 que nous étions entrés dans un univers « postmoderne ».